L’histoire est écrite dans les livres, dépeinte dans la culture, vivante dans les coutumes et l’architecture. Alain Lachance, artisan-ébéniste passionné des maisons anciennes, propose un retour aux sources pour assurer la continuité de cette histoire à travers le patrimoine d’aujourd’hui et de demain, et il lutte pour le soutien des artisans des métiers traditionnels.
Un artisan à contre-courant
Depuis sa sortie de l’école d’ébénisterie, à la fin des années 1970, Alain Lachance combat les mots d’ordre de l’industrie de la construction : productivité et profit. Un beau midi, sur un chantier, un collègue le confronte : « T’es pas correct, Alain… Comment on va faire pour avoir de l’ouvrage dans 10 ans si on fait tout consciencieusement et à toute épreuve? » L’expert en restauration de maisons anciennes est scandalisé. « C’est la mentalité du "plus vite ça va briser, plus vite je vais travailler pour le refaire", dénonce Alain Lachance. Tout le contraire de celle de l’artisan. »
Celui qui enseigne l’ébénisterie au Centre de formation professionnelle de Neufchâtel, à Québec, déplore que la plupart des gens optent pour les aubaines au détriment de la qualité et de la durabilité. « On a peur de se faire avoir et de payer trop cher, dit-il. Alors on cherche le meilleur prix, parfois en passant à côté de la qualité. Les gens ne sont pas conscients de la portée de leurs choix. »
Autant l’industrie a façonné au fil des ans les techniques de construction, autant elle a plié l’échine devant les chasseurs d’aubaines. Pour M. Lachance, tout est une question d’offre et de demande. C’est à l’industrie d’offrir des produits alléchants.
L’esprit artisan
Les valeurs de l’artisan sont tout autres. « C’est une question de mentalités, dit Alain Lachance. L’artisan a toutes les préoccupations, la connaissance de la tradition pour savoir comment agir. Il intervient à toutes les étapes du processus et a le souci du travail de qualité. Si le produit n’existe pas, il va le créer. Pour ça, il faut avoir une sensibilité, la motivation et la passion. »
Il souligne les conséquences négatives des délais raccourcis et des matériaux industrialisés. « Avec les techniques anciennes, il fallait respecter certains délais, prendre le temps qu’il fallait, organiser son travail selon des contraintes du métier qui sont importantes pour faire un bon produit. »
Les méthodes anciennes étaient axées sur des produits naturels comme le bois et la chaux qui, utilisés selon les règles de l’art, n’affectent ni la santé de l’environnement ni celle des usagers. « J’aime utiliser des matériaux sains, car j’ai le goût d’habiter une maison saine. L’artisan prône la durabilité, une architecture écologique saine, la qualité des matériaux et de la fabrication. »
Ce refus des concessions comporte un prix, concède ce puriste. « Les artisans sont des gens qui travaillent fort et qui ne sont pas riches. Leurs enfants et la relève voient ça et hésitent certainement. Il faut vraiment être passionné. »
Une certification attendue depuis 20 ans
Or, l’avenir des artisans augure bien, selon lui. Le Conseil des métiers d’art du Québec (CMAQ) créera bientôt un comité sur les métiers du bâtiment et de l’architecture, un dossier sur lequel Alain Lachance planche depuis près de 20 ans. « Depuis l’an passé, une personne au Conseil travaille exclusivement pour nous. C’est très encourageant, ça aboutit enfin! Dès cet été, des membres seront admis. »
Les bénéfices de ce comité seront multiples. D’abord, ses membres constitueront un répertoire d’artisans recommandés. Ceux-ci devront souscrire à des normes et à un code d’éthique stricts.
« Ça va régler un paquet de problèmes, dit Alain Lachance. Le but est de regrouper des professionnels consciencieux, compétents et honnêtes. Avec les standards, ils seront sujets à la critique ou à l’expulsion en cas de problèmes. Ça apportera aussi une visibilité aux artisans. Recommandés, ils auront plus de travail et seront mieux payés. Ça assure la pérennité de la relève. » Celle-ci sera aussi soutenue par l’élaboration de cours, pour la formation de base et continue. Ce comité permettra aussi aux artisans de créer un précieux réseau de contacts facilement accessibles.
Finalement, l’artisan-ébéniste soutient l’importance d’un tel comité pour la gestion du patrimoine québécois, rappelant qu’« un patrimoine non entretenu ou mal conservé, tout le monde paie pour ça. »
Le Conseil travaille ainsi en étroite collaboration avec une foule d’organismes du milieu, tels que les Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ), le ministère québécois de la Culture, l’Ordre des architectes du Québec et la Commission des lieux et monuments historiques du Canada (Parcs Canada).
