Richard Desjardins a été sacré L'Homme de l'année par le magazine L'actualité, en décembre 1999, suite aux révélations faites dans son film L'Erreur boréale.

Devant les scandales à répétition dénoncés notamment par Richard Desjardins en matière de gestion forestière, que doit penser et faire le consommateur qui veut construire ou rénover de façon écologique?

Plus de 20 ans après la sortie du documentaire choc L’Erreur boréale qui a marqué l’imaginaire collectif par ses images de déforestation massive, on s’attendrait à ce que le monde de la foresterie opère différemment. Mais est-ce vraiment le cas?

Réalisé en 1999 par l’auteur-compositeur-interprète Richard Desjardins et le cinéaste Robert Monderie, ce long métrage a suscité une telle indignation qu’il a directement mené à la mise sur pied de la commission Coulombe sur la gestion de la forêt publique québécoise, puis à une refonte du régime forestier. Deux changements majeurs ont été adoptés, soit la réappropriation de la planification forestière par l’État, autrefois laissée à l’industrie, et une baisse significative de la taille des chantiers forestiers.

Avec les années, plusieurs certifications indépendantes assurant aux consommateurs que leur bois d’œuvre ou autres produits forestiers venaient d’une forêt gérée de manière durable se sont également implantées au pays et ailleurs dans le monde : la FSC (Forest Stewardship Council ou conseil de l’intendance forestière), la SFI (Sustainable Forestry Initiative) et la CSA (Canadian Standards Association), issue de la norme CSA Z809 de l’Association canadienne de normalisation.

Selon Ressources naturelles Canada, à la fin de l’année 2020, 75 % des terres forestières aménagées du pays détenaient l’une de ces certifications. Le Canada détenait ainsi « la plus grande superficie de terres forestières certifiées par des tiers, soit 36 % du total mondial ».

Il est donc fort possible qu’en allant à la quincaillerie du coin, vous ayez déjà accès à du bois certifié « durable » sans même devoir en faire la requête. Et, si vous avez à en demander, le commis va savoir de quoi vous parlez, plutôt que de vous regarder comme si vous étiez un extraterrestre.

En rapetissant la taille des chantiers forestiers et en misant sur des coupes partielles à la suite de la commission Coulombe, le nombre de chemins forestiers a explosé, ce qui rend les proies comme le caribou plus vulnérables face à leurs prédateurs. 
© Greenpeace

Étant un environnementaliste convaincu, je dois avouer que je trouvais le tableau extrêmement encourageant. De nombreuses quincailleries, comme Rona dès 2008, ont décidé de privilégier le bois FSC dans leur offre et de nombreuses grandes forestières ont emboîté le pas. Bref, le bois certifié provenant de forêts gérées durablement était de plus en plus accessible et souvent au même prix que le bois traditionnel.

Cependant, en mars 2021, un autre reportage choc vient chambouler notre vision de la gestion de la forêt au Québec : L’argent pousse dans les arbres, de l’émission Enquête, de Radio-Canada. Ce reportage déboulonne bien des mythes sur les progrès supposément réalisés dans les dernières décennies… On y apprend notamment que l’industrie forestière a le parfait contrôle sur la grande majorité des décisions qui se prennent au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP). Une collusion sans précédent qui fait en sorte que les coupes à blanc et l’exploitation sauvage du territoire sont toujours priorisées par rapport aux autres intérêts, comme la conservation de la nature ou le récréotourisme.

Comme le rapportait l’ex-forestier en chef du Québec, Gérard Szaraz, dans le reportage d’Enquête : « malgré les belles intentions du régime forestier, on demeure dans un ministère qui est à vocation économique. Le contre-pouvoir qui devrait exister avec l’environnement n’est pas là ». 

Le caribou forestier est menacée d’extinction au Québec, notamment par les pratiques forestières. © Greenpeace

Business as usual

Les révélations de l’équipe d’Enquête sont troublantes et choquantes.

En voici les faits saillants.

  • En rapetissant la taille des chantiers forestiers et en misant sur des coupes partielles à la suite de la commission Coulombe, le nombre de chemins forestiers a explosé. Aujourd’hui dans la province, ceux-ci s’étendent sur pas moins de 468 000 km, soit l’équivalent de 10 fois et demie le tour de la Terre!
  • Les contribuables en paient une bonne partie. En 2019-2020, le gouvernement a versé près de 100 millions de dollars en subventions à l’industrie forestière pour ces « chemins multi-ressources ».
  • L’impact de ces chemins est souvent plus important que les coupes forestières : la compaction du sol est telle que rien n’y repousse. De plus, ce morcellement du territoire est catastrophique pour la faune : il favorise les prédateurs, comme les loups et les ours, qui empruntent ces voies pour trouver des proies faciles, comme le caribou forestier, espèce menacée d’extinction au Québec.
  • Au MFFP, rien ne va plus. Plusieurs fonctionnaires ont témoigné anonymement (craignant de perdre leur emploi) que le MFFP est à la solde complète de l’industrie, accordant des dérogations aux compagnies qui violent les règles environnementales.
  • La grogne est telle que même l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec a déclenché une enquête sur la pratique de ses membres, pour savoir ce qui ne tourne pas rond. Signée par quatre experts indépendants (un biologiste et trois ingénieurs forestiers), le rapport Enquête sur la pratique des ingénieurs forestiers du Québec révèle, entres autres : ingérence politique, commandes décousues, lourdeur administrative, manque d’imputabilité, surcharge de travail, pressions de l’industrie et décisions qui émanent du bureau du sous-ministre.
  • Depuis 15 ans, le gouvernement a investi plus de 3 milliards de dollars en sylviculture, pour replanter des forêts. À ce jour, Québec ne sait pas si les travaux ont eu l’effet escompté, car aucun suivi n’est effectué! Or, les coupes forestières d’aujourd’hui sont autorisées en fonction d’une certaine « possibilité forestière », calculée au ministère en fonction d’une foule de données, dont l’efficacité des travaux sylvicoles. L’Action Boréale vulgarise le sujet comme tel : c'est « comme si Jojo Savard vous annonçait que vous allez gagner la 6/49 en 2045 et que vous pouvez donc, en toute quiétude, vider votre compte de banque aujourd’hui ».
  • Le Ministère, qui vend aux compagnies le bois des terres publiques, laisse l’industrie mesurer la quantité récoltée. C’est donc le client lui-même qui décide combien payer au fournisseur! Un mesureur anonyme affirme dans le reportage que le gouvernement perd des millions avec ce système pernicieux et qu’un écart est toujours présent, avantageant la compagnie. Il n’est pas rare de voir une sous-estimation de 20 à 25 % du bois récolté.
  • Le résultat de cette pratique éhontée a un impact sérieux : personne au Québec ne sait combien on bûche de bois, le MFFP utilisant ces données faussées par l’industrie.
  • En 2020, les revenus totaux du MFFP étaient de 337 millions de dollars et la majorité venait de la foresterie. Ses dépenses? 873 millions $! Dans le rouge pour plus d’un demi-milliard, soit 536 millions $!
  • Bref, non seulement paie-t-on les chemins forestiers, mais c’est nous qui reboisons la forêt (sylviculture) après que les compagnies forestières soient parties avec le bois…
Coupe en éclaicie.  © Greenpeace

