Mis à jour le 11 août 2025

Les personnes qui se disent électrohypersensibles (EHS) ont des cellules d’un « phénotype » sensible aux dommages causés à leur ADN, ce qui les rend très susceptibles au développement de cancer, ou de maladies neurodégénératives, comme 5 à 20 % de la population qui s’avère modérément sensible à la radiothérapie, selon la première étude clinique mondiale de Définition moléculaire de l’électrosensibilité (DEMETER). Financés par leur gouvernement, des chercheurs français ont publié leurs premiers résultats le 16 mai dans l'International Journal of Molecular Sciences.

Leur étude suggère que les autorités médicales erraient en qualifiant de psychosomatiques les symptômes multisystémiques (neurologiques, cardiaques, immunitaires, dermatologiques, etc.) des personnes qui se disent hypersensibles aux champs électromagnétiques (CEM) de l’électricité domestique et des RF.

La première phase de l'étude s'est déroulée entre novembre 2018 et janvier 2021, au Centre Léon Bérard, hôpital lyonnais spécialisé en lutte contre le cancer. L’équipe du physicien et radiobiologiste Nicolas Foray a d'abord soumis à un questionnaire d’autoévaluation 26 membres de l'association PRIARTEM / Électrosensibles de France lesquels se considèrent comme électrosensibles. Ensuite, une biopsie de leur peau fut pratiquée afin d’établir des lignées de fibroblastes (cellules assurant la cohérence et la souplesse du derme). Ces 26 lignées DEMETER furent soumises à des expériences sur leur capacité à réparer l’ADN qui fut cassé en les irradiant aux rayons X ou en les exposant à de l’eau oxygénée (peroxyde d’hydrogène). Ces expériences ont permis d’établir la radiosensibilité (sensibilité aux rayons X) des lignées testées. Le groupe témoin comparatif fut constitué de 200 lignées de fibroblastes de la collection COPERNIC, laquelle est issue de patients non-EHS traités pour leur cancer. Ces fibroblastes témoins représentaient un large spectre de radiosensibilité : 10 lignées radiorésistantes (groupe I), 186 lignées de radiosensibilité modérée (groupe II) et 4 lignées hyper-radiosensibles (groupe III).

L'analyse a démontré que tous 26 les volontaires EHS souffraient de radiosensibilité modérée. « En effet, leurs fibroblastes présentent un retard de reconnaissance des cassures double brin de l’ADN », expliquait l'association dans un communiqué publié le 9 juin. « L'appartenance au groupe II de radiosensibilité est défini par le retard de transit cytonucléaire radioinduit  de la protéine ATM (ATM nucleoshutling), notion mesurable uniquement sur les données biologiques », nous a précisé par courriel le Dr Foray qui est directeur de l'unité de recherche « Radiations : Défense, Santé, Environnement » affiliée à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM).

Validation biologique, non une coïncidence

Le fait que chacun des 26 volontaires DEMETER EHS avait un profil cellulaire similaire à celui des patients cancéreux souffrant de radiosensibilité modérée (groupe II) ne peut pas être dû au hasard, selon le Dr Foray. « Le fait d'avoir vingt-six cas EHS sur vingt-six dans le groupe II, compte tenu des contraintes entre chacun des marqueurs, n'est pas une coïncidence », expliquait ce chercheur dans un webinaire diffusé sur la chaîne YouTube de PRIARTEM le 16 juin dernier.

 L’étude DEMETER a également permis de définir deux phénotypes d’électrosensibilité, ceci, en se basant sur les réponses au questionnaire ainsi que sur les données biologiques. « La bonne correspondance (64 %) entre ces deux approches de description des phénotypes laisse espérer la possibilité de développer à terme des tests biologiques prédictifs », commente le communiqué de PRIARTEM (acronyme de Pour une réglementation des implantations des antennes relais de téléphonie mobile).

Le premier type d’électrosensibilité, soit LBHR pour Low Background Highly Responsive, est caractérisé par des taux faibles de cassures spontanées de l’ADN, par une très forte réponse aux ondes et une forte prédisposition au cancer. Le second type, soit HBLR pour High Background and Lowly Responsive, est associé à un taux élevé de cassures spontanées de l’ADN, à une faible réponse aux ondes et à un risque élevé de vieillissement accéléré, explique Sophie Pelletier. Or, selon le Dr Foray, c’est la première fois qu’un lien est établi entre un questionnaire d’autoévaluation d’EHS et la biologie, avec 64 % de fiabilité pour décrire ces deux phénotypes.

« L'appartenance aux phénotypes HBLR et LBHR peut être déduite soit du questionnaire soit des données biologiques : cette notion devient un critère de comparaison commun aux deux types de sources, explique le chercheur. D'ailleurs, à l'intérieur des données biologiques, il y a également plusieurs définitions possibles de ces phénotypes (ex : H2AX, micronoyaux, MRE11....). Ainsi, les tableaux publiés dans notre article permettent de faire la synthèse de ces comparaisons patient par patient ou suivant les organes considérés. En l'occurrence, l’identité de 64 % entre le questionnaire et la biologie établit les conclusions de la comparaison des données du questionnaire et des données biologiques quand on considère l'appartenance aux phénotypes HBLR et LBHR comme critère de comparaison. Nous parlons donc d'une identité de 64 %, ce qui est déjà fantastique, car nous savons qu'un questionnaire est loin d’être dépourvu de biais. Donc, évidemment, le plus important est ce qui s’ensuit. Il s'agit de réaliser les expériences avec les différents types d'ondes. Pratiquer un test de radiosensibilité vous situant dans le groupe II ne vous confirme pas aujourd'hui que vous êtes électrosensible. En revanche, nous savons que les personnes électrosensibles pourraient toutes appartenir au groupe II. »

La seconde phase de l’étude consistera à exposer les mêmes cellules de personnes EHS et non-EHS à des radiofréquences (RF) utilisées dans les télécommunications sans fil (cellulaires, Wi-Fi, etc.).