Alain Lachance ajoute qu’un des objectifs de ce comité est de collaborer avec l’industrie de la construction. « On ne veut pas freiner l’industrie, on veut juste pouvoir coexister, qu’elle nous tolère. On veut aussi offrir une option accessible à ceux qui recherchent autre chose de plus écologique et de meilleure qualité. »
Les défis de la restauration
Une des difficultés auxquelles les propriétaires de maisons anciennes doivent faire face est le manque de connaissances et de contacts. « Il faut connaître les matériaux et les techniques pour qu’ils durent. On doit aussi s’adapter aux produits d’aujourd’hui, qui ne sont plus nécessairement les mêmes qu’autrefois. » M. Lachance déplore aussi la disparition des recettes anciennes précisant les proportions justes pour recréer fidèlement les chefs-d’œuvre d’antan. « Pour la chaux par exemple, on sait que nos ancêtres bouillaient des cocottes de pin, ce qui donnait une eau résineuse qu’ils mélangeaient à la chaux. Mais quelles quantités de cocottes et d’eau? Les recettes se sont perdues avec le temps. »
Un autre défi est l’aspect unique des matériaux de construction. « Il faut faire affaire avec des artisans capables de fabriquer ces pièces », explique t il, mentionnant les planches de bois manquantes du plancher du rez-de chaussée de sa maison, qu’il a dû refaire entièrement.
Un parcours en ligne droite
Alain Lachance dit avoir toujours tenu le même discours et fait des choix en fonction de ses valeurs profondes. Une attitude consacrée par l’obtention d’un Prix du patrimoine 2011, catégorie Porteurs de tradition, remis par le Conseil de la culture des régions de la Capitale-Nationale et de la Chaudière-Appalaches. Cette catégorie « rend hommage aux personnes reconnues dans leur milieu, qui possèdent une somme de connaissances et la maîtrise d’une pratique culturelle traditionnelle. » Pour le lauréat, c’est très motivant et valorisant. « Ultimement, mon rêve est de participer à la création d’une école du patrimoine, où différents niveaux d’expertise seraient offerts, pour préserver le patrimoine actuel et de demain. »
Une maison qui marque l’histoire
Alain Lachance a consacré toute son expertise et son amour des vieux bâtiments à rebâtir entièrement une maison de pièces de la fin du 18e siècle, avec l’aide de sa conjointe France Lafleur et de ses enfants. Provenant de Saint-Jean Chrysostome, en banlieue de Québec, elle fut démontée et numérotée pièce par pièce, puis reconstruite fidèlement à ses origines à partir de 1998 sur le terrain de M. Lachance, à Boischatel.
Sa résidence de bois, en pin de 6 po (15 cm) d’épaisseur sur solage de pierres, est divisée en deux sections qui se distinguent par leurs méthodes de construction. La première, la plus ancienne, est d’inspiration française et date de la fin du 18e siècle. Le fini est brut, le bois naturellement travaillé à découvert. Elle est constituée d’une seule grande pièce ouverte au rez-de-chaussée, à la manière de la maison traditionnelle de Nouvelle-France. À l’étage, elle se démarque par un toit plus complexe, avec poinçons (partie horizontale) et croix de Saint-André entre les fermes, ainsi que par les chevilles qui fixent l’assemblage et les arbalétriers qui soutiennent le toit.
La seconde partie de la maison est marquée par la Conquête anglaise, alors que sa finition est plus délicate, le bois plus ouvragé avec des murs à caissons (avec deux niveaux de planches de largeurs différentes). La charpente de toiture de cette section est moins élaborée et plus discrète, signe de l’évolution des techniques de construction.
En son centre, la maison est dotée d’une cheminée en pierres véritables avec un foyer de conduits d’argile cuite adapté afin d’augmenter son efficacité de combustion. L’âtre a deux parois en angle permettant de mieux diffuser la chaleur et possède en son centre une plaque de fonte pour protéger le cœur de la cheminée et réverbérer la chaleur dans la pièce. Entre les pierres, M. Lachance a utilisé un mélange de chaux pure et de sable, avec du ciment Portland pour l’extérieur de la cheminée et de l’eau pour l’intérieur. Cette cheminée en pierres a l’avantage d’être très durable, bien plus qu’un coffrage en blocs de béton paré de pierres, car le béton a tendance à fissurer avec le temps, explique l’artisan.
Tout l’intérieur de la maison est en bois et les jonctions des pièces sont isolées à l’étoupe de chanvre (fibre végétale non tissée, en vrac). Un mur endommagé a reçu un enduit à la chaux. Bien que les maisons en bois massif soient parfois réputées comme étant confortables, celle de M. Lachance est isolée par l’extérieur au polyisocyanurate de 1 po (25 mm) d’épaisseur. La toiture est quant à elle coiffée de bardeaux de cèdre aux bouts biseautés, préalablement trempés dans l’huile de lin pour assurer leur durabilité.
Il ne peut en être autrement chez celui qui veille sur notre patrimoine!
Pour en savoir davantage :
maisons-anciennes.qc.ca