Nos cousins français aiment nous taquiner quand ils apprennent qu'aucune de nos maisons ne suit LA grande tendance occidentale, celle de la certification « passive » du Passive House Institute (PHI) allemand. Or, ce sera bientôt chose du passé : bien que les strictes exigences de cette certification s'avèrent très inadaptées au contexte québécois, au moins cinq nouvelles maisons québécoises convoitent cette prestigieuse certification.
Elles sont conçues pour consommer jusqu'à 90 % moins d'énergie (pour le chauffage) que des maisons classiques. Et bien que dans sa forme actuelle la certification du PHI risque de demeurer marginale, un nombre croissant de constructeurs d'ici jugent que son logiciel de conception PHPP (Passive House Planning Package) se trouve désormais incontournable, tant en construction qu'en rénovation. L'urgence planétaire exigeant que l'on intensifie la lutte contre les changements climatiques, attendez-vous à un petit raz-de-marée de bâtiments de type passif, mais dotés d'une majorité de matériaux et produits locaux, plutôt qu'importés.
Une certification dispendieuse
« On sait que ce n'est pas rentable ici, mais on veut montrer qu'on peut réaliser des maisons certifiées passives au Québec. Une maison passive est tellement efficace que son électricité se facture à 5,71 cents le kilowattheure (kWh) au lieu de 8,68 ¢/kWh, car elle consomme moins de 30 kWh par jour, ça la rend encore moins rentable! », explique l'écobâtisseur Benoit Lavigueur, président de Belvedair. D'ici la fin de l'automne, ce pionnier inaugurera à Bolton-Est (Estrie) son nouveau chalet autoconstruit, la maison Missisquoi, qu'il est déterminé à faire certifier par le PHI. Et ce, peu importe les détails, car il souhaite que le bâtiment hyperperformant — passif ou quasi passif — devienne la norme ici. Après tout, il l'est déjà en Europe, même obligatoire à Bruxelles (Belgique) et dans d'autres villes du monde.
Passionné d'écologie, Benoit Lavigeur est un ancien enseignant issu de quatre générations d'agriculteurs. Belvedair a déjà construit 111 maisons écologiques en 10 ans, dont une vingtaine certifiées LEED (17 d'entre elles au nom de ses clients). Depuis 2012, le charpentier-menuisier ne réalise que des résidences hyper étanches et sur-isolées qui se chauffent presque exclusivement avec l'énergie solaire passive qui traverse leurs vitrages. Aujourd'hui, il les souhaite toutes certifiées neutres en carbone, ce qui implique le paiement d'un montant qui financera des mesures compensatoires pour les émissions de gaz à effet de serre générées par leur construction et leur utilisation sur 60 ans. Ainsi, le chalet Missisquoi sera deviendra la première maison en Estrie certifiée neutre en carbone par Planetair. Les crédits émis par cet organisme québécois sont certifiés par une tierce partie, l'organisme suisse Gold Standard, créé par des groupes écologistes tels Greenpeace et la Fondation David Suzuki. Cela assure qu'au moins 80 % de l'argent recueilli est consacré à des projets d'efficacité énergétique et d'énergies renouvelables. « Je considère qu'il s'agit de la seule certification qui aide vraiment la planète, dit Benoit. Toutes les maisons certifiées Passive House au Québec devraient faire l'objet de cette compensation de leurs émissions de carbone supplémentaires dues à la quantité supplémentaire de matériaux utilisés, au transport des produits européens ainsi qu'à l'utilisation du gaz propane au lieu de l'électricité. »
Les besoins annuels de chauffage des maisons que Belvedair construit sont d'environ 25 à 30 kilowattheures par mètre carré habitable, soit de 85 % inférieurs à ceux d'une maison classique (160 kWh/m2/an). Ces maisons coûtent en général de 3 à 5 % plus cher, et elles s'avèrent immédiatement rentables, dit-il, car leur économie d'énergie mensuelle dépasse leur surcoût hypothécaire.
