André Bourassa, ancien président de l'Ordre des architectes et formateur en qualité de l'air intérieur pour la SCHL.
André Bourassa, ancien président de l'Ordre des architectes et formateur en qualité de l'air intérieur pour la SCHL.
Le projet de loi 44 doit permettre de respirer de façon équitable à domicile
Bien que le projet de loi no 44 — La loi visant à renforcer la lutte contre le tabagisme — représente un pas dans la bonne direction, il pourrait protéger encore mieux les personnes les plus vulnérables à la qualité de l'air (les nourrissons, les personnes âgées, les femmes enceintes, les personnes atteintes d'asthme, d'allergies, de maladies pulmonaires ou cardiovasculaires et les personnes hypersensibles) en s'appliquant également aux milieux de vie résidentiels, principalement dans les logements sociaux.

L'air est partagé

Les stratégies gouvernementales pour renforcer la lutte contre le tabagisme omettent un emplacement primordial d'exposition à la fumée secondaire : les immeubles à logements. Les nouvelles constructions multirésidentielles sont certes de mieux en mieux conçues et plus étanches les unes aux autres, mais il reste que les logements ne peuvent jamais être complètement hermétiques et laissent certainement une quantité de fumée de tabac secondaire et tertiaire traverser d'un logement à l'autre ou d'un logement aux espaces communs. Cette réalité est applicable aux immeubles résidentiels privés, aux copropriétés, mais aussi aux logements sociaux. Le parc de logements à prix modique se faisant de plus en plus vieillissant, il est d'autant plus probable, voire certain, que l'étanchéité des appartements est déficiente et que la fumée de tabac secondaire (FTS), largement répandue, se propage facilement d'un espace à l'autre. De plus, la ventilation, souvent partagée, ainsi que les effets de tirage et du vent à l'intérieur et à l'extérieur des immeubles sont des facteurs pris en compte par la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) pour expliquer le déplacement de l'air d'une unité à l'autre. Confiner la fumée du tabac devient donc impossible.Les mêmes propos sont corroborés, comme le consensus en la matière le veut, dans l'étude Politiques sans fumée à l'intérieur les logements publics, publiée, en 2010, dans le New England Journal of Medecine[1]. On y décrit spécifiquement que les fumeurs d'un appartement au sein d'une construction multirésidentielle mettent les résidents non-fumeurs des autres appartements en danger. Cette même étude confirme également que les locataires d'habitations à logements multiples peuvent être exposés à la FTS, par infiltration, au travers des murs, des ouvertures de filage et de plomberie, du système de ventilation et de sous les portes. Ils peuvent être exposés dans des aires communes et depuis l'extérieur, par les balcons et patios où fumer est permis.Par conséquent, puisque l'air se trouve à être partagé entre les logements, l'acceptabilité des usages qui en est fait devrait être sujet à règlement, tel que le bruit l'est, car il affecte tous les résidents et que respirer un air pur est un droit de l'homme fondamental[2].

