Extrait du livre L'habitat et la construction sains - La maison passive biologique, Un guide pour les architectes, artisans, maîtres d'ouvrages et particuliers, 320 pages, septembre 2022, éditions guy binsfeld.
Au ministère luxembourgeois de l’Énergie, Ralph Baden est responsable de la construction saine et de la qualité de l’air intérieur au sein du département de la construction durable et de l’économie circulaire.
Visionner le film (1:30:43) de ce livre documentant cette construction saine et passive sur https://www.youtube.com/watch?v=_9DnWEwqGL4
2.4.3. Préjugé moisissures : « La construction passive favorise le développement de moisissures. »
Beaucoup de gens sont persuadés que les maisons passives sont tôt ou tard contaminées par des moisissures puisque l’air humide ne peut être évacué en raison de l’étanchéité à l’air de la construction et d’une ventilation mécanique insuffisante.
Avant de commenter cette thèse ou crainte, il faut être bien conscient de la façon dont les moisissures se développent et des facteurs de risque. Pour que les moisissures poussent, il faut réunir deux conditions : un substrat organique qui nourrit les moisissures et de l’humidité qui doit être présente sur un temps plus ou moins long. Les substrats organiques sont omniprésents dans les matériaux de construction, du bois aux additifs organiques dans les peintures ou les colles en passant par les plastiques, le cuir, la cellulose dans les papiers peints le liège et autres isolants, etc.
De ce fait, le réel facteur limitant (donc celui qui fait en sorte que les moisissures se développent ou non) est l’humidité présente à la surface ou à l’intérieur du matériau. Les origines de l’humidité sont variables. Dans les vieux bâtiments, il s’agit le plus souvent d’humidité ascensionnelle en raison de l’absence d’étanchéité et de drainage vers la terre. Les fissures dans les enduits extérieurs, les toitures et les balcons non étanches laissent l’eau de pluie ou la neige fondante pénétrer à l’intérieur de la construction. Des fuites d’eau au niveau des conduites d’eau ou de chauffage, les mélangeurs de robinets dans les douches ou tout simplement les robinets constituent d’autres sources d’humidité, lesquelles concernent tant les bâtiments traditionnels que les bâtiments à efficience énergétique ; elles ne sont dès lors absolument pas spécifiques aux maisons passives. En principe, il s’agit de défauts de construction qui devraient théoriquement être exclus.
Pour d’autres sources d’humidité, il existe effectivement des différences entre maisons traditionnelles et maison passives. L’humidité propre aux activités humaines telles que les douches ou bains, le fait de cuisiner ou de nettoyer, les saunas ou fitness doit être évacuée. Même pendant son sommeil, l’homme évapore en général un litre d’eau sous forme d’humidité. Alors que l’évacuation de toute cette humidité ne posait guère de problèmes dans les vieilles maisons puisqu’elles étaient loin d’être étanches (l’échange naturel de l’air était en règle générale de 4 à 12 fois par heure), les nouvelles maisons traditionnelles (avec des échanges naturels de 3 à 7 par heure), les maisons basse énergie (1à 2 par heure) et surtout les bâtiments passifs (échanges d’air de moins de 0,6 par heure) sont beaucoup moins capables d’évacuer cette humidité. Les maisons basse énergie et les maisons passives sont cependant dotées d’un système de ventilation mécanique qui peut compenser ces différences d’aération naturelle, du moins partiellement. Sans oublier qu’il n’est aucunement interdit d’ouvrir la fenêtre dans une maison passive pour aérer. Ainsi, en ouvrant la fenêtre toute grande (avec éventuellement un courant d’air), on arrive facilement à renouveler complètement l’air d’une pièce (et donc à éliminer l’humidité de l’air intérieur) en l’espace de quelques minutes sans pour autant perdre beaucoup d’énergie, donc sans refroidir les murs extérieurs.
