Le projet de loi no 41 sur la performance environnementale des bâtiments a été déposé le 22 novembre par Benoit Charrette, ministre de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs.
Cette loi permettra au ministre de déterminer les bâtiments auxquels devra être attribuée une cote de performance environnementale, dont la consommation énergétique qui devra être affichée par les distributeurs d’énergie sur une plateforme numérique. Elle lui attribuera aussi « le pouvoir d’établir des normes en matière de performance environnementale des bâtiments, par exemple des normes à respecter lors de la réalisation de travaux de construction, de rénovation ou de démolition ». Ces normes minimales seraient renforcées progressivement au fil des années.
Initialement volontaire, la norme de performance des bâtiments comprendrait des critères relatifs à l'efficacité énergétique, à l'empreinte carbone, à la réduction de la demande de pointe ainsi qu’à l'intégration d'infrastructures favorisant la mobilité durable.
On ignore toutefois à quelle vitesse cette norme s’appliquera aux petits bâtiments résidentiels (d'au plus 3 étages, d'au plus 600 m2 et n'abritant que des logements). En septembre, Radio-Canada révélait que ce projet de loi ciblerait d’abord les condos (entre autres grands bâtiments) mais ne viserait ni les plex ni des maisons, ce que déplorait des spécialistes. « Le gouvernement a annoncé son intention d’instaurer la cotation, sa portée exacte sera précisée plus tard », se bornait à nous répondre récemment un porte-parole du ministère de l’Environnement qui est désormais responsable de la transition énergétique. Le contrat de la firme RD2, mandatée pour accompagner le Ministère dans l’élaboration du projet de loi sur la cotation, se termine en mars 2024.
Au ministère de l'Environnement, le porte-parole Frédéric Fournier se borne à dire : « Les règlements qui découleront de l’éventuelle adoption du projet loi 41 seront soumis à la procédure habituelle d’approbation, ce qui inclut une consultation publique. »
L’année dernière, le Ministère nous expliquait que les petits immeubles résidentiels n’étaient pas prioritaires parce qu’ils contribuent peu aux changements climatiques, étant rarement chauffés au gaz ou au mazout. Pourtant, les vieilles maisons contribuent à dérégler le climat parce qu’elles sont en bonne partie responsables de la demande de pointe hivernale qui force Hydro-Québec à importer de l’électricité nord-américaine produite avec des centrales à gaz. L’ensemble des bâtiments est responsable de 9,6 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) du Québec, selon les données de 2020, explique le Ministère. Mais comme le soulignait Radio-Canada, le gouvernement est préoccupé car les bâtiments« puisent plus de 25 % des besoins totaux en puissance électrique lors des pointes hivernales », alors qu’Hydro-Québec vient de lancer des appels d’offres pour la construction de nouveaux parcs éoliens afin de lui éviter de manquer de puissance pour répondre à la demande d’ici 2028.
Selon plusieurs acteurs, dont Écohabitation et l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), il est urgent d’imposer la cotation énergétique de tout immeubled’habitation neuf ou à la revente, incluant les maisons unifamiliales. C’est ce que prévoit le Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques du Québec 2018-2023 d’ici 2028, soit environ dix ans après l’initiation du projet. Divers pays européens, comme le Royaume-Uni et la France, pénalisent les propriétaires d’immeubles les moins bien cotés (les « passoires thermiques »), allant jusqu’à leur interdire de les louer ou de hausser les loyers afin de les forcer à améliorer leur rendement énergétique.
« Il va falloir obliger les gens à isoler l’extérieur des murs quand ils devront refaire le revêtement extérieur », estime Marco Lasalle, directeur du service technique de l’APCHQ. En matière d’immeubles multilogements, le défi est grand car la vaste majorité des propriétaires ne paient pas la facture de chauffage et le Tribunal administratif du logement ne leur permet pas de hausser le niveau des loyers suffisamment pour rentabiliser des réfections énergétiques majeures. « Il va falloir aider les propriétaires sans pénaliser les locataires », dit Marco Lasalle.
Contexte
Tandis que la Chine a approuvé la construction de l’équivalent de deux centrales électriques carburant au charbon chaque semaine l’année dernière, la vaste majorité des pays veulent décarboner leur économie en sortant des énergies fossiles, dont la combustion nourrit les changements climatiques qui s’accélèrent au lieu de ralentir, nous apprend cette semaine un rapport des Nations Unies.
Et bien que le gouvernement Legault tarde à financer assez de projets de transports en commun structurants tout en visant l’ajout de deux millions de véhicules électriques sur nos routes d’ici 2030, même le superministre Pierre Fitzgibbon reconnaît qu’il faudra en fait réduire le nombre total de camions et de voitures (il y en avait plus de 5 millions en 2021).
