De l'Inde au Massachusetts qui étudie cinq projets de loi en la matière et au Maryland qui songe à remplacer le Wi-Fi par des connexions câblées dans ses écoles, les autorités de santé publique cherchent à réduire l'exposition croissante au rayonnement de radiofréquences (RF) dans la bande des micro-ondes émis par les antennes et appareils de communication sans fil. Le Maryland et autres veulent agir suite à la publication, l'année dernière, des résultats préliminaires d'une étude financée par le gouvernement américain au coût de 25 millions $. Ces résultats ont clairement démontré que les RF d'un cellulaire peuvent causer chez des rats deux types de cancer — dont l'un du cerveau — auquel sont plus à risque que la normale les gens qui utilisent un cellulaire régulièrement depuis plus de 10 ans, tel que confirmé par deux toutes récentes méta-analyses. L'année dernière, une étude américaine concluait que les tumeurs malignes du cerveau (qui ont déclassé les leucémies au premier rang du cancer infantile) sont la principale cause de décès par cancer chez les adolescents et les jeunes adultes. De plus, des millions de personnes surexposées aux champs électromagnétiques (CEM) disent souffrir d'hypersensibilité électromagnétique (HSEM) qui affecte également les animaux et les plantes.
C'est dans ce contexte que l'espoir suscité chez plusieurs, par la nomination du médecin Jane Philpott au poste de ministre canadienne de la Santé, vient de se dégonfler. En octobre dernier, elle opposait une fin de non-recevoir en réponse aux recommandations formulées par le Comité permanent de la santé de la Chambre des communes, dans son rapport intitulé « Le rayonnement électromagnétique des radiofréquences et la santé des Canadiens ». Parmi ses douze recommandations figuraient : la mise à jour du diagnostic et du traitement de la HSEM, tel que vient de le faire l'Académie européenne de médecine environnementale; et l'adoption, à l'instar de la France qui a légiféré et de Chypre, d'Israël ainsi que du Tyrol italien qui ont émis des directives visant à limiter l'exposition aux RF chez les groupes vulnérables, dont les bébés et les jeunes enfants en milieu scolaire.
La réponse de la Ministre Philpott contredisait les témoignages des experts indépendants cités par le Comité permanent. Elle affirmait notamment : « le Code de sécurité 6 [CS6, la ligne directrice nationale limitant l'exposition aux RF] donne de très grandes marges de sécurité contre tous les effets indésirables pour la santé dont le lien avec l'exposition aux champs RF a été établi »; et, citant l'Organisation mondiale de la santé (OMS), elle ajoute que « même si les symptômes attribués par certaines personnes à l'hypersensibilité électromagnétique sont réels, les données scientifiques corroborent fortement que ces effets sur la santé ne sont pas liés à l'exposition aux CEM ».
La réponse de la Ministre a soulevé un tollé de protestations, notamment auprès de Frank Clegg, ancien président de Microsoft Canada et fondateur de l'organisme Canadiens pour une technologie sécuritaire (C4ST). Soutenu par le Dr Anthony B. Miller, professeur honoraire de santé publique à l'Université de Toronto et ancien directeur de l'épidémiologie à l'Institut national du cancer, M. Clegg a accusé la ministre d'induire les Canadiens en erreur dans un communiqué émis en octobre dernier. Il nous a expliqué par courriel : « Malheureusement, il semble que la ministre n'a pas enquêté directement sur la question, mais a accepté la réponse de Santé Canada à sa valeur nominale. Nous continuons de croire que Santé Canada n'appuie pas l'orientation du gouvernement libéral de fonder ses politiques sur des données probantes. La réponse contenait les mêmes réponses non transparentes, incomplètes et dépassées que nous avons entendues depuis des années. Santé Canada continue de rejeter les données scientifiques actuelles, publiées et fondées sur des données probantes, qui montrent des dommages à la santé en-deçà des niveaux d'exposition du Code de sécurité 6. » Aussi appelée électrohypersensibilité (EHS) et Syndrome d'intolérance aux champs électromagnétiques ou SICEM), la HSEM est caractérisée par plusieurs symptômes (neurologiques, cutanés, auditifs, cardiaques, etc.) observés depuis les années 1950 chez les militaires soviétiques surexposés à des doses non thermiques de RF, de même qu'aujourd'hui chez les personnes surexposées aux émissions d'antennes et appareils sans fil.
