Pourrons-nous jamais protéger nos enfants du plastique ?
Il y a quelques mois, j'ai reçu à midi un texto de la garderie de mon fils. Il était tombé d'un cheval à bascule et s'était mordu la langue. C'était une blessure assez banale pour un enfant de 18 mois, mais ils voulaient me prévenir avant d'aller le chercher ce jour-là; apparemment, il y avait eu une bonne quantité de sang. Lorsque je suis allée le chercher après le travail, il m'a accueillie avec un grand sourire et un anneau de dentition légèrement ensanglanté dans la bouche. J'ai été un peu inquiète de voir que sa langue saignait encore. Mais j'étais plus préoccupée par le jouet de dentition. Ses professeurs le lui avaient donné avec amour pour apaiser sa blessure, mais il était en plastique et dès que je l'ai vu, j'ai voulu l'arracher de sa bouche!
À bien des égards, il s'agit d'une histoire idiote. Mon fils est en contact avec des plastiques tous les jours de sa vie, à la garderie comme à la maison. Quelques minutes supplémentaires avec un jouet de dentition, ce n'était pas grand-chose. Mais ce moment résume le type d'anxiété auquel je suis souvent confrontée en tant que mère. Je m'inquiète des produits chimiques contenus dans le shampooing de mes enfants, des contaminants présents dans l'eau qu'ils boivent, des gaz d'échappement des voitures et des particules polluantes provenant des incendies de forêt que leurs petits poumons inhalent. Mais c'est surtout le plastique qui me dérange. Je me préoccupe constamment de tout le plastique avec lequel mes deux enfants sont en contact, qu'il s'agisse des Legos qu'ils jettent sur le sol, des animaux en peluche qu'ils cajolent ou de l'emballage des aliments qu'ils mangent, et de la manière dont je pourrais le réduire.
Bien sûr, l'anxiété est une composante normale de la vie de parent. Nous nous inquiétons sans cesse des coûts de garde des enfants, des avantages nutritionnels des aliments, des meilleures habitudes de sommeil et, bien sûr, des risques d'étouffement, de trébuchement et de morsure de la langue.
Pour moi, cependant, la menace que représente le plastique est différente. Le niveau d'infiltration du plastique dans nos vies et nos environnements est sans précédent. Et les menaces pour la santé associées au plastique le sont également.
Les plastiques entièrement synthétiques sont une innovation relativement récente, qui remonte à 1907, lorsque le chimiste belge Leo Baekeland a créé un polymère à partir de goudron de houille et d'alcool de bois. Peu après, grâce aux efforts combinés des industries des combustibles fossiles et de la chimie, nous avons eu le polyéthylène. À partir de là, la production de plastique est montée en flèche, d'abord pour répondre à la demande des deux guerres mondiales - pensez à l'isolation plastique des câbles de radar, au nylon des parachutes et au plexiglas des avions - puis en raison de l'intérêt des consommateurs pour toutes sortes de produits, des peignes en plastique aux lignes de pêche, en passant par les valises, les poupées, les ustensiles et, bien sûr, l'emballage alimentaire.
Il est difficile d'exagérer l'impact révolutionnaire de ce matériau. Alors que de nombreux produits en plastique étaient peut-être non essentiels, le plastique a permis aux gens à faibles et moyens revenus de consommer d'une manière qu'ils ne pouvaient pas se permettre auparavant. Les plastiques ont également apporté des progrès révolutionnaires dans le domaine de la santé, en réduisant les coûts de produits tels que les seringues et les poches à perfusion, en réduisant la propagation des maladies et en permettant d'innover dans toute une série de dispositifs médicaux.
Le problème, bien sûr, c'est que nous savons aujourd'hui que les plastiques sont également associés à une série de risques pour la santé, des risques qui proviennent de la production, de l'utilisation et de l'élimination. Il s'agit notamment des risques liés à l'extraction et au raffinage des combustibles fossiles dont sont constitués 99 % des plastiques. Ils comprennent également l'exposition aux 16 000 produits chimiques utilisés dans la production du plastique pour lui donner sa couleur, sa flexibilité, sa résistance à l'eau et d'autres caractéristiques encore. Les consommateurs sont confrontés à ces produits chimiques - notamment le bisphénol A (BPA), les phtalates et les composés perfluorés - dans les produits qu'ils utilisent tous les jours, ainsi que dans le sol, l'air et l'eau qui sont contaminés par des produits chimiques lessivés et des particules microplastiques.
