« Plus grand est l’obstacle, plus grande est la gloire de le surmonter. »
– Molière
Extrait écourté du nouveau livre Piano Man, Mon Histoire
Dans un mélange de fierté et de respect pour moi-même autant que pour tous ceux avec qui je travaille, il ne me viendrait jamais à l’idée d’étaler mes difficultés en public. Cependant, il existe une facette de ma vie qui me pose d’importantes difficultés, lesquelles peuvent parfois entraver mes apparitions en public. Je n’ai pas l’habitude d’en parler à moins qu’on aborde le sujet, mais je choisis délibérément d’en parler ici.
Je souffre d’électrosensibilité, ce qui signifie que je suis hypersensible aux radiofréquences et aux champs électromagnétiques. Selon des études menées par l’Institut national de la santé publique du Québec, cette condition affecte de 3 à 10 % de la population des pays développés dotés de télécommunications et de réseaux Wi-Fi, bien que demeurant largement méconnue du grand public pour diverses raisons.
J’ai commencé à éprouver des symptômes douloureux et incommodants à la suite de deux électrocutions. La première est survenue en 2016 lors d’une séance d’enregistrement au studio Piccolo, à Montréal. J’étais en train d’enregistrer sur un orgue Hammond B3, un instrument mythique qui est devenu très à la mode en 1955 et qui est encore très utilisé aujourd’hui. Le B3 du studio datait donc des années 1950 ou 1960 et sa fiche électrique ne comportait pas de mise à la terre.
J’avais aussi eu la mauvaise idée de retirer mes sandales, car je trouvais cela plus confortable. J’avais posé le pied droit sur la pédale du volume et le gauche sur une pédale munie d’un interrupteur qui me permettait de communiquer avec la régie par l’entremise d’un micro placé devant moi. Au moment de poser les mains sur le clavier, j’ai reçu une solide décharge électrique qui m’a traversé du bras gauche au bras droit, en passant par ma mâchoire. Je suis resté paralysé quelques secondes pendant que la secousse se poursuivait, puis je me suis évanoui. J’ai repris connaissance quelques minutes plus tard, endolori et confus, mais j’ai poursuivi mon travail en me disant que la douleur s’estomperait.
La seconde, somme toute banale, a eu lieu en octobre 2017 dans ma petite voiture Smart de l’époque. [Ma femme] Manon était au volant et je prenais place à ses côtés. J’ai voulu recharger mon téléphone portable en le branchant dans la prise de douze volts du tableau de bord et j’ai alors reçu une petite décharge électrique dans le bras gauche. J’ai tout de suite senti de petits frétillements dans mon bras, comme si l’électricité refusait d’en sortir. Depuis ce temps, il ne se passe pas une journée sans que mon bras gauche chauffe lorsque je m’approche d’une source électrique ou magnétique. Au début, tout cela m’incommodait, mais j’étais loin de me douter que ma vie était en fait en train de basculer.
Dans les jours qui ont suivi, j’ai senti mon cœur battre à tout rompre en même temps qu’une sensation de brûlure dans mon bras gauche, comme si j’étais atteint de zona. C’était très intense. En voiture sur l’autoroute, au cinéma, au restaurant, au centre commercial, chez mes amis, chez mes parents, bref partout où je me rendais, je sentais des brûlures sur ma peau. Je ne comprenais pas alors encore que cette douleur était due au fait que j’étais hypersensible dès que je m’approchais d’une source d’électricité.
Divers tests administrés à l’hôpital ont montré que mon corps, mon cœur et ma tête semblaient tout à fait normaux. Après un examen par tomodensitomètre, qui n’a révélé aucune anomalie au cerveau, mon état s’est vite détérioré. Je me suis alors rappelé une conversation que j’avais eue quelques années auparavant avec Mélanie Pilon, une amie du secondaire. Elle m’avait confié être sensible aux signaux Wi-Fi, voire « allergique » à ces derniers. J’avoue que je l’avais trouvée un peu bizarre à ce moment. C’est elle que j’ai appelée d’urgence dès que mes symptômes ont empiré. C’est en suivant ses conseils et en jasant de ses différents symptômes qu’il me paraissait évident que j’avais développé une hypersensibilité aux ondes magnétiques et électriques.
Par la suite, j’ai rencontré un médecin spécialisé en médecine du travail et en intolérances environnementales œuvrant au Centre hospitalier de l’Université de Montréal. Bien qu’il ait confirmé mes craintes, il n’avait pas « le droit » de poser un diagnostic d’électrosensibilité chez de nouveaux patients, car il avait reçu des avertissements du Collège des médecins à cet effet dans le passé.
