c1-222-web2Voici un témoignage que nous avons reçu par courriel. L'auteur nous a demandé de préserver son identité et celle de sa conjointe. AF

Je vis avec une personne électrosensible. Elle a découvert cette sensibilité il y a quelques années. Elle y a trouvé une explication pour divers malaises physiques et psychologiques qu'elle ressentait dans certaines situations. C'était très mystérieux pour moi, parce que ma propre expérience en pareille situation ne correspondait pas à la sienne. Je ne pouvais pas croire que le fait pour elle de se tenir proche d'une antenne de télé, d'un téléphone sans fil, d'une tablette, d'un compteur intelligent, et j'en passe, pouvait lui occasionner autant de détresse et de souffrance. Je commençais à penser qu'elle s'imaginait des choses, ou bien qu'elle faisait des liens là où, selon moi, il n'y avait pas de liens à faire. Aussitôt qu'elle ressentait le moindre inconfort, c'était la faute des « ondes ». À force de l'entendre presque tous les jours, je suis devenu quelque peu allergique à ses propos. Et devant quelqu'un qui avance des certitudes bien ancrées, je m'efforce de conserver un esprit critique avant d'« acheter » ses arguments, ce qui ne fait pas son affaire.

Lire et mesurer pour comprendre

Face à cette situation qui constituait, selon elle, une menace pour sa santé, ma femme, étant formée en recherche, a fait une des choses qu'elle fait le mieux : lire la recherche scientifique. Elle a donc lu sur le phénomène des ondes électromagnétiques et son impact sur la santé humaine. Des livres et des articles écrits, il me semble, par des personnes crédibles ont commencé à apparaître sur mon bureau et dans ma boîte de réception. Elle voulait m'instruire. Sans être un excellent élève, j'ai quand même commencé à comprendre un peu et à croire, moi aussi, qu'il se pouvait que ces fameuses ondes représentent un danger pour la société, d'autant plus que leurs sources n'arrêtent pas de proliférer. Le livre du professeur Martin Blank, Ces ondes qui nous entourent (Écosociété), que j'ai d'abord lu en anglais, m'a fourni une belle introduction en la matière. [NDLR : Docteur en chimie physique, professeur de physiologie à l'Université Columbia de 1959 à 2011, Martin Blank est l'ancien président de la Bioelectromagnetics Society. Il est l'auteur principal d'un appel co-signé par de nombreux experts demandant aux Nations Unies d'exhorter l'Organisation mondiale de la santé à adopter des lignes directrices plus sévères en matière d'exposition aux champs électromagnétiques (CEM), à encourager l'application de mesures de précaution et à éduquer le public quant aux risques que les CEM présentent pour la santé, en particulier pour les enfants et les fœtus.]

Pour rendre notre maison à l'abri des ondes, elle a fait venir un technicien spécialisé pour détecter les sources émettrices et les éliminer. J'ai pu constater par moi-même les niveaux d'émissions d'ondes sur ses appareils de mesure. Ensuite, la mise à la terre a été rectifiée, le filage a été revu et corrigé, et plusieurs actions ont été posées pour diminuer l'intensité du champ électromagnétique de la maison, dont éliminer ce qu'on appelle l'électricité sale (interférence de hautes fréquences transitoires). À grands frais, notre maison est devenue, selon toutes les mesures, comme une forteresse contre les ondes. Parallèlement à ça, elle a fait l'acquisition d'instruments de mesure, de vêtements et rideaux blindants et de deux dispositifs de protection à porter sur soi, plus « flyés » selon moi et dont on n'a pu mesurer l'efficacité. Dans ce dernier cas, il s'agit d'éliminer l'effet des effets des ondes électromagnétiques sur sa personne.

Une vie qui se rétrécit

À travers toutes ces recherches, toutes les modifications à la maison, l'acquisition d'outils pour bloquer l'entrée d'ondes, et d'instruments de mesure, notre vie a changé. Nous ne voyageons presque plus, en partie à cause de l'omniprésence des ondes, et quand nous voyageons, on ne part jamais sans apporter les instruments de mesure et son linge de protection. Moi qui ai horreur d'indisposer les gens, imaginez comment je me sens quand on arrive chez des amis, qu'elle sort (au début, discrètement) ses instruments de mesure et demande ensuite s'ils accepteraient de débrancher ceci ou cela, sources importantes d'émissions d'ondes.

