Depuis plusieurs années, les consultants certifiés en « bau-biologie » (biologie du bâtiment en allemand) recommandent de mesurer la radioactivité émise par les produits de pierre et en particulier le granite, car ils peuvent parfois contribuer significativement aux niveaux de radon et de rayons gamma cancérogènes dans les maisons. Bien que niée par l'industrie, l'Europe reconnaît l'existence du problème qui est somme toute marginal mais néanmoins significatif.
« Bien que tous les matériaux émettent des rayonnements gamma, seul un très faible pourcentage, peut-être autour de 5 %, en émet à un niveau préoccupant », explique Nicolas Michel, expert en radioprotection à la direction générale de la Prévention des risques au ministère français de la Transition écologique et solidaire. L'Europe prend cette question au sérieux, car toute augmentation de l'exposition au rayonnement ionisant dans les bâtiments augmente le risque de cancer. En effet, la directive 2013/59/Euratom demande que la population soit obligatoirement informée sur le risque radon et s'attaque à la question des matériaux naturels et aux résidus industriels utilisés dans la construction de bâtiments. Ces matériaux peuvent exposer les occupants à la fois au radon et aux rayonnements gamma. Méconnue du grand public, cette question est pourtant très bien documentée dans la littérature scientifique.
« Il va être nécessaire de mesurer la radioactivité des matériaux le plus en amont possible, avant leur utilisation pour la construction de bâtiments, soit directement dans les carrières pour les matériaux naturels ciblés (les granites) ou dans les industries pour les résidus comme les cendres volantes, scories ou laitiers », confirmait Nicolas Michel lors du 6e colloque Défis du bâtiment santé, tenu le 15 juin dernier à Paris. « On va devoir la mesurer par spectrographie gamma pour connaître l'activité massique des radionucléides présents et les distributeurs et fournisseurs vont devoir fournir ces informations aux utilisateurs », a précisé l'expert. Un projet réglementaire français transposant la directive européenne prévoit exiger cette mesure de la radioactivité dans certains matériaux naturels et résidus industriels et imposer des restrictions d'usage si elle dépasse certaines valeurs. L'objectif est de ne pas dépasser le niveau de référence de 1 millisievert par an (mSv/an) pour l'exposition provenant des matériaux dans un bâtiment.
Le dossier des matériaux radioactifs fut l'un des plus intéressants présentés lors de ce colloque auquel l'auteur de ces lignes a assisté en compagnie des architectes québécois Maryse Leduc, André Bourassa et Micheline Gaudreau. Nous y avons même croisé notre collaboratrice Diane Bastien, docteure en génie du bâtiment résidant au Danemark. (La Maison du 21e siècle y fut invitée par Livos Canada, distributeur canadien du fabricant allemand de finis naturels Livos.)
Mise en contexte
La radioactivité est présente partout à la surface de la terre. La dose moyenne absorbée par les citoyens de la France métropolitaine représente 4,5 millisievert par année (mSv/an), dont environ 0,5 mSv/an pour l'exposition aux rayonnements gamma dans les bâtiments. Près des deux tiers de l'exposition moyenne des Français sont liés à des sources naturelles et plus d'un tiers aux examens médicaux, mais il existe des différences importantes d'un individu à l'autre, précise l'Institut de radioprotection et de sureté nucléaire (IRSN). Selon cet organisme, 35 % provient des examens médicaux (scanners et rayons X) dont les bénéfices sont considérés comme plus grands que les risques. Par ailleurs, 12 % de la dose moyenne est issue du tabagisme et de l'alimentation et moins de 1 % provient des installations et retombées nucléaires. Enfin, la majorité de l'exposition vient des trois sources naturelles suivantes : rayons cosmiques auxquels on est plus exposé si on vit en montagne et en voyageant en avion (7 %), rayons telluriques des matériaux constituant la Terre (14 %) et gaz radon (32 %).
Créé par la décomposition de l'uranium présent dans le sol, le radon s'infiltre dans les bâtiments à un taux dépendant de sa concentration dans les sols et de divers facteurs dont la perméabilité du sol et des fondations. Comme l'inhalation des descendants du radon (polonium 218 et polonium 214) constitue la deuxième cause de cancer du poumon après le tabagisme, Santé Canada recommande de mesurer sa concentration dans tous les bâtiments de faible hauteur (détails sur le site de l'Association pulmonaire du Québec). En effet, bien que le radon puisse monter aux étages par effet de cheminée et infiltration dans les conduits d'air et passages de canalisations, comme il est plus lourd que l'air il se concentre surtout dans les sous-sols et rez-de-chaussée.
