Avec l’année que l’on vient de passer, de plus en plus de personnes songent à augmenter leur autonomie alimentaire. Réalisant que les conditions de ce monde peuvent changer en un quart de tour, plusieurs ont à cœur de se protéger en ayant des réserves et en étant moins dépendants des réseaux traditionnels de production et distribution alimentaire. Si bien que le livret de commandes des producteurs de serres d’horticulture est rempli et ceux-ci ne peuvent livrer avant 2023!

Considérant l’hiver froid du Québec et sa relativement courte saison de culture en champs, prolonger la saison de culture dans une serre ou un solarium devient un incontournable pour ceux qui veulent atteindre un niveau d’autonomie alimentaire élevé.

Même sans système de chauffage, une serre ou un solarium peut facilement rallonger la saison de culture de plusieurs semaines. Selon le type de serre/solarium et de culture, on peut y planter de jeunes semis environ un mois plus tôt qu’en terre et prolonger les récoltes d’un à deux mois. En sélectionnant des variétés tolérantes au froid, il est possible d’y cultiver pratiquement 10 mois par année et même d’y stocker certains légumes feuilles et racines qui n’attendront qu’à se faire récolter au milieu de l’hiver.

L’aventure vous tente et vous êtes à la recherche d’inspiration? Voici l’histoire de quatre propriétaires de serre ou solarium qui ont adopté des stratégies bien différentes.

La serre de la Québécoise Diane Bastien, experte en bâtiments solaires qui enseigne le génie civil et architectural à l’Université du Danemark du Sud, est en verre simple.

Voici deux années maintenant que je cultive dans cette serre en vitre simple de 110 pi2. Divers plants partagent l’espace avec trois colocs : des petites cailles qui pondent de mignons œufs. Au départ, la serre était équipée d’un mécanisme ouvrant automatiquement une fenêtre de toit selon la température. J’en ai rajouté trois autres (le maximum possible) afin de limiter la surchauffe l’été.

La première année, j’ai acheté les cailles en juin, alors que les plants étaient déjà démarrés. La seconde année, j’ai tenté de protéger les plants après transplantation de diverses façons. Presque toutes mes tentatives ont échoué les unes après les autres vu la persistance des cailles à pousser les bouteilles de plastique, filets ou vitres que j’avais mis en place pour protéger les plants. J’ai fini par mettre les cailles dehors, dans une petite cage mobile en filet, environ six semaines, le temps de replanter les derniers plants restants et de repartir à la graine tardivement ceux que les cailles avaient entièrement dévorés. Les cailles et les plantes font très bon ménage, SAUF au moment de partir les petits plants au printemps et que les cailles peuvent les gober tout rond! À cette période de l’année, il fait bien assez chaud, les cailles n’ont aucun problème à être à l’extérieur.Cette année je vais sortir les cailles de la serre quelques semaines au printemps, le temps que les plants deviennent suffisamment gros et qu’elles puissent retourner à l’intérieur à nouveau.

Autrement, les cailles sont très utiles dans une serre. Elles contribuent à enrichir le sol et font tout le travail de désherbage tout en pondant 9-10 mois pendant l’année. Il faut supplémenter en lumière l’hiver pour une production d’œufs constante. Au Danemark, puisqu’il fait rarement en dessous de -5°C à -10°C, les cailles sont bien protégées dans une serre détachée en vitre simple. Pour s’assurer qu’elles pourront s’abreuver, il faut seulement changer l’eau tous les jours de gel. Au Québec, il faudrait utiliser des stratégies pour éviter que la température dans la serre ne descende sous -10°C, comme créer un petit espace isolé et minimalement chauffé.

À part les œufs de caille, qu’est-ce que je récolte dans cette serre? Les deux premières années, j’y suis allée avec les classiques : tomate, concombre et plusieurs types de courge. Attention : les courges, ça prend de la place! Les types rampants comme les courges spaghetti s’y plaisent bien. J’ai obtenu de belles courges accrochées aux montants du toit et sur lesquelles je me suis même déjà cogné la tête! Les courges buissonnantes, comme la courge pâtisson, prennent vraiment trop de place. De toute façon, elles poussent très bien à l’extérieur.

Le fils de Diane dans leur serre.

