En pleine pandémie, certains journalistes ont la gâchette facile pour accuser les critiques de désinformation, sans assumer leur devoir de vérifier les faits et la crédibilité de leurs sources. Un professeur de médecine de l’Université McGill, membre d’une commission du New Hampshire qui enquête sur la 5G, a récemment été associé à des militants d’extrême droite qui reprennent ses propos. Il faut dire que lorsque la plupart des gouvernements et même l’Organisation mondiale de la santé (OMS) répètent le message biaisé des industries polluantes, il est assez facile d’endormir les journalistes. Ceux-ci devraient plutôt enquêter sur les conflits d’intérêts entourant les membres du Projet de recherche de l’OMS sur les ondes, dont certains travaillaient jadis au Canada. Analyse.
(Références en hyperliens gras.)
Quand les médias attaquent la crédibilité de lanceurs d’alerte très respectés alors que la santé publique est en jeu, il y a lieu de se demander qui désinforme vraiment : les critiques ou les journalistes avec leurs sources biaisées. Cela se produit souvent en plein déploiement de la cinquième génération (5G) de téléphonie cellulaire, au grand dam des centaines de médecins et scientifiques ainsi que de nombreux citoyens et élus qui souhaitent un moratoire, le temps de mieux cerner les impacts énormes que cette technologie aura sur tous les êtres vivants.
Non, le 5G n’est pas dangereuse pour l’être humain, titrait un article publié sur le site de Radio-Canada le 13 mars, ironiquement le jour même où Québec déclarait l’urgence sanitaire en raison de la pandémie. Titre démenti par l’industrie américaine du sans-fil qui, en février 2019, admettait à une commission sénatoriale, à Washington, qu’elle ne possédait aucune étude indépendante démontrant la sécurité de la 5G pour la santé publique.
La source de l’article de Radio-Canada était la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP), présentée comme « le corps scientifique chargé d’évaluer les risques pour la santé associés aux rayonnements non ionisants ». Ces rayonnements comprennent les champs électromagnétiques (CEM) émis notamment par le courant porteur 60 hertz d’Hydro-Québec et les radiofréquences (RF) utilisées par les antennes et autres technologies sans fil. L’ICNIRP ne fondait son message rassurant sur aucune étude confirmant la sécurité de la 5G. Le 7 juillet dernier, Radio-Canada changeait le titre de son article pour La 5G est sécuritaire pour l’humain, selon des experts et y a ajouté mention de l’appel à un moratoire sur le déploiement de la 5G signé par 403 experts (lire la version française sur 5gappeal.eu/about).
Conflits d’intérêts
Une simple recherche sur le Web aurait permis au journaliste de Radio-Canada de découvrir que l’ICNIRP est un club privé de 13 membres liés aux industries électrique et du sans-fil et qui est financé par l’Union européenne, l’Allemagne en particulier. Or, l’ICNIRP est à l’origine et contrôle toujours le Projet international de recherche de l’OMS sur les effets des CEM, initiative qui travestit plus de 60 ans de science sur les effets biologiques des CEM. (Dont les récentes études suggèrent par exemple que l’exposition chroniques aux ondes du Wi-Fi nuit à la reproduction et à l’apprentissage.)
En 2008, le conseil d’éthique du prestigieux Institut Karolinska de Stockholm, celui-là même qui décerne le prix Nobel de médecine, affirmait qu’être membre de l’ICNIRP constituait un conflit d’intérêts potentiel que se devait de déclarer son professeur Anders Ahlbom. En 1998, Ahlbom était membre de l’ICNIRP alors que cet organisme adoptait les lignes directrices d’exposition aux RF dont s’inspirent l’OMS et la plupart des gouvernements. Ces limites visent seulement à éviter les effets thermiques des RF incluant les micro-ondes pulsées et polarisées des technologies sans fil. Elles écartent comme non concluantes les preuves d’effets non thermiques, comme les symptômes neurologiques et autres décrits par les études militaires et civiles depuis plus de 60 ans. Adoptées pour la première fois en 1953 par la Marine américaine, les limites thermiques ne protègent que les intérêts des industriels et des militaires. C’est le cas du Code de sécurité 6 de Santé Canada qui est « un désastre pour la santé publique », notamment des enfants, déclarait en 2015 le Dr Hardell au Journal de l’Association médicale canadienne.