Le reboisement vu d’un autre angle

Dans une lettre ouverte incendiaire publiée en février 2021, Richard Desjardins et Henri Jacob, respectivement vice-président et président de l’organisme de protection de la forêt L’Action Boréale, amènent des points très intéressants à se rappeler lorsqu’on parle de travaux sylvicoles :

« Dans nos territoires forestiers, face à la désolation d’une coupe à blanc, on voit souvent des gens tenter de se consoler en se disant : « Ils coupent des arbres, mais au moins ils en plantent ! » 

La question ne se posait pourtant pas avant 1970. Jusque-là, l’abattage manuel des arbres ne s’effectuait que l’hiver – sur un sol gelé et enneigé – de sorte que la régénération demeurait constamment préservée. La forêt boréale se reproduisait d’elle-même, à son rythme, selon ses propres cycles. Pas besoin de planter.

1970. Arrive l’abatteuse industrielle, roulant 24 heures par jour, été comme hiver, qui écrasera, bouleversera le mince terreau boréal. Dans les ornières creusées par la machine, on voit maintenant s’écouler la nappe phréatique, asséchant le sol forestier et transportant les matières organiques dans les lacs en aval.

Faudra désormais les planter, un à un, ces pins et ces épinettes, si on espère en revoir avant deux siècles ».

C’est dans cette réalité-là que le ministre des Forêts, Pierre Dufour, a annoncé, en décembre 2020, que sa Stratégie nationale de production de bois « prévoit presque doubler la récolte forestière d'ici 2080 ». Une augmentation de près de 15 % est anticipée d'ici cinq ans!

Pour un ministère qui a deux énormes inconnus dans ses calculs, soit la quantité de bois récoltée annuellement et l’efficacité de ses travaux sylvicoles, ce genre d’annonce est ni plus ni moins une attaque en règle contre le monde du vivant et le bien public (au Québec, 92 % des forêts appartiennent au domaine public). 

Qu’en est-il des certifications?

Il est aisé de constater que la réalité du terrain démontrée par le reportage d’Enquête jure carrément avec les données rassurantes mise de l’avant par l’industrie et les divers paliers gouvernementaux. Comment peut-on démontrer un tel laxisme, tout en vendant l’idée que la majorité des nos territoires forestiers sont certifiés comme étant gérés « durablement »?

En achetant du bois certifié FSC, SFI ou CSA, un consommateur responsable achète-il réellement du bois issu de la foresterie durable?

Commençons par l’éléphant dans la forêt : toutes les normes ont des critères de qualité et une rigueur différentes. Les normes SFI et CSA sont contrôlées respectivement par l’industrie forestière américaine et canadienne et sont nées d’une réponse défensive face à la norme FSC, qui est la seule à être indépendante de l’industrie et des gouvernements.

Chargé de la campagne Nature et Alimentation de Greenpeace Canada, Olivier Kolmel est catégorique : « la norme FSC est la seule crédible. Dans le cas de la SFI par exemple, la certification n’a jamais été retirée à personne. C’est donc dire que même si une compagnie certifiée ne la respecte pas, elle ne court aucun risque de se la faire retirer ».

Ce n’est donc pas un hasard si la norme FSC est la seule, en matière de gestion forestière, reconnue par LEED pour les habitations au Canada, le prestigieux système d’évaluation des bâtiments durables.

Système international de certification et d’étiquetage des produits de l’aménagement forestier écoresponsable, socialement avantageux et économiquement responsable, le FSC est né à Toronto, en 1993. Il est issu d’une vaste consultation, amorcée en 1990 dans une dizaine de pays, entre des organisations de défense des droits humains et de l’environnement (dont le Fonds mondial pour la nature et Greenpeace) et des acteurs économiques (industriels, forestiers, syndicats, commerçants et usagers).

La norme FSC est aujourd’hui répandue à travers le monde et assure aux consommateurs une gestion viable et une traçabilité des produits forestiers. Les avantages sont nombreux, comme nous l’a expliqué en entrevue le président de FSC Canada, François Dufresne : « en achetant des produits certifiés FSC, un consommateur responsable s’assure d’abord qu’il ne provient pas de source illégale ou de déforestation. Ce produit respecte les droits autochtones et préserve le caractère naturel des forêts, notamment sa biodiversité et son intégrité ».