Ma stratégie initiale, c’était de faire pousser des légumes maison dont on raffole, comme la tomate et le concombre, ainsi que ce qui ne se trouve pratiquement pas au Danemark. D’où mon obsession pour les courges spaghetti, poivrée et pâtisson! Ici, on ne trouve que de la Butternut à longueur d’année et de la Hokkaido à l’automne. Les Danois ont développé une autre sorte de courge similaire à la courge spaghetti, nommée Stripetti. Elle est plus petite et moins savoureuse que la spaghetti, mais résiste beaucoup mieux au mildiou. Les matinées estivales sont fraiches au Danemark, ce qui crée de la rosée sur les plants. C’est pourquoi la courge spaghetti en champ développe du mildiou et meurt rapidement. Cette année, j’adopte une nouvelle stratégie : faire pousser ce que je mange, dans une optique d’autonomie alimentaire. Je vais donc miser encore sur les courges, mais surtout celles d’hiver qui se conservent, ainsi que sur des choux d’hiver. Également sur mes aliments de base que je consomme le plus : carotte, fenouil, patate douce, maïs, pois, choux… J’essaie de faire pousser plein de choses que je n’ai jamais cultivées auparavant!

Cette année, j’ai découvert les semences de Pascal Poot. Cet agriculteur français récolte ses propres semences depuis 30 ans et les sélectionne non pas pour le rendement mais en fonction de leur résistance aux maladies et à la sécheresse. Il n’arrose qu’au moment de la transplantation et revient voir les plantsdeux mois plus tard pour la récolte! J’ai bien hâte de voir les résultats…

Solarium attenant à une minimaison, Saint Adrien

Marc-Antoine Meilleur et Mélanie St-Pierre habitent une minimaison sur roues autoconstruite à Saint-Adrien, dans les Canton-de-l’Est. Ils ont construit un solarium de 390 pieds carrés attenant à la minimaison de 260 pieds carrés. C’est principalement un lieu de vie qui leur donne plus d’espace pour les activités quotidiennes. Il sert actuellement de bureau, de salle à manger et de salon, en plus d’héberger plusieurs plantes.

De mars à mai, leur solarium sert également à partir les semis qui sont éventuellement transférés dans une serre. Comme le climat de Saint-Adrien est frais (le dernier gel s’est produit en juin l’année dernière!), une serre est vraiment idéale pour commencer la saison de culture un mois plus tôt et la prolonger de deux mois. Le couple a construit une serre géodésique de 450 pieds carrés avec des arches de serre en acier galvanisé réutilisées et du polyéthylène.

Pour Marc-Antoine et Mélanie, utiliser des matériaux recyclés est très important. « C’est même un mode de vie! dit Mélanie en riant. Il faut utiliser les petits moments qu’on a, en faisant la file à l’épicerie par exemple, pour garder un œil sur les matériaux usagés disponibles sur Kijiji et Marketplace. » L’entreposage devient vraiment important, car trouver des matériaux usagés prend du temps. Il faut donc avoir un endroit approprié pour stocker les trouvailles au fur et à mesure.

Les trouvailles dictent le design

Vue intérieure du solarium de Saint-Adrien.

Marc-Antoine, ingénieur chez Alte Coop et spécialisé en efficacité énergétique, inventaire carbone et systèmes mécaniques, me raconte l’importance du processus à suivre lorsqu’on désire construire avec des matériaux recyclés. Il a attendu de dénicher son vitrage avant de commencer les premiers dessins techniques du solarium. Car la taille du vitrage a un impact sur tout, que ce soit le positionnement des membres structuraux ou des ouvertures de ventilation, par exemple. C’est avec grande joie que Marc-Antoine et Mélanie sont tombés sur un lot de 13 portes-patio dont un hôtel en rénovation cherchait à se défaire.

Le solarium est un laboratoire vivant pour les ingéniteur d'Alte Coop. 

À partir de cette trouvaille, Marc-Antoine a commencé les premières esquisses du solarium. Il a pu dimensionner les membres structurels, définir les détails importants pour assurer l’étanchéité à l’air et à l’eau, et planifier une bonne gestion de l’écoulement de la pluie dehors et d’une éventuelle condensation à l’intérieur. Il a utilisé du cèdre en 3’’x6’’ récolté et taillé par un bucheron local.

