Une avocate montréalaise vient de déposer une plainte pour discrimination contre la Direction de la santé publique (DSP) de Montréal et le gouvernement du Québec qui refusent de lui accorder ainsi qu'à ses trois enfants des accommodements raisonnables pour cause d'électrohypersensibilité.
Selon leur médecin, mère et enfants ont développé une intolérance sévère aux champs électromagnétiques (CEM) de radiofréquences (RF) émises par les antennes et les appareils sans fil, comme les modems et routeurs Wi-Fi. Cette mère a déposé sa plainte à la Commission québécoise des droits de la personne et des droits de la jeunesse le 28 août dernier et compte également intenter des procédures devant la Cour supérieure.
« La DSP contrevient à la Loi canadienne sur les droits de la personne », affirme l'avocate dont nous taisons le nom pour protéger l'identifié de ses enfants. Elle se réfère notamment au rapport Le rayonnement électromagnétique de radiofréquences et la santé des Canadiens, déposé le 17 juin dernier par le Comité permanent de la Santé des la Chambre des communes, qui y recommandait, notamment : « Que le gouvernement du Canada continue de prendre des accommodements raisonnables en cas de manifestations d'intolérance au milieu, comme l'hypersensibilité électromagnétique [HSEM], conformément à ce qu'exige la Loi canadienne sur les droits de la personne. »
Tachycardie, acouphènes, maux de tête...
À la recherche d'écoles saines pour ses enfants depuis le mois de mai, l'avocate dit n'avoir « que de bons mots » pour Dominique Bertrand, directeur-adjoint de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSMB), et son coordonnateur de la santé et sécurité, Marc Bisson, qui ont pris des mesures pour réduire l'exposition aux RF de deux de ses trois enfants dans des écoles de l'Ouest de l'île de Montréal. « M. Bisson était d'accord pour débrancher le Wi-Fi dans leur classe et que celle-ci soit la plus éloignée possible de routeurs. Et il aurait aussi écrit une directive interdisant d'activer un cellulaire en présence de ma fille de neuf ans. » L'avocate raconte que cette fillette saigne souvent du nez lorsqu'exposée au Wi-Fi, même à son insu, preuve pour cette mère que cette condition n'est pas psychosomatique.
Trouver une école sans ondes est plus difficile au secondaire, où la plupart des élèves ont un cellulaire. Et dans certaines écoles, même en éteignant le Wi-Fi, les niveaux de radiations dépassent les recommandations de l'Association médicale autrichienne en matière d'exposition aux RF, dit l'avocate. « Au Collège Jean-de-Brébeuf, l'entrée est surexposée par les émissions des antennes de cellulaires installées de l'autre côté de la rue, sur le toit et les murs de l'Hôpital Sainte-Justine! »
Son autre fille, qui a 12 ans, souffre de maux de ventre et de tête en présence soutenue de RF (de type micro-ondes). Cette mère a aussi dû retirer son fils de 14 ans du Collège de Montréal où il souffrait notamment de tachycardie, d'acouphènes, de troubles de concentration et de mémoire. (Des symptômes documentés depuis la Deuxième Guerre Mondiale chez certains militaires surexposés aux ondes radio et atteints de ce que l'on appelait à l'époque la maladie des micro-ondes.) Le 27 août, le directeur-adjoint de la CSMB l'a finalement inscrit dans une classe sans Wi-Fi à l'école secondaire Mont-Royal.
« L'inaction du ministère de la Santé et de la Direction de la santé publique m'indigne. Lorsqu'il y a un moindre petit doute quant à la santé, le principe de précaution devrait prévaloir », dit cette mère qui a mis ces organismes en demeure le 22 juillet dernier. À part des accusés de réception, elle n'a reçu qu'une réponse par courriel, celle du Dr Richard Massé, directeur de la DSP, le 27 août. Il y cite les avis de Santé Canada, de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) et d'autres organismes internationaux repris dans un avis intitulé Le Wi-Fi à l'école rédigé en 2014 par Monique Beausoleil, toxicologue à la DSP, pour la Commission scolaire de Montréal. Cet avis concluait que « jusqu'à présent, la recherche n'a pas pu fournir de données qui démontreraient une relation de cause à effet entre l'exposition aux RF et les symptômes rapportés par les personnes qui disent présenter une " hypersensibilité électromagnétique ". Compte tenu, d'une part, des niveaux d'exposition aux RF attribuables à la technologie Wi-Fi, et d'autre part, des résultats des études scientifiques rigoureuses portant sur les effets des RF sur la santé, l'utilisation du Wi-Fi dans les écoles primaires ne constitue pas un risque pour la santé des enseignants ni celle des élèves. »
Bien que l'OMS reconnaisse l'existence de cette condition depuis 2005, l'organisme affirme qu'il n'est pas prouvé hors de tout doute que ce sont les champs électromagnétiques (CEM) qui en déclenchent les symptômes. Mais cet avis est contesté par un nombre croissant d'experts et même par l'Association médicale autrichienne, qui publiait en 2011 une Directive pour le diagnostic et le traitement de problèmes de santé et maladies liés aux CEM. D'ailleurs, dès l'an 2000, le Conseil des ministres des pays nordiques européens (dont la Suède) a d'ailleurs reconnu la HSEM comme un handicap donnant droit à des accommodements, précisant que ses symptômes (fatigue, problèmes de mémoire et de concentration, etc.) disparaissent dans les « environnements non électriques ».
