Autrefois président de la Mutuelle des municipalités et vice-président d'Axa Assurances, Bernard Deschamps est doctorant en science de l'environnement à l'Université du Québec à Montréal (UQAM).

Les inondations répétées ne sont pas une fatalité ni un phénomène exceptionnel. Parfois le résultat d'un débordement de rivière, des pluies diluviennes et même d'une défaillance du réseau d'alimentation en eau, ces inondations font maintenant partie de notre quotidien.

Il y a bien sûr des événements d'exception: le 9 août 2024, Montréal et ses environs ont reçu les plus importantes précipitations depuis plus de 100 ans à la suite de la tempête Debby. On a enregistré 157 mm d'eau à l'aéroport de Dorval, et jusqu'à 180 mm dans les régions de Lanaudière et des Laurentides. Les sous-sols inondés se comptent par milliers.

Chaque année, les contribuables paient un lourd tribut pour les dommages causés par ces catastrophes. C'est sans compter que les inondations ont des conséquences humaines et sociales largement insoupçonnées sur nos communautés.

À chaque événement, nos décideurs font état de la nécessité de revoir nos pratiques en matière d'aménagement du territoire ou encore de favoriser la construction d'infrastructures vertes et de rétention. Ces adaptations, dont les bénéfices vont se faire sentir dans un futur lointain, sont certainement nécessaires. Toutefois, la très grande majorité des citoyens exposés occupent déjà des zones à risque, et ces zones sont présentement pourvues d'infrastructures existantes.

Deux solutions immédiates sont proposées afin de réduire le coût des dommages et les conséquences sociales des prochaines inondations : 1) réglementer l'utilisation des sous-sols; et 2) remplacer le principe de reconstruire à l'identique par celui de reconstruire mieux.

Candidat au doctorat en sciences de l'environnement à l'Université du Québec à Montréal, mes travaux portent sur la contribution des municipalités du Québec dans le partage du risque d'inondations. J'ai notamment piloté la création du Fonds d'assurance des municipalités du Québec, un assureur spécialisé dans la gestion et le transfert des risques municipaux.


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De caves conçues pour stocker le charbon à des sous-sols aménagées en milieu de vie

Autrefois, les caves étaient des espaces utilitaires, sombres et humides, conçus pour stocker le charbon et d'autres provisions. Construites avec des matériaux simples comme la pierre, la brique ou le bois, elles étaient souvent sujettes aux infiltrations d'eau. L'idée de vivre dans une cave était inconcevable.

Aujourd'hui, les sous-sols ont totalement changé de vocation. Transformés en véritables pièces à vivre, ils sont équipés de tout le confort : salles de jeux, cinéma maison, salles de sport, salles de bain complètes et chambres des enfants. Cette évolution est le reflet d'une tendance plus générale à optimiser l'espace habitable et à améliorer notre confort. L'utilisation des sous-sols en espace de vie est devenue une pratique particulièrement populaire au Québec, mais aussi ailleurs dans le nord-est de l'Amérique du Nord.

Cependant, cette évolution génère de nouveaux risques comme l'ont démontré les récentes inondations du mois d'août au Québec. C'est pourquoi la tendance est d'éliminer les sous-sols et construire sur dalle de béton (NDLR : tel que recommandé notamment par l'organisme Écohabitation]

Construire à flanc de montagne présente aussi des enjeux de drainage et des risques d'inondation. © André Fauteux

Les données d'indemnisations ayant servies à construire les courbes de submersion-dommages utilisées au Québec pour estimer les dommages aux bâtiments résidentiels démontrent que 85 % des indemnités versées sont attribuables à des dommages causés à moins de 30 centimètres sous le niveau du rez-de-chaussée, c'est-à-dire principalement aux sous-sols.

En réglementant l'utilisation des sous-sols, il serait possible de réduire considérablement le coût et les conséquences des dommages. Par exemple, la règlementation pourrait interdire la construction de nouveaux sous-sols dans les zones à haut risque, et prescrire les types de matériaux et de finition dans les zones à risque faible. Entreprendre des travaux de refonte de la règlementation sur l'utilisation des sous-sols est un choix de société que nous ne devrions plus reporter.

Le principe de reconstruction à l'identique : une aberration en matière de gestion du risque

Le principe de reconstruction à l'identique en assurance et repris par les décrets du gouvernement du Québec, devient une aberration, lorsqu'appliqué en contexte de gestion du risque d'inondations. L'idée de rétablir, après un sinistre, un bien dans un état aussi proche que possible de son état initial avant le sinistre est contre-productive. Cela revient à reproduire les conditions qui ont mené aux dommages.

Les origines de ce principe remontent à loin et sont liées à la notion de réparation intégrale du préjudice. On retrouve les prémices de ce principe dans les anciennes coutumes et les premiers contrats d'assurance. De nombreuses législations ont également introduit des dispositions spécifiques sur la reconstruction à l'identique, souvent en réponse à des événements marquants tels que les catastrophes naturelles et les incendies majeurs. Les tribunaux ont également joué un rôle important en précisant les contours de ce principe. Cependant, sa formalisation et son application s'opposent au principe de construire mieux (build back better).

Ce concept de construire mieux fait référence à un processus de relève post-catastrophe qui permet des constructions et des infrastructures mieux adaptées au risque d'inondations par rapport à ce qui a été perdu lors d'un événement catastrophique. D'ailleurs, le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030), ratifié par le Canada en 2015, met l'accent sur la nécessité reconstruire mieux suite à une catastrophe.

Plutôt que de simplement reconstruire à l'identique, il est impératif d'adopter cette approche. En intégrant des mesures d'adaptation aux changements climatiques et aux inondations, nous pouvons renforcer la résilience de nos bâtiments et réduire leur vulnérabilité face aux sinistres futurs. Par exemple, au Chili, la règlementation sur les normes de construction pour le risque de tremblement de terre est revue à chaque événement majeur et de nouvelles normes sont imposées immédiatement pour les nouvelles constructions. Cinq années sont allouées pour la mise aux normes des anciens bâtiments. En France, les normes de reconstruction sont aussi beaucoup plus strictes.

Vers une approche multidimensionnelle

Face à la multiplication des événements extrêmes, il est urgent de mettre en œuvre des mesures concrètes pour réduire le risque d'inondations. Si la réglementation de l'usage des sous-sols et le principe de reconstruire mieux après sinistre sont des leviers importants, ils ne suffisent pas à eux seuls. La réduction des dommages liés aux inondations nécessite une approche multidimensionnelle, combinant des mesures de prévention à court terme et des actions de fond.

Les dommages causés par les inondations sont souvent irréversibles. La perte de biens, la destruction de logements et les traumatismes psychologiques ont des conséquences durables sur les individus et les communautés. Ce sont les populations les plus vulnérables, qui en subissent le plus les conséquences. En agissant, nous contribuons à réduire les inégalités et à garantir un meilleur milieu de vie pour tous.La Conversation Canada

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.