C’est que pour électrifier tous les transports, bâtiments et industries d’ici 2050, Hydro-Québec prévoit dépenser jusqu’à 185 milliards de dollars seulement d’ici 2035, notamment sur l’amélioration de son réseau, de nouveaux parcs éoliens et solaires ainsi que de nouvelles centrales hydroélectriques (sans écarter la solution nucléaire à long terme). Mais à court terme, il sera bien moins cher d’améliorer l’étanchéité, l’isolation, la fenestration et les systèmes de chauffage des habitations. Son très généreux programme LogisVert, en prélancement depuis avril, sera annoncé officiellement en janvier. Il s’applique à plusieurs achats et travaux faits depuis janvier 2023 (isolation, étanchéité, thermopompes, systèmes géothermiques, cuisinières à induction, sécheuse à pompe à chaleur, chauffe-piscine solaire, etc.) - détails sur logisvert.ca.
Étude sur l'énorme potentiel des vieilles maisons
Selon la Presse canadienne, le ministre de l’Économie, de l’Énergie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, s’est dit très intéressé par une récente étude de la firme de consultants en énergie Dunsky, qui indique que le potentiel d’efficacité énergétique réalisable dans le secteur résidentiel au Québec pourrait atteindre entre 11 à 15 térawattheures (TWh) d’ici dix ans, soit le double de la production des quatre centrales du complexe hydroélectrique de la Romaine (8 TWh). Cela équivaut à la consommation annuelle de 850 000 ménages ou de 5 millions de véhicules électriques! Le secteur résidentiel consomme actuellement 70 TWh et la cible énergétique du Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec vise 21 TWh d’économie d’énergie dans tous les secteurs à cet horizon, soit le double de l'objectif précédemment fixé.
Réalisée pour l’APCHQ, l’étude de Dunsky souligne que le plus grand potentiel d’efficacité énergétique se situe dans les maisons unifamiliales et les plex construits avant les années 1980. À elles seules, les maisons rurales construites avant 1960 représentent un gain potentiel de 5,8 TWh. Les mesures d’efficacité énergétique (étanchéité, isolation, fenestration et chauffage) coûteront jusqu’à 18 ¢ du kilowattheure (kWh) mais apporteront des bénéfices d’une valeur de 21 à 37 ¢/kWh. « Quand on regarde les objectifs climatiques, qu’on veut réduire de 37,5 % les GES d’ici 2030 et être carboneutres en 2050, il va falloir des programmes peut-être plus audacieux, a déclaré le ministre Fitzgibbon… On n’a pas encore analysé les coûts. Je serais incapable de vous dire de combien on parle pour que le parc [résidentiel] soit rajeuni, mais ce sont probablement plusieurs centaines de millions. »
Marco Lasalle dit avoir été impressionné par l’écoute du ministre. « Il a cité nos chiffres », en disant que les pertes de chaleur des vieilles maisons étaient « comme une porte-patio ouverte ».
Dunsky et l’APCHQ affirment que hausser des aides financières ne suffira pas à contrer les nombreuses barrières à l’adoption des mesures d’efficacité énergétique : il faudra réglementer.
Un nouveau Code de construction l'an prochain
D’ailleurs, le Québec s’apprête à mettre à jour le chapitre I, Bâtiment, du Code de construction du Québec (CCQ). Il se réfèrera au Code national du bâtiment (CNB) – Canada 2020 (téléchargez gratuitement ici la version numérique PDF), notamment en matière d’exigences en efficacité énergétique dans les petits bâtiments résidentiels. « Le projet de règlement est en cours d’élaboration et son adoption est prévue pour l’année prochaine (2024) », confirmait à La Maison du 21e siècle Sylvain Lamothe, relationniste à la RBQ, le 7 novembre dernier.
À l’APCHQ, Marco Lasalle se désole toutefois que le prochain Code n’adopterait pas les exigences d’efficacité énergétique Novoclimat. Les maisons homologuées par ce programme, qui ne représentent que 4 % des mises en chantier annuelles bien qu’elles profitent d’inspections gratuites (isolation, étanchéité et ventilation) et d’aides financières, coûtent au bas mot 20 % moins cher à chauffer que les maisons construites selon les exigences du CCQ, adoptées en 2012.
Le nouveau Code ne hausserait pas les niveaux d’isolation mais prescrirait seulement « comment et où sceller les maisons », sans imposer de test d’infiltrométrie mesurant l’étanchéité de l’enveloppe du bâtiment, explique M. Lasalle. « Le Code actuel ne comprend aucune obligation de sceller le système d’étanchéité, seulement de chevaucher ou de brocher les joints. » Actuellement, 90 % des constructions sont dotées d’un pare-vapeur scellé, dit-il, mais « c’est la moins performante des méthodes d’étanchéité. Toute membrane [polyéthylène ou pare-air/pluie de polyoléfine, comme un Tyvek ou un Typar] qui n’est pas à pleine adhérence, comme c’est le cas d’une Blueskin, ne fait pas un bon pare-air parce que la pression du vent les déchire [ou décolle les rubans de jonction]. C’est facile de sceller une maison de type shoebox, mais pas s’il y a des détails architecturaux plus complexes », ajoute-t-il en mentionnant le réputé scellant Aerobarrier qui permet d'atteindre des niveaux records d'étanchéité tant en construction qu'en rénovation.