Comme le Centre pour le droit international de l'environnement l'a indiqué dans un rapport de 2019, « ensemble, les impacts du plastique sur le cycle de vie brossent un tableau toxique sans équivoque. Le plastique menace la santé humaine à l'échelle mondiale. »
Ce fardeau n'est pas supporté de manière égale. L'extraction et le raffinage des combustibles fossiles, ainsi que la production de plastique, sont tous concentrés dans des communautés à faible revenu et en particulier où prédominent les personnes de couleur. Il en va de même pour l'élimination des déchets, en particulier dans les communautés à faible revenu du Sud, où les pays riches expédient une grande partie de leurs déchets.
Même en matière de consommation, certains groupes sont plus vulnérables que d'autres, notamment les nourrissons et les jeunes enfants. Les nourrissons boivent généralement dans des bouteilles en plastique. Ils mettent dans leur bouche des peluches en plastique (oui, le polyester est un plastique), des vêtements et des hochets. Ils rampent sur des sols pollués par des microplastiques.
Comme le souligne la sommité en santé infantile Dr Philip Landrigan, pédiatre, épidémiologiste et spécialiste en santé publique bostonais, ils mangent et boivent plus par livre que les adultes, ce qui accroît leur exposition aux emballages en plastique des aliments et de l'eau, ainsi qu'aux produits chimiques qu'ils contiennent. Ainsi, alors que pratiquement tout le monde sur Terre a aujourd'hui du BPA et des phtalates dans son corps, la recherche montre que les niveaux chez les enfants sont les plus élevés. Elle suggère également que les nourrissons présentent des niveaux de microplastiques nettement plus élevés. Les enfants des pays à faible revenu pourraient être particulièrement vulnérables, mais ils sont moins représentés dans les recherches existantes.
Et ce n'est pas seulement parce qu'ils sont plus exposés. « La grande particularité des enfants, y compris des nourrissons dans l'utérus, est qu'ils grandissent et se développent très rapidement », explique le professeur Landrigan, une sommité en santé environnementale infantile et directeur de l’observatoire global sur la santé planétaire, à Boston Colleg. Il est l’auteur principal d'un rapport publié en 2023 sur les effets des plastiques sur la santé pendant toute la durée de vie de l'enfant. « Le développement humain est un processus extraordinairement complexe, dit-il. En raison de sa complexité, il est facilement perturbé. Et si le mauvais produit chimique pénètre dans un bébé au mauvais moment, même une très petite dose peut avoir des conséquences dévastatrices. »
La recherche le confirme. L'exposition précoce à des substances chimiques telles que les bisphénols (y compris le BPA) et les phtalates augmente le risque d'altération du développement cérébral, de stérilité, de naissance prématurée et de cancer chez l'enfant.
Malgré ces risques bien réels, très peu de substances chimiques contenues dans les plastiques sont réglementées. Vous ne trouverez probablement pas non plus d'avertissements sur le plastique dans le cabinet de votre gynécologue-obstétricien ou de votre pédiatre.
« Les expositions environnementales sont souvent invisibles et silencieuses, et les effets sur la santé peuvent mettre des années ou des décennies à se manifester », m’a écrit Kam Sripada, neuroscientifique norvégien, par courriel. « Les programmes médicaux ont malheureusement minimisé la santé environnementale des enfants au cours des dernières décennies », déclare Sirpada, qui fait partie de l'organisme canadien Little Things Matter/Les petites choses comptent, regroupant une équipe internationale de scientifiques, de chercheurs et de militants qui s'efforcent de sensibiliser le public aux effets des produits chimiques toxiques sur la santé des enfants.
Bref, il en résulte une exposition croissante aux produits en plastique, avec peu de surveillance ou de conseils sur la manière d'y remédier. Les parents de jeunes enfants se retrouvent donc dans une position inconfortable : ils doivent se frayer un chemin dans le désordre du plastique, en essayant de déterminer ce que nous pouvons éliminer et les expositions que nous devons simplement accepter.
