Des logements pour personnes hypersensibles bâtis à Zurich, en Suisse. 
© MICHAEL BUHOLZER/AFP

Son propriétaire reprenant possession de son logement le 1er juillet, Marie n’a pu trouver de lieu sécuritaire et doit poursuivre sa recherche intensive. Quant à Juliette, elle n’a rien trouvé d’autres à louer qu’une maison hors de prix.

« Dans le logement social, on n’a pas à subir de reprise de logement par un propriétaire. C’est la pire année pour se retrouver dans cette situation, avec la hausse faramineuse des loyers et la pénurie de logements », déplore Marie, qui a été diagnostiquée hypersensible aux produits chimiques par l’hématologue Pierre Auger, expert québécois de cette condition complexe qui affecte plus ou moins sévèrement plusieurs organes et systèmes (neurologique, respiratoire, immunitaire, digestif, cardiovasculaire, etc.)

Comme un nombre croissant de gens, ces deux femmes (lire leurs témoignages ici) se disent incapables de se trouver une habitation abordable adaptée à leur hypersensibilité environnementale (chimique et/ou électromagnétique). Selon elles, un logement public ou privé abordable sans fumée, sans moisissures, sans électrosmog et sans pesticides ni autres polluants chimiques, serait introuvable.

Malgré l’absence de consensus médical sur les causes des hypersensibilités environnementales, cette condition est reconnue comme un handicap par les Commissions québécoise et canadienne des droits de la personne. « La Loi canadienne sur les droits de la personne protège les gens souffrant d’allergie ou d’hypersensibilité environnementale comme elle protège les personnes ayant n’importe quelle autre déficience, explique le site de la Commission canadienne des droits de la personne. Toute personne souffrant d’allergie ou d’hypersensibilité environnementale peut demander des mesures d’adaptation à son employeur ou ses fournisseurs de services. » Selon le neuroscientifique Olle Johannsonen Suède, où il s’agit d’une déficience fonctionnelle, les personnes atteintes ont droit à des milieux de soins et des logements adaptés.

Une première résolution municipale au Québec
C’est ce que demande au gouvernement une résolution adoptée fin mai par la petite municipalité estrienne de Saint-François-Xavier de Brompton. Son maire, Gérard Messier, dit avoir été ému par le témoignage d’une concitoyenne hypersensible. « Ça remonte à au-delà d’un an. Une dame vivait dans un logement vraiment pas adapté à sa condition et avait des problèmes avec son propriétaire. Ce n’est pas beau à voir, ces personnes-là, lorsqu’elles sont rendues à un niveau de qualité de vie réduite, c’est terrible. Il y en a même qui vivent dans leur auto et qui en meurent à cause des conditions qui ne leur permettent plus de vivre... Ça va aller en s’accroissant avec la multiplication des produits chimiques et des ondes », croit cet ancien enseignant et syndicaliste.

Selon Statistique Canada, la seule condition de sensibilité chimique multiple avait été diagnostiquée chez 3,3 % des Canadiens en 2016, soit plus de 250 000 Québécois. En 2018, une sommité en effets de la pollution, la professeure de génie Anne C. Steinemann, signait une étude concluant que la prévalence des gens déclarant être plus sensibles que la moyenne aux produits chimiques avait quadruplé en dix ans aux États-Unis : 25,9 % des Américains rapportaient alors en souffrir et 12,8 % avaient reçu ce diagnostic, mieux connu chez les médecins américains que chez les nôtres.

Selon une étude publiée en 2010 dans la revue Canadian Family Physician, 5 % des Canadiens avaient alors reçu au moins un diagnostic d'hypersensibilité chimique multiple, de fatigue chronique ou de fibromyalgie que plusieurs médecins regroupent sous le vocable maladie environnementale, a-t-on appris dans le cadre d’un symposium sur l’HCM organisé en 2001 par le ministère canadien de la Défense. L’étude de 2010 a sondé 128 patients (à 89,7 % des femmes) traités à l’Environmental Health Clinic du Women’s College Hospital affilié à l'Université de Toronto. La plupart avaient cessé de travailler et 39 % avaient reçu deux ou trois de ces diagnostics.

