Des conseils pour contrer ce fléau mondial qui menace un tiers de notre alimentation.
L’hôtel de ville de Vancouver a 50 000 nouveaux locataires : des abeilles hébergées dans deux ruches flambant neuves. Ruse de politiciens pour éloigner les contribuables ? Pas du tout ! C’est qu’environ une bouchée que nous mangeons sur trois dépend des pollinisateurs, dont les abeilles sont les principales représentantes, et elles semblent malheureusement en voie de disparition.
En effet, depuis quelques années, on note une diminution draconienne des colonies d’abeilles — la chute a atteint 90 % dans certains pays d’Europe tout comme sur l’île de Vancouver l’hiver dernier. Aux États-Unis, le nombre de ruches est passé de 2,5 millions en 2005 à 900 000 en 2007.
Ce phénomène de « syndrome d’effondrement des colonies » (SEC) est principalement observé en Amérique du Nord et en Europe depuis une vingtaine d’années. Mais récemment, les pertes de ruches ont doublé, voire quadruplé, atteignant de 40 à 50 % au Québec depuis 1987, selon Jean-François Doyon, président de la fédération des apiculteurs du Québec (FAQ). Des chercheurs ont observé des abeilles quittant les ruches (certaines franchissent plus de 35 000 km par an pour polliniser — pour ne plus jamais y revenir. D’après Jean-Pierre Chapleau, producteur de reines fort connu au Québec, c’est un parasite non indigène, le varroa, qui cause les plus importantes pertes chez nous.
Notre garde-manger menacé
Le déclin des abeilles inquiète à juste titre les scientifiques et les agriculteurs, car notre sécurité alimentaire en dépend. En effet, nous devons aux abeilles l’immense foisonnement de la végétation terrestre avec ses quelque 200 000 espèces de plantes à fleurs. Des pommiers aux bleuetiers, environ 85 % des plantes à fleurs — dont la plupart des arbres fruitiers — sont essentiellement pollinisées par les abeilles qui leur permettent de se reproduire en formant de nouveaux fruits et graines.
Dans certaines régions d’Europe, le déclin des abeilles est si important que les cultures fruitières s’effondrent. En Chine, on doit polliniser les fleurs d’arbres fruitiers à la main dans certaines régions où elles ont disparu. Si le phénomène du déclin des abeilles se poursuit, les experts prédisent que cela causera un débalancement phénoménal des cultures, une augmentation colossale des coûts des aliments et des pénuries alimentaires graves à travers le monde.
Le gardien des abeilles de la ville de Vancouver, Christian Duhme, exhorte le public de ne pas les craindre ni de les tuer. En général, les abeilles ne piqueront pas, à moins d’être attaquées. Il ne faut pas les confondre avec les guêpes, plus agressives, a-t-il expliqué au quotidien The Province.
Les causes
Mais qu’est-ce qui aujourd’hui menace la symbiose entre les abeilles et les espèces à fleurs qui ont évolué ensemble depuis 40 millions d’années ? Les gouvernements et divers groupes investissent des millions de dollars pour trouver la réponse. En 2009, un consortium anglais rassemblait plus de 10 millions de livres (14,5 M$) pour trouver la cause du déclin des abeilles et autres pollinisateurs.
Selon les experts, le syndrome est probablement causé par une combinaison de facteurs. Plusieurs raisons sont citées en effet. En premier lieu, la perte de biodiversité et d’habitats due à l’expansion des habitats humains ainsi qu’à l’agriculture moderne. Celle-ci est axée sur la monoculture avec élimination des fleurs des champs alors que les abeilles ont besoin d’une diète variée, bref de biodiversité.
Il y a aussi les effets nocifs des pesticides et des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui ont envahi les champs où elles butinent. Aujourd'hui, 100 % du maïs planté au Québec est enrobé de pesticides qui pourraient rendre les abeilles moins résistantes aux maladies en affaiblissant leur système immunitaire, expliquait Madeleine Chagnon, une biologiste spécialisée en apiculture, dans Le Devoir du 29 mai dernier.
La mondialisation du commerce et du transport apporte aussi de nouveaux agents pathogènes venus d’autres continents contre lesquels les abeilles ne possèdent pas toujours de système de défense. Le varroa attaque les ruches américaines depuis 20 ans et ce problème est sérieux chez nous depuis 2003, « alors que ce parasite faisait perdre aux apiculteurs 50 % de leurs ruches. En 2006, le fléau frappait 80 % des ruches », précisait au Devoir Jocelyn Marceau, coordonnateur de la filière apicole au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ).