En 2011, le Centre de recherche international sur le cancer (CIRC, affilié à l’OMS mais moins politisé) retirait Anders Albohm de son groupe d’experts devant évaluer la cancérogénicité des RF : la journaliste suédoise Mona Nilsson avait découvert qu’il avait cofondé, avec son frère Gunnar, une firme de lobbying desservant l’industrie des télécommunications, dont le géant du cellulaire Ericsson. Peu après son départ, le CIRC classait l’ensemble du spectre RF (fréquences de 3 kilohertz à 300 gigahertz) dans son groupe 2B, « peut-être cancérogène », au même titre que le plomb, le toluène, les furannes et plusieurs pesticides. Pourtant, les membres de l’ICNIRP, dont le conseiller du gouvernement suisse Martin Röösli qui siégeait au même comité du CIRC en 2011, minimisent constamment la portée de ce classement… quand ils ne le taisent pas carrément dans leurs communications. Il faut dire que Röösli a déjà été administrateur d’un organisme financé par l’industrie des télécoms.
Ces conflits d’intérêts étaient étayés par l’oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell dans une lettre contenant pas moins de 95 références et parue cet été dans la revue sur le cancer Oncology Letters. On peut lire tous les détails sur son blogue lennarthardellenglish.wordpress.com, dont le rapport de deux eurodéputés qui concluent que l’on « ne peut pas se fier sur l’ICNIRP pour un avis scientifique vraiment indépendant ».
Selon le groupe de neuf journalistes d’expérience Investigate Europe, l’ICNIRP est une association privée créée pour et par les industries électrique et téléphonique. Elle fut fondée en 1992 et fut longtemps dirigée par le biologiste et docteur en physique Michael Repacholi, un consultant pour l’industrie électrique qui a dirigé le programme de radiations non ionisantes de Santé Canada de 1975 à 1982. C’est lui qui a fondé en 1995, et dirigé pendant dix ans, le Projet de recherche sur les CEM de l’OMS. Avant de quitter, en 2005, il invitait huit représentants de compagnies d’électricité, dont le Dr Michel Plante d’Hydro-Québec, à lire et à commenter l’ébauche de son avis sur la prétendue innocuité des CEM de 60 hertz émis par les réseaux et appareils électriques.
Des ondes cancérogènes
La réalité, c’est qu’en 2018, deux grandes études de qualité ont démontré que le rayonnement de radiofréquences de téléphones ou d’antennes cellulaires avait causé chez des rats les mêmes types de tumeurs que développent à long terme certains utilisateurs réguliers du cellulaire. Celle réalisée par le prestigieux US National Toxicology Program a obtenu des « preuves claires » que ces ondes causent le cancer, contrairement aux attentes des chercheurs. Selon de nombreux experts, dont le Dr Anthony B. Miller, ancien directeur de l’épidémiologie à l’Institut national de cancer, conseiller de longue date du CIRC et professeur émérite de médecine à l’Université de Toronto, les preuves animales et humaines justifient aujourd’hui de classer les RF comme cancérogènes pour l’humain. Par ailleurs, l’automne dernier, les chercheurs du US NTP publiaient un article confirmant que les RF sont génotoxiques (elles peuvent causer des dommages génétiques).
Au lieu de s’en inspirer pour prôner davantage de prudence en la matière, l’ICNIRP faisait l’inverse le 11 mars dernier. Dans sa mise à jour des lignes directrices d’exposition aux RF, elle favorisait l’augmentation des émissions qui découleront du déploiement de la 5G : elle quadruplait la limite d’exposition pour les fréquences 2 à 6 gigahertz (GHz), qui passait alors de 10 à 40 watts par mètre carré (W/m2).