Le logo du Forest Stewardship Council

Les 10 principes du FSC

  1. Respect des lois en vigueur dans le territoire
  2. Préserver ou améliorer le bien-être social et économique des travailleurs
  3. Droits et respect des peuples autochtones
  4. Préserver ou améliorer le bien-être social et économique des communautés locales
  5. Gérer la forêt afin de préserver ou améliorer la viabilité économique et la panoplie de bénéfices environnementaux et sociaux qu’elle produit
  6. Maintenir, conserver et restaurer les services écosystémiques de la forêt, tout en évitant, corrigeant ou atténuant les impacts environnementaux
  7. Plans d’aménagement proportionnels à l’échelle et à l’intensité des activités d’aménagement ainsi qu’aux risques qu’elles engendrent
  8. Suivi régulier de l’état de la forêt, du rendement des produits, de la chaîne de traçabilité, des opérations de gestion et des impacts sociaux et environnementaux
  9. Conservation des zones à haute valeur tout en appliquant le principe de précaution
  10. Restaurer les forêts à l’aide de méthodes de régénération naturelle ou artificielle
Les coupes illégales de bois exotiques ont souvent été liées à des crimes contre les personnes. 
© Amnistie internationale

Bien que la norme FSC ait un champ d’application, une rigueur et un processus de vérification indépendant remarquables, la certification n’est pas sans failles. Effectivement, le 2x4  certifié FSC que vous achetez en quincaillerie peut, entres autres, provenir d’une coupe à blanc ou d’une forêt arrosée par des phytocides pour limiter la propagation de végétaux « non désirés » par l’industrie.

(François Dufresne, le président de FSC Canada, m’a expliqué lors de notre entretien que des changements ont été apportés en 2019 à la norme pour ajouter la notion de risque envers les dommages à l’environnement et la santé humaine pour l’utilisation de pesticides. « Ainsi, une liste exhaustive de pesticides à haute risque et dangereux sont maintenant proscrits », m’a-t-il assuré. Si la norme était réellement sérieuse dans ses démarches, pourquoi ne pas tout simplement interdire tout recours à des phytocides?)

Certains experts du domaine verront ces coupes à blanc comme un moindre mal, où les zones ont été soigneusement choisies pour éviter les zones forestières à valeur élevée, les espèces menacées, les valeurs et intérêts autochtones, etc. C’est le cas du co-fondateur de l’organisme à but non lucratif Écohabitation, Emmanuel Blain Cosgrove, qui croit qu’il faut nuancer le terme : « il faut comprendre qu’il s’agit de petites coupes à blanc, entre des rangs d’arbres de forêt naturelle. Une coupe à blanc n’est pas nécessairement synonyme de mauvaise gestion ».

« Une coupe à blanc n'est pas nécessairement  synonyme de mauvaise gestion », fait remarquer Emmanuel Cosgrove d'Écohabitation. © Greenpeace

Pour d’autres, comme le porte-parole de la campagne « Forêts » de Nature Québec, Louis Bélanger, la certification FSC « est incomplète, non durable ». L’ingénieur forestier et enseignant à l’Université maintenant à la retraite me confie en entrevue que la norme a de grands dossiers à régler, comme ceux des aires protégées, la reforestation et la protection des hardes de caribous forestiers.

De même, la norme FSC a été mise à jour en 2020, transformant les différentes normes régionales en une seule norme nationale. « La nouvelle norme est moins précise, note M. Bélanger, ce qui cause plus d’interrogations sur la mise en œuvre sur le terrain. Dans certains enjeux pour le Québec, certains dossiers sont en recul, comme les vieilles forêts, qui sont moins bien protégées ». Nature Québec s’interroge donc sur les exigences de la norme en termes de conservation.

Encore là, il est important de se rappeler que la norme FSC est de loin la certification la plus sévère des trois disponibles dans le moment. « Au Québec, il y a plusieurs compagnies qui ont délaissé FSC pour plutôt aller avec la SFI, car ils avaient des problèmes à atteindre les exigences, notamment pour les caribous forestiers », m’explique Louis Bélanger. En faisant la transition au SFI, les forestiers n’ont plus à se soucier de faire la paix avec les peuples autochtones locaux et de protéger les hardes de caribous forestiers, ils laissent cela au régime forestier du Québec. Vous l’aurez compris, autant dire que ça ne se fera pas...

Même son de cloche pour Olivier Kolmel de Greenpeace : « la norme FSC est un outil commercial intéressant qui vient aider le consommateur dans ses choix, mais dans l’ensemble, ce n’est pas la réponse finale. Ce n’est pas la norme FSC qui va répondre au déclin de la biodiversité, aux changements climatiques, aux besoins de la communauté d’avoir accès à des boisés ou d’assurer aux peuples autochtones un territoire permettant de subvenir à leurs besoins. La nature dépasse les limites géopolitiques. On ne peut pas découper tout le territoire et dire que c’est certifié. On va perdre trop de bénéfices des écosystèmes et au final, ce n’est payant pour personne ». 

Membre co-fondateur du FSC, Greenpeace s’est récemment retiré de l’organisation par manque de transparence à l’international. La cellule canadienne de Greenpeace est toujours membre de la norme FSC Canada cependant. Olivier Kolmel estime que « la norme au Canada est meilleure que celle à l’international ».

Comment et où bûcher, une distinction importante

Même si un forestier limite le plus possible ses impacts grâce à une exploitation respectant la norme FSC, encore faudrait-il qu’il le fasse sur un territoire forestier approprié.

Et c’est là que le bât blesse…En effet, cette décision revient au ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP) qui est devenu « un simple comptoir de permis de coupes » qui vénère l’industrie, dénonçaient en décembre Richard Desjardins et Henri Jacob, de l’Action boréale, en demandant « une enquête publique, indépendante, sur la gestion de nos forêts et de leur faune ». Toutes les zones forestières les plus près des exploitants dans le sud du Québec (donc les plus rentables) sont privilégiées pour l’instant par le gouvernement, peu importe leur valeur écologique et leur potentiel de conservation.

C’est ce que nous rapporte l’ex-forestier en chef du Québec, Gérard Szaraz, dans le reportage d’Enquête : « malgré les belles intentions du régime forestier, on demeure dans un ministère qui est à vocation économique. Le contre-pouvoir qui devrait exister avec l’environnement n’est pas là ».