Cette condition, ce trouble, cette intolérance aux ondes demeure à ce jour un sujet délicat ici au Canada. En revanche, en Californie et dans plusieurs pays d’Europe, notamment la Suède, l’électrosensibilité est reconnue comme une maladie à part entière et les gens diagnostiqués reçoivent même une indemnisation. Je pourrais comparer cette maladie avec celle de Lyme qui, pendant des années, n’a pas été prise au sérieux.
Heureusement, dès l’apparition de mes symptômes, ma femme, ma famille et mes amis m’ont apporté leur soutien inconditionnel. Ils ont toujours été là dans les moments difficiles et ont tout fait pour que je recouvre la santé afin que je puisse reprendre une vie « normale ». Bien sûr, il y a eu des sceptiques, il y en aura sûrement toujours. Moi, je sais comment je me sens lorsque les brûlures deviennent si vives que j’ai l’impression que mon sang est en ébullition.
J’ai bien d’autres choses à faire que de m’inventer une maladie. D’ailleurs, je me passerais bien de cette condition, même si, au fil des années, j’ai appris à vivre avec elle. Je comprends, par exemple, que je ne peux pas passer deux heures dans une zone Wi-Fi au cinéma si j’ai un engagement le lendemain, car mon corps s’embrasera et je pourrais même être confus pendant le spectacle. En revanche, je sais que l’application de glace atténue de beaucoup mes douleurs.
À la maison, nous avons pris des mesures en vue d’éliminer au maximum les ondes électromagnétiques. Toutes nos connexions Internet sont filaires, ce qui signifie que nos télévisions intelligentes sont reliées au routeur via des câbles Ethernet. Nous pouvons ainsi accéder facilement à tout le contenu en ligne, y compris Netflix, YouTube, Prime, Disney+ et bien d’autres. Nous disposons également d’un téléphone résidentiel [filaire] auquel nous renvoyons la plupart de nos appels entrants depuis nos téléphones portables, nous assurant ainsi de rester joignables même en mode avion.
Nos ordinateurs portables sont eux aussi câblés, ce qui nous permet de recevoir toutes nos notifications, que ce soit pour les messages textes, les courriels et plus encore. La transition à un environnement filaire a été un long processus, mais combien nécessaire, car il a considérablement amélioré notre espace de vie en réduisant [notre exposition aux] ondes électromagnétiques et en préservant ma santé.
L’électrosensibilité constitue donc une réalité avec laquelle je dois composer au jour le jour, que je le veuille ou non. C’est une condition permanente qui m’effraie également, car les impacts à court, moyen et long terme demeurent largement méconnus de la médecine à l’heure actuelle.
Ainsi, après mon audition à l’aveugle sur le plateau de La Voix, je me suis senti complètement vidé. Non pas parce que j’avais donné tout ce que j’avais en quelques minutes, car j’en avais déjà l’habitude avec [ma tournée] Piano Man. L’ennui, c’est que les studios de La Voix sont situés sur un terrain où se trouve plus d’une dizaine d’antennes cellulaires, sans compter les téléphones portables des centaines de spectateurs présents lors de l’enregistrement de l’émission. À cela s’ajoute la panoplie de systèmes et d’appareils électroniques informatiques nécessaires au fonctionnement d’un studio, notamment des ordinateurs portables et des centaines de microphones sans fil.
Au cours des semaines suivantes, j’ai éprouvé énormément de plaisir à participer en tant que candidat lors des tournages et des directs de La Voix. Toutefois, je perdais connaissance en moyenne trois fois par jour. Ces moments ont été assez éprouvants, mais tous les membres de l’équipe de production se sont montrés d’une grande gentillesse à mon égard.
Quelques années plus tard, en 2022, je me suis rendu à Québec pour le tournage d’une émission de Salut Bonjour Week-end. L’équipe m’avait réservé une chambre d'hôtel, mais l’endroit était malheureusement saturé d’ondes. J’ai dû endurer une sensation intense de brûlure sur ma peau, ce qui était extrêmement inconfortable. Cette nuit-là, la douleur est devenue insupportable au point que j’ai dû m’immerger dans un bain d’eau tiède pour soulager mes maux.