Comparativement, en 2011, la résolution 1815 du Conseil d’Europe recommandait au pays membres de l’Union européenne de réduire leurs limites d’exposition à un niveau 40 000 fois plus sévère que cette dernière recommandation de l’ICNIRP. Plus précisément, elle préconisait « de fixer un seuil de prévention pour les niveaux d’exposition à long terme aux micro-ondes en intérieur, conformément au principe de précaution, ne dépassant pas 0,6 volt par mètre [soit 1 000 microwatts par mètre carré (μW/m2) ou 0,001 W/m2] et même de le ramener à moyen terme à 0,2 volt par mètre » ou 106 μW/m2 (voir l’outil de conversion sur powerwatch.org.uk/science/unitconversion.asp). En 2018, un groupe britannique publiait d’aillerus des lignes directrices (International Guidelines on Non-Ionising Radiation) recommandant une limite de 106 μW/m2 pour l’exposition durant la journée, de 10 μW/m2 durant la nuit et de 1 μW/m2 pour les personnes plus sensibles.
Les recommandations du Conseil d’Europe et de l’IGNIR étaient basée sur les effets biologiques non thermiques à long terme des faibles expositions aux RF décrits dans des milliers d’études. Le portail australien orsaa.org répertorie plus de 1 500 études uniquement sur les effets des téléphones cellulaires. En 1969, un chercheur de la Marine américaine, Christopher Dodge, a résumé la littérature soviétique répertoriant les effets nocifs des RF sur tous les organes, souvent à des doses comparables à ce que l’on reçoit des technologies modernes. Et en 1972, son collègue Zorach Glasser signait une bibliographie recensant plus de 2 000 études sur le sujet.
Le point sur la technologie 5G
La 5G vise à multiplier la vitesse et le volume des données transmises par les milliards de produits de consommation dotés de puces antennes dans le cadre de l’Internet des objets. Si elle utilise actuellement des fréquences de 600 à 3 500 mégahertz (ou 3,5 gigahertz) tout comme la plupart des antennes 3G et 4G, la 5G fera éventuellement appel aussi aux ondes millimétriques (mm, fréquences de 30 à 300 gigahertz). Comme ces ondes très courtes sont moins pénétrantes et facilement bloquées par les objets, il faudra installer des milliers de micro-antennes dans les quartiers habités (jusqu’à 60 000 à Montréal) et augmenter leur puissance d’émission.
À peine une centaine d’études ont été publiées sur les effets biologiques des ondes mm. Selon le groupe américain Physicians for Safe Technology (Médecins pour une technologie sécuritaire), en 1998 le chercheur russe Andrei G. Pakhomov avait résumé une douzaine d’études décrivant ces effets : arythmie cardiaque, effets tératogènes sur les embryons pouvant mener à des malformations, augmentation ou diminution de la résistance bactérienne aux antibiotiques, cataractes, diminution du système immunitaire, dommages génétiques, etc. (Lire notre article Un futur sans fil 5G, traduction de la synthèse faite par la Dre Cindy Russell, fondatrice de Physicians for Safe Technology et auteure de la résolution de l’Association médicale californienne sur les dangers du rayonnement RF des technologies sans fil.)
J’ai rencontré l’oncologue et épidémiologiste suédois Dr Lennart Hardell en 2015, à Bruxelles, dans le cadre d'un colloque sur les hypersensibilités environnementales. Ce clinicien, chercheur est un précurseur à la réputation impeccable. Depuis la fin des années 1970, il ne s’est jamais trompé en sonnant l’alerte sur la cancérogénécité probable de la dioxine contenue dans l’herbicide Agent Orange, puis des biphényles polychlorés (BPC) et du glyphosate (incluant la marque Roundup de Bayer/Monsanto). Plus récemment, ses études sur le risque accru de tumeurs cérébrales associées à l’usage du cellulaire et du téléphone sans fil à long terme ont largement contribué au classement 2B des RF par le CIRC, en 2011. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les appels répétés à la précaution.
