Un groupe de citoyens ontariens poursuit personnellement un ministre qu’ils accusent de violer sa Loi sur la protection de l’environnement, en permettant à des éoliennes de miner leur sommeil et leur santé, tout en respectant les limites permises pour les bruits audibles. Cette loi qui interdit de « rejeter un contaminant dans l’environnement naturel ou permettre ou faire en sorte que cela se fasse si le rejet cause ou peut causer une conséquence préjudiciable ». Celle-ci « s’entend d’une lésion corporelle, de la perte de la vie, de la perte de l’usage ou de la jouissance de biens ainsi que d’une perte pécuniaire ».
Le 30 avril, l’organisme Wind Concerns Ontario (WCO) a servi une convocation à Chris Ballard, qui dirige le ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changements climatiques (MOECC), pour se présenter en cour le 17 mai. Un juge décidera alors si le procureur général de la province doit déposer ou non des accusations.
Grâce à la loi sur l’accès à l’information, WCO a obtenu copie de plus de 4 500 plaintes de citoyens envoyées au Ministère entre 2006 et 2016, dont plusieurs avaient dû abandonner leur maison qui était devenue invivable. « Comme le MOECC n’a pas répondu à des milliers de rapports de bruit excessif d’éoliennes, qui affecte le sommeil et la santé de familles ontariennes, nous n’avions pas le choix », a déclaré dans un communiqué la présidente de l’organisme, l’infirmière Jane Wilson. Selon elle, « des citoyens rapportent ne pas dormir pendant des jours, des semaines, même des mois. Le trouble du sommeil est lié à d’autres problèmes de santé, tels la haute pression et le diabète ». En 2015-2016, le Ministère n’a répondu qu’à 7 % des plaintes et seulement à celles de familles vivant à moins de 1 500 m des parcs éoliens, selon WCO. Selon Mme Wilson, le Ministère ne fait pas respecter son propre règlement qui vise à garantir que le niveau sonore ne dépasse pas 40 décibels dB à l’habitation la plus rapprochée. « Il ne répond pas aux plaintes et se fie aux opérateurs qui ne mesurent que le bruit moyen en dBA. Ils font fi des autres types, dont les basses fréquences (infrasons). »
Controverse scientifique
Santé Canada a déjà publié une étude sur le bruit des éoliennes et la santé, en 2014. Parmi ses conclusions : « Aucun lien statistiquement significatif n’a été établi entre la tension artérielle mesurée, ou la fréquence cardiaque au repos, et l’exposition au bruit des éoliennes. » De plus, « les chercheurs n’ont pas établi de lien entre les niveaux de bruit des éoliennes mesurés à l’extérieur, près des résidences des participants, et l’efficacité du sommeil, le taux de réveils, la durée des réveils, le temps total de sommeil ou le temps nécessaire à l’endormissement ».
Des conclusions contestées par Carmen Krogh, ancienne employée de Santé Canada qui enquête sur le dossier des éoliennes industrielles depuis 2007. « En milieu rural, il est très difficile d’obtenir un nombre statistiquement significatif de cas. De plus, on peut estimer les niveaux d’exposition, mais ça prend du temps avant d’en connaître les effets », affirme l’auteure1 de divers articles scientifiques sur le sujet.
En 2007, Carmen Krogh trouvait qu'installer des éoliennes géantes en Ontario était une idée géniale, question de remplacer des centrales nucléaires et au charbon par de l'énergie renouvelable qui ne pollue pas l'air et ne contribue pas aux changements climatiques. Pharmacienne à la retraite, elle a tout naturellement investigué si les éoliennes industrielles pouvaient nuire à la santé. « J'ai pensé que je ne serais pas impliquée dans ce dossier longtemps », dit l'ancienne directrice d'une pharmacie d'hôpital qui fut aussi consultante et employée de Santé Canada et ex-rédactrice en chef du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques utilisés par les professionnels qui prescrivent des médicaments au Canada.
