Mémoire déposé au BAPE le 22 octobre 2020
Je suis super en faveur de GNL Québec et d’Énergie Saguenay ! J’avoue que ce n’était aucunement le cas auparavant. Mais j’ai changé d’avis. J’explique pourquoi ci-après.
J’ai tout d’abord cru que ce n’était pas une bonne idée de choisir comme emplacement pour cette usine de liquéfaction un endroit situé au fond d’un long et étroit corridor maritime, recouvert de glace durant plusieurs mois, et de surcroît à proximité d'une importante agglomération urbaine. Qu’importe si l’association internationale des méthaniers et opérateurs de terminaux de GNL (la SIGTTO) ne recommande pas d’implanter un terminal à un tel endroit…
Parmi ses recommandations: « Privilégier les sites aux embouchures des couloirs fluviaux, plutôt que ceux qui sont situés loin à l'intérieur des côtes. En toutes circonstances, les méthaniers en transit doivent avoir priorité sur tout autre navire. Le transport du GNL ne fait pas bon voisinage avec les navires de passagers en raison du risque humain qui y est associé. »
– Extrait de la page 5 d’un document sur le site du BAPE.
En ces temps difficiles pour tout le monde où le taux de chômage de notre région est si élevé, alors qu’il a atteint 16,1 % en mai avec 19 000 emplois perdus dans la région à cause de la pandémie, après un creux historique à 5,5 % en 2019 (1), il est plus important d’attirer ici une usine qui créera entre 250 et 300 emplois permanents que de s’inquiéter du choix d’emplacement pour ce projet. Ça va réellement aider notre région. Du temps où il y avait une grave pénurie de travailleurs dans la région, certains disaient que ces emplois bien payés allaient avoir pour effet de cannibaliser les travailleurs des autres entreprises régionales. Mais avec la pandémie ce temps est révolu. Les gens du Saguenay ont l’habitude de travailler pour de grandes entreprises qui exportent leurs profits pour enrichir des investisseurs ou qui les placent dans des paradis fiscaux. Ça ne sera pas différent avec GNL Québec. Alors pourquoi changer une recette gagnante ?
J’ai aussi cru un temps ceux qui disent que l’industrie touristique régionale (environ 1200 emplois) sera affectée par le passage quasi quotidien dans le Parc marin du Saguenay des magnifiques méthaniers qui y transiteront pour apporter la prospérité à ces 250 à 300 travailleurs car, craignent-ils, moins de touristes viendront parce qu’il n’y aura plus de bélugas. Au contraire, les gens aiment voir passer les gros bateaux dans le fjord. Rappelons-nous les premières fois où le Queen Mary 2 est venu faire escale à La Baie des Ha! Ha!. Les foules se pressaient pour venir l’admirer. On ne les appelle pas super-méthaniers pour rien. Ces navires sont aussi longs et même plus larges que le plus grand des navires de croisière.
Bélugas en voie de disparition
Parlant des bélugas, même si le bruit des moteurs et de la cavitation des hélices des super-méthaniers est aussi fort sous la coque que le bruit que faisait au lancement la fusée Saturn 5, s’il est vrai que les bélugas ont une si bonne ouïe, ils n’auront qu’à s’éloigner chaque fois qu’un méthanier passera. Ils s’habitueront ! On s’habitue à tout. Et puis, s’il est vrai que leurs veaux pris de panique à l’approche de ce bruit pourraient être séparés de leur mère, ne plus pouvoir la retrouver et mourir échoués sur la berge, il va nous falloir accepter que de toute façon, comme plus de 70% de la population animale du globe a disparu depuis 50 ans (2), il n’y a pas grand chose à faire pour changer cela. On va s’habituer nous aussi à l’idée qu’il n’y a plus de bélugas dans le fjord quand ils auront disparu et que GNL Québec fermera ses portes au bout de 25 années de glorieuse prospérité. L’ancien premier ministre du Québec, Philippe Couillard n’avait pas eu peur de dire qu'il ne « sacrifierait pas une seule “job” dans la forêt pour les caribous » (3). Je suis sûr que François Legault n’hésitera pas à sacrifier les bélugas pour créer de bonnes jobs payantes. Il est de la même trempe. Et il aura l’appui inconditionnel de tous les maires de la région qui n’en peuvent plus d’attendre les belles retombées économiques promises par le promoteur.