L’industrie contre-attaque
Mais les médias de masse, dont plusieurs sont intimement liés sinon propriété de fournisseurs de téléphonie cellulaire (Bell, Rogers, Québecor/Vidéotron), font la sourde oreille quand ils n’attaquent pas carrément la crédibilité de ces lanceurs d’alerte. Au lieu de défendre l’intérêt public, consciemment ou non les journalistes refusent de mordre la main qui les nourrit, dont les compagnies de cellulaires qui financent leur salaire en publicité.
C’est l’histoire du tabac, des additifs pétrochimiques, des hormones de croissance bovine et de l’amiante qui se répète sans cesse. Pour mieux comprendre, il faut lire le livre Doubt is their product, qui décrit comment les industriels pollueurs et leurs firmes de relations publiques ont toujours fait appel à des scientifiques mercenaires pour attaquer, souvent avec la complicité des grands médias, les chercheurs indépendants dont les travaux dérangent. En semant le doute sur la dangerosité de leurs produits en l'absence de preuves concluantes, entre la première alerte lancée par les scientifiques et l'entrée en vigueur des premiers règlements pour en contrôler l'usage, les gens ont été empoisonnés pendant plus d'un siècle d'inaction dans le cas de l'amiante et des biphényles polychlorés, par exemple. À ce sujet, voir le tableau en page 169 de l'excellent livre Ces ondes qui nous entourent - Ce que la science dit sur les dangers des rayonnements électromagnétiques, de feu le chercheur Martin Blank qui a initié l'Appel international CEM scientifique exhortant les Nations unies à protéger la nature et l'humanité des CEM.
Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ou Être lanceur d’alerte lorsque toute critique est taxée de complotisme, titrait récemment un éditorial du groupe français Robin des toits qui fut associé à des groupes radicaux par la Gendarmerie nationale française. Son crime : avoir osé dire que le rayonnement RF des antennes, cellulaires, compteurs intelligents et émetteurs Wi-Fi peut affaiblir le système immunitaire, ce que suggèrent pourtant des études sérieuses, rapporte le directeur du Centre de santé familiale et communautaire de l’École de Santé Publique de l’Université de la Californie à Berkeley, Joel Moskowitz.
Fausse nouvelle ou vérité?
Au Québec, un professeur de médecine de l’Université McGill, le physicien Paul Héroux, a récemment été associé à des militants d’extrême droite parce que ceux-ci reprennent ses propos. Les dangers de la 5G : un prof de McGill alimente les complots, titrait le Journal de Montréal le 20 juin dernier. La journaliste Daphnée Hacker, qui m’a contacté mais a fait fi des informations que je lui ai transmises, a écrit que le professeur Héroux est « adulé par plusieurs conspirationnistes ». Hacker avait reçue une commande claire de ses patrons : son article est paru dans le cadre d’un dossier intitulé Le virus des fausses nouvelles.
Mais être conspirationniste ne veut pas nécessairement dire propager une fausse nouvelle : c’est défendre la théorie d’une conspiration organisée pour manipuler l’opinion. Et dans le dossier de l’électrosmog comme dans celui du tabac, de l’amiante ou de tant d'autres produits nocifs, c’est exactement la stratégie des industriels et de leurs relationnistes. Depuis des lunes, ils désinforment avec la complicité de grands médias et de nombreux scientifiques, dont plusieurs collaborent sinon œuvrent au sein de l'OMS ou de gouvernements dont les dirigeants cherchent avant tout à plaire aux industriels.
C’est sur la base de ses propres recherches sur les effets des ondes que Paul Héroux affirme que le déploiement de la 5G augmentera l’incidence des cancers, du diabète et des maladies neurologiques. Il est effectivement cité par plusieurs citoyens qui s’inquiètent de ses propos, mais dénonce vigoureusement les vandales qui s’en prennent aux tours d’antennes cellulaires.
