Mathieu Laberge est Premier vice-président, Économie et perspectives de l’habitation, à la Société canadienne d'hypothèques et de logement

Source : https://www.cmhc-schl.gc.ca/lobservateur-du-logement/2024/covid19-cree-epidemie-logements-inabordables (ce lien comprend la version texte des graphiques)

Notre Rapport sur le marché locatif (PDF) publié récemment a attiré beaucoup d’attention. Il souligne ce que la population canadienne vit depuis plusieurs années : il n’y a tout simplement pas assez de logements abordables dans la plupart des régions du pays.

Au Canada, le taux d’inoccupation national n'avait pas été aussi faible depuis les années 1980; il se situe à 1,5 %. Quant aux loyers, ils ont connu une forte hausse de 8 %, bien supérieure à la moyenne historique de 2,8 %.

Ces chiffres sont très préoccupants et dressent un tableau peu réjouissant de notre réalité actuelle. Même dans un pays du G7 qui se classe régulièrement parmi les meilleurs au monde, le problème persiste. Trop de personnes dans nos collectivités sont incapables de trouver un logement locatif qu’elles peuvent payer seules. Aucun logement n'est abordable pour elles.

Comprendre la crise du logement au Canada : regard éclairé sur le marché locatif et solutions innovantes

Sur le marché de la propriété, la demande de logements a commencé à dépasser l’offre à Toronto et à Vancouver au début des années 2000 – les données abondent en ce sens.

Il y a une dizaine d’années, les ménages qui trouvaient les habitations inabordables dans le centre de Vancouver ou de Toronto disposaient encore de plusieurs options. Ils pouvaient envisager d’acheter une propriété dans un quartier plus abordable ou de rester un peu plus longtemps sur le marché locatif. Attendre ainsi leur permettait d’accroître leur future mise de fonds et de réduire leur recours à l’emprunt.

Avec le temps, ces stratégies ont entraîné un déplacement de la demande, qui a délaissé le marché de la propriété au profit du marché de la location à Vancouver et à Toronto. Les données montrent en effet que le marché locatif de ces villes s’est resserré au début des années 2010.

Nous avons vu également la demande s’étendre du centre vers la périphérie à Toronto et à Vancouver, ce qui a exacerbé le resserrement du marché de l’habitation.

Graphique 1 : Marché des logements pour propriétaires-occupants – Toronto

 

Source : Calculs de la SCHL

NMPA :Niveau maximal des prix abordables

 

Graphique 2 : Marché locatif – Toronto

 

Source : Calculs de la SCHL

LMLA : Loyers maximums pour les logements abordables

 

Graphique 3 : Marché des logements pour propriétaires-occupants – Vancouver

 

Source : Calculs de la SCHL

NMPA :Niveau maximal des prix abordables

 

Graphique 4 : Marché locatif – Vancouver

 

Source : Calculs de la SCHL

LMLA : Loyers maximums pour les logements abordables

 

Ensuite, la COVID-19 a frappé et a créé de nouvelles occasions. La pandémie a permis aux gens de télétravailler et leur a offert la possibilité d’améliorer leur situation de logement. Parmi ces nouveaux télétravailleurs, par exemple, les personnes qui trouvaient les logements trop chers dans les deux plus grandes villes du Canada ont commencé à chercher ailleurs. Dans bien des cas, elles ont déménagé.

Ce changement a fait augmenter la demande de logements dans des marchés à l’extérieur des grands centres urbains qui avaient été relativement épargnés par la crise de l’abordabilité du logement.

Les données montrent que l’abordabilité a commencé à se détériorer à Montréal, à Ottawa-Gatineau et dans d’autres centres urbains plus petits pendant ou juste avant la pandémie.

Depuis, de nombreux facteurs ont alimenté la crise de l’abordabilité du logement. On peut dire que la COVID-19 a contribué à propager le manque d’abordabilité du logement partout au pays.

