Malgré l’urgence qu’entrainent les changements climatiques et leurs conséquences socioéconomiques et sanitaires dramatiques, Québec tarde à légiférer pour débloquer un financement fédéral qui comblerait les lacunes des programmes de rénovation verte existants.
« On a 15 millions qui dorment à Ottawa parce que notre gouvernement n’est pas facile à joindre, soit 10 millions pour constituer un fonds de prêts municipaux et 5 millions pour faire rouler et développer notre programme JeRénovÉco », déplore le directeur d’Écohabitation, Emmanuel Cosgrove.
Conçu par Écohabitation en 2020, JeRénovÉco propose de conseiller les propriétaires d’habitations et de financer des mesures et des appareils qui améliorent l’efficacité énergétique, le confort, la salubrité et la résilience des résidences face aux événements climatiques extrêmes. Il comprend un service d’accompagnement qui aide les propriétaires à réussir et rentabiliser leur projet.
Ce programme succède au populaire programme pilote Financement innovateur pour les municipalités efficaces (FIME) de la défunte Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie. Grâce au FIME, des citoyens de Plessisville, Varennes et Verchères avaient pu réduire en moyenne de 29 %, ou 845 $, leur facture d’électricité en 2016-2017 grâce à des prêts à faible taux d’intérêt accordés pour la rénovation écoénergétique par ces municipalités et remboursables via le compte de taxes foncières. Cette nouvelle source de revenus pour les villes qui en manquent cruellement, permettrait d’améliorer la qualité et donc la valeur des propriétés taxées.
JeRénovÉco fut un des projets retenus en 2021 par le Fonds municipal vert de la Fédération canadienne des municipalités (FCM). Celle-ci a reçu 1,6 milliard de dollars du gouvernement fédéral pour promouvoir notamment le mécanisme de financement municipal connu sous l’acronyme PACE pour Property Assessed Clean Energy (énergie propre fondée sur la valeur des propriétés) qui connaît un vif succès à travers l’Amérique du Nord.
Selon M. Cosgrove, la FCM a reconnu le FIME comme le modèle de financement le plus performant et le plus ancien au Canada. « On a reçu une lettre d’approbation mais après les négociations, la FCM nous a dit qu’il faut l’accord du MAMH (ministère des Affaires municipales et de l’Habitation du Québec). Ce blocage empêche aussi des investisseurs privés de contribuer au fonds de financement des prêts », ajoute-t-il.
Un succès québécois qui profite… au Canada anglais!
Bien que 1,4 million de dollars de fonds publics et privés aient été investis dans le développement de ce programme depuis 2013, son déploiement à l’échelle provinciale est bloqué depuis un an. L’ironie, selon Mathieu Gilet qui a conçu le FIME à l’AQME et dirige désormais JeRénovÉco, c’est que le concept se répand au Canada grâce au succès du test québécois. « Depuis, la FCM a fait son programme de financement et le Canada anglais en profite quand le Québec s’arrête sur un détail législatif. En gros, la loi ne dit pas que ce type de financement est interdit mais elle ne dit pas qu’il est permis non plus. On bloque une solution extraordinaire que tout le monde utilise sauf nous, pour une raison de manque de précision dans un article de loi. »
La FCM n’a pas voulu commenter le dossier mais il chemine, selon Sébastien Gariépy, un relationniste du MAMH : « Les discussions ont débuté récemment entre le MAMH et la FCM au sujet des nouveaux volets proposés au Fonds municipal vert, affirme M. Gariépy. L’analyse des mesures proposées devra être réalisée avant que le MAMH puisse se prononcer sur l’opportunité et la faisabilité de telles mesures au Québec. » L’Union des municipalités du Québec (UMQ), qui est présidée par le maire de Varennes Martin Damphousse, s’intéresse vivement au concept. « Les programmes PACE représentent des leviers financiers innovants et puissants pour les municipalités afin de mobiliser la population et contribuer à l’atteinte des objectifs climatiques et énergétiques provinciaux », affirme Léa Carrière, directrice des communications de l’UMQ.