Je passe mes journées à lire et à écrire sur les nombreux périls environnementaux auxquels notre planète est confrontée et sur la façon dont les dommages environnementaux sont inégalement répartis entre les groupes raciaux, économiques et sociaux. Mais il n'est pas nécessaire d'être un journaliste environnemental pour comprendre la menace que représente le plastique, en particulier pour les jeunes enfants. Une recherche rapide sur Google permet d'obtenir une longue liste de titres suscitant la peur. « The Guardian s'interroge : » empoisonnons-nous nos enfants avec le plastique ? « Les produits chimiques contenus dans les plastiques endommagent le cerveau des bébés et doivent être interdits immédiatement, selon un groupe d'experts », lit-on sur CNN. Et sur ScienceAlert : « Une vaste étude mondiale sur les jouets en plastique révèle plus de 100 substances susceptibles de nuire aux enfants. »
« L'écoanxiété n'est pas une pathologie, affirme Heidi Schreiber-Pan, thérapeute agréée et fondatrice du Center for Nature Informed Therapy. L'écoanxiété est la bonne réponse à une menace réelle pour notre survie. »
Et elle peut nous être bénéfique. « Nous ne pouvons ni ne voulons éliminer l'anxiété, car elle joue un rôle », explique Thomas Doherty, psychologue spécialisé dans l'application d'une perspective environnementale à la santé mentale. Nous devrions, en fait, être capables de nous inquiéter d'une menace - c'est très adaptatif. Mais, ajoute-t-il, nous devrions essayer de « préserver la partie saine de l'anxiété et essayer de réduire les parties réellement débilitantes ou contre-productives, ce qui est plus facile à dire qu'à faire ».
Jennifer Silverstein, travailleuse sociale spécialisée en santé mentale infanto-familiale qui place la justice climatique au cœur de son travail, a été confrontée à cet équilibre difficile à trouver. Elle-même parent, Mme Silverstein se souvient avoir passé les premières années de son bébé « vraiment noyée » dans la difficulté de lui créer un environnement sain. Durant la pandémie de COVID-19, elle s'est retrouvée figée dans une épicerie pendant une heure, réfléchissant à ce qu'elle allait acheter maintenant que ses produits de base en vrac préférés - et sans plastique - n'étaient plus disponibles.
« Ce fut la goutte d'eau qui a fait déborder le vase », dit-elle en parlant de cette expérience, qui l'a amenée à recentrer son énergie sur l'action collective plutôt qu'individuelle dans ce domaine. « La vérité, aussi difficile à entendre soit-elle, c'est qu'il y a des microplastiques dans tout et que nous ne pouvons protéger nos enfants que dans une certaine mesure. »
Bien entendu, des précautions raisonnables peuvent être prises pour réduire l'exposition aux microplastiques. Enlever ses chaussures en arrivant à la maison, par exemple, pour éviter de répandre les microplastiques transportés par la poussière. Utiliser des biberons en verre. Minimiser autant que possible l’utilisation de plastique dans les vêtements (de polyester, nylon, acrylique, polyamide, etc.), les jouets et les récipients de stockage des aliments. Les vêtements synthétiques libèrent des microfibres à chaque passage à la machine, explique le site Collectif de marque.
Comment réduire son exposition aux microplastiques
Les gouvernements et les fabricants doivent prendre des mesures pour réduire la production et la disponibilité des produits en plastique. Voici quelques mesures que les familles peuvent prendre pour réduire leur exposition :
- Soutenir les politiques qui limitent les plastiques à usage unique
- Enlevez vos chaussures lorsque vous rentrez chez vous pour réduire la poussière.
- Réduisez le contact des aliments avec le plastique en utilisant des bouteilles et des récipients en verre ou en métal et en transférant les aliments hors des emballages en plastique. La stérilisation et l'utilisation d'eau à haute température peuvent augmenter de manière significative la libération de microplastiques par les récipients en plastique (Li et al., 2020).
- Nourrissez votre bébé avec des biberons en verre ou en métal; les biberons en plastique libèrent des millions de microplastiques lors d'une utilisation normale (Li et al., 2020).
- Évitez les aliments pour bébés dont l'emballage et le stockage sont en plastique.
- Nettoyer régulièrement la maison avec de l'eau. La poussière peut contenir des microplastiques.
- Choisissez des produits de soins personnels sans microbilles, parfums ni phtalates.