Le lendemain matin, pendant mon entrevue avec l’animatrice de Salut Bonjour Week-end, Ève-Marie Lortie m’a parlé des chansons de mon nouvel album, Un nouveau printemps, duquel je faisais la promotion. Elle m’a ensuite fait entendre un extrait de la chanson intitulée Électrosensible, écrite par mes amis Richard Turcotte et Christian Sbrocca. J’étais tellement ému que j’ai versé quelques larmes en direct à la télévision en expliquant brièvement ma condition, ainsi que la nuit éprouvante que je venais de passer.
La direction de l’émission s’est montrée extraordinaire. En plus de me proposer de devenir chroniqueur à l’émission, on a pris l’initiative de me loger à l’extérieur de la ville, plus près de la nature, depuis cet incident. La plupart des employés sur le plateau se soucient de mon bien-être et, lorsqu’ils sont près de moi, ils mettent leur téléphone portable en mode avion pour éviter de me causer des douleurs supplémentaires. Je me compte extrêmement chanceux de pouvoir bénéficier du soutien et du respect de cette équipe.
Ceux qui ont été témoins de mes épisodes au fil des ans me croient bien plus facilement que les autres. Je pense notamment à mon amie France D’Amour, qui m’a récemment avoué qu’elle s’est tout de suite renseignée à ce sujet dès qu’elle a appris ma condition. Elle m’a confié qu’elle mettait son téléphone portable en mode avion tous les soirs et qu’elle éteignait son routeur Wi-Fi la nuit. Certains de mes amis ont également adopté ces habitudes. Les effets d’appareils émettant des ondes électromagnétiques sur la santé doivent être pris au sérieux. Nous devrions nous informer davantage et adopter de nouvelles pratiques dans nos foyers. En tant que porte-parole du Rassemblement Électrosensibilité Québec, je vous recommande vivement de consulter son site Web, electrosensibilitequebec.com pour obtenir plus d’informations à ce sujet.
Un appareil qui reste allumé peut sembler anodin, mais si l’on additionne le nombre d’appareils intelligents dans une même maison, cela devient préoccupant. Il est vrai que nous pouvons mieux gérer notre consommation d’électricité grâce à la domotique. Toutefois, lorsque je rends visite à des gens qui habitent dans des maisons intelligentes, je ne peux y rester bien longtemps. Je peine d’ailleurs à comprendre comment ils parviennent à dormir avec autant d’appareils intelligents.
Remarquez-vous tout ce qui est connecté au Wi-Fi autour de vous? Téléphones intelligents, ordinateurs, tablettes, consoles de jeux vidéo, téléviseurs, imprimantes, pour ne nommer que ceux-là. Pourquoi est-ce si utile d’avoir une cafetière équipée de Wi-Fi et Bluetooth? Pourquoi avoir un réfrigérateur intelligent avec caméra intégrée? Il est indéniable que nous pouvons améliorer notre utilisation de l’électricité.
Mais à force de multiplier les antennes, les tours de communication et les relais sur les bâtiments, il n’y aura bientôt plus d’endroits où je me sentirai bien.
En résumé, je ne souhaite pas susciter la peur chez qui que ce soit, mais je suis convaincu que si nous utilisions tous nos ordinateurs et téléphones mobiles de manière plus consciente des possibles effets de ces technologies, notre vie et notre santé en bénéficieraient grandement.
ÉLECTROSENSIBLE
Paroles et musique : Christian Sbrocca et Richard Turcotte
Je suis sensible
Je suis touché par le vent
Ému devant vos larmes
Fragile
Chaviré par le temps
Et il me livre à l’exil
Ma vie tient à un fil
Entre les ondes, je perds le nord
Je cherche l’ombre
Ne me débranchez pas
Rattachez-moi, le courant passe
Mais trop pour moi
Ma vie ne tient qu’à un fil
Je suis électrosensible
Je suis risible
Certains se plaisent à le dire
On dit que j’imagine
Je ne suis pas fou
Ma tête brûle sous le toit des villes
Un mal invisible
Ma vie tient à un fil
Entre les ondes, je perds le nord
Je cherche l’ombre
Ne me débranchez pas
Rattachez-moi, le courant passe
Mais trop pour moi
Ma vie ne tient qu’à un fil
Je suis électrosensible
Et toi, tu restes là
Et on se tient sur la corde raide ensemble
Je suis le funambule et toi mon impédance
Ma survie, ma toile, mon ange
Ma vie tient à un fil
Entre les ondes, je perds le nord
Je cherche l’ombre
Ne me débranchez pas
Rattachez-moi, le courant passe
Mais trop pour moi
Ma vie ne tient qu’à un fil
Je suis électrosensible