Voici un extrait du nouveau livre de Yves Gagnon Les mots de la Terre, publié par Colloïdales. Le livre est disponible en librairie ou directement chez l'éditeur à colloidales.com. L'extrait traite de la conservation des aliments et de la chambre froide.

À notre arrivée à Saint-Didace en 1980, nous bénéficiions d’une expérience limitée en ce qui avait trait à la conservation des aliments. Ma mère, qui établissait un grand potager à Laval, congelait une partie de ses légumes et préparait de nombreuses marinades et conserves. Ses ketchups et ses betteraves marinées accompagnaient merveilleusement ses rôtis de toutes sortes.

Comme nous avions pris la décision de transformer l’étable de notre grange en maison — que nous occupons toujours aujourd’hui —, nous ne nous sommes branchés au réseau électrique que deux années plus tard, ce qui nous privait d’un congélateur pour conserver certains fruits et légumes du jardin comme nous le faisons aujourd’hui. Nous avons donc opté pour la mise en conserves réalisée selon la méthode traditionnelle. Les haricots, les betteraves, les carottes, les tomates et le maïs étaient mis dans des pots Mason que nous submergions d’eau bouillante dans un gros chaudron posé sur un feu de bois. La stérilisation durait trois heures sauf pour les tomates qui, à cause de leur acidité, ne nécessitent qu’une demi-heure. C’est avec ces dernières que nous avons obtenu les meilleurs résultats. Je considère que rien n’égale la saveur et la texture de tomates en conserves. Par contre, pour les autres légumes, le bain de chaleur de trois heures, nécessaire pour prévenir le botulisme nous avait-on dit, les privait de vitamines et les rendait molasses.

Il est maintenant recommandé d’utiliser un autoclave car la pression interne hausse la température, ce qui élimine tout risque de voir se développer la bactérie Clostridium botulinum responsable du botulisme alimentaire, potentiellement mortel, ce que n’arrive pas à faire le bain d’eau bouillante, aussi prolongé soit-il. Les tomates dans leur jus et les autres fruits acides, comme les pêches, les poires, les prunes, les cerises et les abricots recouverts d’un sirop sucré, ne nécessitent qu’un séjour de 15 minutes dans l’autoclave alors que les légumes non acides comme le maïs, les betteraves, les carottes et les haricots qu’on submerge d’eau salée commandent 30 minutes pour être parfaitement sécuritaires. Malgré les avantages marqués de l’autoclave, il n’en demeure pas moins que l’exposition à une chaleur vive supprime la plupart des vitamines des fruits et des légumes et détruit leur vitalité.

J’ai toujours été convaincu que pour nourrir notre propre intensité de vie, il était essentiel de se nourrir d’aliments vivants.

Choisir l’agriculture biologique, une agriculture qui repose sur la collaboration étroite entre les microorganismes du sol et les végétaux cultivés, contribue grandement à la vitalité des aliments produits. Le mode de conservation qu’on emploie permet la conservation de cette force vitale ou contribue à sa destruction. La mise en conserves, la production de marinades tout comme la congélation réduisent à néant cette vitalité alors que le séchage passif employé pour l'ail, les oignons et les courges, la lactofermentation et l’entreposage en chambre froide la préservent. Il allait de soi que, pour assurer notre autosuffisance alimentaire et optimiser notre santé, nous devions aménager une chambre froide, ce que nous fîmes dès 1983.

L’ancêtre de la chambre froide est le caveau, une construction indépendante de la maison, souvent enfouie à flanc de colline. L’idée consistait à mettre à contribution l’humidité et la chaleur du sous-sol ainsi que la froidure du sol gelé sur les côtés pour créer des conditions optimales de conservation, soit une humidité de 95 % et une température durant l’hiver de 1 °C. Il importait également de créer une circulation d’air. On y arrivait en installant deux tuyaux, le premier apportant l’air froid au niveau du sol et le second, installé à l’opposé au niveau supérieur, évacuant de manière passive les gaz de mûrissement des fruits et des légumes. Pour éviter une pourriture de la charpente, les colons employaient souvent le bois du thuya [cèdre blanc] pour la construction du caveau.

Aujourd’hui, la construction de caveaux traditionnels est devenue marginale. Les jardiniers optent plutôt pour l’aménagement d’une chambre froide dans la cave de leur maison ou dans un espace souterrain attenant à la maison. C’est cette deuxième option que nous avons choisie. L’espace que nous avons créé atteint sensiblement les mêmes conditions que celles du caveau traditionnel avec, comme avantage, la proximité et l’accessibilité des fruits et des légumes durant l’hiver.

Après avoir longuement réfléchi, nous avons décidé d’aménager notre chambre froide sous un vestibule attenant à la maison. On nomme cet espace non chauffé qui sert de rangement un tambour. Avant de le construire, nous avons creusé, monté sur une assise de ciment des murs en blocs de béton, assemblé un plafond-plancher avec des solives en cèdre, isolé le plafond avec de l’uréthane avant de le sceller avec du polystyrène et des joints d’uréthane, question d’éviter sa pourriture. On accède à la chambre froide par une trappe aménagée dans le plancher et un escabeau en aluminium. 

Comme dans les caveaux ancestraux, le sol en terre battue assure une humidité de 95 %, le contact de trois murs avec le sol gelé, une température optimale et enfin, l’installation de deux tuyaux de dix centimètres, la circulation d’air nécessaire. Ayant bien fait nos devoirs, la chambre froide, telle que conçue, a créé dès le premier hiver des conditions parfaites pour la conservation des pommes de terre, des carottes, des rutabagas, des panais, des betteraves, des topinambours, des salsifis, des céleris-raves, des choux et des pommes.

La chaleur issue du plancher en terre équilibre le froid venant des murs de blocs de ciment en contact avec le sol extérieur gelé. Autrefois, nous avions trois murs en contact avec le sol gelé et la température de la chambre froide était constante tout à l'hiver à 1 °C. Il y a quatre ans, j'ai construit une rallonge à la maison; nous avons donc maintenant seulement deux murs adossés au sol gelé. La température se stabilise à 2,5 °C fin décembre, ce qui donne de bonnes conditions de conservation avec le taux d'humidité constant à 95 %.

Pour entreposer les légumes, nous utilisons des poches de nylon employées pour les grains et des caissons de plastique, car résistants à la pourriture. Comme l’humidité de notre chambre froide demeure optimale, on n’a pas à stratifier les légumes dans du sable ou des feuilles d’érable légèrement humides comme cela s’avère nécessaire dans les chambres froides où l’humidité n’est pas suffisante, par exemple dans une cave en ciment qui aurait été aménagée en chambre froide.