Saint-François-Xavier de Brompton est la première municipalité à demander officiellement à la Société d’habitation du Québec (SHQ) de mettre sur pied des programmes innovateurs de logements sécuritaires pour les personnes hypersensibles. Selon M. Messier, les petits villages comme le sien n’ont pas les moyens de financer de telles habitations sans émissions chimiques et électromagnétiques qui coûteraient de 5 à 10 % plus cher qu’une maison classique certifiée Novoclimat, selon André Bourassa, ancien président de l’Ordre des architectes. « Ce qui coûte cher, ce sont les rues et infrastructures liées à l’étalement urbain. La sobriété est le maître mot dans le contrôle des coûts. » Il dit s’attendre à ce que les gouvernements fassent des projets de démonstration en la matière. « Le bâtiment, c’est une réalité qui touche au moins huit ministères. Je m’attends à ce que ces gens se parlent et bougent. » (Lire son témoignage ici.)

Dès 1990, la Société canadienne d’hypothèques et de logement publiait les résultats d’une étude importante d’un médecin qui avait sondé 29 personnes hypersensibles. « Tous les répondants rapportent une amélioration de leur état de santé après avoir fait des modifications à leur maison afin de réduire leur exposition aux produits chimiques », écrivait le médecin britannico-colombien Stephen R. Barron. Par la suite, la SCHL avait même construit une maison de recherche pour les personnes hypersensibles aux polluants et même un guide sur les matériaux sains pour les hypersensibles, malgré l’opposition de plusieurs fabricants.

Le maire Messier en appelle aux autres municipalités et MRC de l’Estrie, ainsi qu’à la Fédération québécoise des municipalités, pour trouver des solutions à l’absence de logements pour hypersensibles. Sa résolution a notamment été envoyée à la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation (MAMH), André Laforest, et à la vice-première ministre, Geneviève Guilbeault. Gérard Messier dit avoir eu des échanges constructifs avec certains collègues élus. « La plupart des élus ignoraient la situation que vivaient les hypersensibles. Plusieurs ont exprimé de l’empathie pour eux et étaient intéressés par mes propos. » Il dit notamment souhaiter que la Commission de protection du territoire agricole (CPTA) permette aux hypersensibles d’habiter des lots boisés de chaque côté. « Ils ne peuvent donc pas avoir d’impact sur l’agriculture et ces personnes ne subiraient pas l’impact des pesticides. Des propriétaires de tels lots ont déjà reçu l’autorisation de la CPTA de s’y construire. »

Le projet ECOASIS

Plan d'ensemble du projet ECOASIS de l'ASEQ.

Depuis 1992, l’Association pour la santé environnementale du Québec (ASEQ), qui vient en aide aux gens atteints d’hypersensibilités environnementales, souhaite bâtir l'ÉCOASIS, un complexe de 40 unités dans les Laurentides pour cette clientèle. Elle a reçu en don un terrain de 25 acres dans la municipalité de Mille-Isles qui, en avril 2021, s’est vu accorder une aide de 676 160 $ par le MAMH dans le cadre du projet ÉCOASIS. « La COVID-19 a retardé notre projet d’un an, mais nous comprenons qu’il s’agit d’une urgence nationale. J’ai confiance que le gouvernement appuiera encore notre projet », dit Rohini Peris, présidente de l’ASEQ.

La subvention a été accordée à la municipalité afin d’augmenter sa contribution financière à l’ÉCOASIS, explique Pierre Laberge, relationniste à la Société d’habitation du Québec (SHQ). « Le programme Supplément au loyer de la SHQ est une aide qui est disponible dès la première année d’existence d’un logement admissible. Cette aide financière, renouvelable tous les cinq ans, est assumée à 90 % par la SHQ et à 10 % par la municipalité. » Par contre, la SHQ refuse de financer les surcoûts de construction liés aux besoins particuliers de santé des hypersensibles, comme la pose de câblage Ethernet permettant de se passer de Wi-Fi.

 « Étant donné que l’hypersensibilité environnementale n’est pas reconnue comme une maladie par le ministère de la Santé et des Services sociaux, la SHQ ne peut autoriser l’organisme à poursuivre le développement de son projet dans le cadre du volet III du programme AccèsLogis Québec (besoins particuliers) », ajoute M. Laberge. Le projet devra donc être financé comme tout autre de Volet I (familles, personnes seules et aînés autonomes) ou de Volet II (aînés en légère perte d’autonomie).