Le manque d’abordabilité du logement est un important facteur d’immobilité sociale

La pandémie, qui a soudainement accru la mobilité géographique pour de nombreux travailleurs, a fini par mener à l’immobilité sociale. Elle a fait croître la demande de logements dans des régions qui n’étaient pas prêtes à accueillir un afflux aussi important de nouveaux résidents. Notre dernier rapport montre que l’immobilité sociale se manifeste de différentes façons :

  • Beaucoup de locataires au Canada choisissent de rester dans leur logement actuel. Le taux de roulement des locataires a en effet diminué : il est passé de 13,6 % en 2002 à 12,5 % en 2023.
  • Un nombre accru de personnes au Canada estiment ne pas avoir les moyens de déménager, ou elles n’ont simplement pas la capacité ou la volonté de le faire. Il est difficile de déterminer si le taux de roulement est élevé ou non, car ces données ne sont recueillies que depuis quelques années. La tendance semble toutefois montrer que les locataires sont de plus en plus réticents à déménager.
  • Beaucoup de gens au Canada sont incapables d’accéder à un logement du marché. À Vancouver, Ottawa et Toronto, le parc des logements locatifs susceptibles d’être abordables pour la tranche de 20 % des personnes ayant les revenus les plus faibles est pratiquement inexistant.
  • Globalement, les données montrent que 2,7 millions de locataires au Canada, soit plus d’une personne sur quatre, occupent un logement qui est inabordable compte tenu de leurs moyens financiers. Ces personnes doivent donc trouver une autre solution de logement ou sacrifier d’autres besoins essentiels pour joindre les deux bouts.

Source : SCHL (Rapport sur le marché locatif)

Graphique 5 : Loyer moyen des logements de 2 chambres avec et sans roulement des locataires en 2023

 

Source : SCHL (Rapport sur le marché locatif)

Que devons-nous faire maintenant?

Malgré tout, il y a des signes encourageants. En 2021 et 2022, les mises en chantier d'habitations ont atteint des niveaux historiques. Même si elles ont diminué en 2023 par rapport à ces sommets records, elles sont restées bien au-dessus de la moyenne des 30 dernières années.

Il y a également eu un changement structurel au cours des 10 dernières années. Les appartements ont constamment augmenté en pourcentage du nombre total de logements mis en chantier. La proportion de logements destinés à la location parmi l’ensemble des unités mises en chantier a grimpé : elle est passée de 14 % en 2013 à 36 % en 2023. Bien que la demande de logements dépasse toujours l’offre sur le marché locatif, cette progression montre que les marchés et les constructeurs réagissent aux conditions serrées du marché.

Cette évolution est encourageante, mais collectivement, nous devons reconnaître un fait très important : les logements locatifs neufs ne sont pas nécessairement abordables lorsqu’ils sont prêts à être occupés. Il pourrait s’écouler plusieurs années avant que l’offre supplémentaire ne fasse augmenter l'abordabilité.

À court ou moyen terme, d’autres options pourraient devoir être envisagées, mais elles nécessitent de repenser notre façon de voir le logement.

Dans de nombreux autres grands marchés, différents ménages, et pas seulement des étudiants, partagent un logement pour joindre les deux bouts. Ce phénomène est bien documenté à New York et à Londres. Pour beaucoup de gens au Canada qui n'ont pas de logement ou qui ne peuvent s'en payer un sans sacrifier d'autres besoins essentiels, la cohabitation pourrait être une façon d'améliorer leurs conditions de logement. Ils peuvent par exemple partager un logement avec des amis ou de la famille, ou par d'autres moyens organisés.

Dans d’autres cas, les logements les plus abordables disposent d’équipements communs, comme une cuisine, une salle commune ou des salles de bain. Le fait d’offrir ces options aux ménages qui sont prêts à les envisager pourrait contribuer à accroître l’offre plus rapidement que par la seule construction de logements neufs.

Par exemple, la conversion de bâtiments commerciaux en immeubles résidentiels peut s'avérer difficile techniquement. Notamment, par exemple, parce que la plomberie est intégrée à la structure et qu'il est difficile de créer plusieurs salles de bains et cuisines à chaque étage. Cependant, un changement de mentalité dans l'utilisation de certaines commodités dans nos logements pourrait rendre les conversions plus viables.

Au sujet des modes de logement non traditionnels, des recherches plus approfondies sont nécessaires. Il nous faut déterminer comment les villes canadiennes se comparent à leurs homologues occidentales et comment ces modes non traditionnels pourraient répondre à la demande de logements au Canada. De telles recherches aideraient à définir ce que pourrait être une solution « conçue au Canada » à notre crise du logement.

De telles solutions peuvent être difficiles à envisager pour certaines personnes, mais il faudra peut-être accepter de faire un compromis entre les préférences et les besoins en matière de logement. L’idée ici n’est pas de réduire le niveau de vie actuel des gens. Cependant, ce qui peut paraître comme un sacrifice pour plusieurs pourrait très bien représenter une nette amélioration pour d’autres.

Le cœur de cette réflexion, c’est d’offrir de nouvelles solutions aux ménages canadiens en cette période de crise du logement.