« Il est possible que l’humain disparaisse un jour et, sur le plan de la vie, ce ne serait pas si mal. Les girafes et éléphants qui resteront diront "ouf, on peut poursuivre!" Mais il serait triste que nos créations artistiques et découvertes scientifiques disparaissent, de même que notre capacité de sentir la souffrance des autres et de s’en occuper. »

 

J'offre mes sincères condoléances aux proches d'Hubert Reeves qui vient de nous quitter et reproduit ici ce texte paru dans la parution d'été 2006 de La Maison du 21e siècle. Notez que c'était avant le retour en force des modes de transport électriques, d'où sa mention des seuls véhicules hybrides. 

L’être humain « est l’espèce la plus saccageuse sur la terre », affirmait le célèbre physicien Hubert Reeves devant une salle bondée au Cégep de Saint-Jérôme, le 18 mai dernier. Intitulée L’avenir de la vie sur terre, sa conférence portait sur les deux choix auxquels la crise environnementale confronte l’humain : le statu quo qui mènerait à son extinction ou la « force de réaction » qui le sauverait.

Le co-auteur du livre Mal de Terre (Éd. du Seuil), est catégorique : « La terre est infestée d’humains, il ne serait pas faux de le dire! » La surpopulation et le développement sans conscience épuisent les ressources limitées de notre relativement minuscule planète. « La sixième extinction a débuté… et nous en sommes directement responsables », tranche M. Reeves. La disparition des espèces vivantes est mille fois plus rapide qu’avant l’ère industrielle : environ 27 000 espèces s’éteignent chaque année et plus de 30 % d’entre elles pourraient disparaître d’ici 2050.

L’érosion des espèces est notre bêtise la plus grave, selon lui. « Les espèces sont interdépendantes. La vie devient plus fragile car la capacité des écosystèmes à se régénérer est reliée au nombre d’espèces. » Il faut donc cesser d’empoisonner les grenouilles avec nos pesticides et de chasser les grands prédateurs comme le loup qui équilibrent les écosystèmes.

« Nous sommes dans l'éprouvette »

L'humain a perdu le contrôle de ses avancées technologiques : « Nous sommes engagés dans une gigantesque expérimentation sur le climat à l’échelle de la planète. Mais contrairement au chercheur, nous ne pouvons pas fermer le labo et rentrer chez nous quand ça va mal. Nous sommes dans l’éprouvette. Non seulement nous, mais aussi nos enfants et nos petits-enfants. » À condition d’en avoir : les Nord-Américains sont au premier rang de la chute libre du taux de spermatozoïdes. « La pollution nous retombe dessus. »

C’est en montrant des images de la Terre prises de l’espace, à 100 kilomètres d’altitude, qu’Hubert Reeves explique la crise actuelle. La nuit, on y voit : en blanc, l’éclairage témoignant de l’urbanisation qui ronge les terres arables (leur superficie est passée de 23 hectares par humain en 1950 à moins de 15 aujourd’hui); en rouge, les puits de pétrole qui brûlent du méthane sans arrêt (depuis 100 ans, nous avons épuisé la moitié du pétrole que la Terre a pris 100 millions d’années à fabriquer); en mauve, des feux de forêts (nous avons coupé la moitié des forêts, sources d'air et d’eau purs); et en bleu, la surpêche qui s’effectue de nuit dans la mer de Chine (nous pêchons plus de poissons qu’il ne s’en reproduit).

Réfugiés environnementaux

Au 20e siècle, la température moyenne sur Terre a augmenté d’un degré Celsius, passant de 14 à 15 °C. Par conséquent, les événements climatiques extrêmes s’accentuent. La principale cause de cet effet de serre est notre consommation de produits pétroliers libérant du gaz carbonique (CO2). Depuis 1950, les émissions de CO2 ont triplé et leur concentration dans l’atmosphère est la plus élevée depuis quatre cent mille ans. Au 21e siècle, les experts s’attendent à ce que la température moyenne augmente d’au moins 2 à 3 °C. Les plus pessimistes parlent de 7 à 8 °C. La fonte des glaciers forcera tôt ou tard les insulaires, dont ceux des Îles-de-la-Madeleine, à rejoindre le continent. « Lors de la dernière glaciation, avec 5 °C en moins, le niveau de la mer avait baissé de 120 mètres environ. », explique Hubert Reeves.

La force de l’être humain, c’est sa « capacité de gérer sa puissance », dit-il. D’ailleurs, Reeves croit que le nucléaire est une mauvaise solution qui hypothèque l’avenir. « Il est possible que l’humain disparaisse un jour et, sur le plan de la vie, ce ne serait pas si mal. Les girafes et éléphants qui resteront diront " ouf, on peut poursuivre! " Mais il serait triste que nos créations artistiques et découvertes scientifiques disparaissent, de même que notre capacité de sentir la souffrance des autres et de s’en occuper ».     

Même si la population mondiale se stabilisait entre 8 et 9 milliards d’habitants en 2050, l’eau et la nourriture risqueraient de manquer. Une conscience planétaire empreinte de compassion devra nécessairement émerger pour contrer la montée du terrorisme. « Nous partageons la même planète. C’est parce que nous prenons notre voiture pour aller acheter de l’aspirine au coin de la rue que des gens vivant selon un mode de vie plus frugal seront des réfugiés environnementaux. »

Il faut donc investir massivement dans l’efficacité énergétique et les énergies solaires (dont l'éolien et la géothermie), bouder les sacs de plastique qui étouffent les tortues de mer qui les prennent pour des méduses, opter pour le vélo, la voiture hybride, etc. « Je ne serais pas surpris si la Chine devenait la nation la plus écolo sur la planète d’ici quelques années », s'est-il aventuré à prédire.

Encouragé par la récente popularité des écologistes au Québec, Hubert Reeves nous invite à sensibiliser nos proches et nos élus à l’urgence d’agir. Et pour terminer, voici ce qu’a répondu l’éminent professeur à une question sur la montée de l’extrémisme religieux : « Le pape devrait s’occuper plus de l’écologie que des homosexuels! » ❧

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