Le maire Messier est déçu de cette réponse, car la loi est claire : une personne handicapée a droit à des accommodements raisonnables, comme un logement adapté. « Je trouve anormal que le MSSS ne reconnaisse pas cette maladie de façon globale. Il fait du cas par cas en accordant des mesures ponctuelles, par exemple si un médecin affirme qu’une personne est dans l’impossibilité de travailler. Les gens sont obligés de se battre pour obtenir des accommodements », dit-il. Ni la SHQ ni la ministre Laforest nous ont répondu pourquoi cet organisme et le MAMH n’ont pas adapté leurs politiques pour respecter cette obligation d’accommodement imposée par la loi.

L’ancien président-cofondateur du Centre québécois du droit de l’environnement, Me Michel Bélanger, le confirme : « Ce n’est pas tant l’avis du MSSS qui devrait être pris en compte, mais plutôt le diagnostic du médecin traitant et le fait que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec a déjà reconnu que l’hypersensibilité environnementale constituait un handicap. »

Un nouvel avis scientifique controversé

Cette semaine, l’Institut national de santé publique du Québec publiait un avis scientifique basé sur l’analyse sur la sensibilité chimique multiple (SCM) qui sème déjà la controverse. Parmi les conclusions de cet avis rédigé notamment par le toxicologue Gaétan Carrier, dont l’équipe dit avoir analysé 4 000 études sur le sujet : « L’anxiété chronique permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome SCM… À la longue, la répétition presque inévitable de ces épisodes de stress aigu entraîne chez les personnes atteintes le développement d’une neuro-inflammation, d’un stress oxydatif et une anxiété chronique. Sur la base de ces nouvelles connaissances, les auteurs du présent avis invalident l’hypothèse d’une association entre la SCM et la toxicité des produits chimiques trouvés aux concentrations environnementales habituelles. »

Une conclusion pourtant contredite le 12 mai dernier par Santé publique Ontario : « Les symptômes sont souvent perçus être principalement psychologiques même quand des preuves indiquent que ce n’est pas le cas », affirmaient son vice-président Brian Schwartz. À l’Université de Toronto, la chercheuse et clinicienne Dre Lynn Marshall conteste également l’avis de l’INSPQ : « Je ne crois pas que leur conclusion soit juste. Ils n’ont pas révisé toute la littérature, nous a-t-elle affirmé par téléphone. Les études plus récentes démontrent davantage la pathophysiologie. Le système nerveux central est affecté par les polluants dans notre environnement. Nous venons de soumettre une étude sur les mécanismes qui entrent en jeu. Il y a des récepteurs dans le cerveau qui sont allumés et qui augmentent la réactivité aux produits chimiques », explique cette ancienne directrice médicale de la Clinique de santé environnementale financée par la province depuis 1999, au Women’s College Hospital.

Le diagnostic d'électrohypersensibilité
L’expert québécois des hypersensibilités environnementales, l’hématologue Pierre Auger, avoue que, comme la plupart des médecins, il était initialement dubitatif devant les cas d'hypersensibilité environnementale, en particulier l’électrohypersensibilité (EHS) qu’il a diagnostiquée chez certains patients. « C’est un diagnostic contesté, certains disent que c’est strictement psychologique. Parmi les médecins de famille, il y en a qui croient au lien avec la pollution, surtout des femmes médecins », explique ce spécialiste en médecine du travail et de l’environnement, médecin conseil à la Direction de la santé publique de la Capitale-Nationale et professeur de toxicologie depuis un quart de siècle, à l’Université Laval.

