L'électrohypersensibilité (EHS) serait liée à la gestion de cassures à simple brin (SSB) ou double brin (DSB) de l'ADN, selon une nouvelle étude financée par l'Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses).
« Ces résultats ont confirmé que l'EHS pourrait être lié à la gestion des SSB et/ou des DSB », concluent l'étude dirigée par Laurène Sonzogni de Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) et publiée le 16 mai dans l'International Journal of Molecular Sciences (1).
Les troubles attribués aux ondes électromagnétiques dont se plaignent de nombreuses personnes ont longtemps été catégorisées comme psychosomatiques, mais cette nouvelle étude apporte un nouvel éclairage. Basée sur une questionnaire d'autoévaluation mais surtout sur la caractérisation biomoléculaire de cellules de peau de 26 volontaires recrutés par l’intermédiaire de l'association nationale PRIARTEM / Electrosensibles de France, cette étude clinique montre que les volontaires électrosensibles sont également faiblement mais significativement radiosensibles. « En effet, ils présentent un retard de la réparation de leur ADN face à des agents connus pour occasionner des cassures double-brin comme les rayonnements ionisants ou l’eau oxygénée », explique l'association dans un communiqué publié aujourd'hui. Le questionnaire et les données biologiques ont été analysés indépendamment l'un de l'autre.
Autre volet marquant, l’étude définit deux types d’électrosensibilité, en se basant sur les réponses au questionnaire ainsi que sur les données biologiques. « La bonne correspondance (64%) entre les deux approches laisse espérer la possibilité de développer à terme des tests biologiques prédictifs, ajoute PRIARTEM. Ainsi, un premier type d’électrosensibilité présenterait de faibles symptômes en absence d’exposition électromagnétique mais de fortes réactions lors d’expositions (dit LBHR pour Low Background and Highly Responsive). Le type LBHR serait plutôt associé à une prédisposition élevée à des syndromes de cancer. Le second type présenterait déjà des symptômes notables en absence d’exposition électromagnétique et une réaction modeste aux expositions (dit HBLR pour High Background and Lowly Responsive). Sur le plan biologique, le type HBLR correspondrait ainsi à un sous-groupe présentant spontanément (en l’absence d’exposition) des cassures double-brin d’ADN et des déficiences dans leur reconnaissance par les voies de réparation. Le type HBLR serait associé à un risque élevé de vieillissement accéléré. »
Pour Elisabeth Renwez, vice-présidente de PRIARTEM / Electrosensibles de France, ces résultats doivent être pris en compte sans attendre par le corps médical, les acteurs sociaux et les pouvoirs publics : « Il est important de faire connaître ces nouvelles données et de combattre les a priori psychologisants sur l’électrosensibilité. La prise en charge médicale des électrosensibles doit être adaptée à leur radiosensibilité et les risques de développer de graves pathologies à terme. Si l’étude est exploratoire, les résultats sont suffisamment alarmants pour s’engager dans une démarche de précaution. En conséquence, l’association va saisir la Haute Autorité de Santé en ce sens. »
Sophie Pelletier, présidente de PRIARTEM / Electrosensibles de France, salue ces avancées : « Nous attendions ces résultats depuis plus de dix ans. Ils sont importants parce qu’ils suggèrent de manière claire une base biologique à nos troubles et ouvrent des perspectives en matière de recherche et de changement de paradigme scientifique. Nous appelons de nos vœux la réalisation rapide de la suite des expérimentations qui doivent maintenant étudier l’impact d’une exposition aux ondes électromagnétiques. »
L'EHS et son lien de causalité avec l'exposition aux champs électromagnétiques (CEM) restent une question majeure de santé publique car les études comportementales ou celles basées uniquement sur un questionnaire d'autoévaluation peuvent être source de nombreux biais. Les chercheurs de l'INSERM ont donc conçu leur étude clinique afin de proposer une définition moléculaire de l'EHS (DEMETER) en combinant un questionnaire d'autoévaluation et des investigations biologiques sur une collection de fibroblastes primaires dérivés des patients DEMETER.
Bref, ils ont étudié la réponse aux CEM des cellules provenant de personnes souffrant d'hypersensibilité électromagnétique afin de pallier les biais des études comportementales.
Leurs conclusions sont basées sur des expériences cellulaires in vitro et nécessitent des études supplémentaires pour vérifier l'applicabilité de ces résultats aux personnes atteintes de la HSEM. En outre, des orientations pour de futures études, telles que des expériences in vivo ou des études de cohortes plus importantes, peuvent être proposées pour valider davantage les résultats.