Les maisons québécoises et de taille modeste défavorisées
Le problème, c'est que la certification passive limite les besoins de chauffage à 15 kWh/m2/an. Pour y arriver dans son chalet Missisquoi, Benoit Lavigueur dit avoir dû investir près de 10 % additionnels... « pour sauver 200 $ de plus de chauffage par année! » Un surcoût dû notamment à l'épaisseur de ses murs R-62, qui font 24 pouces au lieu de 12 pouces dans ses maisons passives en climat plus tempéré. Ainsi, au lieu de faire 27 x 40 pieds, la maison Missisquoi mesure 29 x 42 pi, ce qui ajoute 240 pi2 (120 pi2 par plancher, soit environ 11 m2) et augmente le coût des murs extérieurs et de la toiture. « De plus, on bâtit des maisons de taille modeste, alors que le calcul de la consommation au mètre carré habitable favorise les plus gros bâtiments », explique celui qui a récemment construit une maison LEED Platine qui ne consomme pas plus de 17 kWh/m2/an de chauffage par année.
Mais il y a plus : le PHI exige que la consommation totale d'énergie primaire (chauffage et appareils) d'un bâtiment passif se situe en deçà de 120 kWh/m2/an, mais son logiciel pénalise l'usage de l'électricité. Car presque partout dans le monde, l'électricité est produite avec des énergies fossiles comme le charbon et le mazout, qui contribuent davantage aux changements climatiques que le gaz. Or, notre hydroélectricité émet peu de gaz à effet de serre, seulement dûs à la décomposition de la matière organique des territoires inondés derrière les grands barrages.
« Le PHPP m'oblige à utiliser du gaz dans mes projets, car il applique un facteur de 2,6 à l'électricité, explique Benoit Lavigueur. Sans gaz, la limite de 120 kWh/m2/an est divisée par 2,6 et tombe à 47 kWh/m2. J'ai donc dû dépenser 5 000 $ de plus (tuyauterie et pose incluse) pour un chauffe-eau et une cuisinière au propane qui consomment plus que mon système de chauffage, et louer une bonbonne de propane à 90 $ par année. »
De plus, en vue d'obtenir la certification passive, il a dû faire appel à des produits européens dont la très haute efficacité énergétique est certifiée par le PHI. Par exemple, des fenêtres fabriquées en Irlande par Munster Joinery et un ventilateur récupérateur de chaleur (VRC) allemand, fabriqué par Zehnder. « Les fenêtres ont coûté 20 000 $ au lieu de 10 000 $, et cela a pris dix fois plus de temps à commander que chez mon fournisseur local, Fenêtres Magistral. Il utilise le vitrage Robover qui donne R-6,9 avec un verre à haut gain solaire et 8,3 pour un faible gain solaire, au centre du vitrage. »
Comparaison boiteuse
La présidente de Maison passive Québec, l'architecte Lucie Langlois, rétorque qu'il faut comparer des pommes avec des pommes. « Les meilleures fenêtres de marque Magistral que Belvédair utilise ont une performance globale [cadre inclus et non seulement au centre du vitrage] de U=0,97 donc R-5,8 alors que les fenêtres Passivhaus doivent avoir minimum R-7,1. La performance des fenêtres aura un impact sur les autres aspects dont la quantité d'isolation nécessaire pour arriver à 15 kWh/m2a ainsi que la puissance (le coût) du système de chauffage, alors il faut comparer les coûts globalement. » Pour Benoit Lavigueur, les fenêtres Magistral « sont parmi les plus performantes au Québec. Ils font un travail exceptionnel de développement et ils poussent beaucoup le triple vitrage, ce que très peu de fabricant font. Nous devons encourager les Québécois à acheter des fenêtres faites au Québec, surtout que nous avons des bons fabricants qui vont dans le même sens que nous. J'ai bien hâte aussi d'essayer les produits de Net zero performance » qui sont certifiées PHI.
