Dre Claudia S Miller

Les moisissures, les pesticides et les émissions chimiques des matériaux de rénovation et de construction sont les principaux déclencheurs d'hypersensibilité chimique multiple, selon une enquête de près de 11 000 américains. Encore au stade de prépublication, l'étude fut dirigée par l'allergologue et immunologue américaine Claudia S. Miller, une sommité en la matière. Professeure émérite de médecine du travail et de l'environnement à l'Université du Texas, Dre Miller a déjà présidé deux réunions des National Institutes of Health du gouvernement américain sur l'intolérance aux produits chimiques. Elle a coécrit un rapport sur le sujet pour l'État du New Jersey, pour lequel l'État a reçu le prix Macedo de l'Organisation mondiale de la santé. Ce rapport a donné naissance au livre Chemical Exposures : Low Levels and High Stakes [Expositions chimiques : Faibles niveaux et enjeux élevés], que plusieurs médecins de l'environnement considèrent comme leur bible.

Voici le résumé de l'étude qu'elle a dirigée et qui est dans sa dernière phase de révision avant dépôt au comité de lecture d'une revue prestigieuse. 

« Les observations faites dans le monde entier mettent en évidence une théorie de la maladie en deux étapes, appelée perte de tolérance induite par les substances toxiques (Toxicant-Induced Loss of Tolerance - TILT) : Étape I : Initiation par une exposition chimique aiguë de haut niveau ou par des expositions chimiques répétées de niveau inférieur, suivie de l'Étape II : Déclenchement de symptômes multisystémiques par des substances chimiques inhalées, des aliments/additifs alimentaires et des médicaments structurellement diversifiés et précédemment tolérés. Jusqu'à récemment, aucun mécanisme biologique connu ne pouvait expliquer ces observations. En 2021, nous avons publié un biomécanisme plausible et étudiable en deux étapes pour le TILT impliquant les mastocytes : Étape I : Initiation par la sensibilisation des mastocytes ; Étape II : Déclenchement de la dégranulation des mastocytes par des expositions précédemment tolérées, entraînant la libération de milliers de médiateurs, y compris l'histamine et une foule de molécules inflammatoires. L'objectif de cette étude était d'identifier les initiateurs communs de la TILT.

Méthodes utilisées
Un échantillon aléatoire de 10 981 adultes américains, basé sur la population, a répondu à une enquête comprenant des questions sur les diagnostics médicaux, les expositions personnelles, l'utilisation d'antibiotiques et plusieurs déclencheurs possibles de l'intolérance chimique (IC). L'IC a été évaluée à l'aide de l'inventaire Quick Environmental Exposure and Sensitivity Inventory (QEESI), validé au niveau international. Les participants identifiés comme intolérants aux produits chimiques ont été invités à se souvenir de la date à laquelle leur intolérance a commencé et de ce qui, selon eux, a été à l'origine de leur état.

Résultats
Vingt pour cent des participants répondaient aux critères du QEESI pour le TILT, et environ la moitié d'entre eux ont identifié une ou plusieurs expositions initiatrices. Par ordre de fréquence, les facteurs déclencheurs étaient les moisissures (15,6 %), les pesticides (11,5 %), les travaux de rénovation et de construction (10,7 %), les interventions médicales et chirurgicales (11,3 %), les incendies et les produits de combustion (6,4 %) et les implants (1,6 %). L'utilisation prolongée d'antibiotiques pour des infections de la prostate, de la peau, des amygdales, du tractus gastro-intestinal et des sinus était fortement associée au TILT/CI (rapport de cotes > 2).

Discussion
Les participants ont identifié deux grandes catégories d'initiateurs de TILT : 1) les toxiques dérivés des combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel), leurs produits de combustion et/ou les dérivés chimiques organiques synthétiques, par exemple les pesticides, les implants, les médicaments/antibiotiques, les composés organiques volatils (COV), et 2) les toxiques biogéniques, par exemple les particules et les COV provenant des moisissures ou de la prolifération des algues.
Un patient sur quatre en soins primaires souffre de symptômes médicalement inexpliqués (ou MUS pour medically unexplained symptoms). Les médecins en soins primaires, en neurologie, en psychiatrie, en psychologie, en médecine du travail et en allergologie/immunologie seraient bien avisés d'inclure le TILT dans leur diagnostic différentiel des patients souffrant de ce que l'on appelle les MUS. Étant donné que 20 % des adultes américains répondent aux critères QEESI pour l'IC, le rôle des expositions contemporaines dans le déclenchement et l'exacerbation de ces conditions via les mastocytes doit faire l'objet d'une attention immédiate. Il existe un besoin concomitant de politiques et de pratiques qui réduisent les expositions initiales ainsi que les déclencheurs omniprésents et souvent inévitables tels que les produits parfumés de soins personnels, de nettoyage et de blanchisserie dans les logements collectifs, les lieux de travail, les établissements médicaux, les écoles, les lieux de culte et tous les bâtiments publics, c'est-à-dire littéralement partout où l'on partage de l'air. Les combustibles fossiles agressent les humains et les autres espèces animales de l'intérieur - par la sensibilisation des mastocytes - et de l'extérieur - par le changement climatique. »