En ce qui concerne notre cher premier ministre, quand on sait le nombre de fois où lui et ses ministres se sont prononcés en faveur de ce projet de quatorze milliards de dollars, et devinant que ce n’est sûrement pas un hasard si M. Denis Bergeron a été choisi pour présider les audiences de ce BAPE – une personne sympathique aux thèses des écologistes n’aurait jamais pu présider ce BAPE car tout le monde aurait vu que ça comme un coup monté — il m’apparaît évident que le Rapport du BAPE qui sera présenté en janvier sera entièrement favorable à GNL Québec et que M. Legault n’aura aucune peine à faire accepter à son conseil des ministres de donner le feu vert à ce magnifique projet. Il ne restera plus qu’à attendre l’approbation tout aussi assurée du projet de Gazoduq, la branche entièrement indépendante et autonome de ce projet (clin d’œil entendu), pour qu’on passe aux choses sérieuses.
Hydro-Québec, un fier partenaire discret de GNL Québec
Hydro-Québec, qui a de gros surplus d’électricité à vendre, a tellement hâte de pouvoir offrir son énergie propre qu’elle a déjà commencé à construire la ligne Micoua-Saguenay, un projet de près de 700 millions entre la Côte-Nord et le Saguenay, qui pourra évidemment desservir l’usine de liquéfaction (4)*. Même si les centaines de millions de rabais dont GNL Québec profitera grâce à une tarification électrique industrielle très avantageuse peuvent ressembler à une subvention déguisée, on a tous compris que notre gouvernement ne reculera devant rien pour que ce projet titanesque voit le jour. Quand les astres s’alignent tous aussi bien, il devient ridicule de continuer à chercher à arrêter cela. C’est un mariage écrit dans le ciel: notre énergie verte avec l’énergie fossile extraite par fracturation hydraulique pour alimenter des clients situés à des milliers de kilomètres du Québec. On vit dans un monde moderne et on arrête pas le progrès. Il était temps que j’allume !
Bon ! Il est certain que ceux qui paniquent avec le changement climatique vont dire que, du début à la fin du cycle du gaz naturel exporté, les émissions en équivalent de GES vont presque faire doubler les émissions totales du Québec. J’ai déjà tenu un tel discours aberrant et je m’en repens. Même s’il y aura en réalité des émissions fugitives de méthane d’environ 4% tout au long de ce cycle, et que de par sa nature même le produit vendu va générer des GES quand il sera brulé, il est sage de ne tenir compte que de l’empreinte climatique locale du projet et d’ignorer le reste. S’il fallait se préoccuper de toute la dévastation environnementale se rattachant au pétrole chaque fois qu’on met du gaz dans notre tank, on passerait notre temps à se ronger les ongles d’inquiétude au sujet de l’avenir du monde. On a mieux à faire que de se permettre ce genre de considérations philosophiques. On va laisser cela aux jeunes qui chiâlent tout le temps le ventre plein. Ça va leur passer en vieillissant. Ce qui compte, c’est d’assurer notre prospérité aujourd’hui. Ce n’est pas que je crois en la pensée magique, mais je suis pas mal certain que des solutions seront trouvées pour nous adapter aux changements climatiques. On est fait fort. On trouve toujours le moyen de s’adapter à tout. Prenez le déluge du Saguenay. On en est sortis plus forts ! Y’a pas de raison que ça soit pas pareil pour le climat.