Malgré une très large volonté populaire, le projet de création d'aire protégée au mont Kaaikop ne s'est toujours pas réalisé.
© Coalition pour la préservation du mont Kaaikop

C’est ainsi que plusieurs compagnies forestières certifiées FSC se retrouvent à détenir les droits de coupe dans des zones qui ne devraient jamais l’être. C’est le cas de la forêt centenaire du mont Kaaikop, le deuxième plus haut sommet (838 m) des Laurentides après le mont Tremblant. En 2013, le gouvernement a effectivement émis un permis de coupe au Groupe Crête (certifié FSC) pour ce véritable joyau naturel, recouvert à 90 % par de vieilles forêts et regorgeant d’écosystèmes forestiers exceptionnels. Peu après cette annonce, des citoyens militants se sont regroupé et ont créé la Coalition pour la préservation du mont Kaaikop qui réclame la création d’une aire protégée. À l’époque, la municipalité de Sainte-Lucie-des-Laurentides, avec le soutien de la Coalition et de la communauté Mohawk de Kahnawake, a réussi à obtenir une injonction des tribunaux, juste à temps pour empêcher la déforestation de ce joyau des randonneurs.

Le président de la Coalition pour la préservation du mont Kaaikop, Claude Samson, estime que les coupes prévues à cet endroit étaient les premières à prouver que la Loi sur l’Aménagement durable du territoire forestier (LADTF), adoptée en 2013, ne marchait pas. « Socialement, ça ne passait pas du tout », m’explique l’homme retraité dont l’implication dans le dossier avec les années, tant en termes de temps que d’argent, est saisissante.

Les chiffres ne mentent pas, selon un sondage professionnel commandé par l’organisme en 2016 : 95 % des répondants étaient contre les coupes forestières au Mont Kaaikop et 81 % pour une aire protégée de biodiversité.  Or, la LATDF stipule que les aménagements forestiers proposés doivent avoir une acceptabilité sociale…

Le ministère est donc retourné à la table à dessin pour ce projet, mais la Coalition a continué son travail de documentation des écosystèmes, devenant l’un des projets de conservation les mieux documentés au Québec.

Grâce à un heureux retournement de situation, il semble que les efforts remarquables du groupe de citoyens militants et bénévoles sont sur le point de payer. Effectivement, dans le cadre de son initiative Présent pour les municipalités, la Société pour la nature et les parcs (SNAP) Québec s'est vue octroyer un budget du ministère de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques pour augmenter les superficies d'aires protégées dans le sud du Québec. « La SNAP Québec jugeant le projet Mont-Kaaikop l’un des plus documentés et médiatisés, elle  finalise une entente avec la Coalition qui serait un des premiers récipiendaires de cette initiative de conservation », explique M. Samson. Quant à la protection permanente des riches écosystèmes du Mont-Kaaikop, il ne prend encore rien pour acquis mais espère pour le mieux, lui qui se dédie depuis des années « pour ses enfants, ses petits-enfants et les autres projets de conservation de la nature à travers le Québec ».

83 autres projets de conservation en péril

Ce genre de dévouement citoyen et de parcours sinueux pour protéger des parcelles d’écosystèmes exceptionnels n’est malheureusement pas une exception, ça semble être la norme.

En signant la Convention sur la diversité biologique des Nations Unies, le Québec a pris l’engagement de protéger au moins 17 % de son territoire avant la fin de l’année 2020. Pour s’y faire, le ministère de l’environnement travaillait depuis plus d’une décennie avec une centaine de groupes citoyens, d’entreprises et de forestières sur des propositions d’aires de conservation. Des consensus avaient vu le jour, où toutes les parties prenantes y trouvaient leur compte, et avaient même été approuvés par les fonctionnaires responsables au ministère des Forêts.

Cependant, dans un revirement de situation digne d’Hollywood, en décembre 2020, lors de l’annonce par le premier ministre François Legault, le tableau avait complètement changé. La superficie protégée était la bonne, mais les projets n’étaient pas aux mêmes endroits : 83 propositions d’aires protégées dans le sud de la province, près des exploitants de la forêt et donc à forte valeur commerciale, furent abandonnées et remplacées par 34 projets où les forêts ne sont pas exploitables par l’industrie, loin des centres urbains.

Louis Bélanger de Nature Québec s’explique bien mal cette décision : « dans le sud du Québec, il y avait plein de propositions d’aires protégées qu’il aurait été facile à mettre en œuvre. Impossible de négocier avec la Coalition Avenir Québec sur les dossiers de foresterie en ce moment, ils ne font aucun compromis, on dirait que c’est un problème d’idéologie ».

Dans leur plus récente lettre ouverte, publiée en décembre 2021, Richard Desjardins et Henri Jacob ne mâchaient pas leurs mots : « le MFFP a unilatéralement écarté les projets prévus au sud du 49e parallèle (Chibougamau) pour les « domper » dans la grande toundra sans arbres, qui se protège toute seule. Quatre-vingt-trois propositions d’aires protégées venaient ainsi de passer à la trappe dans le sud, là où la biodiversité est la plus menacée à court terme. Quelques jours plus tard, le MFFP accordait des droits de coupe dans l’un de ces projets d’aires protégées, le territoire du Péribonka, au Lac-Saint-Jean. Un « bijou naturel », comme l’avait qualifié le premier ministre. Face à une opinion publique démontée, le MFFP a « suspendu » les coupes pour un an ».

Le cinéaste de « l’Erreur Boréale » n’en démord pas et nomme quelques territoires abandonnés par la décision odieuse du gouvernement dans une autre lettre :

  •  « Le domaine forestier de la légendaire rivière Péribonka, l’affluent principal du lac Saint-Jean.
  • Le territoire de la rivière Magpie sur la Côte-Nord, beauté reconnue même par le National Geographic.
  • La forêt Cyriac, près de Chicoutimi, abritant un peuplement de bouleaux jaunes de plus de 300 ans.
  • Quatre territoires de l’Outaouais, que le gouvernement avait déjà formellement promis de protéger.
  • L’aire projetée Masko Cimakanic Aski, en territoire Attikamek. Longuement négociée avec le gouvernement.
  • Le parc régional de la riche forêt Ouareau jouxtant le mont Kaaikop, perles des Laurentides.
  • Le lac à la Truite au Témiscamingue »

Pour visualiser l’emplacement et les détails de tous ces territoires d’intérêts, voir La carte des territoires oubliés, outil interactif Web créé par la SNAP Québec. 