Il a aussi dit à Mme Hacker que la majorité des instances politiques et des agences de santé publique sont « infiltrées » par le lobby des télécommunications », car c’est le cas. Par exemple, la Federal Communications Commission (FCC) américaine, qui régit les télécommunications et les limites d’exposition aux RF, est depuis longtemps dirigée par des gens provenant de l’industrie des télécoms : l’actuel président de la FCC, Ajit Pai, est l’ancien avocat du géant du sans-fil Verizon et son prédécesseur, Tom Wheeler, est l’ancien président de la Cellular Telecommunications & Internet Association. Le procureur général de la FCC, Thomas Johnson, travaillait jadis pour Gibson Dunn, la firme d’avocats qui représentait l’industrie américaine du sans-fil. Pour tout comprendre, il faut lire le rapport Captured Agency, du Centre pour l’éthique Edmond J. Safra de l’Université Harvard, sur comment l’industrie contrôle cet organisme censé la réglementer.
Mme Hacker a écrit que les propos de Paul Héroux étaient « fortement réfutés par de nombreux scientifiques ». En fait, les experts indépendants en la matière sont plutôt de l’avis de ce physicien. Ils l’ont d’ailleurs invité à écrire un chapitre du deuxième rapport du Groupe BioInitiative, publié en 2012. Depuis 2007, ces sommités ont résumé plus de 4 000 études portant sur les effets biologiques des faibles expositions aux CEM. Contrairement à leurs critiques, ces chercheurs ont signé depuis des décennies des centaines d’études révisées par des pairs dans ce domaine.
Le professeur Héroux est un ancien employé d’Hydro-Québec et directeur du programme de santé du travail du département d’épidémiologie, de biostatistique et de santé occuptionnelle de l’Université McGill. En étudiant des cellules leucémiques au microscope, son étudiante Lin Yi et lui ont découvert que les CEM de basses (60 Hz) et hautes (RF) fréquences créent des changements métaboliques favorisant le diabète et le cancer. Héroux est souvent appelé à témoigner en tant qu’expert à l’international. Il siège par exemple à la commission de l’État du New Hampshire qui enquête sur les effets environnementaux et sanitaires du déploiement de la 5G.
Daphnée Hacker a écrit avoir « consulté plusieurs experts en électromagnétisme d’ici et d’ailleurs », mais sa seule source en la matière était la biologiste Anne Perrin, coauteure du livre Champs électromagnétiques, environnement et santé. Or il s’avère que Mme Perrin est vice-présidente de la Société française de radioprotection, dont les membres bienfaiteurs sont nulles autres que des sociétés de téléphonie sans fil, rapporte Robin des toits. Anne Perrin répète la même fausseté véhiculée par l’industrie et les militaires depuis les années 1950 : « aucun effet sur la santé n’a jamais été démontré en dessous des limites d’exposition réglementaires » aux RF.
Qui finance votre étude?
Bien au contraire, la vaste majorité des études sur le sujet prouvent que cette affirmation est fausse. Le chercheur américain Henry Lai a découvert que 70 % des études financées par l’industrie des télécommunications concluent que les radiofréquences n’ont aucun effet nocif sur la santé, et que 70 % des études financées indépendamment (qui représentent la vaste majorité des études sur le sujet) révélaient le contraire.
En matière de santé publique et pollution, les gouvernements ont toujours tardé à écouter les lanceurs d’alerte pour éviter de déplaire aux industriels, comme l’expliquait en 2002 l’Agence européenne de l’environnement en parlait en 2002 dans son rapport Signaux précoces et leçons tardives : le principe de précaution 1896–2000 : « Dans bon nombre des études de cas, l’information correcte concernant les risques potentiels était disponible bien avant que les mesures régulatrices décisives ne soient prises, mais soit l’information n’a pas été portée à temps à la connaissance des décideurs appropriés, soit elle a été discréditée pour une raison ou une autre. En outre, il est vrai que, dans certains cas, les signaux précoces — et même les signaux “clairs et tardifs” — ont été ignorés par les décideurs politiques pour des raisons économiques et politiques à court terme… Des évaluations détaillées des politiques dans des domaines tels que l’encéphalopathie spongiforme bovine (Phillips et al., 2000) et les téléphones portables (IEGMP, 2000) ont permis l’exploration en profondeur de certains de ces enseignements, assortie de recommandations spécifiques sur la manière de gérer des problèmes tels que les conflits d’intérêts entre institutions. »
La Russie et la France sont plus prudents
Comme la plupart des pays, sauf certains tels la Russie, qui vient d’interdire le Wi-Fi et le cellulaire pour l’apprentissage à distance des enfants, et la France, qui interdit le Wi-Fi dans les garderies et limitent son usage au primaire, l’ICNIRP propage le mythe selon lequel les seuls effets reconnus des ondes sont la stimulation des nerfs, l’échauffement des tissus (l’effet thermique) et des changements dans la perméabilité des membranes. Les limites thermiques adoptées par la Marine américaine en 1953 ont été proposées par l’ancien chercheur nazi Herman Schwann. Elles visent seulement à éviter d’échauffer le corps d’un soldat exposé aux RF/micro-ondes pendant six minutes. Pourtant, la US Navy savait très bien que plusieurs développeurs et opérateurs de radar, souvent exposés à de faibles doses similaires à celles reçues aujourd’hui d’un routeur Wi-Fi, développaient tôt ou tard des malaises et maladies. Durant les années 1950, l’URSS et les autres pays d’Europe de l’Est ont ouvert des cliniques pour étudier et soigner ces milliers de victimes des ondes.