Avant, on pouvait faire des marches n'importe où sans se soucier d'être happés par des ondes. Maintenant, plusieurs chemins près de chez nous, où on se plaisait à se promener, sont interdits parce que le niveau des ondes est trop élevé, occasionnant des symptômes désagréables chez elle. Avant, on pouvait faire les courses ensemble, ou au moins les faire à tour de rôle. Maintenant, c'est presque toujours moi qui fais les emplettes en ville. Si notre fille veut nous voir, elle doit se rendre chez nous à la campagne, puisque chez elle en ville, c'est trop pollué.

 Il y a des endroits sur notre terrain qu'elle préfère éviter, depuis qu'elle y a ressenti des malaises et fait subséquemment une cartographie des niveaux d'ondes autour de la maison. Nous demeurons au bord d'un lac. Posséder une maison au bord de l'eau était un rêve pour nous. Nous avions beaucoup de plaisir à nager ensemble et à nous promener en kayak et en pédalo. Depuis qu'elle a constaté que le niveau d'ondes était élevé sur le plan d'eau, elle ne sort plus en embarcation et limite ses sorties dans l'eau à la baignade. Tous les jours, je me cogne le nez sur ce mur invisible. Notre territoire de sécurité se rapetisse à vue d'œil. Notre vie de couple se limite de plus en plus à la maison. Si je veux sortir, je dois souvent le faire seul. Si je veux aller en bateau sur le lac, je dois y aller seul; si je veux marcher en dehors du territoire « sécuritaire », je dois y aller seul; si je veux aller au cinéma ou à un concert, je dois y aller seul.

Impatience, doutes et émotivité

J'avoue que je ne trouve pas cette situation facile. Des fois, je perds patience; des fois, je suis incrédule devant ses constats; des fois, j'ose questionner ses conclusions (à mes propres risques et périls). Ça nous est très difficile d'entretenir une conversation raisonnée où on expose à tour de rôle nos réalités respectives. L'émotivité peut brouiller les « ondes relationnelles. » Apprendre à naviguer ensemble avec ces nouvelles contraintes constitue tout un défi pour nous. Je sais qu'elle trouve ça très difficile. J'admire sa détermination et la rigueur avec lesquelles elle poursuit ses recherches. Et la générosité avec laquelle elle partage ses nouvelles connaissances avec des gens atteints comme elle m'impressionne. Mais le fait de me sentir en terrain glissant, quand je tente d'engager une conversation avec elle à ce sujet, ralentit mon élan de m'asseoir avec elle dans la recherche de solutions.

Et devant ce phénomène qui se répand dans notre société comme une traînée de poudre, devant l'hypervalorisation de tout ce qui est sans fil, qu'est-ce que l'avenir nous réserve? J'ai l'impression qu'on essaie de nager contre le courant. J'éprouve un sentiment d'impuissance devant ce phénomène qui ne fait pas encore consensus dans la communauté scientifique. Même dans notre propre famille, nos enfants vivent parfois de la frustration et de l'impatience face à l'insistance de leur mère de se protéger et à vouloir les protéger. Je ne me battrai pas corps et âme pour cette cause, pas encore en tout cas. Quand elle fait des affirmations avec lesquelles je ne suis pas d'accord, j'essaie de me mordre la langue ou de la tourner sept fois dans ma bouche avant de parler. J'essaie de la soutenir comme je peux tout en gardant un certain scepticisme. Dans le fond, je suis triste de la voir souffrir et j'aimerais rien de mieux que de la voir retrouver son confort, son bien-être et sa liberté. Et ça me peine de voir les réactions d'incompréhension et d'impatience survenues chez des gens auprès de qui elle a fait des demandes d'accommodement. J'ai peur qu'elle et ses semblables (et éventuellement moi aussi) devenions à la fois persona non grata auprès de nos amis et comme des exclus d'une société qui poursuivra contre vents et marées cette gigantesque expérimentation non contrôlée.

Protéger les enfants

C'est comme avec le tabac : à une certaine époque, ça nous dérangeait de se faire dire d'écraser, ça nous insultait et on réclamait le droit de fumer, alors qu'aujourd'hui je ne peux pas tolérer la fumée autour de moi, parce que ça m'indispose. Je crois que le tabac a réellement des effets néfastes pour la santé. J'ai l'impression qu'à plus ou moins moyen terme, j'arriverai peut-être à la même place face aux ondes électromagnétiques, c'est-à-dire avec une compréhension approfondie de leurs effets sur la santé et une croyance réelle que je dois m'en protéger. J'avance à ma vitesse avec une préoccupation de ne pas devenir un ayatollah des ondes. Et quand on me pousse trop dans le dos, je me braque, j'oppose une résistance. Mais comme dit le vieux dicton : « On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs. » Peut-être dois-je apprendre à casser quelques œufs au nom de mon bien-être ainsi que du bien-être de nos enfants et des futures générations.