« Chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes. » - Martin Luther King
J’ai une confession à vous faire : je suis un weirdo (ou bizarre) qui fait ses besoins dans une toilette sèche, qui composte ses excréments dans sa cour arrière et qui utilise l’amendement pour ses arbres fruitiers. J’ai pris cette habitude il y a quelques années en réalisant le non-sens de l’utilisation des toilettes à eau. En effet, chaque fois que nous allons aux toilettes, on mélange une ressource extrêmement précieuse (l’eau potable) et une ressource en devenir (nos déjections), créant plutôt un énorme problème à régler. Non seulement en termes de pollution, mais aussi par la rupture du cycle naturel de la matière organique, tel qu’illustré par ce schéma.
En bref, plutôt que de retourner la matière au sol d’où les aliments proviennent, nous la diluons dans l’eau potable précieuse que nous souillons. Pour remplacer le retour à la terre de cette matière organique, l’agriculture moderne injecte des fertilisants industriels dommageables pour la santé bactérienne des sols. Alors que les terres arables se vident de leur potentiel à accueillir la vie, nos milieux aquatiques sont étouffés par les cyanobactéries, algues et autres matières engraissées par ces fertilisants… C’est carrément le monde à l’envers!
En mars, je signais dans La Maison du 21e siècle et sur maisonsaine.ca le dossier Installations septiques : les options offertes en 2023. L’exercice fut très difficile pour moi en raison de la complexité de la chose (j’ai dû suivre une formation de 6 heures – très complète et que je recommande d’ailleurs – pour que ça ait minimalement du sens!), mais surtout à cause de son absurdité : ces installations complexes et coûteuses viennent régler un problème totalement artificiel! En effet, elles ne seraient pas requises si on arrêtait simplement de polluer l’eau en faisant nos besoins dedans. Merde alors!
En retirant les excréments de l’eau usée, on ne se retrouve qu’avec de l’eau grise, soit l’eau usée provenant du bain, de la douche, des éviers, de la machine à laver pour le linge, etc. Pour moi et les autres écolos qui n’utilisent que des produits ménagers sains et biodégradables, la charge de pollution de cette eau grise à traiter est très faible, voire négligeable. On parle effectivement de quelques solides (particules de nourriture, cheveux et fibres de vêtements, etc.) et de matière organique diluée, bref d’une eau très simple à traiter. Sans selles, nul besoin d’une fosse septique, et pour l’eau grise, un tout petit champ d’épuration pour un traitement par les bactéries bénéfiques dans le sol est amplement suffisant; la phytoépuration est également une excellente alternative.
Je fais une parenthèse ici pour dire que ce genre d’installation septique simple et abordable pour traiter seulement l’eau grise se fait ailleurs sans problème. Dans son ouvrage Create an Oasis with Greywater (Créer une oasis avec l’eau grise), Art Ludwig rapporte qu’il y a « huit millions de systèmes de traitement d’eau grise aux États-Unis, utilisés par 21 millions de personnes. Entre 1950 et 2010, […] il y a eu 0 cas documenté de maladie transmise par l’eau grise ».
Mais au Québec, tout est compliqué et réglementé. Le Règlement sur l'évacuation et le traitement des eaux usées des résidences isolées (Q-2, r.22) vient sévèrement restreindre l’implantation de la toilette au compost et du traitement de l’eau grise.
En octobre 2015, vous vous en souvenez peut-être, la Ville de Montréal a déversé huit milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve Saint-Laurent (l’équivalent de 2600 piscines olympiques)! Le flushgate a causé tellement de grogne populaire que le ministère de l’Environnement n’a eu d’autre que choix de réviser le Q-2, r.22 pour y inclure des solutions, comme le « cabinet à terreau » (la toilette au compost). Un an plus tard, les bizarres comme moi étaient très enthousiasmés par cette ouverture… jusqu’à temps de voir les amendements finaux au règlement!
