Extrait du livre La caution verte - Le désengagement de l'État québécois en environnement, de Louis-Gilles Francoeur en collaboration avec Jonathan Ramacieri, publié en 2022 aux Éditions Écosociété.
L’histoire du ministère confirme […] que sa trajectoire est parsemée d’embûches, voire d’obstacles infranchissables. Rappelons, par exemple, que deux des plus importants programmes de dépenses de l’État québécois en environnement au cours des 40 dernières années, soit les 7 milliards $ du PAEQ [Programme d'assainissement des eaux du Québec] et les milliards $ réunis pour la lutte contre la crise climatique, avaient été placés d’entrée de jeu sous l’autorité du ministère de l’Environnement. Il en a cependant été rapidement dépouillé, avec les résultats que l’on a vus. Ainsi toute mise à jour des infrastructures d’assainissement au Québec, évaluée à environ 17 milliards $, se retrouve aujourd’hui coincée dans les programmes d’infrastructure placés sous l’autorité du ministère des Affaires municipales et de l’Habitation, ce qui a historiquement conféré à ce dernier un contrôle des priorités à l’origine du retard que la collectivité subit aujourd’hui.
Quant aux efforts du Québec en matière de changements climatiques, on constate à la lumière des rapports du vérificateur général et du commissaire au développement durable que plusieurs ministères ont en réalité siphonné les sommes accumulées dans le Fonds vert pour faire droit à leurs priorités et à leurs clientèles sans pour autant se soumettre au contrôle de l’Environnement, lequel n’a visiblement jamais eu les moyens de vérifier l’efficience des ententes conclues avec ces partenaires ministériels. Et la dernière initiative gouvernementale au moment d’écrire ces lignes lui enlève davantage de pouvoir car la Loi 44 autorise le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles (MERN) à gérer un fonds séparé du Fonds vert 2.0, soit le nouveau Fonds d’électrification et de changements climatiques. Cette concession confirme l’autonomie du MERN par rapport à l’Environnement, à qui on a certes donné la casquette de capitaine de la lutte contre la crise climatique dans la loi, mais pas la possibilité d’avoir les mains sur le gouvernail.
Il n’est pas inutile de rappeler ici que la stratégie initiale du Québec en matière d’assainissement a été mise en échec par les intérêts sectoriels, qui se sont exprimés soit par le biais des lobbies industriels, soit par les ministères qui en gèrent les intérêts. Ainsi, la fragmentation de la stratégie au profit des ministères sectoriels a eu raison de la politique de dépollution d’amont vers l’aval et d’une synchronisation des interventions gouvernementales dans les secteurs municipaux, agricoles et industriels.
Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ) a repris l’essentiel du contrôle de la dépollution agricole dans son secteur. Pendant ce temps, les industriels obtenaient le pouvoir de s’autoévaluer en grande partie et ils arrivaient à faire différer la mise au point et l’application de normes réglementaires de dépollution dans plusieurs secteurs au point de réussir, en plus, à paralyser le Plan d’action Saint-Laurent (qui a été amputé de son volet de lutte fédérale-provinciale contre la pollution de la principale artère navigable du Québec). Dans ces deux secteurs, ce sont des professionnels du secteur privé qui contrôlent dans les faits l’application de quelques-uns des principaux règlements visant à contrôler la dissémination de toxiques dans l’environnement. Une privatisation des contrôles gouvernementaux que le grand public ignore pour l’essentiel.
Les gouvernements qui se sont succédé à Québec ont systématiquement maquillé cette récupération des pouvoirs en environnement par les ministères sectoriels en disant qu’il s’agissait de « responsabiliser » autant ces institutions publiques que leurs clientèles du secteur privé. Point n’est besoin d’argumenter sur la valeur de cette stratégie entérinée par les différents gouvernements et par une génération de hauts fonctionnaires formés dans les grandes écoles et convaincus que l’intérêt public se confond avec celui du secteur privé. Il suffit de constater la vétusté du parc québécois d’usines d’épuration : ce n’est qu’en 2040, en effet, que toutes ces usines, sans exception, seront dotées d’un traitement secondaire conforme aux normes de 2012. Il faudra sûrement attendre quelques décennies additionnelles avant que s’ajoutent partout des traitements tertiaires dont on ne sait pas s’ils pourront neutraliser les molécules toxiques émergentes. Un tel échec d’une politique ayant démarré en 1980 est tout de même sidérant.