Toutefois, dans son blogue, l'expert finlandais Dariusz Leszczynski est plus nuancé car cette étude ne portait pas sur les effets des CEM de radiofréquences : « Ils ont examiné la sensibilité des cellules aux rayons X, mais pas leur sensibilité aux CEM. Plus important encore, ils ne savent pas ce qui a provoqué les symptômes des personnes se déclarant EHS. Était-ce les CEM, comme elles le prétendent, ou était-ce autre chose ? Et ne confondons pas la sensibilité aux CEM avec la sensibilité aux rayons X. Il faudrait plutôt parler de sensibilité aux rayonnements ionisants. L'extraction de fibroblastes cutanés et l'examen de leurs réactions aux rayons gamma et au H2O2 pourraient être intéressants pour rechercher des différences entre les personnes non EHS et EHS. Cependant, dans ce cas, nous ne savons pas si la physiologie des fibroblastes isolés chez les volontaires se déclarant EHS a été altérée par l'exposition aux CEM. »
Webinaire sur l'étude DEMETER du 16 juin 2025
Dans le cadre de la journée mondiale de l'EHS, PRIARTEM a organisé un webinaire autour de cette récente publication le lundi 16 juin présentée par Nicolas Foray, responsable de l'équipe coordinatrice de l'étude, Directeur de l'Unité UMR 1296 « Radiations : Défense, Santé, Environnement », et animée par Sophie Pelletier.
Le Dr Foray y explique : « On a travaillé avec le SAMU [Service d'aide médicale urgente] de Paris qui, sur 30 donneurs brancardiers ou médecins, donc des gens apparemment en bonne santé, ont donné leur peau et on a pu voir que sept sur trente étaient du groupe 2 sans le savoir. Donc, vous pouvez être en très bonne santé, sans rien demander de quoi que ce soit mais si vous recevez une dose de radiothérapie, ce qui est Hiroshima dans la cellule, bien vous vous allez réagir d'une façon différente des (gens du) groupes 1, radiorésistants... Le fait d'avoir vingt-six cas EHS sur vingt-six dans le groupe 2, compte tenu des contraintes entre chacun des marqueurs, n'est pas une coïncidence. Cependant, là où je ne peux pas m'exprimer très clairement ou de manière définitive, c'est qu'avec les deux types d'EHS, nous pourrions découvrir un troisième type. Je ne sais pas. Mais en tout cas, pour l'instant, nous en avons deux.
Quant au lien entre le questionnaire et la biologie, c'est la première fois que ce lien est établi. Nous parlons donc d'une identité de 64 %, ce qui est déjà fantastique, car nous savons qu'un questionnaire est plein de biais anamnestiques et que nous ne pouvons donc pas avoir une relation aussi bonne. Ici, elle est encore assez solide, c'est pourquoi, comme je l'ai dit, nous analysons d'abord le questionnaire et trouvons des sous-groupes que nous avons appelés 1 et 2 dans l'article. Nous examinons la biologie, trouvons des sous-groupes que nous avons appelés A et B dans l'article (note de l'éditeur : étude), puis nous constatons que 1 et 2 sont pratiquement identiques à A et B. Mais nous aurions pu, nous avons dû procéder ainsi.
Donc, évidemment, le plus important est ce qui vient ensuite. Il s'agit de réaliser les expériences avec les différents types d'ondes, puis nous pourrons parler de documentation et de tests prédictifs, car faire un test Copernic qui vous dit que vous êtes dans le groupe 2 ne vous dit pas aujourd'hui que vous êtes électrosensible. En revanche, nous savons que les personnes électrosensibles appartiennent au groupe 2. Nous allons donc avoir besoin de marqueurs plus significatifs et, surtout, le plus difficile sera de déterminer ces fameuses protéines X, qui limitent la reconnaissance des cassures en empêchant tous les ATM de passer dans le noyau. »
Visionner gratuitement ce webinaire ici.
(1) Sonzogni, L.; Al-Choboq, J.; Combemale, P.; Massardier-Pilonchéry, A.; Bouchet, A.; May, P.; Doré, J.-F.; Debouzy, J.-C.; Bourguignon, M.; Dréan, Y.L.; et al. Skin Fibroblasts from Individuals Self-Diagnosed as Electrosensitive Reveal Two Distinct Subsets with Delayed Nucleoshuttling of the ATM Protein in Common. Int. J. Mol. Sci. 2025, 26, 4792. https://doi.org/10.3390/ijms26104792