Gaétane Boucher a vécu trois ans sans électricité pour retrouver sa santé qui est aujourd’hui minée par un compteur à radiofréquences.
Gaétane Boucher a vécu trois ans sans électricité pour retrouver sa santé qui est aujourd’hui minée par un compteur à radiofréquences.

Gaétane Boucher a tout perdu : sa famille, sa maison, son travail. Lorsqu’elle habitait Granby, en Estrie, cette ancienne dessinatrice industrielle souffrait constamment de violents maux de tête, d’engourdissements, de pertes d’équilibre ainsi que de problèmes de vision et de mémoire qu’elle a liés à une surexposition aux champs électromagnétiques (CEM).

« Dans mon enfance, j’ai habité une maison avec du chauffage radiant électrique dans les plafonds et j’ai joué régulièrement sous des lignes à haute tension — les pieds dans l’eau en plus — pendant 10 étés. J’ai ensuite acquis mes symptômes en travaillant à l’ordinateur 8 à 10 heures par jour pendant des années.

Diagnostic reconnu
Mme Boucher souffre du syndrome de fatigue chronique, accompagné d’une perte de tolérance chimique doublée d’une hypersensibilité électromagnétique (HSEM). Ce lourd diagnostic fut reconnu en 2006 par l’Office des personnes handicapées du Québec, grâce auquel la dame de 48 ans reçoit une rente d’invalidité de 797 $ par mois.

Il n’est pas prouvé que les CEM causent la HSEM, déclarait l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2005. Qu’importe, ce syndrome, dont disent souffrir jusqu’à 10 % des Européens, est reconnu par l’Association médicale autrichienne et les pays scandinaves. En 2000, le Conseil des ministres nordiques de ces pays a alors reconnu que les symptômes de l’intolérance électromagnétique « disparaissent dans les environnements non électriques ».

La HSEM est difficile à diagnostiquer, car les gens peuvent réagir à des fréquences différentes et les symptômes se manifestent souvent à retardement, comme l’ont démontré notamment les études des médecins William J. Rea (en 1991) et Andrew Marino (en 2011). La Suède la reconnaît comme un handicap donnant droit à un environnement adapté où les niveaux de CEM sont faibles.

C’est ce que réclament des millions de personnes devenues intolérantes aux CEM. Une plainte intentée par une soixantaine de Britanno­-Colombiens sera entendue en 2013 par le Tribunal des droits de la personne de leur province. Elles se disent incommodées par les nouveaux compteurs numériques qui émettent quotidiennement des milliers de brèves pulsations de micro-­ondes. Ce type de radio­fréquence (RF) fut classé comme «peut-­être cancérogène » par l’OMS en 2011.

En 2006, épuisée et découragée d’avoir dû déménager 14 fois en deux ans sans pouvoir soulager ses symptômes, Gaétane Boucher découvre enfin, dans la région de Lac­-Mégantic, une rare vallée québécoise qui, à l’époque, est encore peu irradiée par les RF émises par les antennes relais de téléphonie cellulaire. Elle s’y construit un petit chalet en forêt, où elle s’est refait une santé en vivant sans électricité pendant trois ans. Elle y habite toujours seule : « Je me meurs à présent d’ennui, d’isolement », dit­-elle. Après avoir pris du mieux, elle a demandé à Hydro-­Québec de raccorder son chalet au réseau électrique. Chose qu’elle regrette amèrement aujourd’hui.

Compteur et symptômes
Sa santé a périclité après qu’Hydro-­Québec y a fait installer un compteur numérique de première génération, de marque Itron, dont se plaignent plusieurs Québécois devenus intolérants aux CEM. Depuis huit ans, quelque 800 000 habitations québécoises ont été équipées de ces appareils, qui transmettent des RF pour permettre la lecture à distance de la consommation électrique, au même titre que les 20 000 compteurs de nouvelle génération, dits « intelligents », installés dans trois régions pilotes en 2012. « J’ai la vue un peu trouble, une pression dans le front, un bourdonnement et de la douleur dans les oreilles, des pertes d’équilibre, des difficultés de concentration, une humeur instable : tous les symptômes que je retrouve en ville mais moins intenses, explique Mme Boucher. Je dors beaucoup et je dois me reposer très souvent. Avant, j’arrivais à travailler longtemps sur mon terrain et dans mon chalet. Mais depuis que le compteur a été installé, c’est très difficile tous les jours. »

Mme Boucher est déroutée par deux décisions rendues le 5 octobre dernier par la Régie de l’énergie du Québec. Dans un premier temps, celle­ci autorisait alors Hydro­Québec à poser 1,7 million de compteurs intelligents résidentiels sur les 3,8 millions prévus d’ici 2017 par son projet de lecture à distance. Or, dans plusieurs pays, des milliers de personnes se sont plaintes de problèmes de santé survenus après l’installation de tels compteurs chez elles.