En outre, les constructions neuves doivent souvent être aérées manuellement par les fenêtres en complément. En effet, l’humidité résiduelle de la phase de chantier est élevée et s’évapore progressivement du béton, des chapes, des enduits ou des peintures, surtout si le chauffage ne fonctionne pas pendant cette phase et ne permet donc pas d’accélérer l’évaporation par chauffage de l’air (principe du sèche-cheveux). La ventilation mécanique n’est pas conçue pour évacuer cette humidité. C’est pour cette raison que, pendant la première phase d’habitation, la ventilation manuelle par l’ouverture des fenêtres devrait contribuer à sécher la maison.
Cette « humidité de construction » et les problèmes de moisissures qui en résultent constituent un phénomène relativement nouveau, lié notamment à l’étanchéité du bâtiment. Ainsi, un mètre cube de béton équivaut à 150 litres d’eau qui sont mélangés avec 300 kg de ciment. Le plâtre pour l’enduit intérieur contient environ 40 % d’eau et la chape à peu près 20 %, ce qui équivaut à pratiquement 2 800 litres d’eau rien que pour la chape (épaisseur de 6 cm) et l’enduit intérieur (2 cm d’épaisseur) dans une nouvelle construction de 100 m². Il s’agit donc de volumes impressionnants en eau.
Dès lors, si, pendant la phase de chantier, on ne veille pas à aérer suffisamment, l’eau ne peut s’évaporer, si bien que l’enduit intérieur reste humide et risque de moisir en l’espace de quelques jours. Malheureusement, on oublie souvent d’aérer pendant la phase de chantier alors que le chauffage n’est pas encore en place ou pas utilisé. Les poignées des fenêtres sont le plus souvent montées en dernier lieu afin d’éviter qu’elles ne soient volées ou endommagées. Dans ce cas, il est carrément impossible d’aérer manuellement. Et la ventilation mécanique ne doit en aucun cas être utilisée car les poussières du chantier l’encrasseraient à tout jamais.
Cependant, ceci n’est pas caractéristique des maisons passives, il s’agit plutôt de défauts de construction au sens large qui sont parfaitement évitables.
Une autre cause d’humidité est la condensation découlant de ponts thermiques. Ceux-ci résultent généralement de murs non ou mal isolés où certains endroits refroidissent donc plus que d’autres. À ces endroits à surface plus froide, l’humidité de l’air intérieur passe de la phase gazeuse (vapeur d’eau) à la phase liquide (condensation), permettant ainsi aux moisissures de se développer. Cependant, comme les constructions passives sont en général mieux isolées thermiquement et que l’isolation thermique est de loin plus homogène (puisqu’on veut éviter toute perte inutile de chaleur), le risque de ponts thermiques est à priori moins élevé que pour les constructions traditionnelles, pour autant que les architectes et les bureaux d’études ne commettent pas d’erreurs.
Passons enfin à l’humidité dans la ventilation mécanique.
À l’intérieur de la ventilation mécanique, un échange thermique (donc un transfert de chaleur) a lieu entre l’air chaud évacué et l’air frais, notamment pendant la saison froide. La chaleur est donc récupérée de l’air vicié et sert à réchauffer l’air frais qui arrive de l’extérieur. L’air chaud évacué se refroidit, ce qui provoque une condensation de l’humidité. Comme l’air froid ne peut contenir moins de vapeur d’eau que l’air chaud, cette vapeur risque de devenir liquide en cas de refroidissement, favorisant ainsi le développement de moisissures (à l’inverse de la vapeur d’eau).
Cependant, depuis un certain temps, il existe des centrales de ventilation mécanique équipées de sondes d’humidité qui surveillent l’humidité et les températures et qui règlent la centrale automatiquement afin d’éviter toute condensation. Par conséquent, le risque de condensation à l’intérieur de la VMC peut parfaitement être évité moyennant une ventilation équipée de sondes adéquates. D’autre part, les ventilations mécaniques sont en principe équipées d’un drainage de condensat qui permet d’évacuer aussitôt l’eau de condensation et d’éviter ainsi toute colonisation microbienne.