« Nous attendions ces résultats depuis plus de dix ans. Ils sont importants parce qu’ils suggèrent de manière claire une base biologique à nos troubles et ils ouvrent des perspectives en matière de recherche et de changement de paradigme scientifique », spécifie Sophie Pelletier, présidente de PRIARTEM. « Il s'agit d'une première étape déjà très informative, mais l’on se doit de poursuivre pour comprendre exactement ce qui se passe et pour répondre aux questions qui s'ouvrent devant nous. D'autant plus qu'il y aurait plusieurs types d'EHS, ce qui peut entraîner des conséquences notables en termes de diagnostic, de prévention et de prise en charge. Nous appelons de nos vœux la réalisation rapide de la suite des expérimentations qui doivent maintenant permettre d’étudier l’impact d’une exposition de cellules aux ondes électromagnétiques, ceci afin de vérifier ou de réfuter le modèle préliminaire proposé par l'article. »

Pour Elisabeth Renwez, vice-présidente de PRIARTEM, ces résultats doivent être pris en compte sans délai par le corps médical, par les acteurs sociaux et les pouvoirs publics : « Il est important de faire connaître ces nouvelles données et de combattre les a priori psychologisants sur l’électrosensibilité. La prise en charge médicale des électrosensibles doit être adaptée à leur radiosensibilité et à leur prédisposition aux risques de développer de graves pathologies à terme. Si l’étude est exploratoire, les résultats en sont suffisamment alarmants pour s’engager dans une démarche de précaution. En conséquence, l’association pourrait saisir la Haute Autorité de Santé en ce sens. »

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, des milliers d’études révisées par des pairs ont lié l’apparition de symptômes d’EHS à l’exposition aux CEM. À lui seul, en 1971, le chercheur de la Marine américaine Zorach Glaser avait déjà recensé plus de 2 300 études militaires sur le sujet (zoryglaser.com).

(1)  Sonzogni, L.; Al-Choboq, J.; Combemale, P.; Massardier-Pilonchéry, A.; Bouchet, A.; May, P.; Doré, J.-F.; Debouzy, J.-C.; Bourguignon, M.; Le Dréan, Y.; et al. Skin Fibroblasts from Individuals Self-Diagnosed as Electrosensitive Reveal Two Distinct Subsets with Delayed Nucleoshuttling of the ATM Protein in Common. Int. J. Mol. Sci. 2025, 26, 4792. https://doi.org/10.3390/ijms26104792

Un test d'intolérance à la radiothérapie
Le Dr Foray nous a expliqué par courriel : « Le test COPERNIC est une demande d'expertise sur la radiosensibilité appliqué à des biopsies de peau de patients ayant déjà reçu ou allant recevoir une radiotherapie sur la demande d'un médecin prescripteur (radiothérapeute ou oncologue) et donc dans le cadre du soin. Ce test de radiosensibilité est basé sur le modèle du transit cytonucléaire de la protéine ATM. Les lignées cellulaires obtenues font l'objet d'une déclaration tous les cinq ans au Ministère de la Recherche. Par ailleurs, il respecte tous les prérequis réglementaires (consentement éclairé, gratuité et anonymisation du don, etc...). Les premiers tests ont été effectués en 2004. Une première publication  concerne les 100 premières lignées. Vingt-ans plus tard, une analyse des 100 lignées suivantes montrent la robustesse de nos tests.  Il est important de noter aussi que les biomarqueurs cliniques, tissulaires, cellulaires et moléculaires sont liés mathématiquement (Le Reun et al 2022). Ces tests ont donc 20 ans et concernent aujourd'hui plus d'une centaine de prescripteurs et une trentaine d'institutions. Les prescripteurs font ce qu'ils veulent du rapport de diagnostic mais nos publis montrent la corrélation entre la radiosensibilité clinique et la radosensibilité moléculaire. »
En réponse à nos questions sur le dépistage de la radiosensibilité des patients atteints de cancer, la coordonnatrice des communications du Centre universitaire de santé McGill (CUSM), Fabienne Landry, nous a transmis cette déclaration du CUSM : « Les études partagées démontrent que le test COPERNIC a une forte valeur prédictive de la toxicité post-radiothérapie (Sonzogni 2024, Granzotto 2016, Le Reun 2022). Cependant, ce test n’est actuellement ni approuvé ni disponible à des fins cliniques en Amérique du Nord. Il demeure un outil de recherche, sans approbation de la FDA [Food and Drug Administration états-unienne] ni de Santé Canada, et n’a pas encore fait l’objet d’une validation multicentrique dans notre contexte. Cela dit, il s’agit d’une piste prometteuse pour la radiothérapie personnalisée à l’avenir. »
Pour en savoir davantage, lire l'article Les tests de radiosensibilité des tissus humains paru en 2011 dans le Bulletin du Cancer.