Les solutions pour le consommateur responsable

Que faire donc, en tant que consommateur responsable, devant cette réalité plus que troublante?

Tous les experts à qui j’ai parlé pour cet article sont unanimes : l’achat de bois certifié FSC est toujours la meilleure chose à faire en 2022. Cette certification, bien qu’imparfaite, permet des gains notables en matière de protection des territoires et de la gestion de la ressource. Oubliez tout de suite les autres certifications, soit la SFI et la CSA, qu’Emmanuel Cosgrove d’Écohabitation qualifie de « greenwashing ». (Le greenwashing, ou écoblanchiment, est un procédé de marketing employé par une organisation dans le but de donner à l’opinion publique une image environnementale responsable. Selon le portail du bâtiment durable québécois Voir Vert, « de plus en plus d’organisations surfent sur la vague d’intérêt suscitée par le développement durable, s’attribuant ces valeurs pour mousser leur entreprise et leurs produits auprès d’un public cible ».)

Louis Bélanger de Nature Québec nous rappelle quant à lui que l’utilisation de ces deux normes est tout de même mieux que rien, car bien qu’elles soient beaucoup moins rigoureuses que la norme FSC, celles-ci assurent tout de même « un suivi et certifie que le travail qu’ils ont fait est tel que décrit dans la norme ».

À défaut donc de pouvoir complètement minimiser l’impact de vos travaux de construction ou de rénovation ou de changer la gestion défaillante de nos forêts, il existe une multitude d’astuces pour le consommateur responsable.

La première repose sur le simple fait d’utiliser moins de bois d’œuvre. Emmanuel Cosgrove nous rappelle l’existence du principe des 3RV, règle souvent utilisée dans le domaine des matières résiduelles. Vous la connaissez sûrement, il s’agit de respecter dans cet ordre :

  • Réduction à la source
  • Réutilisation
  • Recyclage
  • Valorisation

Ayant été l’un des pionniers dans le domaine des minimaisons au Québec (habitationsmicro.com), je suis bien placé pour affirmer qu’une meilleure planification de l’espace ou la réduction de la taille de vos travaux est capitale pour diminuer son impact. Dans le cas qui nous préoccupe, soit le bois d’œuvre et les différents produits forestiers, comme il ne semble pas y avoir de solution parfaite pour le consommateur, force est d’admettre que la réduction à la source est la meilleure solution. Lors de la planification de vos travaux, posez-vous les questions suivantes :

  • Serait-il possible de réduire la superficie de mon projet de construction neuve ou de rénovation, en gardant tous mes critères de base, mais en aménageant l’espace plus intelligemment? 
  • Si mes besoins le permettent, pourquoi ne pas considérer l’achat ou la construction d’une minimaison? 
  • Pourquoi ne pas prioriser un projet de rénovation plutôt que de construction? 

Non seulement les forêts et le caribou forestier vous en seront reconnaissants, mais vous économiserez une quantité substantielle d’argent. Pour débuter votre projet de minimaison ou pour voir si ce genre de projet est pour vous, je vous conseille la lecture de mon livre La grande révolution de la micromaison.

Fabriqués au Québec, les panneaux de particules Nu Green sont certifiés FSC et sans formaldéhyde ajouté. © André Fauteux

Emmanuel Cosgrove, grâce à sa grande expérience pratique en rénovation et en construction écologique, me communique des trucs lors de notre entretien pour aller encore plus loin dans la réduction : « il existe des méthodes en charpente avancée, promues par LEED, pour réduire les quantités nécessaires de bois. Par exemple, on peut augmenter l’espacement des solives et des fermes de toit, soit les installer à 24 pouces centre-centre au lieu du classique à 16 pouces. Cette technique a l’avantage d’améliorer la performance isolante d’un mur ou d’un toit tout en réduisant de 15 à 30 % la quantité de bois d’œuvre nécessaire pour construire une maison neuve. On peut aussi mettre un seul 2x4 en sablière plutôt que le classique doublé, même chose pour les cadres de porte et fenêtres. » Les techniques de charpente avancée et d’autres sont présentées dans la formation Ma maison neuve écologique d’Écohabitation : https://www.ecohabitation.com/formations/cours/1014/ma-maison-neuve-ecologique/.

La prochaine règle dans le 3RV est la réutilisation. Encore ici, Emmanuel Cosgrove a de bons conseils : « pour la rénovation de ma résidence actuelle, je suis allé dans une cour à scrap et j’ai trouvé des 2x4 centenaires. Il a fallu que j’enlève les clous moi-même, donc ce n’est pas une astuce qui est pour tout le monde. Mais pour ceux qui ont la motivation et le temps, chercher des matériaux de seconde vie, c’est vraiment bon pour sauver du matériel et de l’argent. »

Pour le recyclage et la valorisation, pour tout morceau de bois en fin de vie (démolition ou retailles, par exemple), « il s’agit de bien le mettre dans la benne du bois, pas dans les déchets, pour que ça soit revalorisé. [Ces détritus seront utilisés] pour chauffer des fours industriels, ou réduits en copeaux pour une utilisation post-consommation, comme la production de mélamine », continue Emmanuel Cosgrove. À noter que vous pouvez gérer vous-même écologiquement vos rebuts de bois en les transformant en copeaux pour le jardin ou en les brulant si vous avez un poêle à bois.

Les bons coups de l’industrie

Il est important de ne pas trop généraliser et de réaliser que certaines compagnies font mieux que d’autres.

C’est le cas de Matériaux innovants Rayonier, division de l’américaine Rayonier Advanced Materials (RYAM) qui, en 2017, a acquis Tembec, la première grande forestière québécoise à obtenir la certification FSC grâce au courage de son ancien président Frank Dottori. RYAM a démontré beaucoup de volonté et d’efforts pour améliorer ses pratiques dans les dernières années.

En 2013, Tembec a créé « l’équipe Caribou », un partenariat avec la nation autochtone Pikogan et la SNAP Québec pour protéger la harde de caribou Détour dans leur territoire d’exploitation.