Par ailleurs, Benoit Lavigueur affirme que le VRC de Zehnder a coûté 12 000 $ non installé au lieu de 5 000 $ installé pour un VRC canadien. Parmi ses autres surcoûts : environ 4 500 $ pour la simulation énergétique sur PHPP, réalisée par Évaluations Écohabitation, et 3 000 $ pour la précertification réalisée par la Passive House Academy irlandaise.
Faire affaire avec des fournisseurs étrangers lui pose aussi problème. « Personne ne veut installer les VRC Zehnder ici et j'ai dû appeler le fournisseur Klearwall à New York, car nous avons eu des problèmes avec une porte qui n'ouvrait pas. Chez Magistral, quand il y un problème, cela se règle en trois jours. »
Surcoût : jusqu'à 20 %
Benoit Lavigueur dit que le surcoût, par rapport à une maison de taille moyenne classique bâtie selon les exigences du Code de construction du Québec, peut donc atteindre jusqu'à 20 %. Il cite en exemple hypothétique une maison de 2 200 pi2 (205 m2) qui coûterait 300 000 $ et qui consommerait 1 240 $ de chauffage par année ou environ. Pour environ 15 000 $ (5 %) de plus en isolation, étanchéité et fenestration écoénergétique, il dit que le chauffage peut dégringoler autour de Maison 400 $. « Si on veut qu'elle ne consomme que 15 kWh/m2a ou 200 $ de chauffage par année, avec des produits standard québécois, on rajoute un autre 5 %, pour un total de 330 750 $. Mais pour la faire certifier Passivhaus, il faut acheter des produits européens certifiés PHI. Le prix de la même maison augmente alors d'au moins 30 000 $ ou 9 %, à 360 750 $. Les montants ne sont pas proportionnel avec les kWh/m2, car plus la demande de chauffage est élevée, plus il y a de jours où l'on chauffe. »
Voici les surcoûts précis de son chalet Missisquoi, qui ne coûtera que 78 $ de chauffage avec une pompe à chaleur selon l'analyse faite par l'ingénieur Denis Boyer d'Évaluations Écohabitation sur le logiciel PHPP, par rapport à une de ses maisons à haute efficacité énergétique dotée d'appareils nord-américains:
• 10 000 $ de plus pour des fenêtres irlandaises Munster Joinery certifiées PHI;
• 10 000 $ de plus pour un VRC Zehnder certifié PHI;
• 5 000 $ pour l'installation du propane ainsi qu'un chauffe-eau et une cuisinière à gaz;
• 1 500 $ de plus pour une sécheuse à condensation qui n'évacue pas la chaleur dehors (son duo laveuse-sécheuse à condensation d'environ 6 pi3 a coûté 3 800$);
• 300 $ de plus pour une hotte de cuisine avec filtre au charbon (toujours sans évacuation extérieure);
• 3 000 $ de conception supplémentaire;
• 3 000 $ de gestion additionnelle;
• 3 000 $ de précertification;
• et 450 $ pour le test d'infiltrométrie.
« Comme les appareils européens ne sont pas approuvés par le programme Novoclimat 2.0, je perd la subvention de 1 000 $ et dois payer l'infiltrométrie, explique Benoit. Mais en visant 12 ou 13 kWh/m2a pour être sûr de ne pas arriver trop haut et rater la certification, on augmente d'autant l'efficacité énergétique de la maison. Et remplir le PHPP, commander des produits européens et utiliser les rubans [suisses] Siga demande explicitement plus de temps de préparation et de gestion. En France, au salon Écobat ou j'étais l'automne dernier, le certification Passivhaus est très critiquée pour son niveau de complexité, même s'il y a 200 maisons certifiées dans l'Hexagone. »
Pour toutes ces raisons, Lavigueur ne croit pas que la certification passive actuelle ait un avenir au Québec. Alors pourquoi avoir fait certifier son chalet Missisquoi? « Il s'agit de la norme qui respecte le plus nos valeurs de maison hyper performante et c'est un défi personnel : après avoir réalisé 100 maisons écologiques, il fallait allez plus loin. Beaucoup de gens parlaient de la certification passive, mais personne au Québec ne l'avait encore obtenue, alors il fallait bien avoir les vraies réponses quant aux efforts et surcoûts que ça impliquait. »
Un constructeur en désaccord
D'un tout autre avis, Jim Iredale croit tellement à la certification Passivhaus qu'il a rebaptisé le nom de son entreprise Landmark Passivhaus et est devenu concepteur et consultant certifié en maisons passives. Constructeur de maisons haut de gamme à Mont-Tremblant depuis 1981, il a construit la maison de type passive de Stephen Bronfman, il y a quelques années, ainsi que l'enveloppe de la maison passive Bombardier/Saint-Martin, l'automne dernier. Les propriétaires de cette dernière, qui se sont chargés de la finir avec leurs amis, ont l'intention de la faire certifier Passivhaus. Son surcoût était de seulement 8 % par rapport à une maison de qualité, dit Jim Iredale qui s'est occupé des plans, de l'analyse énergétique, de la construction et du contrôle de la qualité.