Règlementation et radon
La directive européenne 2013/59/Euratom définit les normes de base en matière de radioprotection (lire le Powerpoint de Nicolas Michel à ce sujet). Elle a obligé la France à revoir à la baisse son niveau d'action obligatoire en matière de radon pour certains établissements publics et lieux de travail. Ce seuil y est récemment passé de 400 becquerels par mètre cube (Bq/m3) à 300 Bq/m3. Chez nous, Santé Canada mettait à jour sa ligne directrice sur le radon en 2007, abaissant de 800 à 200 Bq/m3 la concentration au-dessus de laquelle le Ministère recommande de prendre volontairement des mesures correctives pour la réduire. Un becquerel correspond à la désintégration d'un atome par seconde.
En France, les laboratoires mesurant le radon devront bientôt transmettre les résultats de mesure dans une base centralisée, en vertu de l'ordonnance n° 2016-128 du 10 février 2016. Celle-ci a aussi « introduit une nouvelle obligation d'information des futurs acquéreurs et locataires de biens situés dans des zones à potentiel radon dans le cadre de transactions immobilières ». Le niveau de référence de 300 Bq/m3 signifie qu'il est inacceptable de laisser exposer au long terme des individus à une concentration en radon supérieure à ce niveau et qu'il faut la réduire. « Même sous ce niveau, il est toujours possible d'optimiser en réduisant encore les teneurs en radon dans les bâtiments », précise Nicolas Michel.
Les matériaux les plus radioactifs
Le rayonnement ionisant parfois élevé émis par certains matériaux de construction fait l'objet de discussions intenses depuis deux ans en France, selon Nicolas Michel. La directive 2013/59/Euratom demande que les États membres établissent un plan national d'action pour lutter contre le radon. En France, il existait déjà mais le troisième, le Plan national 2016-2019, reprend certaines demandes spécifiques de la directive sur les sources potentielles de radon dans les bâtiments autres que le sol, avec une étude prospective permettant de répertorier les matériaux ou produits de construction susceptibles d'émettre du radon de manière significative. En plus de recenser et d'analyser les rares études sur le sujet, le plan d'action prévoit la mise en place de tests pratiques pour mesurer le flux d'exhalation des matériaux et produits reconnus comme pouvant être radioactifs.
Les produits de construction peuvent être constitués d'un ou de plusieurs matériaux naturels ou résidus industriels contenant des radionucléides émettant des rayons gamma et du radon. « La plupart des granites ne comportent aucun risque. Certes il y a plus de radioactivité dans un granite que dans un calcaire [chaux ou calcite], précise-t-il, mais cela reste généralement négligeable. Par contre, il y a quelques granites (leucogranites, granites uranifères...) problématiques du point de vue de la radioprotection. Il se trouve qu'on en a beaucoup en France mais pas dans d'autres États européens. C'est pour cela qu'il faut la mesurer, mais au final, il n'y en aura qu'un faible pourcentage qui devrait réellement poser un problème. Plus que les granites (qui s'avèrent plutôt un problème dans quelques pays : France, Finlande...), ce sont plutôt les résidus industriels incorporés comme matériaux dans les produits de construction qui vont poser le plus de problèmes du point du vue de la radioprotection. » Il ajoute que l'usage de matériaux très peu radioactifs comme le bois, le verre et le métal, de même que le fait de construire des bâtiments surélevés et sans sous-sol font selon lui partie des techniques innovantes permettant de diminuer la radioactivité dans les bâtiments (qui en France sont rarement construits en bois).
En 2013, la découverte de présence de radon à des niveaux anormalement élevés dans des lieux de vie ou de travail a incité le gouvernement français à diffuser une note technique interministérielle pour aider les acteurs concernés à gérer les cas où une origine anthropique est suspectée. « Ces situations exceptionnelles peuvent résulter de l'utilisation de stériles miniers ou résidus de traitement de minerais dans des remblais pour la construction, plus rarement dans les matériaux des bâtiments ou de sites pollués par d'anciennes activités industrielles ayant utilisé de l'uranium ou du radium », indique Nicolas Michel.