« Au début de ma carrière je ne croyais pas à l’existence de ce syndrome. Les Soviétiques décrivaient un syndrome bizarre chez les monteurs de lignes travaillant sur les fils à haute tension. Je ne les croyais pas. Par la suite j’ai rencontré des travailleurs et travailleuses qui étaient quant à moi très crédibles. Entre autres un jeune informaticien qui répondait aux demandes des gens qui avaient des problèmes avec leur ordinateur. Lui-même au début ne croyait pas à l’existence de ce syndrome, jusqu’au jour où il s’est aperçu que quand il se retrouvait sous des fils à haute tension, il développait de drôles de symptômes. Il a déménagé au nord de Montréal dans un village où il n’y avait pas de fils à haute tension à proximité et où il a pu continuer de travailler. Il m’a expliqué que lorsqu’il allait travailler à Montréal, il revenait épuisé. J’ai reçu beaucoup d’autres témoignages aussi crédibles. Je crois que ces personnes ont un profil génétique différent qui normalement ne leur occasionnerait aucun problème de santé s’ils n’étaient pas exposés aux rayonnements électromagnétiques. En terme technique, ça s’appelle de l’épigénétique [visionner ici notre entrevue avec le pédiatre italien Ernesto Burgio à ce sujet].

Au seuil de la retraite, le Dr Auger nous a livré son état d’âme sur cette question controversée. « Les hypersensibles viennent jouer dans le gras de gros marchés du monde qui fait de l’argent et qui dit :  ‘‘On ne va pas arrêter de vendre du parfum, de la peinture, de l’électricité.” Il y a des médecins, j’en rencontre régulièrement, qui sont payés par les compagnies pour dire le contraire de ce qu’on dit. J’ai eu une plainte d’un médecin d’Hydro-Québec à cause d’une femme hypersensible aux ondes après la pose des compteurs intelligents qui émettent beaucoup de radiations. Je lui ai fait un papier pour dire qu’elle ne pouvait pas avoir un tel compteur à cause de son état de santé. Le Collège des médecins m’a dit que la Santé publique s’est prononcée pour dire que ce n’est pas vrai, cette hypersensibilité. »

En 2012, cet avis a été qualifié de « désinformation flagrante » par une cinquantaine d’experts en matière d’effets biologiques des ondes. Les compteurs intelligents ont même été reconnus nocifs par deux anciens présidents de la Commission californienne des services publics.

« Les personnes aux prises avec des problèmes de santé augmentent tant chez nos membres que dans la population en général, affirme Sylvie Robitaille, présidente du Rassemblement électrosensibilité Québec. Cependant, même si la volonté d’habiter ailleurs existe, les personnes ne savent plus où aller vivre vu l’érection des tours partout au Québec. » (Lire son témoignage ici.)

Selon elle, contrairement aux autres provinces, il est très difficile de se faire diagnostiquer comme électrohypersensible au Québec. « Plusieurs de nos membres se sont fait dire, à mots couverts, que le Collège des médecins refuse d’accepter ce diagnostic sous peine de radier les médecins qui oseraient faire un tel diagnostic. Il y a des personnes qu’on a internées en psychiatrie. Les tribunaux administratifs ignorent nos demandes et les scientifiques répètent qu’il n’y a pas d’études. Je me sens comme un hamster qui tourne dans sa roue. Nous continuons en travaillant sur des outils pour offrir de l’information aux intervenants tels que policiers, pompiers, infirmières, préposés, etc. afin d’informer et sensibiliser les milieux où s’adressent les personnes en détresse. »

La porte-parole du Collège des médecins du Québec, Leslie Labranche, explique que cet organisme « n’est pas une société savante. Son rôle est de s’assurer de la protection du public. Pour remplir son mandat, le Collège traite notamment les plaintes du public, effectue des visites d’inspections professionnelles, délivre les permis d’exercice et s’assure que les médecins maintiennent leurs compétences à jour. Selon le Code de déontologie :

Article. 6. Le médecin doit exercer sa profession selon des principes scientifiques.

Article 44. Le médecin doit exercer sa profession selon les normes médicales actuelles les plus élevées possibles; à cette fin, il doit notamment développer, parfaire et tenir à jour ses connaissances et habiletés. »