« Si vous devez modifier un plan standard, il y aura des surcoûts de conception, mais pas si vous concevez une maison passive dès le départ, dit-il. Et il est facile de récupérer les surcoûts d'une maison passive, dit-il. Si ta maison coûte 8 % de plus, il suffit de faire un design 8 % moins grand et de faire des choix de matériaux un peu plus modestes. Bien de mes maisons coûtent cher à cause des comptoirs de granite, mais les gens ne demandent jamais c'est quoi le retour cet investissement. » Jim Iredale ajoute que l'on peut se passer d'appareils au gaz si on opte pour des appareils électriques à très haute efficacité énergétique, comme une cuisinière à induction et un VRC à thermopompe de Minotair.
Benoit Lavigueur rétorque : « Un surcoût de 8 % par rapport à une maison de base plus chère, comme celles de Jim, veut dire la même chose, sauf que son point de départ n'est pas le même que le Code du bâtiment. »
Malgré tout, Lavigueur dit beaucoup apprécier la rigueur non négociable exigée par le PHI. « Le défi de la certification passive se trouve dans la gestion de projet vraiment compliquée. Tout est différent, même pour mes sous-traitants habitués à l'hyperperformance. Cela demande beaucoup de supervision, par exemple pour atteindre la limite d'étanchéité à l'air [de 0,6 changement d'air à l'heure (CAH) à une pression de 50 pascals (Pa), simulée par test d'infiltrométrie, comparativement à 1,5 CAH à 50 Pa dans une maison homologuée Novoclimat 2.0]. On n'a pas le droit à l'erreur. J'ai dû vérifier chaque boîte électrique après le passage de l'électricien, pour m'assurer qu'il n'avait pas percé le pare-vapeur. »
L'avenir est à l'hyperperformance
En conclusion, Benoit Lavigueur compte bien s'inspirer de ce programme pour toutes ses futures maisons, sans néanmoins chercher à les faire certifier. « Je suis un fervent partisan de l'hyperperformance (nous utilisons exclusivement le triple vitrage depuis 2012 et nous avons réalisé une centaine de calculs d'optimisation coûts/bénéfices en économie d'énergie sur des projets différent), mais en toute logique. Mon but est de démocratiser l'habitation écologique, pas de la réserver seulement au mieux nantis. On a la chance, au Québec, d'avoir une hydroélectricité qui nous exclut de toute référence mondiale. Quand on discute avec des Européens [dont l'électricité est souvent d'origine nucléaire et qui chauffent surtout au gaz naturel], on parle deux langages différents. Mais je vois la certification passive comme un défi pour les professionnels. J'aime la réflexion qu'elle amène. Le PHPP est venu confirmer toutes les décisions prises chez Belvedair. Depuis quatre ou cinq ans, nous prônons l'hyper performance au lieu de la mécanique [lire l'encadré]. Tant qu'à investir plus d'argent, mieux vaut le mettre dans une meilleure enveloppe du bâtiment. »
Pour en savoir davantage
lamaisonpassive.fr