En 2015 et 2018, des changements aux niveau des zones de coupe, la mise en conservation de certaines zones et la restauration d’autres ont permis au groupe de diminuer le niveau de perturbation de la harde sous la barre des 35 %, nouveau critère à respecter dans la certification FSC depuis la mise à jour de la norme en 2020.

Comme quoi des solutions existent pour satisfaire toutes les parties prenantes quand la motivation y est aussi! 

L'Abitibien Freddy Galichan exploitait une forêt de 250 000 arbres qu'il a plantés et bichonnés lui-même. © Paul Tom

Les petits producteurs locaux

Au-delà de la gestion du bois qu’il achète, le consommateur responsable doit également savoir qu’il existe d’autres options que la quincaillerie pour son approvisionnement.

Une alternative de plus en plus intéressante est l’utilisation de bois artisanal provenant de petits producteurs locaux. Considérant la réalité de la gestion forestière, éliminer le plus possible les intermédiaires offre plusieurs avantages.

Un bénéfice non négligeable de l’achat de bois provenant d’une scierie artisanale locale est la diminution du transport, donc des émissions de GES résultantes. Alors que le bois d’œuvre vendu en quincaillerie doit parcourir de grandes distances entre le site de collecte, l’usine de transformation et le point de vente, il y a de bonnes chances que le bois du producteur local n’ait même jamais quitté votre région!

En achetant local, votre argent demeure également dans votre collectivité plutôt que de s’envoler vers des conglomérats forestiers, souvent américains. Selon une étude d’Écohabitation, l’utilisation de bois artisanal pour la construction d’une maison neuve représente près de 80 000 $ qui reste dans la communauté, « un gros plus pour le développement régional », note Emmanuel Cosgrove.

Autre avantage : sans même détenir de certification, car trop dispendieuse pour une petite production, on peut s’attendre à ce que la forêt d’un petit exploitant soit mieux gérée que celle d’un industriel. Effectivement, le propriétaire privé des lieux a tout intérêt à ce que sa forêt perdure, contrairement à une forestière qui se fait accorder les droits d’extraction d’un bout de terre publique et qui n’a pas à vivre avec les conséquences de ses actes. Sérieusement, dans ces deux scénarios, à qui feriez-vous le plus confiance?

Sachez toutefois que pour des raisons de sécurité, il est illégal d’utiliser du bois de charpente (porteur de charge) qui n’est pas estampillé, conformément à la norme NLGA 2010 Règles de classification pour le bois d’œuvre canadien, à moins qu’un ingénieur en structure en certifie la conformité. Seule exception, selon Emmanuel Cosgrove : « c'est utilisable par les autoconstructeurs, à leur risque en cas de revente. Il y a la charpente massive ou le carré de bois qui tombent aussi dans cette catégorie, et tout [bois de charpente non estampillé] est "toléré" par les instances ». 

À vos risques et périls donc si votre municipalité applique le Code de construction du Québec : « Si un inspecteur municipal faisait la découverte d'une infrastructure où le bois n'était pas estampillé, qu'il n'était pas aux normes, il pourrait demander aux gens de recommencer tout simplement leur projet », rapportait Radio-Canada l’année dernière

De plus, l’utilisation de bois artisanal pour une construction neuve, s’il n’est pas étampé et utilisé en charpente, vient annuler la garantie de construction résidentielle. Il est néanmoins possible de faire étamper le bois local, veuillez consulter la section assistance d’Écohabitation pour en savoir plus : https://www.ecohabitation.com/discussions/6489/peut-on-utiliser-du-bois-sans-etampe-dans-une-construction.

Comme l’explique Marco Lasalle, directeur du service technique de l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec : « Seules les règles au niveau de la qualification des ouvriers peut différer entre ce qui est applicable en autoconstruction et une construction effectuée par un entrepreneur. La loi sur les ingénieurs s’applique tout comme la règlementation municipale. 

Tout d’abord, voici ce que dit le code de construction à la Partie 9 concernant le bois d’œuvre :

Maintenant, on sait qu’environ 25 % des villes du Québec n’ont pas adopté de Code du bâtiment. Pourrait-il être possible d’utiliser du bois non estampillé dans cette situation? Rien de moins sûr.  

La Loi sur les ingénieurs stipule qu’un ingénieur est obligatoire pour les structures de bâtiment d’habitation lorsque les prescriptions de la Partie 9 ne sont pas respectées. Ainsi, puisque la Partie 9 oblige à utiliser du bois d’œuvre estampillé, l’utilisation de bois non estampillé oblige à recourir à un ingénieur. Dans les règles d’ingénierie, l’ingénieur en structure devra se référer à la Partie 4 du Code, qui elle réfère à la norme CSA 086. Cette norme demande également du bois estampillé.

Bien qu’il soit possible pour un ingénieur de travailler avec du bois non estampillé (utile pour des régions éloignées et campements) à l’aide de certaines normes acceptées par l’industrie, celles-ci utilisent généralement des facteurs de sécurités beaucoup plus élevées. En matière de développement durable, l’over design [exiger qu’une structure soit plus solide que nécessaire] est du gaspillage. »

Vous vous souvenez fort probablement que le coût du bois d’œuvre a explosé en 2021. Or, saviez-vous que pour la même période, les dividendes des petits exploitants n’ont pratiquement pas augmenté? Cette situation d’injustice a mené à la création d’une plate-forme en ligne permettant de relier les petits exploitants aux consommateurs sans intermédiaire : « Bois d’ici ». En s’inscrivant au site https://boisdici.quebec/, il est effectivement possible de consulter la liste de tous les producteurs dans sa région et de les contacter pour une soumission ou des demandes spéciales.

Le site web, mis sur pied par le programmeur informatique Mathieu Castonguay, avait une ambition plus locale à l’époque, pour sa région de La Matapédia, où l’exploitation forestière faisait de plus en plus de mécontents. Devant une incroyable vague de soutien et de demandes (avouons que c’est une excellente idée), le site a depuis intégré toutes les régions du Québec. Au moment d’écrire ces lignes (décembre 2021), le portail comptait 312 vendeurs et 6 749 clients inscrits. Voilà un outil fort intéressant pour appliquer le mantra souvent proposé par Laure Waridel : « acheter, c'est voter »!