Les méthodes industrielles d’élevage causent aussi des stress et des perturbations aux abeilles. Par exemple, l’abus d’antibiotiques et de pesticides à l’intérieur même des ruches (notamment pour contrer le varroa), de même que le déplacement des ruches plusieurs fois par saison d’un champ à un autre, parfois sur de trop longues distances.
Est également pointée du doigt la perturbation des champs magnétiques naturels par l’électromagnétisme généré par les humains. En particulier, les chercheurs s’inquiètent de la multiplication des antennes relais de téléphonie cellulaire et autres appareils sans fil émettant des micro-ondes qui semblent perturber la capacité de navigation des abeilles (détails). Le début du déclin des abeilles correspond aussi exactement avec la mise en œuvre complète du projet militaire américain HAARP (High-Frequency Active Auroral Research Projet) en 2006. Il s’agit du plus puissant émetteur technique magnétique sur Terre et qui rayonne partout sur la planète.
Les solutions
Le phénomène de déclin des abeilles s’ajoute donc aux autres problèmes sérieux qui mettent en péril la survie de l’humanité, notamment les changements climatiques, l’effondrement des stocks de poissons et l’épuisement des ressources terrestres.
Décourageant ? Pas si l’on reconnaît que la survie de l’humanité n’est pas un sport de spectateur. Elle débute chez vous, dans votre cour et votre maison, où vous pouvez amorcer d’importants changements de civilisation. Il importe d’abord de consommer des aliments certifiés biologiques — issus d’une agriculture qui n’utilise pas de pesticide nocif — et de planter des fleurs afin d’attirer les abeilles. Autant de gestes qui sont aussi bénéfiques pour vous et votre famille. Imaginez les centaines de millions d’hectares de jardins paysagers et de parcs du monde occidental transformés en havres de paix et d’abondance pour les abeilles ! Et si vous avez davantage de temps à consacrer aux abeilles, vous pourriez même vous procurer une ruche.
Un jardin accueillant
Créer un jardin attirant pour les abeilles est très simple. Après avoir fermé votre cellulaire, acheté un grand fil téléphonique de 15 m pour vous rendre au jardin et signé une pétition pour limiter les tours de transmission dans votre secteur, il suffit de créer un jardin paysager « biodiversifié » dans lequel on n’utilise ni pesticides, ni OGM.
Un tel jardin ornemental regorge de plantes mellifères qui attirent et nourrissent les abeilles, par exemple les asters, les chèvrefeuilles et les échinacées (voir la liste ci-bas). Plusieurs fines herbes, comme la sarriette, le thym, la sauge, la lavande et la marjolaine, attirent aussi les pollinisateurs. Le potager n’est pas en reste avec les tournesols — qui peuvent produire jusqu’à 15 kg de miel par hectare en un été — et toute la famille des choux (chou-fleur, brocoli, choux de Bruxelles, etc.), très appréciée à la fin de la saison lorsqu’ils montent en fleurs.
Sans oublier des arbres spectaculaires, comme les amélanchiers, les marronniers, les catalpas (l'arbre devient « bourdonnant » d'abeilles à la floraison), les pommetiers et les tilleuls dont un seul gros arbre permet de produire jusqu’à 15 kg de miel.
Dans votre pelouse, semez du trèfle blanc nain dont les abeilles raffolent. Le trèfle reste vert tout l’été et permet d’éliminer la fertilisation (il fixe naturellement l’azote de l’air) et de limiter la tonte. Le pissenlit et plusieurs autres plantes sauvages sont aussi très prisés par les abeilles pour leur pollen et leur nectar. Un champ de pissenlit d’un hectare peut fournir jusqu’à 200 kg de miel jaune clair, très épais.
Le tussilage, la première fleur du printemps à pousser sur le bord des routes et qui ressemble à s’y méprendre au pissenlit, est très visité par nos amies au manteau rayé. La verge d’or, elle, est une ressource nectarifère importante pour les abeilles à la fin de l’été.