Une étude révélatrice
La même année, une étude du laboratoire de la Commission de recherche et d'information indépendantes sur la radioactivité (CRIIRAD) a donné un premier aperçu de la situation dans la région Rhône-Alpes. Selon ce rapport, les radionucléides naturels primordiaux (uranium 238 et descendants, thorium 232 et descendants, potassium 40) y sont omniprésents dans la croûte terrestre et les matériaux de construction. Ils sont à l'origine des deux voies d'exposition à la radioactivité naturelle, soit l'inhalation du radon et l'irradiation externe produite par les rayonnements émis par les radionucléides contenus dans le sol et les matériaux.
La CRIIRAD a analysé des échantillons de matériaux constituant les murs porteurs. Neuf bâtiments français sur dix sont faits en béton et dix pourcent sont en briques alvéolaires. Résultat d'analyses spectographiques :
• les ciments couramment produits en Rhône-Alpes et les granulats d'origines non plutoniques (calcaires, argilo-calcaires ou fluvio-glaciaires) présentent des teneurs en radionucléides inférieures à la moyenne de l'écorce terrestre;
• les matériaux des régions plutoniques (granite, diorite, gabbro, etc.) présentent des teneurs supérieures à la moyenne; en particulier, le ciment d'aluminate de calcium produit dans les Bouches-du-Rhône;
• les briques contenaient des teneurs beaucoup plus élevées que les blocs de béton;
• concernant les produits de carrière, le rapport de la CRIIRAD précise qu'« il est possible à tout un chacun, au moyen d'un radmètre, d'effectuer un premier niveau de contrôle sur le lieu d'extraction. En revanche, ce contrôle reste moins pertinent sur un échantillon éloigné du lieu d'extraction, car le bruit de fond de l'endroit où le contrôle a lieu (magasin de vente de matériaux, domicile où l'échantillon a été apporté, ...) n'est pas forcément identique à celui du lieu d'origine. » Pourtant, les biologistes du bâtiment précisent une façon très simple de contourner ce problème (lire les détails ici).
L'étude concluait en précisant que deux matériaux contenant les mêmes teneurs en radionucléides n'ont pas nécessairement les mêmes taux d'exhalation de radon. « Ainsi, plusieurs études montrent que les briques présentent des taux d'émanation de radon plus faibles que les bétons... » Le flux de radon des matériaux dépend de facteurs comme la température et l'humidité et il n'existe aucune norme internationale à ce sujet. (Lire cette fiche du CRIIRAD sur la radioactivité dans les bâtiments qui traite notamment du puits canadien.)
La transposition de la directive européenne à la réglementation française devrait être achevée d'ici à février 2018. La réglementation en cours d'élaboration et le Plan national santé environnement (PNSE 3) prévoient de prendre en compte le radon dans la qualité de l'air intérieur. « Dans trois à cinq ans, il pourrait peut-être y avoir des prescriptions techniques pour les nouveaux bâtiments dans les zones à très haut risque, de manière similaire à ce qui existe dans les zones d'activité sismique, précise M. Nicolas Michel. Le ministère de la Santé a demandé à l'IRSN de déterminer scientifiquement un zonage à l'échelle communale du territoire français. Sur les trois zones déterminées, la zone 3 est celle sur laquelle le flux d'exhalation de radon du sol est le plus important et par conséquent, celle pour laquelle le risque d'avoir des teneurs en radon dans les bâtiments est la plus significative. Dans cette zone 3, le code de la santé publique impose des mesures de radon dans certains établissements recevant du public, notamment les écoles, tous les dix ans et lors de travaux importants. » Selon le CRIIRAD, la politique française de gestion du risque lié au radon, qui cible les obligations de contrôle seulement dans 31 départements, induit les gens en erreur car elle « peut laisser penser que dans les autres départements le risque lié au radon est absent ».