Pierre-Olivier Pineau, professeur titulaire au département des sciences de la décision à HEC Montréalet titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie, affirme que les prêts PACE contribueront à l’objectif de décarbonation du Québec en 2050. « Je pense que ces initiatives sont excellentes et qu’elles devraient être prioritaires et largement favorisées. L’Agence internationale de l’énergie (AIE), dans sa mise à jour du Net-Zero Road Map (feuille de route vers la carboneutralité) de l’automne dernier, indiquait que pour le chauffage des bâtiments, aucune électricité supplémentaire n’était nécessaire – l’objectif pourrait être atteint essentiellement par des gains d’efficacité énergétique. Le rythme de rénovations profondes devait dépasser le 2,5 % du parc immobilier annuellement (on serait sous les 2 % selon l’AIE). C’est un incontournable. À mon avis, cette question est bien plus importante que d’éliminer le chauffage au gaz naturel : cette sortie sera naturelle et sans « choc électrique » si on mise avant tout sur les améliorations des enveloppes – en plus évidemment d’améliorer la résilience des bâtiments en cas de pannes lors d’événements climatiques extrêmes. »
JeRénovÉco se démarque par la diversité des mesures ciblées : remplacement des vieux systèmes de chauffage au mazout et au gaz par des systèmes électriques, travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique, systèmes d’énergies renouvelables et mesures d’adaptation aux changements climatiques. « On couvrira tous les travaux en efficacité et on va l’étendre aux travaux de résilience, comme condamner sa descente de garage qui fait la flotte dans le sous-sol chaque fois que la rue déborde en face », explique Emmanuel Cosgrove.
Il propose de gérer un programme québécois de remplacement des appareils de chauffage au bois polluants dans les secteurs à problème (une étude de la santé publique est présentement en cours dans la vallée de Saint-Sauveur, dans les Basses Laurentides). Il veut aussi encourager les gens à condamner leurs garages souterrains en fermant les fondations et en remblayant les allées en pente afin de créer un stationnement perméable qui dirigerait la pluie vers la nappe phréatique. Au Québec, il existe des dizaines de milliers de ces descentes de garage et elles coûtent une fortune aux citoyens inondés et à leurs assureurs qui poursuivent les municipalités qu’elles tiennent responsables des débordements d’égouts lors des pluies diluviennes qui se font de plus en plus fréquentes. Écohabitation teste même des portes de garage étanches avec la Ville de Montréal qui est poursuivie pour des dizaines de millions de dollars chaque année, selon Cosgrove.
« La beauté du programme, selon Mathieu Gillet, c’est que le prêt est attaché à la propriété́ et à un service d’accompagnement, ce qui aide vraiment les propriétaires à planifier facilement et à exécuter rapidement leur projet avec la certitude que cela se passera bien. Vraiment FIME, ou JeRénovÉco désormais, est fait pour aider les propriétaires trop souvent dépourvus devant l’ensemble des solutions qui s’offrent à eux. » Pour Emmanuel Cosgrove, ce programme s’adresse d’abord à des populations vulnérables, comme les personnes âgées qui ne connaissent pas l’existence ni les limites des programmes comme Chauffez Vert pour financer le remplacement des vieux systèmes de chauffage au mazout qu’il est désormais interdit de réparer au Québec si l’appareil a plus de 20 ans.
Pour sa part, Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie du Québec, connaît bien grâce à FIME les programmes PACE implantés aux États-Unis depuis un quart de siècle et au Canada Anglais depuis quatre ans. « Ça prend une cotation énergétique obligatoire des bâtiments, comme en France, puis offrir du financement avec un accompagnement technique pour garantir l’atteinte des cibles », explique-t-il.
Pour quiconque désire saisir les nombreux défis et obstacles qui peuvent faire dérailler ces programmes, il recommande une synthèse de la littérature sur le sujet soumise en janvier 2023 à la Société canadienne d’hypothèques et de logement : A Toolkit for Affordability Driven Home Energy Efficiency Retrofits Through Local Improvement Charge Programs, ouvrage rédigé par le cabinet de consultants Volta Research.