À noter qu’il est possible d’aller encore plus loin dans l’aspect local de la chose si jamais vous avez un grand terrain et une forêt qui a besoin d’entretien : des services de scierie mobile sont disponibles un peu partout pour transformer vos propres arbres en bois d’oeuvre. Ce n’est définitivement pas une option disponible pour tout le monde, mais avouons que l’utilisation de planches venant directement de sa propre forêt est difficile à battre, tant au niveau écologique qu’économique!

Le bois, un choix écologique

Notons également qu’après s’être renseigné sur l’état de la gestion des forêts au Québec, il serait facile d’avoir le réflexe de vouloir remplacer le bois sur son chantier par un autre matériel... Emmanuel Cosgrove estime néanmoins que l’utilisation du bois est un moindre mal : « les études d’analyse de cycle de vie démontrent que même dans le pire des cas, au niveau de la structure, le bois demeure de loin le moins pire au niveau environnemental ». Si vous pensez faire un bon coup en construisant avec du béton coulé dans des coffrages isolants ou avec des montants en métal, M. Cosgrove rétorque que ces options sont un « non-sens environnemental ».

Si un consommateur responsable tient à réduire l’impact de son chantier, il devrait donc agir pour l’instant sur d’autres fronts. « L’isolation des immeubles a plus d’impacts au niveau des changements climatiques que le type de bois que l’on utilise », rappelle Olivier Kolmel de Greenpeace.

Les coupes forestières pour combattre le réchauffement climatique, vraiment?

En 2019, le ministre des Forêts, Pierre Dufour, annonçait en point de presse que « l’augmentation de la production de bois, [permet] d’augmenter la séquestration de carbone en forêt ». Ceci parce qu’un arbre absorbe davantage de carbone durant ses premières années de croissance et parce que le matériau bois le séquestre tant et aussi longtemps que le bois n’est pas décomposé, par exemple en brûlant ou en pourrissant.

C’était le prétexte choisi à l’époque pour également annoncer que les entreprises forestières « pourront récolter davantage de bois » et auront le droit à des « incitatifs [financiers] pour couper dans des secteurs moins lucratifs ».

Ce genre de simplification de la science à l’avantage de l’industrie irrite Olivier Kolmel, de Greenpeace, qui tient à rectifier le tir. « Même pour du bois certifié, quand on coupe une forêt, on crée une dette carbone. Ça va prendre 90 ans à repousser. En forêt boréale, le carbone est dans le sol, beaucoup plus que dans les arbres. Or, quand on coupe, on dérange tout le sol. Il faut arrêter de simplifier la science pour faire passer des intérêts politiques. On est à un point ou la nature a besoin d’un second souffle ».

Au-delà des actions individuelles, la majorité des acteurs du milieu estiment qu’une commission d’enquête publique sur la gestion de la forêt québécoise s’impose. « Sur papier, le Québec a un bon régime, mais sur le terrain, on voit des blocages. Le régime dit qu’il faut protéger les caribous, mais le ministère décide de ne pas le mettre en œuvre. […] Il y une déconnection en ce moment, dans plusieurs régions, les employés du ministère ne peuvent pas faire leur job », m’indique Louis Bélanger de Nature Québec.

À l’annonce des élections provinciales à l’automne 2022, voter pour un parti ayant plus à cœur la conservation de nos forêts, comme Québec Solidaire ou le Parti Québécois, serait une bonne idée, mais les blocages sont ancrés beaucoup plus profondément. Olivier Kolmel de Greenpeace m’explique que « la problématique, ce n’est pas juste le parti au pouvoir, ça dure depuis des décennies. Il y a vraiment quelque chose à l’intérieur du ministère que l’on doit changer ».

Richard Desjardins explique le phénomène avec la fougue qu’on lui reconnait : « à l’intérieur de ce ministère, au fil du temps, s’est constituée une cellule puissante d’une vingtaine de hauts fonctionnaires – un bunker – imperméable aux autres utilisations du territoire forestier. Tous nos gouvernements successifs ont toléré cette « création technocratique », prenant bien garde de la coiffer d’un ministre sans grande envergure, surtout inexpérimenté dans le domaine complexe de la gestion forestière, et qui répétera en public les phrases creuses, sinon absurdes, que lui dictera le bunker.

[…]

Ce ministère doit être démantelé afin de lui substituer une organisation capable de réfléchir à un plan pour une utilisation beaucoup plus conviviale du territoire forestier, impliquant tout d’abord les Premières Nations. Une enquête publique indépendante pourra expliquer mieux que nous cette dérive majeure qui a entraîné le MFFP à renier sa loi fondamentale : protéger la forêt. »

Bref, il est aisé de constater que le public se fait passer tout un sapin. Malgré des changements au niveau du régime forestier du Québec et le développement de normes certifiant une gestion soi-disnt « durable » des forêts, il semblerait que la situation soit encore pire qu’avant. La forêt québécoise ressemble au Far West, géré par un ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs contrôlé par l’industrie, où seule l’exploitation de la ressource prime. Sans se soucier du respect des peuples autochtones ou de la protection d’espèces fauniques menacées comme le caribou forestier, le Ministère livre sur un plateau d’argent des territoires à grande valeur écologique afin de satisfaire la faim, toujours de plus en plus grande, des conglomérats forestiers.

Le Québec, en véritable État colonisé, s’occupe de la facture pour fournir l’accès à la ressource aux exploitants privés (chemins forestiers) et prend la responsabilité de restaurer les lieux (sylviculture). Un changement de culture radical s’impose et cela passe d’abord et avant tout par une commission d’enquête publique. La cellule de prise de décision du MFFP – le bunker comme l’appelle Richard Desjardins - doit absolument être démantelée et la mission de base du Ministère, soit la protection des forêts, doit être réinstaurée.