À la CSMB, le porte-parole Jean-Michel Nahas affirme que l'on exige que les appareils Wi-Fi se conforment aux recommandations du Code de sécurité 6 (CS6) de Santé Canada. Ces lignes directrices recommandent des limites d'exposition humaine aux RF afin d'éviter que toute exposition de six minutes ne provoque l'échauffement de tissus. Or, dès 1993, trois organismes fédéraux américains (EPA, FDA, NISOSH) ont déclaré que la ligne directrice américaine s'apparentant au CS6 présentait des « failles majeures », car elle fait fi des effets non thermiques des faibles expositions aux RF à long terme, reconnus en 1986. D'ailleurs, en 2014, l'Académie américaine de pédiatrie, association regroupant plus de 60 000 pédiatres, a demandé au gouvernement américain d'adopter des limites d'exposition aux RF tenant compte de la plus grande vulnérabilité des enfants.
Pourquoi la CSMB a-t-elle accommodé les enfants de notrea avocate? « Des mesures d'exception pourraient être envisagées dans des cas précis où un élève ou un enseignant se plaint de symptômes appuyés par le diagnostic d'un médecin. Nous nous assurons néanmoins que les services, notamment l'internet sans fil, ne soient pas diminués par ces accommodements », explique M. Nahas.
Désaccord à la DSP
Or, l'avocate possède justement une lettre de son médecin, le Dr Louis Jacques, professeur de médecine à l'Université de Montréal, médecin à la Clinique de médecine du travail et de l'environnement de l'Hôpital Notre-Dame, et même médecin-conseil... à la DSP de Montréal. Il y recommande le remplacement du Wi-Fi par un branchement internet câblé, comme le fait Israël dans les classes des plus jeunes élèves et tel que le recommandent des pays comme la Suisse et l'Allemagne. Depuis la fin janvier 2015, le Wi-Fi est même interdit en France dans les garderies et centres de petite enfance et restreint dans les écoles primaires.
« Notez que le retrait du Wi-Fi dans l'ensemble de l'école et de toutes les écoles est une mesure de prévention parmi d'autres contre les CEM qui a été recommandée par plusieurs scientifiques dans le monde », écrivait le Dr Jacques le 11 juin dernier dans cette lettre adressée à l'école primaire d'une des filles de l'avocate. Il ajoutait : Les effets potentiels [des CEM] sur la santé sont multiples : outre le syndrome d'hypersensibilité qui affecterait de 3 à 5 % des personnes (la prévalence semble en croissance), mentionnons les effets cancérogènes, sur le cœur et sur le développement du cerveau. » En concluant que « la documentation scientifique est considérable », il se référait notamment au site internet emfscientist.org qui présente un appel à la précaution lancé en mai 2015 par 190 experts ayant signé plus de 2 000 études sur le sujet. Parmi les experts qui recommandent le retrait du Wi-Fi des écoles, on retrouve le Dr Anthony Miller, professeur émérite d'épidémiologie à l'Université de Toronto et responsable des études épidémiologiques à l'Institut national du cancer, de 1971 à 1986. « Les enfants devraient réduire leur exposition aux émissions du Wi-Fi et les femmes enceintes devraient éviter de mettre un portable ou une tablette sur leur ventre », nous disait-il en entrevue l'année dernière.
Débat scientifique
L'absence de consensus scientifique entourant la HSEM n'a pas empêché le Tribunal du contentieux de l'incapacité de Toulouse, début juillet, de reconnaître, expertise médicale à l'appui, que Marine Richard, la plaignante, souffre d'un syndrome dont "la description des signes cliniques est irréfutable" », rapportait le 25 août Le Figaro. Cette première par un tribunal français a permis à Mme Richard, qui souffre d'une déficience fonctionnelle à 85 % l'empêchant de travailler, attribuée aux CEM par son médecin, de se voir accorder « une allocation de 800 euros par mois pour trois ans, éventuellement renouvelable ».
