« Les enfants devraient réduire leur exposition aux émissions du Wi-Fi et les femmes enceintes devraient éviter de mettre un portable ou une tablette sur leur ventre », conseille le Dr Anthony B. Miller, ancien directeur de la division d'épidémiologie à  l'Institut national du cancer à  Toronto, de 1971 à 1986. © Shutterstock
« Les enfants devraient réduire leur exposition aux émissions du Wi-Fi et les femmes enceintes devraient éviter de mettre un portable ou une tablette sur leur ventre », conseille le Dr Anthony B. Miller, ancien directeur de la division d'épidémiologie à  l'Institut national du cancer à  Toronto, de 1971 à 1986. © Shutterstock

Les conseils de Santé Canada en matière d'exposition aux radiofréquences (RF) pourraient mettre la santé des enfants en péril en les empêchant de récupérer la nuit, selon une nouvelle étude australienne constatant que les avis publiés dans ce domaine par 34 pays sont contradictoires.

La Dre Mary Redmayne, du Département d'épidémiologie et de médecine préventive de l'Université Monash, à Melbourne, a conclu que les lignes directrices nationales sur l'exposition des enfants aux champs électromagnétiques de radiofréquences (CEM-RF) émis par les appareils sans fil comme le Wi-Fi sont source de confusion pour les parents. Alors que plusieurs pays préconisent des mesures pour réduire l'exposition, comme la connection Internet câblée ou l'extinction d'un routeur Wi-Fi non utilisé, Santé Canada déclare : « Aucune mesure de précaution n'est nécessaire, car les niveaux d'exposition à l'énergie RF provenant de la technologie Wi-Fi sont généralement bien inférieurs aux limites de sécurité canadiennes et internationales. » Or, ces limites sont considérées comme dépassées par plusieurs pays et organismes, car elles ne tiennent compte que du risque d'échauffement des tissus après six minutes d'exposition et négligent les effets non thermiques à long terme, reconnus en 1986 par le National Council of Radiation Protection and Measurements américain.

Réparer les dommages

Dans un récent communiqué émis par l'Université Monash, la Dre Redmayne rappelle que les RF ont été classées « peut-être cancérogènes » en 2011 par le Centre international de recherche sur le cancer en raison d'un risque accru de tumeur cérébrale à long terme associé à un usage intensif du téléphone cellulaire. Par ailleurs, depuis les années 1960, des milliers d'études ont également lié de faibles expositions aux RF à des changements biologiques, comme une augmentation de la production dans l'organisme de radicaux libres associés au vieillissement prématuré. « Si le corps n'a pas eu la chance de réparer les dommages connexes et de rétablir l'équilibre, cela pourrait éventuellement conduire à une variété d'effets sur la santé, explique la Dre Redmayne. Quand les CEM-RF sont responsables de ce déséquilibre, il y a une meilleure chance de réparation lorsque l'exposition est minime, comme la nuit, quand le Wi-Fi peut être désactivé et les dispositifs sans fil peuvent être mis en mode avion ou éteints. Ces mesures pour réduire l'exposition des enfants sont recommandées dans de nombreux pays, dont le Danemark, la Finlande, la France, l'Allemagne, l'Inde, Israël et la Suisse », indique-t-elle.

La Dre Redmayne observe qu'il y avait une préoccupation constante de la part des chercheurs et du public quant aux effets néfastes possibles chez les jeunes exposés aux CEM-RF. « Au cours des dernières années, il y a eu une augmentation étonnamment rapide de l'utilisation des téléphones mobiles et autres appareils sans fil. Des enfants de plus en plus jeunes utilisent ces appareils, et nous savons qu'ils sont plus vulnérables aux agents environnementaux que les adultes », dit-elle en soulignant que les règles de sécurité dans la plupart des régions du monde ne considèrent pas les effets d'une exposition chronique ou très faible. Les pays qui appliquent le principe de précaution préconisent des niveaux d'exposition suffisamment bas pour éviter que l'organisme ne se défende par des réactions biochimiques. Par exemple, le Conseil d'Europe et l'Agence européenne pour l'environnement recommandent que les jeunes de moins de 18 ans éloignent leur corps des appareils sans fil, entre autres en utilisant un casque d'écoute ou un haut-parleur, un téléphone fixe filaire et l'envoi de messages texte. Plusieurs pays, comme l'Allemagne, l'Autriche, la France et Israël, recommandent aux écoles maternelles et primaires d'utiliser des connexions câblées plutôt que le Wi-Fi. Tout comme en matière d'alimentation, la Dre Redmayne dit qu'il « est important d'être conscient et de prendre des mesures pour réduire l'exposition aux radiofréquences dans le quotidien. »

