Misant sur la ruée vers les biomatériaux, la première usine nord-américaine d'isolant en nattes de chanvre cultivé au Québec ouvrira ses portes en Estrie ce printemps. « Notre but pour 2017 est d'avoir une dizaine de points de vente au Québec et de produire au minimum 100 000 pi² de nattes de 5,5 po d'épaisseur, soit assez pour isoler 50 maisons », affirme Sébastien Bélec, président de MEM (Matériaux écologiques pour la maison), le distributeur et fabricant de Rimouski et principal idéateur derrière la nouvelle usine NaturFibre. On y produira les nattes (ou matelas) NaturChanvre offertes en épaisseurs de 1 à 5,5 po.
Cet isolant recyclable mais non compostable contiendra 8 % de polyester, un liant sans odeur utilisé dans les vêtements et jusqu'ici plus performant que les liants végétaux. « Le chanvre étant hypoallèrgene et non irritant, aucun masque n'est requis pour la pose, affirme M. Bélec. Il se démarque aussi par son hygroscopicité, soit sa capacité à absorber et restituer l'humidité. » Sur la base d'essais effectués en 2010 au laboratoire Air-Ins, depuis rebaptisé CLEB (Conseil et laboratoire en enveloppe du bâtiment), le NaturChanvre aura une densité secrète lui conférant une résistance thermique élevée de R-3,7/po, précise M. Bélec.
Il y a sept ans, MEM est devenu le premier distributeur continental d'isolant fabriqué à partir du chanvre industriel, une plante renouvelable annuellement. Très répandue en France, où le chanvre est une plante phare de l'écoconstruction, sa culture très écologique (sans pesticides et à faible consommation d'eau) est interdite aux États-Unis. C'est qu'il s'agit de l'espèce Cannabis sativa tout comme la marijuana, mais d'une variété qui contient moins de 0,2 % de l'agent psychotrope THC (tétrahydrocannabinol). Comme les deux plantes ont la même apparence, M. Bélec a dû obtenir un permis de Santé Canada pour la faire cultiver depuis 2013 à Trois-Pistoles (Bas-du-Fleuve), où il a accumulé environ 100 tonnes de fibre brute depuis trois ans.
L'entrepreneur et ses partenaires ont acquis une usine de 12 000 pi2 qui sera aménagée au coût de 2,5 millions $. On y séparera mécaniquement la fibre (l'écorce du chanvre) et la chènevotte, son coeur ligneux qui constitue 70 % de la plante et sert d'isolant dans le béton de chanvre/chaux. Depuis deux ans, MEM a vendu environ 2 000 de ses NaturBloc qui donnent de la masse thermique et une très bonne isolation phonique aux murs intérieurs.
Les nattes NaturChanvre devraient coûter environ trois fois le prix de la laine de verre ou de la cellulose et 50 % plus cher que la laine de roche, selon M. Bélec. Toutefois, elle ne contiendront aucun fongicide, ignifugeant ou tout autre produit chimique et auront plusieurs qualités résumées dans l'excellent livre français L'isolation thermique écologique, de Jean-Pierre Oliva et Samuel Courgey (Terre Vivante, 2010) : « Chènevotte en vrac et laines doivent être mises en oeuvre avec un parement coupe-feu. En cas d'incendie, pas de dégagement de gaz toxiques spécifiques [...]. Matériau résilient en cas d'humidité accidentelle, mais putrescible en cas d'humidité prolongée. Perméable à la vapeur d'eau, volant hygroscopique de bon (laine) à très bon (chènevotte). » « Le chanvre peut absorber 20 % de soin poids en eau avant de perdre sa valeur isolante, dit M. Bélec. De plus, il ne s'affaisse pas et il peut s'assécher par capillarité, comme le bois. » Cet isolant est même un répulsif naturel contre les rongeurs et la laine de chanvre a un bilan carbone neutre ainsi qu'une énergie grise de faible à moyenne selon la densité, précisent les auteurs français.
Des qualités très recherchées dans le domaine du bâtiment vert. « Nous sommes en pourparlers avec des entreprises pour faire notre distribution du coté américain, confie M. Bélec. Il y a une explosion de la demande, les gens cherchent des produits alternatifs. Notre usine sera rentable si nous répondons à 0,5 % des besoins canadiens d'isolation. Les Américains vont beaucoup plus loin que nous en matière de traçabilité des matériaux. Selon une étude publiée en 2012 par la firme McGraw Hill, aux États-Unis, le marché des maisons neuves vertes, qui valait 6 milliards $ ou 2 % du marché global en 2005, devait atteindre en 2016 entre 87 et 114 % milliards $, soit entre 29 et 38 % du marché. »
MEM est l'un des principaux actionnaires de l'usine avec la coopérative agricole Prévert qui s'est intéressée à ce projet dès le départ pour le potentiel qu'il représente. Pour 2017, quelques agriculteurs membres de la coopérative cultiveront du chanvre (destiné uniquement à cette usine) à Tingwick, non loin d'Asbestos. Outre les fonds déposés par les actionnaires de l'usine, les promoteurs ont complété le financement nécessaire grâce au soutien de partenaires financiers qui seront divulgués dans les prochaines semaines.
Entrevue vidéo avec Sébastien Bélec de MEM :
https://www.youtube.com/watch?v=HSj4icQW8LM