Photo © terrepiseqc.com: Chaque mélange de terre crue étant unique, le décoffrage révélera des murs intérieurs et extérieurs aux strates multicolores incomparables.
La jeune entreprise Terre Pisé Québec donnera, dans les Laurentides l’été prochain, un atelier de cinq jours sur le pisé de terre compactée par couches successives. Ce serait la technique « la plus saine et durable » qui soit, d’autant plus qu’elle permet de construire des murs sans ossature de bois, explique le Montréalais Charles Sands qui a cofondé l’entreprise en 2021 avec son associé Jesse Clay Girard.
Très répandue en Asie et au Moyen-Orient depuis des millénaires, attestée en Europe dès le 12e siècle, la technique du pisé (terre damée ou rammed earth en anglais) est popularisée en France au 18e siècle par l’architecte François Cointeraux, pionnier de l’architecture durable dans la région de Rhône-Alpes. On y retrouve le laboratoire CRAterre de l’École nationale supérieure d’architecture de Grenoble, titulaire de la chaire Unesco « Architecture de terre, cultures constructives et développement durable », axée notamment sur la réhabilitation du bâti ancien en pisé. Courante jusque dans les années 1950 dans les campagnes françaises, la technique du pisé renaît aujourd’hui grâce à ce document normatif. « Depuis les années 1980, aux quatre coins du monde, le pisé connaît un grand renouveau », explique le site de l’Association nationale française des professionnels de la terre crue (AsTerre.org). Et ce, d’autant plus depuis la publication, en 2018, du Guide des bonnes pratiques de la construction en terre crue – Pisé, signé par un collectif français.
Terre sans humus ni roches
Les murs de pisé sont fabriqués à partir de la terre plus ou moins argileuse et grossière provenant d’une carrière ou excavée sur le site où l’on construit, une fois séparée de l’humus (la matière organique en décomposition) et des roches. Elle est mise en place dans des coffrages de bois, un peu à la manière de murs de fondations en béton, sauf que l’isolant est inséré entre les deux murs de terre. Le tout est damé avec un piston pneumatique avant de retirer les coffrages.
On obtient ainsi des murs déjà finis qui sont naturels, sains, structurels et recyclables en fin de vie. Mais leurs qualités ne s’arrêtent pas là puisqu’ils sont également incombustibles, imputrescibles, insonorisants, résistants au gel, aux charges et à l’érosion, en plus d’offrir une excellente capacité de stockage et de déphasage de chaleur et d’humidité.
Chaque mélange de terre crue étant unique, le décoffrage révélera des murs intérieurs et extérieurs aux strates multicolores incomparables auxquelles on peut aussi incorporer des pigments, voire un imperméabilisant (de silicone ou de silane diffusant la vapeur, par exemple) « pour protéger de l’eau et donc prolonger la durabilité de vie » du mur extérieur, explique Charles Sands. Il souligne que son associé est prénommé Clay (argiel en anglais) : son père était potier en Saskatchewan et amoureux de l'argile. L’été passé, ils ont construit une maison de pisé de 1500 pi2 en Ontario, et l’année d’avant, ils ont travaillé sur un chantier en Colombie-Britannique.
Détenant une licence de la Régie du bâtiment en structures de maçonnerie, Charles agit à titre de sous-traitant érigeant les murs de pisé tout en formant et en accompagnant les autoconstructeurs, architectes et apprentis constructeurs.
Bien que l’on puisse parfois y incorporer de la paille isolante, en climat froid on place l’isolant entre deux murs de pisé. « L’agrégat de verre cellulaire Glavel (R-1,7 par pouce d’épaisseur) revient moins cher que la laine de roche et est l'option la plus écologique et durable », explique Charles. Le Glavel (pour Foam Glass Gravel ou agrégat de verre cellulaire) est fabriqué au Vermont à partir de verre provenant de la région du grand Montréal et d’électricité de source renouvelable. Les morceaux de verre recyclé sont gonflés jusqu’à quatre fois leur taille initiale par la chaleur, un procédé éprouvé en Europe depuis 25 ans. Léger, imputrescible, incombustible et résistant à la compression, cet agrégat isolant sert aussi à isoler les toitures et sous les dalles où il remplace la pierre concassée drainante.
