« Nous constatons une augmentation des gliomes et des glioblastomes dans les statistiques nationales, en particulier chez les jeunes », s'inquiète le docteur en radiobiologie Oleg Grigoriev, qui dirige le comité national russe sur la protection contre les rayonnements non ionisants.  

Un organisme lié aux industries électrique et du sans-fil sème le doute, au sein du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), quant aux dangers des champs électromagnétiques (CEM) de radiofréquences (RF) que plusieurs experts estiment au minimum probablement cancérogènes, dénonce le président du comité national russe sur la protection contre les rayonnements non ionisants. 

Depuis quelques années, une « vaste campagne » visant à « semer le doute au sein du CIRC » est orchestrée par un « groupe d'influence qui forme l'opinion publique et scientifique sur le fait que les radiofréquences ne présentent pas de risque de cancer », déplore le Dr Oleg Grigoriev, membre du comité aviseur du CIRC sur les CEM, dans un courriel adressé aujourd'hui à divers chercheurs internationaux, ainsi qu'à La Maison du 21e siècle. Ces personnes qui nient le risque de cancer des RF, sont très actives au sein de certaines agences nationales et par l'intermédiaire d'un organisme controversé, l'ICNIRP (Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants). Cet organisme publie depuis 1998 les limites d'exposition aux RF adoptées par la plupart des pays, limites qui ne visent qu'à éviter les effets thermiques de cette forme de rayonnement comprenant les micro-ondes. « De la poudre aux yeux », dénoncent des chercheurs indépendants qui réclament une révision indépendante de ces limites qui font fi des effets non thermiques du rayonnement de RF à long terme. « La majorité des scientifiques de l’ICNIRP ont effectué des recherches partiellement financées par l’industrie », expliquait un rapport publié en 2020 par les députés Verts européens Michèle Rivasi et Klaus Buchner.

En 2011, le CIRC, une agence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), avait classifié le rayonnement RF émis par tous les appareils de télécommunication sans fil dans son Groupe 2B, « peut-être cancérogène pour l'Homme ». Un comité d'experts indépendants avait alors conclu qu'il existait des « preuves limitées » que l'utilisation d'un téléphone cellulaire à long terme augmentait le risque de gliome, un type de cancer du cerveau, et de neurinome de l'acoustique, une tumeur bénigne du nerf auditif. Le risque de gliome augmentait de 40 % chez les utilisateurs intensifs (30 minutes par jour pendant 10 ans), mais de 100 % pour les tumeurs situées du même côté de la tempe et du front où l'on posait son téléphone, selon les études Interphone. Dans ses études, l'oncologue et épidémiologiste suédois  Lennart Hardell a observé des risques encore plus élevés, jusqu'à quintuplés si on adoptait le cellulaire avant l'âge de 20 ans.

Messages contradictoires 

En attendant d'avoir des données plus probantes, le directeur du CIRC, Christopher Wild, affirmait « important de prendre des mesures pratiques afin de réduire l’exposition, comme l’utilisation de kits mains libres ou des textos ». Deux mois plus tard, l'OMS contredisait le CIRC en affirmant : « à ce jour, il n'a pas été établi que l'utilisation des téléphones mobiles avait des effets néfastes sur la santé ». Il faut savoir que le Projet de recherche de l'OMS sur les CEM a été fondé et dirigé pendant dix ans par le fondateur de l'ICNIRP, l'ancien chercheur de Santé Canada Michael Repacholi, bien connu comme un consultant auprès des industries. (Lire son entrevue accordée au consortium de journalistes Investigate Europe, concernant le conflit d'intérêts potentiel du financement industriel de la recherche sur les effets biologiques des ondes qui conclut sept fois sur dix à leur innocuité, comme l'a révélé le chercheur américain Henry Lai.)

Or, diverses études récentes, faites notamment en Corée du Sud, au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Danemark, montrent que les gliomes et autres tumeurs cérébrales associées à l'utilisation du cellulaire à long terme sont en hausse, selon le Dr Grigoriev. « Nous constatons une augmentation des gliomes et des glioblastomes dans les statistiques nationales, en particulier chez les jeunes, s'inquiète ce docteur en radiobiologie et hygiène des rayonnements non ionisants. 