Le vitrage repose sur un mur de fondation en béton de 16 po de large et 20 po de profondeur, isolé avec des cœurs de portes en polyuréthane, un déchet industriel produit quand on les perce pour insérer les vitrages. La minimaison entière est aussi isolée avec ces cœurs de porte! Des drains agricoles sont installés dans la terre sous le solarium. Ils servent à faire circuler la chaleur et à l’emmagasiner dans le sol. Car sans ce système il peut faire chaud, dans le solarium : la température a atteint un maximum de 42°C par une belle journée de janvier! Au grand inconfort des plantes qui s’y trouvaient…

En plus d’une porte-patio ouvrante à l’ouest et deux fenêtres ouvrantes à l’est, Marc-Antoine a mis au point un système de ventilation passif très innovateur et abordable. En effet, il a installé trois évents Maximum, ces ventilateurs d’entretoits qui permettent d’évacuer l’air. Leur capacité de ventilation ne dépend que de la vitesse du vent mais pas de sa direction, ce qui rend ce système beaucoup plus fiable et très performant. Des volets automatisés maisons permettent d’ouvrir ou de fermer les trappes de ventilation menant aux évents. Une solution ingénieuse, efficace et à faible cout!

Cet espace est aussi un laboratoire vivant! Pour le design de la structure biosourcée, l’automatisation des systèmes d’efficacité énergétique et la collecte de données du solarium, le couple a bénéficié des conseils de Pierre-Luc Harvey et de Simon-Pierre Gagnon, collègues de Marc-Antoine chez Alte Coop. Cette coopérative regroupe des ingénieurs qui ont à cœur de travailler sur des projets ayant des retombées sociales et environnementales bénéfiques. Ces trois passionnés profitent de cette construction pour tester et optimiser leurs solutions. Un réel avantage considérant que la coopérative a développé une expertise pour le design de serres et solariums en climat froid. Tous résidents de Saint-Adrien, ils ont choisi un mode de vie près de la nature en accord avec leurs valeurs. Alte Coop a d’ailleurs comme mission le partage de connaissances techniques pour aider la société à avoir un impact positif. Le design du solarium sera bientôt disponible sur leur site Web.

Jean Hudon utilise surtout son solarium pour partir ses semis et regarder des films, mais aussi pour se détendre, faire du yoga ou accueullir des groupes. Contrairement aux serres, les solariums sont avant tout pour les humains et non pour les plantes!

Solarium détaché de forme pyramidale, Saguenay

Jean Hudon, résidant de l’écohameau Les plateaux Commun’ô’Terre à Saguenay depuis 1979, s’est lancé dans la construction d’un solarium il y a trois ans. La structure est complètement détachée de sa maison autoconstruite afin de laisser un espace pour la neige qui tombe du toit.

En se lançant dans cette aventure, Jean a concrétisé un vieux rêve. Le pourrissement d’une petite serre modeste qu’il avait construite il y a plusieurs années l’a incité à déconstruire cet espace et à en créer un autre de bien meilleure qualité. 

Jean est passionné par la géométrie sacrée et les pyramides. Il a donc décidé de construire le toit du solarium comme une version miniature de la pyramide de Khéops (ou grande pyramide de Gizeh), en Égypte. Avec un espace de 18 pieds sur 18, le solarium comporte 16 fenêtres neuves de 2,5 pieds sur 4 liquidées à 20 $ chacune ainsi qu’une très large fenêtre. Seul le mur nord est non fenestré et isolé. Deux fenêtres sont ouvrantes, ce qui procure une excellente ventilation transversale. Jean a également installé une trappe d’aération au toit afin d’augmenter la ventilation naturelle lorsque nécessaire. Mais finalement il dit qu’il n’en a pas besoin, le solarium ne souffrant pas de surchauffe estivale. L’abondante végétation feuillue filtre les puissants rayons lumineux en été tout en permettant les gains solaires lorsque les arbres perdent leurs feuilles. De plus, Jean a pris soin d’intégrer un surplomb de toit d’un pied tout autour du solarium, contribuant à bloquer les rayons lorsque le soleil est haut dans le ciel. Avec toutes ces mesures, en période de canicule il fait même parfois plus frais à l’intérieur du solarium qu’à l’extérieur. Un bel exemple de design solaire passif efficace!

L'ombrage des corniches et les fenêtres ouvrantes évitent la surchauffe estivale. Alors qu'une serre est essentiellement vitrée, un solarium a généralement un toit et des murs isolés.

Jean utilise son solarium pour partir des semis avant de les transplanter au jardin. Mais sa principale fonction est celle d’espace d’agrément : il y a installé un projecteur et un écran géant pour y visionner des films et cet espace est parfaitement adapté pour accueillir des réunions, des séances de yoga et autres activités communautaires. La dalle de plancher autolissante du solarium sera chauffée avec un système radiant électrique dont les câbles torsadés éliminent les champs électromagnétiques. Un câble Ethernet assure une connectivité Internet fiable et sans micro-ondes nocives pour le cinéma maison.