Solution à des risques indus

De plus, étant donné sa toxicité de cancérogène du Groupe A, soit la catégorie réservée aux substances les plus dangereuses causant le cancer chez l'être humain[3], aucun niveau de FTS n'est reconnu sécuritaire, même à l'extérieur. Les interventions qui consistent à limiter ces infiltrations en scellant les diverses sources probables d'entrée, la ventilation et les purificateurs d'air ne sont donc que des pansements. Seule une politique de logement 100 % sans fumée permet, à cet égard, une qualité d'air acceptable pour la santé humaine[4] [5]. Une politique sans fumée devrait inclure, dans sa définition, les espaces suivants : l'intérieur des logements, les balcons, les patios, les cours arrières, les devantures de maisons, les terrains des habitations, leurs stationnements, leurs parcs, leurs jardins, etc., et ce, pour tous les résidents et visiteurs, les endroits communs étant déjà sans fumée.De telles politiques ont été associées à des taux de marqueurs biochimiques d'exposition au tabac significativement plus bas, ainsi qu'à des risques pour la santé diminués chez les non-fumeurs[6]. Elles peuvent également encourager la cessation tabagique au sein de la maisonnée, décourager l'initiation à la dépendance tabagique des jeunes et diminuer les risques d'incendie[7]. Elles contribuent, ultimement, à une équité en santé en assurant que plus de citoyens désavantagés soient exposés à une quantité moindre de FTS, et à une augmentation les chances que les fumeurs puissent cesser ou réduire leur consommation tabagique avec succès.[8]Un logement doit avant tout ne pas causer de blessures à ses occupants, qu'elles soient dues à une faute sanitaire ou structurelle, accidentelle ou chronique. Or, selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et selon le consensus médical admis, toute exposition à la fumée de tabac secondaire, sans égard à la quantité, même à l'extérieur, est une brèche de sécurité sanitaire[9]. Cette brèche est suffisamment significative pour réclamer une législation immédiate en ce qui concerne les logements sociaux en raison de la très grande vulnérabilité de leurs clientèles et au type de blessure causé par le tabagisme passif.

Avoir le choix d'un air sain

Les logements sociaux sont en effet une priorité étant donné que l'exposition à la FTS y est particulièrement troublante parce qu'elle afflige les populations désavantagées et vulnérables, incluant les ainés, les enfants et les personnes handicapées. Les résidents à faible revenu logeant dans des habitations à loyer modique, HLM, ou logements subventionnés et qui sont exposés à la FTS, contre leur gré et au sein de leur propre foyer, ont vraisemblablement des alternatives limitées en termes de logement ou sont même dans l'impossibilité de déménager[10]. Statistiquement, si la maladie est souvent signe de pauvreté, la pauvreté ne devrait pas obligatoirement s'accompagner d'une augmentation des chances de développer des maladies causées par l'exposition passive à la fumée de tabac.Bien que les propriétaires et gestionnaires de logements locatifs au Québec peuvent déjà inclure une clause sans fumée dans leur bail, on constate que le Québec continue à se singulariser en démontrant l'absence complète d'option de logement social public sans fumée, et, ce, même pour ceux dont la santé est très à risque.Pourtant, pour la seule ville d'Ottawa, sur les 251 communautés de logements sociaux publics qu'elle compte, 159 ont déjà commencé à implanter avec succès des politiques 100 % sans fumée[11], tel que défini plus haut, et ce, grâce, entre autres, à l'implication de la Santé publique locale, financée par Ontario sans fumée et sa stratégie qui associe éducation du public, programmes, politiques et lois.Aux États-Unis, en janvier 2012, déjà 250 gestionnaires de logements publics avaient fait le virage vers le 100 % sans fumée[12] [13].  En 2009, puis à nouveau en 2012, l'autorité fédérale américaine en matière de logement public a émis un mémorandum officiel à tous les gestionnaires de logements sociaux du pays suggérant fortement d'implanter des politiques sans fumée[14] [15].Au Québec, aucun gestionnaire de logements sociaux publics n'a emboité le pas volontairement malgré les années et on constate un cuisant retard à rattraper : une législation in extremis s'impose. Il devrait être de la responsabilité du gouvernement du Québec de légiférer pour assurer des logements sociaux sains et donc sans fumée, d'autant plus qu'une partie importante de la clientèle de ces logements présente un état de santé fragile, un handicap ou est en maintien à domicile, ce qui la rend plus sensible au cocktail toxique qu'est la FTS.