Tristement, Paul Héroux a raison : en répétant sans cesse le mantra thermique et en niant la nocivité des effets non thermiques des ondes dont le cancer, l’ICNIRP et les gouvernements menacent la santé publique, et en particulier des êtres les plus vulnérables, dont les enfants et les abeilles. La protection des profits des entreprises et des milliards de dollars de revenus qu’elles apportent aux divers pays s’avère bien plus importante à leurs yeux, déploraient Lennart Hardell et son collègue Michael Carlberg dans Oncology Letters.
L'OMS financée et dirigée par l'industrie
Dans leur commentaire, Hardell et Carlberg dévoilaient les conflits d’intérêts dans lesquels se trouvent neuf personnes qui ont siégé à la fois à l’ICNIRP et au groupe de l’OMS qui publie les critères de santé environnementale rassurants concernant les CEM. Une consultante auprès des compagnies d’électricité, Leeka Kheifets, a joué un rôle important dans la rédaction de cet avis de l’OMS, selon Microwave News. Elles est une ancienne employée de l’Electric Power Research Institute, institut de recherche prétendu indépendant créé par les compagnies d’électricité américaines. Le rédacteur en chef de Microwave News, Louis Slesin, s’intéresse aux effets sanitaires des ondes depuis les années 1970.
Le Projet CEM de l’OMS était financé à 50 % par l’industries de l’électricité et du sans-fil, admettait Repacholi en 2007. Or, pour camoufler cela, Repacholi s’est arrangé avec l’industrie pour que les fonds transitent par un hôpital australien où il avait jadis travaillé, révélait Slesin l’année précédente.
Depuis 20 ans, le Projet CEM est dirigé par la dauphine de Slesin, l’ingénieure en électricité Emilie van Deventer, qui n’a aucune formation biomédicale. Alors qu’elle enseignait le génie à l’Université de Toronto, elle a fait des études, financées par le gouvernement britannique et l’industrie du cellulaire, notamment pour accélérer la vitesse des communications sans fil et non pour réduire leur nocivité. « L’industrie n’est pas intéressée par votre santé. Elle veut que le réseau fonctionne correctement », a-t-elle confié au journaliste Karl Muller, en 2007. Van Deventer est membre de l’Institute of Electrical and Electronic Engineers (IEEE), la fédération d’ingénieurs la plus puissante au monde. Depuis des décennies, elle priorise le lobbysme, en particulier auprès de l’OMS afin qu’elle minimise les risques sanitaires des CEM.
Le 9 avril 2020, Louis Slesin demandait dans son bulletin Microwave News « que les mensonges cessent et que l’ICNIRP soit démantelé » après que son actuel vice-président et membre du Projet CEM de l’OMS, Eric van Rongen, eut affirmé : « Il n’y a aucune preuve (…) de l’induction du cancer par les champs de radiofréquences. » Et ce malgré que le comité de révision de l’étude du US NTP, avait conclu qu’elle avait établi des « preuves claires » de cancérogénécité. van Rongen est aussi l'un des deux secrétaires du comité qui avise la Hollande en matière de sécurité des CEM.