Réponse du Ministère

Santé Canada se défend bien de menacer la santé des enfants : « Les limites établies dans le Code de sécurité 6 pour l'exposition humaine à l'énergie RF sont conçues pour protéger tous les groupes d'âge, y compris les enfants, sur une période continue (24 heures sur 24, 7 jours sur 7), affirme son porte-parole André Gagnon. Cela signifie que si une personne, y compris un jeune enfant, est exposée à l'énergie RF de sources multiples, 24 heures sur 24, 365 jours par année, selon les limites établies dans le Code de sécurité 6, elle n'aura aucun effet néfaste sur sa santé. Ces limites d'exposition du Code de sécurité 6 sont  fondées sur des données scientifiques qui correspondent aux normes à fondement scientifique utilisées dans d'autres parties du monde, notamment aux États-Unis, dans l'Union européenne, au Japon, en Australie et en Nouvelle-Zélande. De vastes marges de sécurité ont été intégrées aux limites afin de fournir un niveau de protection important au grand public et au personnel travaillant près de sources émettrices de RF. »

M. Gagnon ajoute : « Santé Canada fixe les limites d'exposition du Code de sécurité 6 en tenant compte de toutes les études scientifiques évaluées par des pairs. Elles sont établies selon le niveau d'exposition minimale (valeur seuil) pour lequel les résultats d'études scientifiques indiquent des dangers pour la santé et tiennent compte de l'exposition totale combinant toutes les sources d'énergie RF. À partir des données scientifiques actuelles, les chercheurs de Santé Canada ont conclu qu'une exposition à l'énergie RF aux niveaux permis par le Code de sécurité 6 n'entraînera aucun effet néfaste sur la santé. À l'échelle internationale, quelques villes, provinces ou pays appliquent des limites plus restrictives concernant l'exposition aux champs de RF émis par les tours de téléphonie cellulaire, même en l'absence d'éléments scientifiques probants à l'appui de la nécessité d'imposer de telles limites. De plus, dans bien des cas, ces limites plus restrictives ne sont pas appliquées à d'autres appareils sans fil dans les mêmes villes, provinces ou pays. »

Un expert contredit Santé Canada

Or selon les experts de l'organisme Canadiens pour une technologie sécuritaire, dont le Dr Anthony B. Miller, professeur émérite d'épidémiologie à l'Université de Toronto, le Code de sécurité 6 ne tient pas compte des connaissances scientifiques indépendantes les plus récentes et Santé Canada sous-estime les risques pour la santé à long terme des faibles expositions répétées aux CEM/RF. « Les enfants devraient réduire leur exposition aux émissions du Wi-Fi et les femmes enceintes devraient éviter de mettre un portable ou une tablette sur leur ventre », nous disait en entrevue l'année dernière celui qui fut directeur de la division d’épidémiologie à l’Institut national du cancer, de 1971 à 1986.

De nouveaux conseils de prudence

Bien que son site affirme toujours qu'aucune mesure de précaution n'est nécessaire pour se protéger des radiofréquences, Santé Canada a changé quelque peu son fusil d'épaule et semble effectivement entretenir la confusion. M. Gagnon nous a précisé que le Ministère encourage désormais les parents à prendre des mesures « afin de réduire l'exposition de leurs enfants aux RF émises par les cellulaires, puisque les enfants sont généralement plus sensibles à divers agents environnementaux. Santé Canada rappelle que l'on peut réduire l'exposition aux RF des cellulaires :
• en limitant la durée des appels sur le cellulaire;
• en optant pour un appareil « mains libres »;
• en remplaçant les appels sur le cellulaire par des textos. »

Du même souffle, M. Gagnon souligne par contre que : « Les précautions prises pour limiter l'exposition à l'énergie RF émise par les stations de base sont inutiles, car les niveaux d'exposition sont normalement bien inférieurs à ceux précisés dans des normes d'exposition axées sur la santé. » Pourtant, plusieurs études ont indiqué que l'exposition prolongée aux micro-ondes émises par ces antennes relais de téléphonie cellulaire est liée à divers symptômes et à un risque accru de cancer chez les gens vivant jusqu'à 500 mètres face à leurs faisceaux de radiofréquences. C'est ce qui a incité des pays à légiférer en la matière, dont Israël qui interdit leur implantation sur les habitations et Taïwan qui a ordonné le démantèlement de 1 500 antennes situées à proximité de lieux habités.

Pour leur part, l'Association américaine de pédiatrie et l'Association médicale californienne réclament l'adoption de limites d'exposition aux CEM/RF plus sévères tenant compte de ces effets non thermiques afin de mieux protéger les enfants et autres populations vulnérables. En janvier, la France a interdit le Wi-Fi dans les garderies et exigé qu'il soit débranché dans les écoles primaires lorsqu'il n'est pas utilisé pour des activités pédagogiques. Et le 16 juin dernier à la Chambre des communes, le comité permanent de la Santé faisait 12 recommandations au gouvernement canadien en matière d'exposition aux radiofréquences. Parmi celles-ci, améliorer la recherche, le diagnostic et le traitement de l'hypersensibilité électromagnétique, et qu'un « organe scientifique indépendant reconnu par Santé Canada détermine s’il faut adopter au Canada les mesures et les lignes directrices décidées dans d’autres pays, comme la France et Israël, pour limiter l’exposition aux radiofréquences des groupes vulnérables, dont les bébés et les jeunes enfants en milieu scolaire. »

Pour en savoir davantage

Voir les présentations (sur vidéo et Powerpoint) faites par de nombreux experts internationaux en effets sanitaires des CEM au 5e Colloque de l'Appel de Paris, le 18 mai 2015 à Bruxelles