Face à cette réalité glauque, force est d’admettre que le citoyen ordinaire, même en tant que consommateur responsable ne peut s’empêcher de se sentir impuissant. Heureusement, il existe plusieurs solutions partielles pour nous permettre de faire partie de la solution :

  • Prioriser l’achat de produits certifiés FSC, norme imparfaite, mais toujours la meilleure sur le marché en 2022;
  • Utiliser moins de bois dans vos travaux, en réduisant la taille de votre maison ou agrandissement, en utilisant des techniques de charpente avancées, rénover au lieu de construire à neuf, etc.;
  • Choisir de réutiliser des produits forestiers;
  • Opter pour du bois provenant d’un petit producteur local;
  • Partager le plus possible cet article et sensibiliser vos proches aux problématiques énoncées.
  • Faire la même chose pour vos élus. Faites-leur savoir que la gestion de la forêt québécoise vous préoccupe et que vous vous attendez à des changements.
  • Dans la perspective des élections provinciales de 2022, votez pour le parti qui aura le courage de défendre les intérêts de la forêt québécoise et donc du patrimoine québécois.

Force est de constater que beaucoup de travail nous attend si nous désirons réellement un jour pouvoir utiliser des produits forestiers « durables ». En attendant d’être sorti du bois, chaque geste compte pour espérer changer la donne. Soyons informés, solidaires et militants, exigeons des changements afin d’espérer léguer à nos enfants et petits-enfants autre chose que des rangées de 2x4 en guise de forêt.

Pour trouver des fournisseurs certifiés FSC : https://sourcing.climatesmartwood.org et https://shopfsc.ca/fr/home-page-francais/ 

Gabriel Parent-Leblanc est biologiste et détenteur d'une maîtrise en gestion de l’environnement où il s’est spécialisé en construction écologique. Il décide en 2014 de fonder la toute première entreprise québécoise à se spécialiser dans la construction de minimaisons sur roues (tiny house), Habitations MicroÉvolution. À travers les années, il a aidé des milliers de personnes à concrétiser leurs projets de rêve grâce à la création de ressources pour les enthousiastes de minimaisons, comme des formations, des conférences ainsi que son livre « La grande révolution de la micromaison ».

Bien qu'il ait dû fermer sa compagnie en 2020, celui-ci est encore actif dans le domaine, surtout à titre de consultant.   

Étant un environnementaliste convaincu, il écrit aussi depuis près d'une quinzaine d'années des articles de sensibilisation par rapport à la protection de l'environnement pour plusieurs revues et différents médias.

Vous pouvez retrouver les ressources qu’il a produit sur le site web d’Habitations MicroÉvolution, qu’il maintient à titre de travailleur autonome (habitationsmicro.com), et le rejoindre au : info@habitationsmicro.com

 

Références :

Bélanger, L. (2021). Discussion au sujet des certifications du bois ainsi que des solutions pour les consommateurs. Communication orale au téléphone. Entrevue menée par Gabriel Parent-Leblanc avec Louis Bélanger, porte-parole pour la campagne « Forêts » de Nature Québec, 16 décembre 2021.

Blain Cosgrove, E. (2021). Discussion au sujet des certifications du bois ainsi que des solutions pour les consommateurs. Communication orale en vidéo conférence. Entrevue menée par Gabriel Parent-Leblanc avec Emmanuel Blain Cosgrove, co-fondateur d’Écohabitation, 9 décembre 2021.

Coalition pour la préservation du Mont-Kaaikop (2021). État des faits au 6 décembre 2021. Document Powerpoint envoyé par courriel à Gabriel Parent-Leblanc, journaliste pour La maison du 21e siècle, par Claude Samson, président de La Coalition pour la préservation du Mont-Kaaikop, 6 décembre 2021, 35 p.

Côté, C. (2014). Mont Kaaikop: 3,5 millions en jeu pour la scierie. La Presse [En ligne] https://www.lapresse.ca/affaires/economie/energie-et-ressources/201401/17/01-4729728-mont-kaaikop-35-millions-en-jeu-pour-la-scierie.php (page consultée le 15 décembre 2021).

Croteau, M. (2019). Québec permettra plus de coupes forestières pour réduire les GES. La Presse [En ligne] https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2019-09-30/quebec-permettra-plus-de-coupes-forestieres-pour-reduire-les-ges (page consultée le 21 décembre 2021).

D'astous Paquet, C. (2021). Un Amquien crée une plateforme de vente et d’achat de bois local. L'Avant-Poste [En ligne] https://www.lavantposte.ca/article/2021/04/07/un-amquien-cree-une-plateforme-de-vente-et-d-achat-de-bois-local (page consultée le 20 décembre 2021).

Desjardins, R. et Jacob, H. (2021a). L’Action boréale demande une enquête publique. Journal de Montréal [En ligne] https://www.journaldemontreal.com/2021/12/08/laction-boreale-demande-une-enquete-publique (page consultée le 10 décembre 2021).

Desjardins, R. et Jacob, H. (2021b). Cri du cœur de l’Action boréale: notre forêt aux soins intensifs!. Journal de Montréal [En ligne] https://www.journaldemontreal.com/2021/02/20/cri-du-cur-de-laction-boreale-notre-foret-aux-soins-intensifs (page consultée le 10 décembre 2021).

Desraspe, N. et Fauteux, A. (2011). Votre bois est-il récolté durablement? La maison du 21e siècle [En ligne] https://maisonsaine.ca/construction-verte/enveloppe-du-batiment/votre-bois-est-il-recolte-durablement(page consultée le 13 décembre 2021).

Dubois, P. et Fauteux, A. (2007). Mais si le bois certifié FSC peut être coupé à blanc dans une forêt traitée aux phytocides, est-il vraiment écologique? La Maison du 21e siècle, volume 14, numéro 2 (Printemps 2007), pp 52 – 56.

Dufresne, F. (2021). Discussion au sujet de la certification FSC, ses problématiques et ses solutions. Communication via courriel. Échange mené par Gabriel Parent-Leblanc avec François Dufresne, président de FSC Canada, 24 décembre 2021.

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Verreault, M. (2014). Mont Kaaïkop : victoire des opposants aux coupes. Radio-Canada [En ligne] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/652016/mont-kaaikop-cour-superieure-coupe-bois (page consultée le 15 décembre 2021).