Cette construction fournira un environnement sans pareil pour se ressourcer et profiter de la belle vue sur la forêt environnante.

Serre attenante en blocs de terre comprimés, Cantons-de-l’Est

La serre de Ginette Dupuy, baubiologiste spécialisée dans la construction en blocs de terre.

Ginette Dupuy, qui a construit une maison en blocs de terre comprimés en 2014 dans les Cantons-de-l’Est, y a greffé une petite serre attenante et unique. D’une modeste superficie de 7 pieds sur 14 (environ 2x4 mètres), Ginette a voulu restreindre sa superficie pour ne pas empêcher le soleil de pénétrer généreusement dans la maison. Étant toutefois très haute, sur deux étages, elle offre donc tout de même un généreux volume disponible à la culture. Sa hauteur favorise également une ventilation naturelle hors pair. Ginette croyait à l’origine qu’il ferait trop chaud l’été dans la serre pour cultiver. Toutefois, les ouvertures latérales et tout en haut de la serre créent un effet de cheminée qui expulse l’air chaud avec grande efficacité, de sorte que poivrons, tomates et aubergines s’y plaisent à merveille, même l’été.

La serre a une fenestration sud–sud-est avec un revêtement d’éthylène tétrafluoroéthylène (ETFE) double épaisseur et un mur nord de 40 cm de terre attenant à la maison. Ginette note la température de ses murs chaque jour et elle est toujours émerveillée de l’immense masse thermique du mur de terre, qui contribue grandement à stabiliser les fluctuations de température. Moins de sept nuits par année, par grands froids nuageux, elle utilise un petit radiateur afin d’éviter que la température ne tombe sous zéro. Elle explique que ce n’est que très rarement nécessaire, car au Québec, lors de grands froids de -20 ºC et -30 ºC, le jour le soleil est pratiquement toujours au rendez-vous! Lorsqu’il fait -20 ºC à l’extérieur, la température dans la serre monte jusqu’à 30 ºC et la chaleur s’accumule dans le mur de terre.

Ginette cultive dans sa serre à l'année longue.

L’ETFE est une pellicule minérale peu connue mais qui se démarque par sa grande transparence et sa durabilité de plus de 50 ans. Ce matériau est évidemment plus cher que les revêtements plastiques, mais pour Ginette il était important d’investir dans des matériaux durables qui ne dégradent pas l’environnement. Même si elle n’a que de bons mots pour la pellicule ETFE, elle a quand même dû faire face à de nombreux défis lors de sa pose. La pellicule d’ETFE se pose normalement en double épaisseur avec un miniventilateur qui souffle de l’air entre les deux pellicules. Toutefois, comme la maison de Ginette est entièrement passive, elle voulait que la serre le soit aussi. Elle a donc opté pour une ventilation naturelle où l’air extérieur circule dans la cavité entre les deux membranes, bien que cette option puisse diminuer la valeur isolante. L’ETFE semble un excellent matériau avec une transparence inégalable et une grande résistance mécanique, mais trouver un bon design pour l’installation a posé un véritable défi.

Ginette commence ses semis fin mars, début avril. La transplantation se déroule fin avril, début mai et la récolte se prolonge jusqu’en novembre. L’hiver, elle y cultive principalement différentes laitues et verdures, du kale, des épinards, du mesclun, etc. Elle a toujours une salade bio bien fraiche à portée de la main! Elle apprécie beaucoup d’ailleurs que la serre se trouve juste à côté de la cuisine. Tous les déchets végétaux y aboutissent, dans ses bacs de vermicompostage.

Dans la serre se trouve une chaise hamac que Ginette utilise pour relaxer ses pieds dans le sol, pour se connecter à la Terre afin de bénéficier de ses électrons libres anti-inflammatoires. Année après année, elle en apprend de plus en plus sur l’horticulture et les méthodes à mettre en place pour profiter au maximum de cette serre dans le plus grand respect de l’écologie. Elle suit actuellement une formation avec les experts de l’Académie Potagère afin d’aller plus loin. Il n’y a aucun doute, Ginette est une passionnée. Elle s’exclame avec enthousiasme : « La serre, c’est l’avenir! »