Les engrais verts qui vous aident à préparer et à engraisser le sol d’une nouvelle plate-bande, comme le trèfle rouge, la moutarde ou le sarrasin qui produit un miel goûteux très foncé, sont également de très bonnes plantes mellifères. Alors, jardiniers, sauvons les abeilles ! À vos armes que sont les fleurs qui embellissent le monde et notre vie !
Les plantes mellifères
Les plantes mellifères produisent des substances tels du nectar, du pollen, du propolis et du miel récoltés par les insectes butineurs pour être transformés en miel. Beaucoup de plantes sont mellifères, mais seulement une partie peut être butinée par les abeilles domestiques du fait de leur morphologie (encombrement du corps, longueur de trompe, etc.). Parmi les milliers de possibilités, voici une courte liste des meilleures plantes mellifères pour votre jardin :
Arbres
Amélanchier, Amelanchier
Aubépine, Crataegus
Bouleau, Betula
Catalpa, Catalpa
Cerisier, Prunus
Épinette blanche, Picea abies
Érable de Norvège, Acer platanoides
Fèvier, Gleditschia triacanthos
Marronnier d’Inde, Aesculus hippocastanum
Noisetier, Corylus
Robinier faux acacia Robinia pseudoacacia
Sapin blanc, Abies alba
Tilleul à petites feuilles, Tilia cordata
Arbustes
Arbre à papillon, Buddléa
Chèvrefeuille, Lonicera
Clématite, Clematis
Cotonéaster, Cotaneaster
Fusain d'Europe, Euonymus europaeus
Hibiscus, Hibiscus
Rhododendron, Rhododendron
Rosier, Rosa Symphorine, Symphoricarpos
Weigelia, Weigelia
Vivaces
Anémone, Anemone
Ancolie, Aquelegia
Aster, Aster
Campanule, Campanula
Centaurée, Centorea
Digitale, Digitale
Echinops ou Boule d’azur, Echinops
Gaillarde, Gaillardia
Hélénium, Hélenium automnale
Hémérocalle, Hemerocallis
Herbe à chat, Nepeta mussinii cataria
Lys, Lilium
Lupins, Lupinus
Pavot, Papaver
Scabieuses, Scabiosa
Annuelles
Cléome, Cleoma
Fushia, Phygelius
Fines herbes
Bourrache officinale, Borrago officinalis
Coriande, Coriandrum sativum
Hysope officinale, Hyssopus officinalis
Lavande, Lavandula
Marjolaine, Origanum vulgare
Mélisse, Melissa officinalis
Menthe, Mentha
Sauge, Salvia sp.
Sarriette des jardins, Satureia hortensi
Thym, Thymus
Au potager
Asperge, Asparagus officinalis
Bleuet ou Myrtille, Vaccinium myrtillus
Courge, Cucurbita
Chou, Brassica oleracea (en fleurs)
Framboisier, Rubus idaeus
Tournesol, Helianthus sp.
Engrais verts
Moutarde, Sinapis
Trèfle, Trifolium
Sarrasin, Fagopyrum esculentum
« Mauvaises » herbes
Bardane, Lappa major
Chardon-Marie, Silybum marianum
Chicorée sauvage, Chicorium intybus
Épilobe en épi, Chamerion angustifolium
Pissenlit, Taraxacum
Tussilage, Tussilago farfara
Molène, Verbascum
Verge d’or, Solidago
Abeilles et champs magnétiques
La nature produit ses propres champs magnétiques qui sont émis par la terre (champs telluriques) et dans l’espace (champs cosmiques). De nombreuses études confirment que les abeilles dépendent de ceux-ci pour communiquer et s’orienter.
Cette « symbiose » entre l’électromagnétisme naturel et les abeilles s’est développée patiemment depuis plus de 40 millions d’années. Au cours des dernières décennies cependant, soudainement les technologies de communication par ondes de très hautes fréquences se sont développés à un rythme effréné. Ces micro-ondes sont émises par exemple par les antennes de radio, de télévision, les satellites, les GPS, les téléphones et autres appareils sans fil (casques d’écoute Bluetooth, les Wi-Fi, etc., et les antennes-relais qui y sont reliées).
