Les organismes spécialisés en bâtiment vert et en environnement craignent que la Régie du bâtiment du Québec ne prépare une réglementation trop sévère et onéreuse qui découragera l'aménagement de toits végétalisés sur les grands bâtiments neufs et existants sous sa gouverne, soit ceux de plus de trois étages et de plus de 600 mètres carrés. Voici la lettre ouverte que le représentant de ces organismes, l'architecte Owen Rose, nous ont fait parvenir.
Lettre ouverte
Le 9 juillet 2014
Les toits végétalisés au Québec et leur conformité au Code national du bâtiment
La présente s'adresse à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) pour souligner l'importance des toits végétalisés comme stratégie de développement durable dans l'environnement bâti. Depuis des années, les organisations signataires de cette lettre - le Centre d'écologie urbaine de Montréal, le Conseil régional de l'environnement de Montréal, la Société québécoise de phytotechnologie et la Section du Québec du Conseil du bâtiment durable du Canada - travaillent de concert pour faire avancer la cause des toits végétalisés au Québec. Elles ont mis en œuvre plusieurs initiatives et s’entendent toutes sur les mêmes bienfaits offerts par les toits végétalisés.
Depuis 2004, le Centre d’écologie urbaine de Montréal (CEUM) s’est mis à étudier l’implantation des toits végétalisés au Québec. Nous avons commencé nos recherches avec la publication de « Toitures vertes à la montréalaise : rapport de recherche sur l'implantation des toits verts à Montréal » publiée en 2005. Dans la même année, nous avons réalisé notre projet pilote de toit végétalisé sur un duplex existant au centre-ville de Montréal. Le projet pilote a réuni une vingtaine de collaborateurs afin de partager des connaissances et d’assurer sa bonne réalisation. Parmi les collaborateurs, il y avait deux membres du Service de sécurité incendie de Montréal, un ingénieur en structure, des chercheurs du Conseil national de recherches du Canada, un représentant de la Ville de Montréal, des architectes paysagiste, des urbanistes, des représentants techniques de deux fournisseurs de systèmes de toits végétalisés, des agronomes, un entrepreneur général, un couvreur et des architectes. Après la réalisation du projet pilote, le Centre a publié « Projet-pilote de toit vert : démarche d'une construction écologique » également en 2005.
Par la suite, le Centre a co-publié avec le GRIP-UQÀM, « Toitures végétales : implantation de toits verts en milieu institutionnel. Étude de cas : UQAM », en 2008. Après la récolte des données scientifiques du toit du projet pilote, le Centre a finalement publié « Performance énergétique d’une toiture végétale au centre-ville de Montréal » en 2011.
Du côté de la Société québécoise de phytotechnologie (SQP), les toits végétalisés font partie des phytotechnologies importantes à mettre en place en société. La SQP a organisé en 2012 un important colloque sur le sujet où se sont réunis différents experts nationaux et internationaux, chercheurs, professionnels, entrepreneurs, fournisseurs. Plusieurs produits et techniques ont été présentés et discutés. Il a été prouvé, entre autres, que les toits végétalisés sont un des outils les plus importants pour résoudre le problème de gestion des eaux pluviales en milieu urbain. Un bilan critique, mais réaliste, a été établi. Les principales embûches au développement de toits végétalisés ont été identifiées dont la réglementation. Plusieurs solutions ont été proposées afin de faire avancer davantage la création de toits végétalisés au Québec, notamment par l’action concertée des principaux acteurs du domaine. La SQP a produit en 2014 une fiche technique des toits végétalisés, qui constitue un véritable d’outil d’aide à la décision.
Le Conseil régional de l’environnement de Montréal (CRE-Montréal), pour qui le verdissement urbain est indispensable à une meilleure qualité de vie, considère que les toits végétalisés font partie de la solution, surtout dans un milieu densément bâti. L’organisme en fait tous les jours l’expérience puisque ses bureaux sont situés dans la Maison du développement durable (certification LEED Platine) qui bénéficie d’une toiture végétalisée accessible aux employés.