L'industrie contre-attaque

L'industrie des télécoms et les chercheurs qu'elle finance sont sur un pied d'alerte depuis 2018, alors que deux études toxicologiques de grande qualité ont prouvé qu'il était possible de causer des cancers en surexposant des rats au rayonnement de RF/micro-ondes. La première, publiée par le National Toxicology Program (NTP) américain, portait sur le rayonnement de téléphones cellulaires; la seconde, de l'Institut Ramazzini italien, simulait l'exposition au rayonnement d'antennes cellulaires. Or, en plus d'endommager l'ADN des rats, entre autres effets, les deux études ont révélé des preuves claires de schwannomes malins du cœur, un forme très rare de cancer qui se développe dans la myéline isolant les fibres nerveuses. « Plus qu'une coïncidence », ont commenté divers experts interviewés par Microwave News, un média hautement respecté en la matière. Surprise totale chez les chercheurs du NTP, dont l'hypothèse de départ était que le rayonnement RF ne causerait pas le cancer. Le neurinome de l'acoustique est aussi un type de schwannome. Comme l'expliquait le NTP : « Les cellules de Schwann sont similaires aux cellules gliales du cerveau en ce sens qu'elles sont des cellules de soutien spécialisées dont les fonctions comprennent le maintien de l'homéostasie, la formation de myéline et le soutien et la protection des neurones du système nerveux périphérique. »

Oleg Grigoriev est membre du groupe consultatif du CIRC sur les CEM qui a recommandé, en 2019, de désigner les RF parmi les agents à plus haute priorité de révision de leur classification par rapport au cancer. Au sein de ce groupe, il dit qu'une discussion « difficile » avait débouché sur une décision collective de conclure qu'il y avait suffisamment de données pour réviser la classification des CEM et des RF entre 2022 et 2024. « Cela signifie que les données sont suffisantes pour une classification dans le Groupe 2A [probablement cancérogène pour l'Homme], au minimum. Toutefois, la révision de la classification des CEM de RF n'a pas encore eu lieu. Il convient de noter qu'au cours de ces années, nous avons assisté à une vaste campagne visant à abolir la classification des CEM RF en fonction du cancer. À mon avis, ce serait une grave erreur si les CEM de radiofréquences n'étaient pas inclus dans le programme de révision de la classification des cancers 2025-2029. C'est une priorité de santé publique, c'est mon opinion personnelle et celle de mes collègues », ajoute le président des départements des rayonnements non ionisants et consul scientifique pour la radiobiologie à l'Académie des sciences de Russie. D'ailleurs les RF ont de nombreux autres effets (neurologiques, cardiaques, immunitaires, etc.) sur la santé et l'environnement qui font consensus auprès des chercheurs indépendants et des médecins cliniciens.

L'ICNIRP contrôle le message

Dans sa missive il demandait donc à ses collègues de proposer les RF parmi les priorités de révision dans la prochaine ronde (2025-2029) de réévaluation des agents potentiellement cancérogènes, au CIRC. Jusqu'ici, le CIRC avait toujours été une agence scientifique indépendante et non politisée de l'OMS, nous expliquait il y a quelques années le Dr Anthony B. Miller, professeur émérite d'épidémiologie à l'Université de Toronto. C'est lui que le CIRC avait mandaté pour réviser les références soutenant la classification 2B des RF, en 2011. Or, depuis 2018, le CIRC a systématiquement écarté des experts tels les Drs Miller et Hardell qui estiment que les RF sont des cancérogènes avérés, et l'organisme est de plus en plus noyauté par des chercheurs liés à l'ICNIRP, tels Joachim Schüz et Maria Feychting

Selon le rapport de députés Verts Buchner et Rivasi, le CIRC n'est pas « une commission indépendante donnant des conseils basés sur des preuves scientifiques », comme elle se présente et est décrite dans les médias. Cette organisation privée réside à l’Office fédéral allemand de protection contre les rayonnements et ne compte qu'un « seul expert médical (qui n’est pas un spécialiste des effets des rayonnements sans fil) parmi les 14 membres de sa Commission... L’ICNIRP a été, et est toujours, dominée par des spécialistes des sciences physiques, ce qui n’est peut-être pas la composition la plus sage lorsque votre mission consiste à donner des conseils sur la santé et la sécurité humaines aux gouvernements du monde entier...  Il semble qu’un cercle fermé de scientifiques partageant les mêmes idées ait transformé l’ICNIRP en un club scientifique complaisant, avec un manque d’expertise médicale et biologique ainsi qu’un manque d’expertise scientifique dans les évaluations de risques spécifiques, ce qui pourrait conduire à une « vision étriquée ». 

Comme l’ont souligné de nombreux scientifiques critiques, les membres de l’ICNIRP semblent ignorer ou méconnaître les études scientifiques constatant les éventuels effets néfastes non thermiques, tels que les effets sur la qualité du sommeil, l’équilibre hormonal, le risque accru de fausses couches, de maladies neurodégénératives et aussi de cancers... Dans le même temps, le secteur des assurances n’est pas très rassuré et refuse de payer d’éventuels frais de justice lorsque les entreprises de télécommunications seront poursuivies, ce qui devient de plus en plus fréquent... Pour un avis scientifique réellement indépendant, nous ne ne pouvons pas et nous ne devons pas nous fier à l’ICNIRP. »

À lire : Recommandations russes pour la sécurité numérique des enfants (maisonsaine.ca, mai 2020)