Certains organismes et entreprises commencent à décourager ou a carrément interdire l’utilisation de parfums à leur employés ou à leurs clients. Vous serez sans doute surpris d’apprendre que les parfums sont composés à 95 % de produits pétrochimiques, selon un rapport fait au Congrès américain en 1986(1). Et que certains contiennent des produits cancérigènes ou soupçonnés de l’être, comme le benzène et le formaldéhyde. Cette bouteille de parfum dispendieux et très chic que vous recevrez à Noël pourrait même contenir des déchets dangereux ! Par exemple, l’Agence de protection de l’environnement américaine (EPA) a trouvé de l’acétone, un déchet dangereux déprimant le système nerveux central, dans les eaux de Cologne, les détergents et le solvant de vernis à ongle.

Certains parfums, savons, désodorisants et crèmes à raser contiennent du limonène, produit cancérigène qui, selon les données des fabricants, ne devrait pas venir en contact avec la peau ! Qui aurait cru que ces produits pourraient être dangereux ? Certainement pas ma conjointe, qui vendait jadis des parfums français. Aujourd’hui, elle est devenue sensible à plusieurs produits odorants, qui l’assomment d’une céphalée ou, pire, d’une migraine.

Aux États-Unis, les maux de tête coûtent 50 milliards de dollars par année en perte de productivité au travail et en frais médicaux. Il faut savoir que plusieurs parfums sont toxiques à faibles doses pour un nombre croissant d’individus.

De multiples effets, aucune norme
Sur 3 000 produits chimiques utilisés par l’industrie des fragrances, 884 peuvent causer le cancer, des défauts congénitaux, des désordres du système nerveux central, des irritations de la peau et des yeux, des réactions allergiques et des sensibilités chimiques. C’est ce qu’a découvert en 1989 l’Institut national de santé et sécurité au travail des États-Unis (NIOSH).

L’impact des parfums est visible sur les scanographies cérébrales. Pourtant, il n’y a aucune norme ni règlement sur les polluants émis par les parfums.  « On bannit la cigarette et on s’efforce de réduire les composés organiques volatils (COV) émis par les matériaux de construction et les nettoyants, mais on ne réglemente aucunement les parfums, qui dégagent beaucoup de COV toxiques, déplore l’architecte longueuilloise Lyse M. Tremblay. On ne demande aux fabricants aucun test prouvant que leurs produits qu’ils utilisent sont inoffensifs. Ils sont innocents jusqu’à la preuve du contraire. »

C’est le statu quo, malgré le fait que l’agence des aliments et médicaments (FDA) et l’EPA ait découvert des substances dangereuses dans les parfums et eaux de Cologne. Voici la traduction d’un article que Mme Tremblay a écrit pour une publication américaine.

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Parfums: De l’insuffisance pulmonaire à la dépression
Par Lyse Tremblay, architecte

Mélanges d’huiles naturelles, d’arômes et de solvants chimiques dans une base d’alcool, les parfums semblent causer des réactions adverses dans un nombre croissant d’individus, selon la Food and Drug Administration (FDA) fédérale américaine. Ces réactions pourraient impliquer le système immunitaire et être de nature neurotoxique (2).

Ces parfums sont également utilisés dans les eaux de Cologne, les cosmétiques, le courrier parfumé, les publicités de revues, les produits hygiéniques, les médicaments, les détergents, les plastiques, les graisses industrielles, les huiles, les solvants, les cires à meubles, les pneus, les encres, les litières à chat et autres produits domestiques (3).

Symptômes
Les symptômes résultant d’une exposition aux parfums varient de maux de tête et douleurs aux sinus jusqu’à l’apoplexie, selon le mélange spécifique et la sensibilité de l’individu. Parmi les autres symptômes répertoriés: la nausée, l’étourdissement, des troubles de concentration, les changements d’humeur, la dépression, la léthargie, l’agitation, l’irritabilité et la colère (4).

Plus spécifiquement, les parfums peuvent provoquer une récurrence de symptômes chez les gens souffrant de sensibilités d'ordre environnemental (5). Selon une étude publiée dans l’American Journal of Medicine, ils peuvent aussi diminuer de façon importante (de l’ordre de 18 à 58 %) les fonctions respiratoires des asthmatiques (6).

Il semble y avoir deux raisons pour l’accroissement des réactions. D’abord, les gens en général sont de plus en plus sensibles aux produits chimiques à cause de leur exposition croissante à de l’air, de l’eau et de la nourriture pollués. Deuxièmement, les fabricants utilisent des fragrances plus fortes et composées de plus en plus d’arômes synthétiques dérivées de produits pétrochimiques, plutôt que d’huiles essentielles dispendieuses.

En effet, il s’agit d’une affaire de gros sous. Les arômes synthétiques coûtent environ 10 $ la livre tandis que les huiles essentielles coûtent jusqu’à 10 000 $ la livre. Pourtant, selon l’Académie nationale des sciences (É-U), il n’existe pas ou peu de donnée toxicologiques sur 84 % de ces ingrédients (7).

La vérité
Quand des données existent, elles sont préoccupantes. Par exemple:
• L’ambrette musc peut causer des dommages neurologiques aux animaux de laboratoire qui y sont exposés (8).
• Le linalool peut provoquer une démarche ataxique (une coordination musculaire déficiente), des désordres respiratoires et la dépression chez des animaux de laboratoire (9).
• Le cyclohexanol peut, lorsque inhalé, causer un effet narcotique intermédiaire à celui causé par le benzène et le chloroforme, deux produits cancérigènes (10).
• Le toluène, un dérivé toxique du benzène, peut provoquer des maux de tête, la nausée et la narcose (une torpeur pathologique). Pourtant, l’EPA en a identifié dans tous les échantillons de parfums qu’elle a testée dans le cadre d’une étude publiée en 1991.
• Le musc AETT, très utilisé de 1955 à 1976 comme fragrance et comme masque de fragrance dans les produits soi-disant sans odeur, a été volontairement retiré du marché par les fabricants en 1977. Des tests avaient démontré qu’il causait des dommages permanents au cerveau d’animaux de laboratoire. D’après l’auteur de l'étude, le docteur P. Spencer, plusieurs hydrocarbures arômatiques très utilisés ont des propriétés semblables et devraient être testés pour des effets neurotoxiques chroniques possibles (11).