Le Dr Auger dit qu'il fonde ses diagnostics d’EHS sur les travaux de médecins crédibles et à la fine pointe :
•  Le Dr David Carpenter, doyen fondateur de l’École de santé publique de l’Université de New York, à Albany, et coauteur d’une synthèse de milliers d’études sur les effets biologiques des ondes (bioinitiative.org). « Ce rapport a été signé par plusieurs scientifiques dont des sommités comme le pionnier russe de la radioprotection, Yuri Grigoriev, l’oncologue Lennart Hardell, chercheur suédois de réputation internationale, et le physicien Paul Héroux PhD, directeur du programme de santé au travail à l’Université McGill »;
• l’obstétricien-gynécologue Stephen Genuis, professeur de médecine clinique à l’Université de l’Alberta et coauteur en 2011 d’une revue de la littérature scientifique sur l’EHS qui indique que l’hypersensibilité n’est pas d’origine psychosomatique, bien qu’elle ait d’importants impacts psychologiques;
• l’oncologue parisien Dominique Belpomme qui traite plus de 1 200 patients hypersensibles et a proposé une méthode de diagnostic.

« Je suis d’accord avec le professeur Belpomme, qu’il faut rencontrer les patients souffrant de ce syndrome pour se faire une idée juste de ce syndrome et ne pas uniquement se fier à la littérature scientifique. C’est ce que j’ai appris au cours de ma carrière en médecine du travail, dit le Dr Auger. Le professeur Belpomme utilise des imageries cérébrales qui montrent des signes d’hypoperfusion (manque de sang et d’oxygène) et une inflammation et une hyperexcitation du système limbique, ce qui peut expliquer leur perte de tolérance à la pollution. »

Les sceptiques citent souvent un avis publié par l’OMS en 2005 déclarant que l’électrohypersensibilité n’est pas un diagnostic médical et que rien ne prouve que ses symptômes bien réels soient causés par les champs électromagnétiques. Par contre, selon la toxicologue ontarienne Magda Havas, experte des études militaires et civiles sur les dangers de l’électrosmog, la version 2019 de la Classification internationale des maladies ouvre une porte. Les médecins peuvent désormais citer un accident causé par l’exposition au rayonnement non ionisant dans la catégorie W90 comprenant les ondes infrarouge, laser et les radiofréquences.

L'hypothèse immunitaire
Cette semaine, la sommité américaine Claudia S. Miller, professeure émérite d’allergie/immunologie et de santé environnementale à l’Université du Texas, cosignait une étude importante sur la perte de tolérance aux produits chimiques, aux aliments et aux médicaments induites par les polluants. Les auteurs y affirment qu’un mécanisme physiologique potentiel et prometteur implique les mastocytes. Selon eux, ces globules blancs fabriqués par notre moelle osseuse sont la première ligne de défense de notre système immunitaire. Cette « immunité primitive » migre dans tous nos tissus où les mastocytes provoquent de l’inflammation en réponse à un agresseur extérieur. 

Le neuroscientifique suédois Olle Johansson, pionnier des études sur l’électrosensibilité au début des années 1980.

Le neuroscientifique suédois Olle Johansson, pionnier des études sur l’électrohypersensibilité au début des années 1980, avait justement constaté le même phénomène mastocytaire dans ce qu’il a désigné la dermatite de l’écran, rougeurs de la peau qui affectaient les gens qui travaillaient longuement devant un écran cathodique émettant des champs électromagnétiques élevés. Joint par courriel, il s’est dit en total désaccord avec les chercheurs de l’INSPQ qui concluent à l’origine psychogénique des hypersensibilités. « En Suède, la SCM (comme l’EHS) est une déficience fonctionnelle officiellement reconnue. Ça rend la situation plus facile et plus simple, et des conclusions comme celle que vous avez envoyée sont très difficiles à publier. Ça voudrait dire que Gro Harlem Brundtland (l’ancienne première ministre de la Norvège et ex-directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui a dévoilé son électrosensibilité en 2002) et les autres souffrent seulement d’anxiété chronique? Non! » (Dre Brundtland en avait aussi témoigné à l'Université de Waterloo, en 2012.)

Comme leur système hormonal est plus actif, l’hypersensibilité environnementale touche des femmes dans une proportion de 60 à 80 % selon les études, lit-on dans Le point de vue médical sur l’hypersensibilité environnementale, rapport publié en 2007 par la Commission canadienne des droits de la personne. Selon feu le chirurgien thoracique texan William J Rea, pionnier de la médecine environnementale, les hypersensibilités ont plusieurs déclencheurs possibles qui endommagent les organes, au premier chef les systèmes nerveux et cardiovasculaires : les moisissures, le monoxyde de carbone, les commotions cérébrales, les métaux lourds, les implants métalliques, les infections, certains médicaments, l’électrocution et l’exposition aiguë ou chronique aux ondes et aux produits chimiques, en particulier les pesticides et le formaldéhyde.