Le CNB 2020 explique la différence entre un pare-vapeur et un pare-air : « Un pare-vapeur ne doit pas nécessairement être continu ou étanchéisé pour accomplir sa fonction, soit réduire la quantité de vapeur d'eau qui se déplace à travers un ensemble, mais un pare-air doit être continu et entièrement étanchéisé pour être en mesure d'empêcher la circulation de l'air à travers l'ensemble… Le paragraphe 9.36.2.9. 1) décrit trois options permettant d'assurer l'étanchéité à l'air de l'enveloppe du bâtiment. »
Bien qu’un test d’infiltrométrie obligatoire, comme c’est le cas pour une maison homologuée Novoclimat, n’est pas prévu à court terme, il n’est pas irréaliste de penser que l’on pourrait mesurer l’étanchéité des quelque 50 000 habitations neuves construites chaque année, selon le Ministère.
« Il y a plus de 350 conseillers et conseillères en efficacité énergétique qui exercent leur métier dans le cadre des programmes gouvernementaux Rénoclimat, Novoclimat et Éconologis, et ce, partout dans la province.
En fait, réaliser 50 000 tests d'infiltrométrie par année s’avère réaliste. En effet, environ 59 000 tests d'infiltrométrie ont été réalisés en 2020-2021, 70 000 en 2021-2022 et 106 000 en 2022-2023 dans le cadre des programmes Rénoclimat et Novoclimat. Dans l'éventualité d'une mise à jour de la partie 11 du Code de construction, le Ministère analysera les propositions de modification de la RBQ pour y intégrer les meilleures pratiques en matière d'étanchéité. »
L'évaluation Rénoclimat en forte demande
Toutefois, les propriétaires et constructeurs doivent s’y prendre à l’avance pour commander ce fameux test très en demande. Dans le cadre du programme Rénoclimat qui subventionne les travaux d’isolation, d’étanchéité, de fenestration et de systèmes de chauffage et ventilation, « l’attribution du rendez-vous est faite dans un délai maximum de 20 jours ouvrables, soit environ un mois, suivant la demande, précise le Ministère.
L’aide financière du programme Rénoclimat peut atteindre jusqu’à un maximum, par habitation, de :
- 20 000 $ pour le propriétaire d’une maison
- 40 000 $ pour le propriétaire d’un duplex, d’un triplex ou d’un immeuble résidentiel à logements multiples.
Pour sa part, la subvention canadienne pour des maisons plus vertes peut atteindre 5 000 $. L’aide financière offerte par le programme Rénoclimat est ajustée pour chaque participant en fonction des travaux effectués et du montant offert par le programme canadien. Les deux montants d’aide financière ne sont pas cumulatifs pour une même mesure. »
Maisons à énergie nette zéro et zéro carbone
Le 22 novembre, près de 120 constructeurs membres de l’APCHQ participaient à un premier forum québécois dans le cadre du partenariat local pour l’efficacité énergétique (LEEP) de Ressources naturelles Canada visant à accélérer l’adoption de décisions permettant de construire des maisons plus performantes.
« Les outils que propose LEEP visent à accompagner les intervenant(e)s du milieu de la construction dans l’atteinte des cibles fédérales en habitation, c’est-à-dire des logements prêts pour l’énergie nette zéro en 2030 et nette zéro carbone d’ici 2050 », expliquait un communiqué de l’APCHQ.
Pour découvrir les caractéristiques de conception des maisons pilotes modèles prêtes à la consommation d'énergie nette zéro, voir la page 22 du rapport Leçons apprises et principaux résultats du projet pilote sur la consommation énergétique nette zéro R-2000 (CENZ R-2000) et du projet de démonstration de maisons à consommation énergétique nette zéro de l’Initiative écoÉNERGIE.
Un Code unique pour l'ensemble de la province
Enfin, le 27 octobre, le gouvernement a adopté la loi 17 qui permettra à la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) « de mettre en place progressivement l’harmonisation des normes applicables à la construction et à la sécurité des bâtiments, c’est-à-dire de définir un contenu réglementaire commun à l’échelle du Québec, explique la RBQ. Cette loi vient modifier la Loi sur le bâtiment notamment pour garantir que seules des normes plus exigeantes puissent être adoptées par les municipalités en ces matières, favorisant ainsi l’adoption d’un code unique sur l’ensemble du territoire québécois. »