Déchets dangereux
Certains produits utilisés dans les parfums sont même désignés comme des déchets dangereux! C’est notamment le cas du toluène, du chlorure de méthylène (aussi utilisé pour décaféiner le café) et le chlorure de benzyl (12).

On note aussi que les parfums considérés come cosmétiques sont soustraits de la loi sur les produits dangereux. Ils ne requièrent donc pas la divulgation des ingrédients dangereux par l'entremise d'une fiche signalétique.

Pour compliquer les choses, un seul parfum peut contenir jusqu’à 600 ingrédients. L’exposition à un ou plusieurs de ces ingrédients peut ne pas être problématique mais l’exposition répétée à leurs combinaisons peut causer de sérieux problèmes.

Même les huiles essentielles peuvent être dangereuses pour certaines personnes. L’huile de bergamote (un fruit), par exemple, peut rendre les gens beaucoup plus sensibles aux polluants, tout comme le formaldéhyde est un sensibilisant puissant. Malgré cela, son usage dans les parfums semble augmenter.

Conclusion
« L’industrie des fragrances est la moins réglementée, disait le Dr. John Spencer, du FDA, dans un article publié dans la revue Green Alternatives en 1992. Il n’y a aucune pré-approbation des ingrédients par aucune agence. »

D’où l’importance de se protéger de tout tort potentiel. Il est encourageant de noter que de plus en plus d’organismes - dont l’École de Travail social de l’Université du Minnesota(14), plusieurs écoles, églises, des sociétés de transport public comme la Metro Transit de Halifax) (15) - interdissent ou déconseillent l’usage de parfums. Au Minnesota, on s’est appuyé sur la Loi américaine sur l’invalidité.

De plus en plus de gens deviennent handicapés par les sensibilités multiples aux produits chimiques (16), le taux de décès dû à l’asthme a augmenté de 30 % depuis une décennie (17) et les allergies ne cessent de proliférer. Ce n’est qu’une question de temps avant que le droit de respirer de l’air frais devienne non seulement désirable mais une nécessité, un droit inaliénable.

D’ailleurs, des personnes hypersensibles, intoxiquées par des parfums, ont déjà commencé à intenter des poursuites. Aux États-Unis, plusieurs procès sont présentement devant les tribunaux. Certains plaignants ont déjà obtenu des règlements hors cours de la part de fabricants voulant éviter que la poursuite ne s'ébruite.

Ressources
Association pour la santé environnementale du Québec
La Human Ecology Action League vend le livre Fragrance and Health, de Louise Costa. Parfum de scandale, une enquête de Greenpeace sur les ingrédients des produits parfumés. Les substances chimiques qui servent à parfumer les produits peuvent entraîner de graves problèmes de santé chez certaines personnes, en particulier celles atteintes de maladies pulmonaires, affirme l'Association pulmonaire.

Références:

1. Étude du sous-comité sur les opportunités d’affaires, de la Chambre des représentants, et de NIOSH, dirigée par R. Wyden, un démocrate d’Oregon, publiée en 1988. Également le rapport # 99-827 du comité de Science & Technologie de la Chambre des représentants, 16 septembre 1986.

2. How safe are perfumes ? Karen Stevens, The Human Ecologist, automne 1990. Lire également Focus on fragrance and Health, de Louise Kosta, dans The Human Ecologist, automne 1992.

3. Ann Dermatol Venereol, Journal français de toxicologie, Vol. 113, 1986. Ugeskr Laeger, Journal danois de toxicologie, Vol. 153, 1993.

4. Sondage du Candida Research and Information Foundation, 1990.

5. Perfume or pollutant ? Irene Wilkenfel, Green Alternatives, nov./déc. 1992.

6. Effects of odors on asthma, C. Shim & M.H. Williams, American Journal of Medicine, janvier 1986.

7. Chemical Exposures: Low Levels, High Stakes, Nicholas Ashford et Claudia Miller, Van Nostrand Reinhold, 1991.

8. et 11: Neurotoxic properties of musk ambrette. Peter Spencer et al, Toxicology and Applied pharmacology, 75. Skin as a route of entry for neurotoxic substances, Peter Spencer et Monica Bischoff, in Dermatoxicology, Marzulli & Mailback, Washington, 1984.

9. et 10. Monographies sur les matières premières des fragrances. D.L. Opdyke, Research Institute for Fragrance Raw Materials, Permagon Press, New York, 1979.

12. Making sense of scents, Julia Kendall, 1992, Citizens for a toxic free Marin: (415) 485-6870.

13. Correspondance entre Albert S. Adamson de la FDA et Karen Stevens de la revue The Human Ecologist, juillet/août 1990. Consumer products perfumery in the 80s and 90s, Perfumer & Flavorist.

14. 1993 Notice of Environmental Issues, University of Minnesota School of Social Work: (612) 624-1893.

15. No scents, Montreal Gazette, 29 mai 1995.

16. More claim chemicals made them ill, Wade Lambert, Wall Street Journal, 17 janvier 1995.

17. Air Currents, publication du Allen and Handsbury’s Respiratory Institute, une division de la compagnie pharmaceutique britannique Glaxo.