Ici comme ailleurs

Les tenants de l'épidémie de tabagisme évoquent parfois des inconvénients potentiels que pourraient subir les personnes ayant une dépendance au tabac. Ces arguments confondent et opposent le respect et la protection de toutes les personnes ainsi que leur droit inaliénable à la sécurité, à respirer un air pur et à la vie[16], et ce, afin d'éviter aux fumeurs à domicile les désagréments potentiels relatifs à l'adaptation de leur comportement social et son impact destructeur. Dans les faits, les voisins et colocataires de fumeurs à domicile, qu'ils soient eux-mêmes des femmes enceintes, des enfants, des personnes âgées, malades ou à mobilité réduite, sont, eux, entièrement captifs des cigarettes que le fumeur allume.On peut également douter de cette peur anticipée concernant la clientèle de fumeurs à domicile ayant des problèmes de santé mentale, car les instituts de santé mentale de l'île de Montréal sont dorénavant sans fumée, grâce, en partie, au soutien de la Santé publique de Montréal. Ces instituts incluent notamment l'Institut universitaire en santé mentale de Montréal (Hôpital Louis-H. Lafontaine), l'Institut universitaire en santé mentale Douglas[17] et l'Institut Philippe-Pinel qui a célébré, en 2014, les dix ans de l'implantation de sa politique sans fumée[18].De plus, la longue expérience de ce type de politique de logement 100 % sans fumée, ici comme ailleurs, démontre au contraire que les craintes évoquées ne sont pas avérées et que les taux de satisfaction et de respect de la politique en font un succès[19]. Le fait est que les logements sociaux sans fumée fonctionnent et respectent tous les individus. De plus, les populations ciblées peuvent bénéficier d'une offre d'aide à la cessation tabagique avec encore plus de succès[20].

Que des économies

Selon la nouvelle étude du Centers for Disease Control and Prevention (CDC)[21], les économies estimées d'une politique sans fumée dans tous les logements sociaux publics et subventionnés américains seraient de 521 M$ par année. Ces économies, substantielles et récurrentes, se déclinent ainsi : 341 M$ en diminution des soins de santé dus à la FTS, 108 M$ en rénovations économisées et 72 M$ pour compenser les pertes relatives aux incendies dus à la cigarette. Une autre recherche[22] a démontré que les coûts des maladies et des décès engendrés par la FTS chez les résidents de logements publics américains se chiffraient entre 183 M$ et 287 M$.Il est donc clair que les propriétaires et gestionnaires bénéficient d'économies non négligeables lorsqu'ils implantent des politiques 100 % sans fumée. N'ont-ils donc pas tout à gagner à établir des immeubles sans fumée? Les avantages sont pourtant nombreux : moins d'entretien, de rénovations, de plaintes sur la jouissance des lieux, d'incendies, mais aussi la conservation des structures et le bon voisinage?Les locataires des logements sociaux au Québec ont ceci de particulier : ils comptent parmi les plus vulnérables en matière de santé de notre société, mais aussi, en matière économique parce que le tabagisme aggrave la pauvreté des individus et des familles[23], tel que le document de l'OMS, intitulé du même nom, en fait état.En plus, de même que les individus qui la composent, la société québécoise doit soigner sa propre dépendance aux produits du tabac, car le tabac aggrave la pauvreté des pays[24], comme l'explique l'autre document de l'OMS.

La santé du public

La synthèse de connaissances non systématique intitulée Interdictions de fumer dans des immeubles résidentiels : exposition, mesures législatives et acceptabilité sociale, de l'INSPQ, se démarque par son aspect non systématique, parce que les constats dégagés s'inscrivent, pour la plupart, en faux avec le portrait systématique de la situation, et ce, avec le consensus scientifique admis en Santé et avec la réalité du succès et de l'avancement des politiques de logement sans fumée dans les autres juridictions. Le document donne, entre autres, l'impression dangereuse que le statu quo législatif pourrait être acceptable en termes de Santé publique, alors qu'il a été abordé plus haut que :