Mensonges et conflit d'intérêts
Les fonctionnaires de Santé Canada auraient menti à Mme Philpott, a prétendu Jerry Flynn dans une lettre adressée à la ministre. M. Flynn est un capitaine retraité des Forces armées canadiennes où, pendant 22 ans, il fut expert en guerre électronique et en renseignement sur les transmissions. Selon lui, « depuis les années 1930, plus de 6 000 études ont été accumulées, produisant une conclusion irréfutable selon laquelle l'exposition aux micro-ondes et aux champs électromagnétiques [domestiques] est considérablement préjudiciable à toute vie et à la santé humaine. (...) En 1966, tous les pays occidentaux ont adopté des limites dangereusement élevées — mais dites « sûres » — d'exposition au rayonnement des CEM, des limites [tel le CS6] qui ne protègent que contre le rayonnement [de RF] assez puissant pour atteindre le seuil thermique! La vérité a été délibérément supprimée par les pays occidentaux en faveur des intérêts militaires et des bénéfices sans précédent dont jouissent les entreprises et les gouvernements de ces pays ! (...) Un tel mépris pour la santé, le bien-être et la sécurité du public exige une enquête criminelle internationale exhaustive au plus haut niveau possible, car cela constitue véritablement un crime odieux contre l'humanité! » Santé Canada nie catégoriquement ces accusations (lire ici la réponse du ministère et les commentaires de M. Flynn).
L'approche de Santé Canada a été établie par le physicien et docteur en biologie Michael Repacholi qui a dirigé son programme sur les radiations non-ionisantes de 1975 à 1982. De 1995 à 2005, il a fondé puis coordonné le Projet international pour l'étude des CEM à l'OMS qui, en 2005, était financé à 40 % par l'industrie de la téléphonie mobile, selon le journaliste David Leloup d'Agoravox. Or c'est de concert avec huit compagnies d'électricité et en écartant les études qui les dérangeaient qu'il y a rédigé les recommandations de l'OMS sur l'exposition aux champs magnétiques domestiques, selon Microwave News. D'ailleurs, depuis 1990, Repacholi est bien connu comme consultant et témoin expert pour les compagnies d'électricité et de télécommunications. En fait, les lignes directrices de l'OMS et de la plupart des pays sur les CEM sont fondées sur les recommandations de la Commission internationale de protection contre les radiations non-ionisantes (ICNIRP), organisme que Repacholi a fondé en 1992 et dont les directeurs sont des scientifiques financés par l'industrie ou qui lui sont favorables. D'ailleurs, cinq des six membres membres du groupe de l'OMS qui doit mettre à jours ses recommandations sur l'exposition aux RF sont d'actuels ou anciens membres de l'ICNIRP, dénonce l'oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell, pionnier de la recherche sur les risques de cancer chez les gens surexposés aux RF de même qu'aux biphényles polychlorés, aux dioxines et aux pesticides pentachlorophénol (PCP), Agent Orange et glyphosate (le Roundup de Monsanto). D'anciens ou actuels membres de l'ICNIRP sont derrière les recommandations trompeuses du gouvernement britannique en la matière, dénonçait la chercheure en neuroscience Sarah J. Starkey dans Reviews on Environmental Health, en décembre 2016. Comme le relate le texte Téléphonie mobile : trafic d'influence à l'OMS : « Le Projet CEM [de l'OMS] était corrompu dès le départ, estime Andrew Marino, professeur de biologie cellulaire au Centre des sciences de la santé de l'université de Louisiane. Michael Repacholi était connu depuis plus de six ans comme consultant rémunéré et porte-voix des compagnies responsables de générer de la pollution électromagnétique. » En 2011, Andrew Marino a cosigné l'une des rares études (indépendantes des gouvernements et de l'industrie — démontrant que les CEM déclenchent bel et bien l'hypersensibilité électromagnétique.
« L'OMS trahit les citoyens de la Terre de la manière la plus flagrante et la plus destructrice, accuse Olga Sheen, ancienne fonctionnaire électrohypersensible et survivante du cancer du cerveau. Depuis décembre 2016, plus de 2 000 personnes on signé un vote de non-confiance envers l'OMS, demandant que la coordonnatrice actuelle de son projet EMF, Emilie van Deventer, la protégée de Michael Repacholi et une ingénieure en électricité liée à l'industrie et sans expérience médicale, soit destituée de ses fonction alors que l'OMS doit publier prochainement sa mise à jour sur les radiofréquences, Monographie de critères de santé (RF EHC), un rapport qui fera autorité. En réponse à l'appel de l'OMS à des consultations sur ce projet de monographie, de nombreux scientifiques et chercheurs indépendants ont souligné son biais flagrant et son manque de transparence qui font selon eux une moquerie de ce processus de consultation. « Le projet de monographie a omis de nombreuses publications sur l'hypersensibilité », déplorait en décembre 2014 la biologiste Marg Friesen, ancienne chercheure auprès du gouvernement canadien oeuvrant pour C4ST. Selon un article publié sur le site de la Swedish Radiation Protection Foundation, dans lequel l'ex-directrice générale de l'OMS Gro Harlem Brundtland parle de son électrohypersensibilité, les travaux de van Deventer étaient partiellement financés par l'industrie du sans fil lorsqu'elle enseignait au département de génie électrique et informatique de l'Université de Toronto. L'OMS n'a pas répondu à nos demandes de commenter.
Réplique de Santé Canada et commentaires de Jerry Flynn sur cette réplique : Santé Canada rejette les accusations de mensonge du militaire Jerry Flynn