En fin de compte, la crainte que la construction passive favorise le développement de moisissures constitue un préjugé contradictoire avec les résultats de nombreuses études. Ainsi, un sondage réalisé auprès de 171 experts assermentés en Allemagne en 2006 concernant 1 840 expertises (Oswald, 2007) concluait que les problèmes de moisissures n’étaient pas fréquents dans les bâtiments fortement isolés thermiquement. Selon cette étude, seulement 0,7 % des nouvelles habitations construites chaque année en Allemagne seraient sujettes à une contamination par des moisissures. Alors que pour l’ensemble des habitations allemandes, le taux d’habitations touchées par des moisissures s’élève à 9,3 %, il n’est que de 8,2 % pour les bâtiments modernisés et isolés thermiquement.
La principale cause de développement de moisissures viendrait des isolations thermiques de mauvaise qualité (35 % des cas). Cependant, ceci ne concerne pas spécifiquement les maisons passives mais également les maisons traditionnelles qui ont été isolées suite à la crise pétrolière dans les années soixante-dix.
Un tiers également des cas de moisissures sont à imputer aux habitants en raison d’un manque d’aération ou d’une aération et d’un chauffage inadéquat. Parmi les 47 cas recensés, un seul concernait une habitation avec ventilation mécanique, les 46 autres habitations étaient toutes à ventilation manuelle (fenêtres).
Par ailleurs, une autre étude réalisée par l’université de Jena en Allemagne en 2003 (groupe de travail Climatologie de l’intérieur), lors de laquelle des ramoneurs ont établi des rapports sur 5 530 habitations et portant sur les thématiques d’humidité et de moisissures (Brasche, 2003), met en évidence que les habitations hautement isolées présentent une diminution du risque de moisissures de l’ordre de 20 % par rapport aux maisons sans isolations thermiques. D’autre part, le risque de moisissures diminue de moitié dans les maisons équipées de VMC par rapport aux maisons sans système de ventilation ou d’aération.
Selon Oswald qui se réfère à l’étude Brasche, parmi les maisons isolées thermiquement (construites après 1995), celles qui sont équipées de ventilations mécaniques sont cependant plus souvent contaminées par des moisissures (12,6 %) que celles qui ne disposent pas de VMC (5,8 %).
Selon ces études (ainsi que d’autres), il existe donc des conclusions divergentes et en partie contradictoires sur les risques microbiologiques des bâtiments efficients en énergie par rapport aux constructions classiques.
Ceci n’est guère étonnant du fait que, pour la plupart des études, le nombre de bâtiments analysés est relativement limité (pour l’étude de Jena par exemple, seules 268 des 5 530 habitations analysées étaient fortement isolées et seules 95 habitations étaient équipées de ventilations mécaniques). D’autre part, ces études datent en moyenne de plus de dix ans. Or, les avancées technologiques et les progrès réalisés notamment dans le domaine des ventilations mécaniques en y intégrant des sondes, des options de régulation automatique, etc. sont considérables et interdisent toute comparaison des maisons passives modernes contemporaines avec les constructions basse énergie d’il y a 10 ans.
On pourrait se demander pourquoi mentionner ces études ici. La réponse est très simple : les préjugés émis par ceux qui désirent construire, que ce soit les maîtres d’ouvrage ou les architectes, reposent justement en grande partie sur de telles études ou sur l’expérience résultant de constructions qui incorporaient une technologie pas encore à la pointe et ne répondant certainement pas aux règles de l’art d’aujourd’hui.