Cela fait onze ans qu'elle se consacre bénévolement au dossier éolien, notamment à rédiger des articles scientifiques et à conseiller les individus, les entreprises et les divers paliers de gouvernement. Ancienne directrice de pharmacie d’un hôpital, Mme Krogh fut aussi consultante au Bureau des médicaments prescrits de Santé Canada et une directrice de son Agence canadienne de règlementation de la lutte antiparasitaire. De plus, elle est l’ancienne rédactrice en chef du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques, utilisé par les professionnels qui prescrivent des médicaments au Canada. Elle estime que le fardeau de la preuve d’innocuité doit revenir aux industriels, tout comme dans le domaine pharmaceutique. « Quand un projet éolien est contesté, on demande toujours aux citoyens de prédire le futur et de prouver que les éoliennes leur feront du mal. À cause des différences entre les produits, la preuve de causalité est rare dans le domaine de la santé en l’absence d’un mécanisme biologique. Or dans le secteur pharmaceutique, les fabricants doivent prouver la sécurité de leurs produits ou un rapport risque/bénéfice acceptable. Et les médecins, infirmières et citoyens peuvent déposer des plaintes. Ainsi, les doses d’ibuprofen en vente libre ont été réduites significativement, à 200 mg, parce que les patients se sont plaints de réaction adverses inattendues. »
De même, en matière de pollution industrielle, il faut toujours se concentrer sur les réactions des gens aux expositions et lire les études indépendantes, insiste Mme Krogh. En 2007, elle trouvait qu'installer des éoliennes géantes en Ontario était une idée géniale, question de remplacer des centrales nucléaires et au charbon par de l'énergie renouvelable qui ne pollue pas l'air et ne contribue pas aux changements climatiques. Mais son esprit inquisiteur lui a fait découvrir que les installer près des maisons pouvait être nocif. « J’ai étudié les symptômes déclarés au niveau international et les points en commun sont remarquables. Quand des gens parlent des mêmes problèmes de sommeil et cognitifs en japonais et en d’autres langues, c’est très convaincant. Une autre chose qui est très convaincante, c’est que ceux qui quittent leur maison de façon intermittente se sentent mieux et que leurs symptômes réapparaissent quand ils reviennent à la maison. Dans tous les cas, l’installation des éoliennes était le seul facteur majeur qui avait changé dans leur milieu de vie avant l’apparition des symptômes... Je n'ai jamais entendu parler d'un promoteur d'éoliennes demander si les riverains étaient sensibles au bruit ou avaient des conditions médicales préexistantes et des besoins particuliers. Par exemple, les enfants autistes sont plus sensibles au clignotement. »
Mme Krogh s’intéresse particulièrement aux infrasons. Ces vibrations inaudibles, dont la fréquence d’oscillation est inférieure à 20 hertz, sont liées à une foule de symptômes variant des maux de tête à l’insomnie, en passant par les pressions acoustiques, les acouphènes, les nausées et les étourdissements. « Les malformations congénitales tératogéniques du cœur et du cerveau dues aux infrasons m’inquiètent. J’ai notamment demandé à Santé Canada de me donner des détails sur les femmes militaires pilotes d’hélicoptères, concernant les effets des bruits pulsés des hélices qui sont comme de grandes pales de ventilateur. Je ne reçois jamais de réponses du Ministère. Ce sont pourtant d’importantes considérations. » Déjà, en 2007, une centaine de médecins allemands sonnaient l’alerte en prônant la précaution en matière d’infrasons.
Selon la toxicologue Magda Havas (lire l'entrevue qu'elle nous a accordée), experte ontarienne en pollution électromagnétique et professeure à l’Université Trent, les éoliennes industrielles génèrent cinq types de polluants : le bruit audible, le bruit inaudible (infrasons), l’effet stroboscopique causé quand les pales ombragent le soleil, les courants vagabonds dans le sol accentués par la nappe phréatique et l’interférence de hautes fréquences transitoires (électricité sale). Celles-ci circulent dans l’air et sur le courant domestique et sont causées par des erreurs de câblage ainsi que les blocs d’alimentation des appareils électroniques. Carmen Krogh commente : « Je me demande souvent si les gens ne sont pas exposés à la fois au bruit et à la pollution électrique. Les symptômes sont dramatiques parce qu’ils sont doublement assommés. »
Mme Krogh rappelle que les sensibilités à la pollution varient d’un individu à l’autre. « Ceux qui déménagent en milieu rural rêvent du silence et sont souvent très sensibles au bruit. Or chaque éolienne est l’équivalent d’une usine. Je sens que les éoliennes ont été installées très hâtivement, sans savoir quelles seraient les distances sécuritaires et les niveaux de bruit. » Il y a quelque 700 éoliennes industrielles en Ontario et la province exige que les parcs éoliens soient situés à au moins 550 m des maisons.
En 2012, la Society for Wind Vigilance, organisme conseil dont fait partie Mme Krogh, recommandait que l’on installe les éoliennes industrielles à au moins 2 km de toute résidence, tel que l’exige la MRC du Haut-Saint-Laurent, en Montérégie. « Mais certaines personnes rapportent des effets indésirables jusqu’à 5 km. Il est difficile de recommander une distance sécuritaire car l’exposition change constamment et varie en fonction de plusieurs facteurs, dont le terrain et la densité des parcs éoliens. La puissance et la hauteur des éoliennes augmentent avec les années. Les pales sont plus longues et les experts disent que les rotations plus lentes empirent le bruit inaudible. Il faut aussi tenir compte de la direction du vent et de la disposition des éoliennes. Certaines sont alignées alors que d’autres sont en forme de croissant ou de cercle. »
Pour sa part, le professeur de médecine interne américain David R. Lawrence recommande de tenir les éoliennes à au moins 4-6 milles (6,5-10 km). Lui et sa femme vivent le plus souvent possible dans leur sous-sol depuis que deux éoliennes ont été installées à 500 m de leur maison du Connecticut. Il dit aussi traiter aussi plusieurs patients qui souffrent d'insomnie, de douleurs et de pression dans la tête, des problèmes d'équilibre, le cerveau dans la brûme, de pression cognant dans leur poitrine et de problèmes de rythme cardiaque. « Ma femme vit tous ces symptômes et davantage près des antennes, a-t-il écrit dans un témoignage soumis en 2016 à la commission des services publics du Wisconsin. Ses symptômes disparaissent quand elles ne sont pas en opération ou qu'elle s'éloigne à au moins 2-3 milles (3,2-4,8 km) d'elles. »
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