Le rayonnement naturel à la surface de la terre est ainsi passé de 0,001 microwatt par mètre carré (µW/m2) à plus de 10 000 uW/m2 dans une ville de grosseur moyenne. Les valeurs limites tolérées par les gouvernements peuvent aller jusqu’à près de 10 millions de µW/m2, soit bien au-delà des niveaux d'exposition pouvant déclencher les symptômes associés au syndrome du micro-ondes. En effet, ce bombardement électromagnétique extrêmement puissant, soudain d’un point de vue évolutif, et maintenant permanent, n’affecte pas que les abeilles. Il nuit également aux autres pollinisateurs, aux oiseaux, aux autres animaux et… aux humains.
Certes au moment d’éruptions volcaniques, d’orages et de phénomènes extra planétaires, les champs magnétiques terrestres sont fortement amplifiés et perturbés, mais de façon précise et pour un court laps de temps pendant lequel les abeilles ont appris à ne pas sortir des ruches. La terre et les organismes qui y vivent n’ont jamais été exposés de façon permanente à de telles superpositions de fréquences — extrêmement basses (60 Hertz) aux hyperfréquences mesurées en gigahertz (milliards de Hertz).
Des abeilles soumises à des champs électromagnétiques artificiels deviennent très nerveuses dans leurs ruches. La température augmente fortement au sein de la colonie. La défense du territoire social s’intensifie de manière incontrôlée, à tel point que les abeilles d’une même colonie finissent par s’entretuer. Lorsque les amplitudes des vibrations artificielles se superposent aux signaux naturels, le taux de retour aux ruches diminue. Les abeilles ne trouvent plus leur chemin. Sous l’influence des micro-ondes de téléphonie sans fil, les chercheurs ont constaté un essaimage intensifié, des problèmes d’hivernage, d’orientation et de développement des colonies.
Devant l'incertitude, la précaution
Rien ne nous indique que le déclin des abeilles est associé directement et seulement à l’électrosmog. D’autres réalités ont émergé en même temps que les cellulaires et les tours de transmission, dont la perte de biodiversité et d’habitats, l’agriculture pétrochimique intensive, la mondialisation qui favorise l’arrivée d’agents pathogènes venus d’autres continents, etc.
Pour les apiculteurs québécois à qui nous avons parlé, dont John Fraser du Rucher des Framboisiers en Gaspésie, l’électrosmog serait un phénomène marginal pour expliquer le déclin des abeilles. Pour eux, les pesticides, les OGM et les semences traitées qui obligent les abeilles à ingurgiter des pesticides en même temps que le pollen seraient la cause première du déclin des abeilles, de même que le déplacement fréquent des ruchers, une pratique courante en apiculture industrielle.
Toutefois, la littérature scientifique devrait nous inciter au principe de précaution dans ce domaine. Pour en savoir plus sur les effets de la communication sans fil sur les abeilles, les oiseaux et les humains, consulter cette excellente revue de littérature écrite par un collectif de scientifiques ainsi que ces deux publications:
• Des Abeilles, des Oiseaux et des Hommes, La destruction de la nature par l’électrosmog
• Changes in honeybee behavior and biology under the influence of cellphone radiations
Une ruche pour votre cour
Certains experts craignent qu’aujourd’hui les abeilles ne puissent pas survivre sans l’aide de l’homme. En Angleterre, les autorités ont ainsi lancé un programme pour inciter les citadins à garder des ruches dans leur jardin ou sur leur balcon. La ruche que l’organisme Natural England distribue permet de récolter jusqu’à cinquante pots de miel contre seulement une heure d’entretien hebdomadaire l’été et quelques heures de lectures et de formation par année.
Au Québec, aucun programme formel n’est encore établi, rapporte Jocelyn Marceau du Ministère de l'Agriculture. On peut parfois acheter des ruches usagées, par exemple sur www.lespac.com, où il s’en vendait une à 160 $ le 2 juin dernier.
On peut aussi louer une ruche pour la pollinisation (par exemple 110 $ pour les trois semaines de la floraison des bleuetiers). Certains des fournisseurs vendent aussi de jeunes ruches.
Le problème, c’est que 80 % des nouveaux apiculteurs échouent, généralement par manque de formation, ajoute M. Marceau. Le Collège d’Alma, le Cégep Lévis-Lauzon et le Centre de formation agricole de Mirabel comptent parmi les institutions qui dispensent des formations en apiculture. Détails sur www.formationagricole.com
Autres contacts précieux
Fédération des apiculteurs
Information de pointe sur l’apiculture J
ocelyn Marceau, MAPAQ : 418.643.0033, poste 1716 jocelyn.marceau@agr.gouv.qc.ca