- Évitez les matériaux de construction contenant des plastiques, tels que le vinyle (PVC).
Source : https://littlethingsmatter.ca/toxic/microplastics-2/
Mais au-delà de ces mesures, que doit faire un parent inquiet ? Comment canaliser notre inquiétude de manière saine et éviter de nous noyer dans les soucis ?
Une solution - que tous les professionnels de la santé mentale, les chercheurs et les spécialistes de l'écoanxiété avec lesquels je me suis entretenu ont mentionnée d'une manière ou d'une autre - consiste à transformer l'anxiété en action. Silverstein aime ramasser les ordures avant les tempêtes afin de réduire les déchets qui se retrouvent dans l'eau. Ou, comme le suggère Sripada, il peut s'agir de canaliser son stress en « contactant son gouvernement et les fabricants ».
Un autre moyen d'atténuer l'anxiété écologique, à défaut de s'attaquer à sa cause profonde, est de se joindre à une communauté. Le fait de trouver des personnes qui partagent vos préoccupations vous conforte dans votre démarche. Vous vous sentez moins seul. Et cela peut conduire à une action collective.
Même si c’est ma priorité, s'attaquer au problème du plastique n'est pas, et c'est compréhensible, la priorité numéro un de tous les parents Pour de nombreuses familles, le simple fait de se nourrir, de se vêtir et de faire garder leurs enfants peut s'avérer très prenant, en particulier dans une société qui n'apporte que très peu de soutien aux parents de jeunes enfants Pour d'autres, la gestion de menaces plus immédiates pour la santé et le bien-être peut être prioritaire - les polluants provenant des puits de fracturation, des raffineries ou des usines pétrochimiques, par exemple Pour la majorité d'entre eux, la question n'est tout simplement pas à l'ordre du jour
Comme le dit Landrigan, « La vie est difficile... Le plastique n'est probablement pas la première chose à laquelle la plupart des gens pensent en se réveillant le matin. »
C'est en partie pourquoi il est si important de mener une action collective dans ce domaine. Alors que le monde s'éloigne des combustibles fossiles, l'industrie pétrochimique cherche à compenser les pertes de revenus par une production accrue de plastique, qui devrait déjà doubler d'ici à 2040. Même pour ceux qui ont le temps et l'énergie de se préoccuper de cette question, tout ce que nous faisons pour limiter l'exposition individuelle ne fait qu'effleurer un problème plus vaste, qui menace la santé de la planète et de toutes les personnes, qu'elles soient ou non soucieuses de l'environnement.
Pour trouver une véritable solution, il faut réduire la production de plastique et s'attaquer à l'utilisation des produits chimiques dans la fabrication des plastiques. Cela pourrait se profiler à l'horizon : la communauté internationale élabore actuellement un traité mondial sur les plastiques, que les 175 pays membres des Nations unies se sont engagés à mettre en œuvre. Le contenu et la force de ce traité restent toutefois à déterminer. (Les négociations de décembre 2024 ont échoué. Plus de détails sur le site de Greenpeace. Lire aussi la feuille de route proposée par l'ONU pour réduire la pollution mondiale par les plastiques.)
Pour ma part, j'agis en rédigeant des articles sur la crise de la pollution plastique et en mettant en lumière des solutions potentielles. Mais alors que nous attendons que nos efforts collectifs fassent bouger l'aiguille de la production de plastique, j'en suis venue à accepter qu'il n'y a tout simplement aucun moyen d'éliminer complètement l'exposition de mes enfants au plastique. Même à la maison, ils jouent avec des jouets en plastique, utilisent des brosses à dents en plastique pour se laver les dents et boivent chaque jour de l'eau qui contient probablement des microplastiques. Je commence également à accepter que cette forme particulière d'anxiété écologique fait inévitablement partie du rôle de parent de nos jours. Elle ne disparaîtra peut-être pas, mais c'est peut-être très bien ainsi. Comme me le dit le psychologue Thomas Doherty, « lorsque vous ressentez un malaise ou une détresse, c'est parce que vous avez une valeur, ou quelque chose d'important, ou quelque chose que vous aimez ».
Découvrez d’autres moyens de réduire votre exposition aux plastiques et autres perturbateurs endocriniens dans cet excellent livre (disponible en anglais ou en français) et dans le guide pratique québécois Sabotage hormonal.