Pourtant, dans son avis de décembre 2005, l'OMS affirmait que la majorité des études sur le sujet « indique que les individus se plaignant de HSEM sont incapables de détecter plus précisément une exposition à des CEM que des individus ordinaires. Des études bien contrôlées et menées en double aveugle ont montré que ces symptômes n'étaient pas corrélés avec l'exposition aux CEM. » Or, en consultant le site britannique Powerwatch.org.uk, l'on constate qu'il existe autant d'études indiquant le contraire et qu'elles ont été menées par des experts non financés par l'industrie ou un État. J'ai rencontré certains de ces experts en mai dernier à Bruxelles, au 5e Colloque de l'Appel de Paris, portant cette année sur les hypersensibilités environnementales. L'un d'eux, Igor Belyaev, docteur en radiobiologie et en génétique et chercheur en chef au Laboratoire de radiobiologie de l'Académie des sciences russe, m'a alors expliqué que plusieurs études semblent avoir été conçues pour faire croire que la HSEM est psychosomatique. Elles ne tiennent par exemple pas compte du fait que les symptômes apparaissent souvent des heures après l'exposition. De plus, en général, on expose les sujets en laboratoire à des RF pures qui n'ont aucunement les caractéristiques (fréquences multiples, largeurs de bandes, modulation, polarisation, intensité, durées variables d'exposition, interférence, etc.) des ondes auxquelles nous sommes exposées quotidiennement. (Lire ici son article sur les variables physiques et biologiques influençant les effets non thermiques des RF, dont il recommande de tenir compte afin de publier des études reproductibles et des normes de sécurité réalistes.)
L'organisateur du colloque de Bruxelles, l'oncologue parisien Dominique Belpomme, traite depuis quatre ans plus de 1 200 patients (lire sa présentation Powerpoint) qu'il a diagnostiqués comme souffrant de HSEM, qu'il a rebaptisée Syndrome d'intolérance aux champs électromagnétiques (SICEM). Il affirme qu'ils affichent tous des signes cliniques de souffrance cérébrale comme un manque de sang et donc d'oxygène au cerveau, des taux élevés d'histamine et de protéines de choc thermique ou une diminution de vitamine D ainsi que de mélatonine, puissante hormone anticancer responsable de l'horloge biologique. « Leurs symptômes ne sont pas expliqués par une pathologie connue, ils apparaissent et sont reproductibles sous l'effet des champs électromagnétiques et ils régressent ou disparaissent en cas d'évitement de ces ondes. »
L'un des conférenciers les plus appréciés lors de ce colloque était octogénaire. Le Dr William J. Rea, expert texan qui a traité plus de 30 000 personnes hypersensibles à l'environnement depuis le début des années 1970. En 1991, il signait une étude dans le Journal of Bioelectricity expliquant comment induire des symptômes neurologiques et cardiaques de HSEM. Ce n'est qu'après un repos de quelques jours dans un environnement sans pollution afin de calmer leur système nerveux que son équipe a exposé des patients à des ondes et à des placebos, et ce, en double aveugle (à l'insu des chercheurs et des sujets). En entrevue à Bruxelles, il m'a confié que 80 % de ses patients électrohypersensibles avaient préalablement été empoisonnés par des moisissures ou par des produits chimiques ayant notamment atteint leurs systèmes immunitaire et neurologique.
Notre fameuse avocate, qui souffre d'ailleurs d'une carence sévère en vitamine D, m'a confié que ses symptômes et ceux de ses enfants sont apparus près de deux ans après avoir quitté une maison où ils ont subi des infections à répétition découlant d'une exposition importante à des moisissures à la suite d'une infiltration d'eau. Les déclencheurs, selon elle : le modem de Bell Fibe à côté de son ordinateur de travail et un nouveau compteur intelligent, tous deux émetteurs de radiofréquences dont les crêtes de puissance ne sont jamais mentionnées par les autorités de santé publique, qui ne parlent que de niveaux moyens d'exposition. Impossible, selon la DSP.
« Le Wi-Fi expose plusieurs enfants à des doses annuelles de RF beaucoup plus grandes que celles reçues d'un téléphone cellulaire qui peut vous donner une dose plus élevée mais auquel on est beaucoup moins exposé, expliquait pourtant à Bruxelles la toxicologue Magda Havas, experte en effets des CEM à l'Université Trent, en Ontario. Depuis 2010, il y a eu plusieurs arrêts cardiaques chez des écoliers à Collingwood. »
Pour sa part, le médecin californien Karl Maret a mesuré chez un enfant hypersensible des niveaux d'exposition cumulatifs plus élevés à son école que ceux mesurés dans un café internet. « Les enfants électrohypersensibles et les femmes enceintes, dit-il dans une conférence donnée au Commonwealth Club de San Francisco en juin 2015, sont les plus à risque. Ils sont comme les canaris qu'on envoyait jadis dans les mines et qui nous disent qu'il y a un problème et qu'il est grand temps qu'on s'en occupe. »
À la DSP, la porte-parole Marie Pinard nie que le Dr Louis Jacques aurait été réprimandé pour avoir contredit l'avis de sa collègue Monique Beausoleil. « Les médecins en clinique sont totalement indépendants dans la détermination de leurs avis diagnostics et des traitements qu'ils suggèrent à leurs patients. » Le Dr Fernand Turcotte, qui a cofondé le Département de médecine sociale et préventive de l'Université Laval, dit qu'il serait surpris que le Dr Jacques fasse l'objet de quelque blâme. « Louis est un gars qui connaît bien son métier, je n'ai aucun doute sur sa crédibilité et son indépendance. »
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