À mesure que reculent les terres sauvages, à mesure que diminuent les superficies intactes de forêts et de milieux humides, s’enclenchent des phénomènes écologiques discrets mais sournois et, surtout, irrémédiables. Le processus qui consiste à isoler des parcelles d’habitat naturel au sein de ce qui formait par le passé un tout plus grand se nomme la fragmentation. La chose n’est ni banale ni sans conséquence. Le sud de notre territoire est en miettes. Littéralement.
Jamais une petite parcelle de nature originelle, isolée dans un paysage artificiel dominé par l’humain, ne pourra prétendre être représentative de ce qui se trouvait là auparavant. Quand on isole un petit bois alors que s’y trouvait jadis une vaste forêt, un vortex s’amorce en son sein. Ce petit bois auparavant si riche se transforme en un ersatz de nature, en une bizarrerie inclassable où de nouveaux animaux et plantes, colonisateurs et opportunistes, en côtoient d’autres, surpris et dépassés par les événements.
De tous les phénomènes qui contribuent à éroder la diversité biologique de notre planète, la fragmentation et la perte d’habitats viennent en première place du palmarès. Bien sûr, les invasions d’espèces exotiques envahissantes, la pollution, l’exploitation déraisonnable des ressources naturelles et les changements climatiques jouent aussi un rôle d’importance dans l’affaire, mais ils ne sont pas en tête de liste. Le morcellement de la nature, le fait de la fragmenter en petits morceaux, est l’ennemi numéro un de la biodiversité.
La liste
La liste officielle des organismes vivants en situation précaire au Québec compte plusieurs centaines d’espèces : des mammifères, des oiseaux, des reptiles, des amphibiens, des poissons, des papillons et, surtout, de nombreuses plantes. Le groupe des animaux vertébrés le plus touché est sans contredit celui des reptiles et amphibiens (plus de la moitié des espèces de ce groupe sont en péril). Au chapitre des plantes, une des familles parmi les plus fragiles est celle des orchidées − près de la moitié d’entre elles sont en situation précaire. Avec le développement appréhendé du Nord dans les prochaines décennies, certaines espèces sensibles de cette liste, comme le caribou forestier, le carcajou ou la grive de Bicknell, risquent de ne pas pouvoir s’en remettre.
Que peut-on y faire?
Le simple citoyen se demande toujours, après avoir pris connaissance de l’ampleur du problème, comment il est possible de ralentir l’action d’Homo fragmenticus sur la nature. Quelle est la manière la plus efficace d’agir? Pour réussir ce pari, il faut travailler simultanément sur plusieurs fronts, mais d’entre tous les gestes, le plus efficace c’est encore de réserver des terres à l’abri de toute empreinte humaine. Depuis la conférence des Nations Unies sur la diversité biologique tenue à Nagoya en 2010, le seuil minimal de superficie en aires protégées au sein d’une province ou d’un pays est désormais fixé à 17 %. C’est la cible à atteindre pour les pays signataires de l’entente, et ce, d’ici 2020. Le Québec doit tenir ses promesses. Nous en sommes à 9 %, mais il reste encore du travail à faire. Une part représentative de tous les écosystèmes du Québec doit ainsi être protégée.
Extraits de l’essai Le Québec en miettes, notre nature morcelée à l’heure du Plan Nord, paru chez Orinha, ouvrage lauréat du prix Hubert-Reeves 2013, disponible en librairie ou en ligne à naturesauvage.ca
Pour en savoir davantage
Perte de biodiversité : des pistes pour Novoclimat 2.0