Pour être clair : « maison passive » ne signifie pas « fenêtres non ouvrantes ». L’aération manuelle classique n’est donc pas être interdite et reste dans certaines circonstances même la meilleure option. La ventilation mécanique contrôlée est en premier lieu destinée à compenser l’étanchéité à l’air de l’enveloppe thermique et à remplacer cette ventilation spontanée naturelle qui existait jadis par les joints non étanches.
2.4.4. Préjugé air ambiant : « L’air est toujours trop sec dans les maisons passives. »
Un autre préjugé concerne l’air intérieur trop sec en hiver dans certains bâtiments à efficience énergétique dotés d’une ventilation mécanique. En effet, l’humidité relative de l’air optimale se situe entre 45 et 65 %. À ces taux, les muqueuses du nez et des voies respiratoires restent humides et constituent ainsi une barrière efficace contre les bactéries, virus ou particules fines. Lorsqu’au contraire, le mucus s’assèche en raison d’une humidité relative de l’air ambiant trop basse, cette fonction « barrière » des muqueuses n’est plus garantie et les microorganismes, voire les particules fines, peuvent désormais pénétrer à l’intérieur du corps. Les symptômes types d’un air ambiant trop sec sont notamment des irritations ou des infections des voies respiratoires ou encore des maux de tête. D’autre part, plus l’air ambiant est sec, plus la concentration de l’air en poussières fines augmente.
Le réchauffement de l’air froid provenant de l’extérieur en hiver a pour effet de diminuer l’humidité relative de l’air, ce qui se traduit par un air sec à l’intérieur[1]. En effet, lorsque les températures extérieures en hiver sont proches de 0° C ou inférieures à cette valeur, il n’est pas rare de constater, dans des maisons avec échangeurs thermiques dans la VMC, des humidités relatives de l’air intérieur inférieures à 25 %, voire même à 20 %. L’air intérieur trop sec en hiver constitue donc effectivement un problème potentiel dans les maisons passives.
Il ne faut cependant pas oublier qu’en cas de ventilation manuelle, le fait d’ouvrir une fenêtre fait également entrer de l’air froid qui se réchauffe ensuite, ce qui a exactement le même effet de diminution de l’humidité relative de l’air à l’intérieur. Il en résulte que les bâtiments classiques sont donc également sujets à un air trop sec en hiver, du moins pour autant qu’on les aère.
La seule méthode permettant de maintenir une humidité relative de l’air intérieur élevée en hiver consiste donc théoriquement à éviter toute aération (donc à éteindre la VMC dans les maisons passives), ce qui aurait comme effet de ne plus évacuer l’humidité provenant des activités humaines (bain/douche, cuisine, nettoyage) et d’accumuler au contraire les substances nocives provenant des matériaux de construction, des meubles ou des produits de nettoyage, avec des effets néfastes sur la santé.
Heureusement, l’humidité relative de l’air ne dépend pas seulement des différences de températures internes et externes, mais également des matériaux de construction, des meubles ou encore d’autres sources d’humidité telles que des plantes ou encore des aquariums. Des matériaux de construction comme le bois non vitrifié (parquets), l’argile ou la chaux (enduits intérieurs) sont capables d’accumuler l’humidité si l’humidité relative de l’air est élevée, de la stocker et de la restituer lorsque l’air ambiant devient trop sec, jouant ainsi le rôle de tampon ou de régulateur d’humidité.
On peut donc, par le choix de matériaux de construction régulateurs d’humidité, contrecarrer le risque d’un air ambiant trop sec en hiver.
[1] L’humidité relative de l’air dépend de la température ambiante. Ainsi, un air froid ne peut dissoudre moins d’humidité sous forme de vapeur d’eau qu’un air chaud. L’humidité relative maximale correspond à 100 % (saturation). Au-delà, l’air ne peut plus augmenter sa teneur en vapeur, l’humidité devient liquide (eau). En revanche, si l’air est chauffé, la quantité de vapeur d’eau qui peut se dissocier dans l’air avant d’atteindre la saturation augmente et l’humidité relative de l’air diminue.