En réponse à l’article de Daphnée Hacker, Paul Héroux ironise que « 4 288 rats et 2 180 souris complotent contre l’industrie des télécommunications », citant pas moins de cinq études sur les rongeurs qui ont démontré que les RF causent le cancer : celle signée en 1992 par C-K Chou, l’ancien directeur de la recherche sur les ondes chez le fabricant de cellulaires Motorola; une seconde signée par nul autre que Michael Repacholi, publiée en 1997; celle du professeur de biologie allemand Alexander Lerchel, de 2015; puis celles du US NTP sur les cellulaires et de l’Institut Ramazzini sur les antennes, publiées en 2018.
Tout comme l’ICNIRP, Santé Canada, la Société royale du Canada et le comité scientifique sur les risques sanitaires émergents de la Commission européenne ont aussi fait fi de plusieurs études établissant un lien entre l’exposition aux RF/micro-ondes et de nombreux problèmes de santé. C’est ce qu’a dénoncé en 2014 l’organisme Canadiens pour une technologie sécuritaire, fondé par l’ancien président de Microsoft Canada, Frank Clegg. Ces études portaient sur : le cancer, des dommages génétiques, l’infertilité, des problèmes de développement, d’apprentissage et de comportement, des effets neurologiques, oculaires, cardiovasculaires, l’électrohypersensibilité et des changements biochimiques.
La Société royale, mandatée par Santé Canada pour évaluer la sécurité des technologies sans fil, a dû se défaire du chercheur qui présidait son comité d’experts. Le Dr Daniel Krewski, professeur de médecine à l’Université d’Ottawa, avait omis de déclarer qu’il avait déjà été payé par Industrie Canada pour l’aider à réfuter les arguments d’opposants qui selon ce ministère véhiculaient de la désinformation concernant les antennes cellulaires. Or les études sur le sujet, contrairement à 95 % des études faites en laboratoire sur des animaux (où on les expose à des ondes pures et les protège de toute autre pollution électrique chimique), sont parmi les seules qui mesurent les effets chez les humains des RF/micro-ondes et d’autres polluants dans la vraie vie. Et elles démontrent que les gens vivant jusqu’à 500 mètres de ces antennes ont plus de cancers ainsi que de nombreux symptômes (neurologiques, cardiaques, cutanés, psychologiques, etc.) d’intolérance aux ondes (baptisée maladie des micro-ondes par les Soviétiques, en 1978).
Mais il semble que les coûts sociosanitaires de ces effets pâlissent face aux revenus générés par l’industrie du sans-fil. Selon le gouvernement canadien, depuis 1999 celle-ci lui a déjà rapporté 18 milliards de dollars en ventes aux enchères de diverses bandes de fréquences du spectre électromagnétique, de 700 MHz à 38 GHz. Le service sans fil 5G pourrait injecter 40 milliards de dollars au PIB annuel et créer 250 000 nouveaux emplois permanents dans l’économie canadienne d’ici 2026, selon un rapport de la firme conseil en technologies numériques Accenture. Ce qui représentera une somme colossale en taxes et impôts de toutes sortes pour le gouvernement.
En 2019, par exemple, Québecor a acquis dix licences de blocs de basses fréquences pour 256 millions de dollars et Rogers (qui possède le magazine L’actualité et Maclean’s) en a acquis pour 1,7 milliard de dollars, selon le site de l’observatoire des technologies de l’information Direction informatique.
Pour Paul Héroux, les attaques qu’il subit dans les médias sont de bonne guerre, mais il déplore que nos élus gouvernent comme les membres d’un conseil d’administration que ne se soucient guerre des effets à long terme de leurs décisions, notamment sur la santé publique. « Finalement, Québecor ne fait que protéger son investissement de 256 millions de dollars. La question plus fondamentale semble être : pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il offert ce spectre, et encaissé le chèque? Lorsqu’on achète une maison, il y a des lois qui protègent l’acheteur contre les vices cachés… »