Option de retrait payante
«Je suis, comme plusieurs, très fâchée, troublée et inquiète pour nous tous et nos enfants », dit Gaétane Boucher. Elle est surtout outrée du fait que la Régie, dans sa seconde décision du 5 octobre 2012, ait accepté qu’Hydro­-Québec impose des frais de 98 $ à 137 $ aux gens qui exigent l’installation d’un compteur sans émission de RF, ainsi que des frais de 17 $ par mois — 206 $ par année à vie — pour effectuer une relève manuelle des données, relève qui a toujours été gratuite jusqu’ici. Pour elle, ces frais équivalent à une taxe santé, car l’installation d’un compteur non émetteur est essentielle à son bien­-être.

Mme Boucher est donc abasourdie que le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec ait affirmé, dans un avis de santé publique publié en mars 2012, que les RF émises par les compteurs intelligents « ne posent pas de risques pour la sante». La décision de la Régie est fondée sur cet avis.

Pourtant, les effets sanitaires des compteurs à RF n’ont jamais été étudiés. La Cour suprême de l’État américain du Maine a d’ailleurs ordonné une enquête scientifique approfondie sur cette question. Une douzaine de municipalités québécoises et plus de 17 000 personnes ont signé une pétition demandant au gouvernement d’imposer un moratoire sur l’installation de ces compteurs émetteurs.

« Déployer un réseau maillé où des millions d’émetteurs vont communiquer continuellement ensemble, avec les routeurs retransmettant un déluge de données aux antennes du réseau cellulaire de Rogers, c’est comme ajouter un nouveau réseau de téléphonie cellulaire sur les stéroïdes, puisqu’il fonctionnera sans arrêt, et ce sera indubitablement l’orage électromagnétique qui fera déborder le vase déjà bien rempli du niveau élevé d’électrosmog ambiant », déplore la Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique.

Mise en garde ignorée
La Régie n’a pas retenu l’avertissement formulé dans le rapport que lui a soumis David Carpenter, médecin diplômé de l’Université Harvard et professeur de santé publique à l’Université d’Albany, dans l’État de New York.

Selon lui, bien que sa puissance soit beaucoup plus faible, un compteur à RF installé près d’une tête de lit peut exposer cumulativement à une dose de RF supérieure à celle reçue d’une antenne relais éloignée ou d’un télé­ phone cellulaire utilisé sporadiquement avec un casque d’écoute. C’est que le compteur émet des pics de puissance bien plus élevés ainsi que de l’interférence (hautes fréquences transitoires) 24 heures par jour. C’est ce qui pourrait expliquer pourquoi «des effets neurologiques indésirables ont été signalés chez des personnes qui se retrouvent souvent à proximité — en particulier à moins de trois mètres — des compteurs sans fil », ajoutait le Dr Carpenter dans une lettre endossée par une cinquantaine d’experts internationaux et publiée sur notre site.

Comment se protéger?
Parlez­-en à la Montréalaise Hélène Keyser, dont la fille épileptique Nickie, 23 ans, dormait à 10 pi (3 m) d’un compteur Itron installé dans un logement voisin. « On croyait que les symptômes étaient causés par la médication, raconte-­t-­elle, et comme les crises continuaient, le neurologue augmentait les doses. Mais ça n’a rien donné.»

C’est en éprouvant ensuite les mêmes symptômes que sa fille qu’Hélène a fait un parallèle. «Lorsque nous avons éliminé tous les appareils sans fil dans la maison, sa condition s’est beaucoup améliorée. Puis, après lui avoir demandé de changer de chambre pour vérifier les résultats, nous avons tout compris : Nickie n’a plus d’insomnie, de maux de tête, ni de problèmes de mémoire, elle ne passe plus ses fins de semaine à dormir et elle fait moins de crises d’épilepsie. »

Mme Keyser dit qu’elle est elle aussi devenue intolérante aux CEM parce que le compteur était installé à 5 pi (1,5 m) de son bureau : « J’ai eu la totale, jusqu’à avoir énormément de difficultés à écrire, à lire, à ne plus savoir compter, à m’endormir dans le bain le matin et à m’étendre sans arrêt avec des douleurs physiques, au point de prendre des analgésiques plusieurs fois par jour. Je n’avais aucun problème de santé relié aux appareils sans fil avant la surexposition aux ondes du compteur. J’ai dû évacuer ma salle de travail et rester de nombreuses heures au sous-­sol chaque jour pour récupérer... »

Hélène Keyser a même découvert comment se blinder des micro-­ondes : « Pour un compteur émetteur de RF installé dans une maison, la meilleure solution que j’ai trouvée est la suivante : construire autour une boîte avec un panneau de ciment (le gris, que l’on prend pour l’arrière d’une douche); couvrir le compteur d’un papier d’aluminium, puis d’une moustiquaire de métal, puis d’une autre couche d’aluminium; couvrir le tout d’un panneau de ciment. Cette solution n'empêche pas Hydro-Québec de faire ses lectures à distance. »

Le gouvernement est-­il sensible à ce genre de témoignage et aux demandes de ses citoyens? Le bureau du ministre de la Santé, Réjean Hébert, n’a pas retourné nos appels. « Nous étudions le dossier », s’est contentée de dire en entrevue Laurie Comtois, attachée de presse de la ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet. Cette dernière, confirme Mme Comtois, a reçu « plusieurs courriers et courriels » à ce sujet, « de partout au Québec ».

Pour en savoir davantage
http://www.nousrefusonslescompteurs.org/