  • Les seuils de qualité d'air admis, dont il est question dans le document, sont des seuils de monoxyde de carbone en milieu de travail qui ne tiennent pas compte de la toxicité propre à la FTS. Aucune quantité de FTS n'est sécuritaire[25].
  • Les politiques sans fumée des logements sociaux, ailleurs qu'au Québec, sont plutôt le fruit de législations, de directives nationales, de soutien des directions de santé publique et de financement gouvernemental.
  • Tout type de logement confondu, la quantité de personnes qui tiennent à fumer dans leur propre logement est minime[26].
  • Les propriétaires de logements se sont prononcés lors de ces consultations sur la loi 44, en faveur de réglementations propre aux logements[27].
  • Les peurs anticipées par rapport aux changements d'habitudes à adopter pour certains groupes de personnes dépendantes aux produits du tabac ne s'avèrent pas dans les nombreux exemples qui existent déjà, alors que le fardeau imposé par la politique de non-action, aux personnes les plus vulnérables qui habitent un logement social public au Québec, est indigne et contrevient aux droits humains fondamentaux[28].

Conclusion

Dans les juridictions voisines, des centaines de logements sociaux ont déjà appliqué des politiques pour un environnement plus sain qui incluent des règlements interdisant de fumer. Ce ne serait donc pas utopique que le gouvernement québécois fasse de même. En somme, le projet de loi no 44 propose des avancées intéressantes, mais ne devrait pas se limiter aux bâtiments publics. Il devrait également supporter l'implantation de politiques sans fumée dans les logements sociaux.

À propos de l'auteur

André Bourassa est architecte associé au sein de la firme Bourassa Maillé architectes. Son élection, quatre mandats de suite, à la présidence de l'Ordre des architectes du Québec (2005-2013), est un indice manifeste de l'appréciation de ses pairs. En 2012, il a fait partie du comité Beaulieu visant à favoriser une utilisation accrue du bois dans la construction non résidentielle. Il a également été formateur pour la SCHL dans le cadre de son programme en qualité de l'air pendant plus de 15 ans ainsi que pour l'Agence de l'Efficacité énergétique et l'Université Laval. Outre la pratique professionnelle, André Bourassa est conférencier, formateur d'expérience, auteur de plusieurs articles et participe à des jurys. Texte présenté à la Commission de la Santé et des services sociaux du Québec dans le cadre des consultations sur le projet de loi 44. Rédigé en collaboration avec Mme Vanessa Bouchard.



[2] Respirer un air pur, un droit de l'homme fondamental, Organisation mondiale de la Santé, Mpower publications, brochure du programme de politiques pour inverser le cours de l'épidémie mondiale de tabagisme
[3] Respiratory Health Effects of Passive Smoking: Lung Cancer and other disorders, U.S. Environmental Protection Agency,1992
[4] Ibid 1
[6] Ibid 1
[7] Ibid 1
[8] Smoke-Free Housing: A Review of the Evidence. Toronto, Ontario: Kernoghan, A., Lambraki, I., Pieters, K., & Garcia, J.M, Program Training and Consultation Centre and the Propel Centre for Population Health Impact, University of Waterloo, 2014
9 Ibid 5
10 Ibid 1
[16] Ibid 2
[19] Sondage Beaver Barracks sans fumée, Centretown Citizens Ottawa Corporation, CCOC, Guide illustré, automne 2013
[20] Ibid 1 et 8
[21] Ibid 12 et 13

[23] Le tabagisme aggrave la pauvreté des individus et des familles, Organisation mondiale de la Santé, 2004. 

http://www.who.int/tobacco/communications/events/wntd/2004/en/factsindividuals_fr.pdf?ua=1

[24] Le tabac aggrave la pauvreté des pays, Organisation mondiale de la Santé, 2004. 

http://www.who.int/tobacco/communications/events/wntd/2004/en/factsnations_fr.pdf?ua=1

[25] Ibid 3 et 5
[26] Analyse épidémiologique : Examen des indicateurs relatifs au tabac, Santé publique Ottawa, mise à jour septembre 2013
[28] Ibid 2