Enfin, voici ce que nous écrivions dans La Maison du 21e siècle en janvier 2010 au sujet du granite : « La moitié des ouvriers qui coupent du granite pourraient être affectés par une radioactivité dont les niveaux atteignent jusqu’à 3 000 fois la limite d’exposition jugée acceptable aux États-Unis (0,1 rem). Comme environ 5 % du granite (notamment du Brésil) vendu aux États-Unis contient des niveaux dangereux d’uranium et de thorium radioactifs, les ouvriers qui ne sont pas protégés respirent souvent à leur insu des poussières qui contiennent des particules alpha pouvant causer le cancer du poumon. Telles sont les conclusions de l’étude Implications of Granite Counter Top Construction and Uses, une première du genre présentée en juillet dernier à la Health Physics Society (Bernhardt, Gerhart et Kincaid 1999). Les auteurs de l’étude recommandent aux ouvriers de bien nettoyer leur atelier et de couper le granite avec une scie à eau afin de réduire la quantité de poussières générées.
Bien que les consommateurs qui possèdent des comptoirs ou des planchers de granite ne soient pas exposés à ces poussières, les auteurs ont découvert que certaines dalles de granite peuvent faire augmenter la concentration résidentielle de radon (gaz radioactif souterrain qui s’infiltre dans les sous-sols et qui est la deuxième cause de cancer du poumon) de 40 Becquerels, ou davantage, par mètre cube d’air (Bq/m3). Une découverte importante si l’on considère qu’en septembre dernier, l’Organisation mondiale de la santé abaissait le niveau de radon jugé acceptable dans un immeuble à 100 Bq/m3, soit la moitié de la nouvelle limite d’exposition canadienne. Le consommateur aurait donc tout intérêt à faire mesurer le niveau de radioactivité du granite qu’il souhaite acheter, à bien ventiler sa maison et à faire mesurer le niveau de radon actuel
Radon : le Québec délinquant
Au Québec, environ une maison sur dix excède cette concentration, selon une étude pancanadienne faite par Santé Canada. Or le Code de construction du Québec de 2015 minimise le problème en disant encore que le seuil acceptable de radon fixé par Santé Canada est de 800 Bq/m3! De plus, il n'exige pas, comme le Code national du bâtiment de 2010, la mise en place automatique d'un système de base pour la dépressurisation du sol sous la dalle, soit un tuyau de 100 mm branché à travers la dalle au remblai. « Le Code se limite aux zones à risques connus alors que l'on sait qu'il y a présence de radon un peu partout sur le territoire de la province de Québec, déplorait en juin 2015 Marco Lasalle, directeur du Service technique de l'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec (APCHQ), dans une édition spéciale de son bulletin Information Construction. Cette référence pourrait causer de fausses inquiétudes à des gens ayant élu domicile dans une zone considérée comme à risque et créer un faux sentiment de sécurité à des personnes demeurant dans une zone n'étant pas reconnue à risque. L'industrie était pourtant prête à s'adapter aux exigences plus prescriptives du CNB 2010. » Selon le site de la Société d'habitation du Québec : « Au Québec, il n'y a pas de cartographie précise des zones à risque en ce qui concerne le radon. En fait, les concentrations de radon peuvent varier d'une maison à l'autre dans un même quartier. Cependant, des concentrations particulièrement élevées ont été notées dans certains secteurs de la MRC d'Antoine-Labelle et des municipalités d'Oka, de Mont-Saint-Hilaire, de Saint-André-d'Argenteuil et de la région de Mont-Laurier. »
Autre fait surprenant, le ministère français de la Santé estime que le radon cause de 5 à 12 % des cancers du poumon (1 234 à 2 913 décès par année) alors que Santé Canada estime cette proportion à 16 % (1 136 décès sur 6 200 en 2016 au Québec, bien que notre population soit huit fois moindre!). Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) du Québec est plus conservateur et affirme sur son site : « Au Québec, de 10 à 16 % des décès par cancer du poumon sont associés au radon. Il s'agit de plus de 600 décès par année. » Parmi ces décès, 60 % surviennent chez les fumeurs, selon le MSSS.
Quant aux États-Unis, ils estiment que le radon cause 13,4 % des décès annuels par cancer du poumon, explique Tricia Lynn, porte-parole de l'Agence de protection de l'environnement (US EPA). « L'Organisation mondiale de la santé estime que la proportion varie de 3 % à 14 % dépendamment de la concentration moyenne de radon dans un pays et des méthodes de calcul utilisées », précise-t-elle.
(Pour plus de détails, lire notre dossier Le radon tuerait trois fois plus que les accidents routiers.)