Un tien vaut mieux que deux tu l'auras
De toute manière, il n’y a pas d’alternatives à ce genre de grands projets. Les rêves d’économie verte, ce n’est que du pelletage de nuages. Y’a pas d’argent pour cela. C’est vrai que la capitalisation boursière de NextEra Energy, groupe américain misant sur le solaire et l’éolien, a atteint 145 milliards de dollars et dépassé celle d’ExxonMobil (5), mais on ne verra jamais ici la couleur de cet argent. Aussi bien prendre ce projet qui est sur la table que d’espérer que notre région devienne un centre d’excellence environnementale avec toute l’énergie hydroélectrique qui est disponible. Nous avons une fière tradition de porteurs d’eau au Québec. Pourquoi vouloir changer cela ?
Ma seule inquiétude véritable, c’est que les soucis financiers de GNL Québec les empêchent de réaliser leur rêve. Les deux promoteurs américains avaient ramassé 36,65 millions $ US en 2019 pour financer la phase préparatoire du projet, mais avec la pandémie, la collecte de fonds prévue au début de 2020 n’a pu être menée et les coffres sont à sec (6). La décision en mars dernier de Warren Buffett, principal bailleur de fonds prévu jusqu’ici, de renoncer à investir dans ce beau projet augure très mal pour la suite des choses. Les promoteurs sont dans une situation véritablement pénible et je les plains. Impossible pour eux de signer le moindre contrat avec des clients chinois ou européens tant que la construction de l’usine et du Gazoduc n’est pas confirmée, et boucler le montage financier dans le climat d’incertitude économique mondiale actuel relèvera d’un véritable tour de force. Pire, avec les énormes ponctions dans les finances publiques causées par la pandémie, nos gouvernements sont bien mal placés pour miser l’argent des contribuables sur un canard aussi boiteux.
On a vu d’autres exemples dans notre région de projets mirobolants, ayant coûté une beurrée au trésor québécois, qui ne lèvent pas de terre (7) (8). Ce serait bien triste que celui de GNL Québec finisse de la même manière après tous les efforts déployés pour qu’il se réalise. La dernière chose que je voudrais c’est de passer pour un empêcheur de danser en rond qui tente de démontrer qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale au Québec pour ce genre de projet, que ce serait revenir dans un passé mythique comme au temps de la famille Price qui faisait vivre la région avec ses usines de pâtes et papier, et que les impacts de ce projet contribueront inévitablement aux extrêmes de l’apocalypse mondiale qui s’en vient et aux centaines de millions de morts et de réfugiés climatiques qui en résulteront, ce qui ne ferait que compliquer la tâche des promoteurs pour financer leur projet auprès d’investisseurs pour qui tout cela constitue désormais un niveau de risque inacceptable.
Je vous remercie sincèrement chers responsables du BAPE de travailler d’arrache-pied pour contrer les désagréables problèmes de mauvaise perception que je viens d’évoquer. J’espère que mon changement radical d’opinion sur ce projet vous encouragera à ne pas lâcher. On compte sur vous pour donner l’heure juste, celle que François Legault attend, et rien d'autre.
Jean Hudon
* NOTE: Cette vidéo date de 2017, mais rappelons que le projet d’Énergie Saguenay date de 2015 comme on peut le constater ICI.
Ce document peut être partagé sur Facebook via ce LIEN sur la page de Contre GNL Québec à Saguenay.
Voir également la contribution que ma plus jeune fille a envoyée au BAPE, ainsi que GNL Québec : le GREMM réclame une aire marine tranquille pour le béluga et GNL Québec: un record de plus de 3000 mémoires reçus par le BAPE.
Je vous recommande cette présentation de 10 minutes au BAPE par la biologiste Geneviève Richard: https://youtu.be/NFwZC4x0mkc - Une synthèse lucide et formidablement bien rédigée des principaux motifs justifiant le rejet sans équivoque de ce projet aberrant.
Pour signifier votre opposition à ce projet méga-polluant, signer la pétition GNL/Gazoduq Non Merci!