La première méta-analyse en la matière confirme que le gluten présent dans notre alimentation est une des causes de la hausse de maladies auto-immunes.
« Le gluten affecte le microbiome et augmente la perméabilité intestinale. Il stimule le stress oxydatif et affecte le comportement épigénétique [mécanismes modifiant l’expression des gènes]. Il est également immunogène, cytotoxique et pro-inflammatoire. L’apport de gluten augmente l’apoptose [autodestruction des cellules] et diminue la viabilité et la différenciation des cellules. Dans certaines maladies auto-immunes non cœliaques, les régimes sans gluten peuvent aider à réduire les effets néfastes du gluten », écrivent le Dr Aaron Lerner et ses collègues dans leur étude¹ parue dans Nutrition Reviews le 1er décembre 2017.
Ces auteurs israéliens et allemands sont des experts des maladies auto-immunes et de la maladie cœliaque, cette dangereuse allergie au gluten qui touche environ 1 % de la population. Ils se disent très préoccupés de constater que l’incidence mondiale des maladies auto-immunes de types rhumatismales, endocrinologiques, gastro-intestinales et neurologiques a presque doublé entre 1985 et 2015, passant de 3,7 à 7,1 %. Soupçonnant que l’environnement joue un rôle plus important que la génétique dans le développement de ces maladies, ils ont réalisé la première analyse de toutes les études parues entre 1964 et 2016 dans trois domaines : l’impact du gluten sur les animaux et sur les cellules in vitro (en laboratoire), ainsi que l’effet de la diète sans gluten sur les maladies auto-immunes non cœliaques chez les humains.
Le gluten constitue jusqu’à 80 % des protéines et autres ingrédients potentiellement nocifs dans le blé ainsi que dans d’autres céréales comme l’orge, le seigle et l’avoine. Il est absent du riz, du sarrasin, du quinoa et d’autres céréales et grains, sauf dans les cas de contamination. Or son usage en tant qu’additif dans plusieurs aliments préparés a augmenté d’environ 1,4 % par année depuis 30 ans. Également, le blé remplace de plus en plus le riz dans l’alimentation asiatique et africaine et l’industrie a développé un blé à plus haut taux de gluten aux propriétés cytotoxiques. Les nouvelles techniques de transformation des aliments augmentent aussi la concentration de gluten dans les produits de boulangerie.
« On estime qu’au 20e siècle, la production mondiale de blé a quintuplé, et cette augmentation s’est surtout produite depuis 1955, écrivent les auteurs. Parallèlement, la prévalence de la maladie cœliaque a aussi quintuplé aux États-Unis entre 1974 et 1989. D’autre part, dans le cadre d’un sondage réalisé par le magazine américain Consumer Reports en 2014, 63 % des répondants sentaient que s’abstenir de consommer du pain et autres produits contenant du gluten améliorait leur santé physique ou mentale. Et dans un sondage Gallup conduit en 2015, 21 % des Américains ont révélé tenter de suivre une diète sans gluten. »
Comme la plupart des études qu’ils ont analysées ont porté sur les cellules et les modèles animaux, les auteurs concluent qu’il faudra réaliser davantage d’études animales et humaines avant de pouvoir conseiller la diète sans gluten aux gens ne souffrant pas de maladies inflammatoires ou auto-immunes. Ils ajoutent que cette diète peut être un complément efficace, mais qu’elle ne peut pas remplacer les diverses thérapies correspondant aux maladies spécifiques. Ces patients devraient aussi être testés pour voir s’ils possèdent les anticorps associés à la maladie cœliaque. Enfin, il faudra étudier davantage les mécanismes par lesquels le gluten agit sur les conditions auto-immunes non cœliaques.
Le Dr Lerner est chef de l’unité des maladies gastrointestinales pédiatriques et de nutrition au Centre médical Carmel, à Haifa, en Israël. Il enseigne la médecine depuis 1980 et a rempli plus de 35 mandats de révision, notamment pour de prestigieuses revues médicales comme The Lancet, le New England Journal of Medicine et Epidemiology, ainsi que des revues de gastroentéologie et d’immunologie.
Commentaire de Jacqueline Lagacé
Pour l’immunologue et auteure québécoise Jacqueline Lagacé, cette première méta-analyse sur les effets du gluten est très importante et elle confirme ce qu’elle a appris sur le sujet depuis 2007. « Les études publiées depuis 52 ans disent que le gluten et la gliadine, un peptide présent dans le gluten, sont extrêmement immunogènes. La gliadine est une molécule dangereuse si nous n’avons pas les enzymes pour la digérer. Le chercheur Alessio Fasano a découvert qu’elle crée la dysbiose [déséquilibre entre les bonnes et les mauvaises bactéries] et entraine la production de la molécule inuline qui ouvre les espaces paracellulaires des muqueuses intestinales. Si l’intestin devient ainsi trop perméable, il laisse passer les microbes et les aliments mal digérés, non réduits à leur plus simple expression d’acides aminés sans immunogénécité. Ces grosses molécules antigéniques et possiblement immunogéniques passeront alors dans le sang et dans les tissus. Comme elles contiennent des protéines apparentées avec les protéines de nos cellules, si le système immunitaire est compromis par des fragilités génétiques, il pourrait développer des réactions auto-immunes. »
Ancienne directrice du laboratoire de microbiologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, Mme Lagacé a été forcée à la retraite par l’arthrose et une polyarthrite qui étaient en train de lui faire perdre l’usage de ses mains. Elle décrit la diète sans gluten « hypotoxique », proposée par l’immunologue et chirurgien français Jean Seignalet, dans son premier livre intitulé Comment j’ai vaincu la douleur et l’inflammation par l’alimentation (Fidès, 2011, 300 pages). Son quatrième ouvrage, Une alimentation ciblée pour préserver et retrouver la santé de l’intestin (Fidès, 2016, 240 pages), résume les toutes dernières études sur le sujet.
« Ceux qui s’y connaissent affirment que 30 % de la population est intolérante au gluten, dit-elle. Sinon, il n’y aurait pas autant de gens qui réussiraient à tenir la diète sans gluten, si difficile car le gluten stimule la production d’opioïdes au cerveau qui créent une dépendance. »