Cette condition a des conséquences catastrophiques sur la vie de nombreuses familles. « La vie de l’individu souffrant d’hypersensibilités environnementales devient insupportable, surtout dans un monde qui dépend si fortement des produits chimiques et des rayonnements électromagnétiques, explique le site de l’Association pour la santé environnementale du Québec (ASEQ). Des choses simples que l’on tient pour acquises comme un film ou une soirée au théâtre, un dîner avec un compagnon ou une transaction bancaire et faire les courses pour l’essentiel deviennent impossible. En raison d’un manque d’accommodements sur le lieu de travail, beaucoup se retrouvent au chômage ou sous-employés. Cela peut entraîner la pauvreté et l’itinérance en raison d’un manque de logements sains… Le manque d’informations appropriées sur l’état de santé peut également conduire à la désintégration de la famille. Le manque de reconnaissance, de traitement et de services sociaux cause également des dommages physiques, émotionnels et sociaux. »

Le consensus de 1999

En 1999, six critères permettant de définir l’hypersensibilité chimique multiple ont fait consensus parmi des experts indépendants et la littérature scientifique récente indique qu’ils s’appliquent aussi à l’électrohypersensibilité. Publiés dans Archives of Environmental Health, ces critères s’appuyaient sur un sondage auprès de 89 cliniciens financé par le gouvernement américain:

  1. Les symptômes sont reproductibles avec des expositions chimiques répétées.
  2. La condition est chronique.
  3. Des niveaux d’exposition plus faibles que ceux qui sont couramment tolérés entraînent la manifestation du syndrome.
  4. Les symptômes diminuent ou disparaissent quand le déclencheur est retiré.
  5. Les réactions surviennent après une exposition à plusieurs substances chimiques non liées.
  6. Les symptômes touchent plusieurs organes et systèmes. 
    Ces critères ont d’ailleurs inspiré les pays nordiques européens qui, en 2000, ont reconnu les hypersensibilités chimique et électromagnétique comme maladies du travail attribuées à l’environnement mais aux mécanismes incompris. « Les symptômes disparaissent dans les environnements non électriques », déclare le rapport du conseil des ministres nordiques au sujet de l’EHS.

Dans les années 1950, les Soviétiques avaient baptisé cette condition « maladie des ondes radio » et « syndrome des micro-ondes ».  

Pour le neuroscientifique suédois Olle Johansson, il ne s’agit pas d’une maladie classique. « C’est un handicap ou une déficience fonctionnelle résultant de réactions de divers organes et systèmes à l’exposition aux champs électromagnétiques artificiels, souvent à des niveaux colossaux comparativement au rayonnement naturel », nous a-t-il écrit par courriel. « En Suède, les déficiences sont considérées du point de vue de l’environnement. Aucun être humain n’est en soi altéré, il existe au contraire des insuffisances dans l’environnement qui provoquent l’altération (comme l’absence de rampes pour la personne en fauteuil roulant ou de pièces nécessitant un électroassainissement pour la personne atteinte d’EHS, écrivait-il en 2010 dans IOP Conference Series : Earth and Environmental Sciences. Ce point de vue sur la déficience liée à l’environnement, en outre, signifie que même si l’on n’a pas d’explication complète et scientifiquement complète de la déficience EHS, et contrairement à ce qu’affirment de nombreuses personnes impliquées dans le discours sur les CEM à l’heure actuelle, la personne avec une EHS doit toujours être accueillie d’une manière respectueuse et avec tout le soutien nécessaire dans le but d’éliminer la déficience. Cela implique que la personne avec une EHS doit avoir la possibilité de vivre et de travailler dans un environnement électrosanitaire. »

Des impacts économiques astronomiques

Selon une étude réalisée en 2000 par Cullbridge Marketing, les maladies environnementales (hypersensibilités, fibromyalgie, fatigue chronique et syndrome de la guerre du Golfe) coûtaient alors déjà plus de 13 milliards de dollars (G$) en coûts directs et indirects au pays :