Charles a bien voulu partager la composition des murs de la maison qui sera érigée dans les Laurentides l’été prochain. « Il y aura 12 pouces d'agrégat de verre inséré entre 6 ou 8 pouces de terre de pisé de chaque côté, selon la charge du toit qui sera calculée par un ingénieur, pour un total de 24 ou 28 pouces d’épais. On monte le mur par couches de 6 à 8 po de haut et trois ou quatre personnes peuvent monter un mur de 6 pi de large et 10 pi de haut en une journée. Le mur, sans calculer le bénéfice de la masse thermique, aura une valeur R de 24,5, mais sera bien différent en sensation de confort qu’une maison standard grâce aux qualités hygroscopiques et thermiques du pisé. »
Comme la maison sera construite à 1,5 km d’une carrière, on n’utilisera pas la terre d’excavation mais de la matière homogène livrée par une chargeuse mécanique. « Il serait illogique de s’en passer parce que c’est tellement pas cher et plus simple, dit Charles. Ce sera du sable et de la pierre concassée 0-3/4 po qui comprend 5 % de limon et d’argile. On y ajoutera de 7 à 10 % de ciment pour mieux résister aux charges et pouvoir décoffrer le lendemain. L’autre type de pisé comprend de 15 à 20 % d’argile mais est plus complexe à mettre en œuvre et nécessite plusieurs journées de séchage. Nous allons aussi utiliser un minerai blanc local de toute beauté pour valoriser l’histoire de la région et les ressources du Québec. »
La formation
La technique de construction en pisé, qui a été modernisée, nécessite « une confluence d’expertise, d’expérience pratique et de connaissances approfondies pour une exécution appropriée, précise Charles Sands. L'objectif de ce programme est de former une communauté de spécialistes qualifiés de murs en pisé, comprenant à la fois des constructeurs professionnels et des constructeurs propriétaires dévoués, chacun étant méticuleusement formé au métier. Les étudiants auront la possibilité de s'engager bénévolement dans une expérience pratique sur un ou plusieurs projets, selon leurs préférences, garantissant ainsi l'application concrète des connaissances théoriques acquises.
L’atelier vise à transmettre ces compétences impératives dans le cadre d’une formation rigoureuse. « Répondant à divers besoins, qu'il s'agisse de la construction de murs structurels isolés adaptés aux climats froids, de variantes non isolées pour les environnements tropicaux ou d'installations esthétiques pour l'aménagement paysager, nos ateliers sont conçus pour transmettre les meilleures pratiques, permettant aux participants d'atteindre leurs objectifs, quels qu’ils soient. »
Les modules de cours couvriront :
1/ Construction des fondations.
2/ Sélection des matériaux.
3/ Maîtrise du contrôle de qualité des mélanges.
4/ Techniques de coffrages.
5/ Meilleures pratiques pour le coffrage courbé et les niches.
5/ Intégration de boîtes et conduits électriques.
6/ Techniques avancées de pisé isolé.
7/ Protocoles à suivre pour une exécution conforme.
8/ Meilleures pratiques en matière de cure et de scellement des murs.
Il promet qu'il s'agira d'une expérience mémorable : « Reconnectez-vous à la terre et à l’histoire millénaire du pisé en participant à notre formation de construction en terre pisé dans un lieu enchanteur situé à 1h15 de Montréal. Le lieu de formation est au centre d'une vallée pittoresque, entourée par les eaux affluentes de la rivière et de plusieurs rochers majestueux. »
Le prix de l’atelier est de 1 550 $ pour les cinq journées qui se dérouleront en semaine l’été prochain.
Le chantier sera une autoconstruction réalisée par le constructeur propriétaire, donc sans but lucratif. Charles en sera le maître d'oeuvre et sera accompagné par des employés.
Et combien ça coûte, une enveloppe en pisé (1 500 pi2 de murs R-24,5)? Charles Sands répond :
Trois ouvriers à 180 $ de l’heure pendant 2 mois : 57 600$
Location d'équipement pendant 2 mois : 8 000 $
Sable et pierre 0-3/4 : 10 000 $
Extras : isolation, armature, ciment, pigments et autres additifs (chaux/metakaolin).
Informations et réservations :
keating.sands@gmail.com - https://www.terrepiseqc.com