Pendant toutes ces années de recherche, de réalisations et de sensibilisation, personne n’a entendu parler d’une interdiction des toits végétalisés par le Code national du bâtiment. Effectivement, le code reste encore muet à ce sujet.
Collectivement, les toits végétalisés représentent une des solutions écologiques parmi tant d’autres. En résumé, voici quelques bénéfices des toitures végétalisées :
- contrer l’effet d’îlot de chaleur urbain et les épisodes de smog (climatisation naturelle);
- gérer les eaux de ruissellement;
- prolonger la durée de vie des toitures;
- accroître l’efficacité énergétique du bâtiment;
- filtrer les polluants atmosphériques;
- insonoriser et réduire les nuisances phoniques;
- aider à la biodiversité;
- agir comme espace récréatif supplémentaire;
- rendre possible la pratique de l’agriculture urbaine;
- créer un espace de valeur ajoutée au bâtiment.
En 2009, la Ville de Toronto a légiféré sur les toits végétalisés par une obligation de les aménager, avec un encadrement technique et des subventions pour les réaliser. Les règles du jeu ont été établies en toute transparence et depuis les concepteurs de toits végétalisés composent avec cet encadrement. En 2014, la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) tient toujours le Québec dans un flou, sans communication claire, par rapport aux exigences de conception des toits végétalisés. Très peu d’architectes, par exemple, savent que les toits végétalisés ne sont pas « autorisés » par le Code national du bâtiment. La Ville de Montréal, ayant intérêt à promouvoir les toits végétalisés, a émis son propre encadrement en 2013-2014 pour les bâtiments exemptés (sous la juridiction de la Ville de Montréal).
D’après nos propres expériences, nous craignons que la Régie du bâtiment du Québec introduise une réglementation trop sévère et onéreuse pour l’acceptabilité des projets de toits végétalisés sur des nouvelles constructions ainsi que sur des bâtiments existants. Il y a un cadre institutionnel du développement durable et développement d’une économie verte au Québec. Et celui-ci précise que les « principales voies d’actions empruntées pour favoriser la transition vers une économie verte sont, entre autres : « le renforcement et l’application de législations qui favorisent le développement de l’économie verte. » La santé du secteur des technologies propres dépend dans une très large mesure du cadre réglementaire et fiscal ainsi que des orientations des gouvernements. La Loi sur le développement durable est explicite en ce sens. Les effets d’une règlementation trop contraignante ne doivent pas être pris à la légère. L’économie verte créée des emplois d’avenir : 1 600 entreprises et organisations emploient plus de 32 000 travailleuses et travailleurs, ce qui place le Québec au 2e rang au pays pour le plus grand nombre d'entreprises et d'emplois dans ce secteur. Les concepteurs, fabricants et installateurs de toitures vertes font partie de cette industrie.
Le CEUM, le CRE-Montréal, la SQP, la Section du Québec du CBDCa et les autres organisations du secteur du verdissement et de la construction écologique souhaitent que la RBQ adopte une attitude ouverte et inclusive. Nous sommes en droit d’exiger d’être consultés par les responsables de la RBQ afin de participer à l’élaboration de solutions qui permettent d’assurer la pérennité de ces technologies vertes et d’avenir. Nous croyons que les experts de ce secteur sont les mieux placés pour appuyer ces recommandations.
Owen Rose, architecte
Membre du CA, Centre d’écologie urbaine de Montréal
Membre du CA, Conseil régional de l’environnement de Montréal
Julie Rocheleau, directrice générale
Centre d’écologie urbaine de Montréal
Coralie Deny, directrice générale
Conseil régional de l’environnement de Montréal
Michel Rousseau, architecte paysagiste
Président du CA, Société québécoise de phytotechnologie
Louis-Philip Bolduc, ingénieur
Président du CA, Section du Québec du Conseil du bâtiment durable du Canada