Effectivement, le Ministère autorise maintenant l’utilisation de la toilette à compost via son règlement, mais elle doit respecter plusieurs critères, dont deux dénotant une absence totale de compréhension du milieu :
- Les toilettes doivent être certifiées par une norme américaine (NSF/ANSI 41) que seulement deux fabricants respectent. Une certification que des petits fabricants ne peuvent se permettre, étant trop coûteuse.
- La matière doit être compostée à l’intérieur. Oui, oui, vous avez bien lu, illégal de composter dehors!
Dans le petit milieu des toilettes sèches, c’était la consternation. Lucie Mainguy, cofondatrice de l’entreprise d’huiles essentielles Aliksir et de Terr-O-Nostra, qui avait à l’époque développé un concept de toilette sèche révolutionnaire – le « caca d’or » –, n’a pas mâché pas ses mots face à cette situation : « L’effet concret est de limiter le développement de la toilette sèche comme solution alternative en annulant sa compétitivité commerciale. »
Pire encore, le Q-2, r.22 n’affiche aucune ouverture pour un système alternatif de traitement des eaux usées : toute résidence, même si dotée d’un cabinet à terreau, doit être desservie par un système comprenant une fosse septique et un élément épurateur, pas d’exception. Bref, on doit payer en double si on veut, en bon écolo, composter nos déjections!
Comme Aliksir le dénonçait dans un mémoire déposé au Ministère, une toilette à terreau, additionnée d’une installation septique, devient ainsi un choix très coûteux. « La règlementation devrait être assouplie, afin de ne plus considérer injustement une habitation qui n’est même pas alimentée en eau, au même titre qu’une résidence produisant des eaux usées. » Mémoire d’Aliksir
Pourtant, une personne consciencieuse qui arrête de polluer son eau n’a besoin que :
- d’une toilette à compost;
- d’un petit champ d’évacuation pour l’eau grise (ou un aménagement en phytoépuration).
Le système accepté s’y rapprochant le plus est l’installation à vidange périodique, mais on parle quand même d’une installation comportant deux fosses, une de rétention pour la toilette et une septique pour l’eau grise. Et attention, ce type d’installation n’est possible que pour un camp de chasse ou de pêche ou pour une maison existante n’étant pas alimentée en eau par une tuyauterie sous pression (voir article 73 du Q-2, r.22).
Pour tous les autres cas, c’est une installation standard (fosse septique + champ d’épuration modifié ~ 10 000 $) ou secondaire avancé (fosse septique + système secondaire + champ de polissage au moins 20 000 $) qui doit être aménagée.
Cette rigidité absolue est d’un ridicule sans nom : je connais plusieurs personnes qui ont un cabinet à terreau et qui ont été forcées d’installer une installation septique avancée lors de la construction de leur maison, mais qui ne l’utilisent tout simplement pas. Le système est là en terre, mais inutilisé, car elles préfèrent leur toilette à compost. Pire encore, elles doivent s’obstiner avec leur ville qui exige qu’elles vident la fosse septique aux deux ans, alors qu’elle est complètement vide!
Alors que l’accès à la propriété n’a jamais été aussi difficile, cette dépense de 20 000 $ est injustifiable.
Tutoriel pour l’autoconstruction de votre toilette à compost
L'utilisation d'une toilette au compost se veut un geste de désobéissance civile devant une règlementation complètement insensée.
Si vous aimeriez vous aussi arrêter de souiller votre eau potable, voici comment construire votre propre toilette à compost. C’est très simple pour une personne bricoleuse et accessible même pour quelqu’un n’ayant pas d’habiletés manuelles (essayez-le et amusez-vous!). En plus, c’est hyper abordable, on parle d’une dépense d’à peu près 50 $ en matériel.
Vous allez avoir besoin des matériaux suivants :
- Bois divers (contreplaqué, 2’’ x 4", 1’’ x 3", bref, ce que vous aurez sous la main);
- Vis à bois;
- Seau de 5 gallons (19 litres);
- Siège de toilette;
- 2 pentures.
Vous allez avoir besoin des outils suivants :
- Perceuse
- Mèche (> 3/4")
- Scie sauteuse
- Papier à sabler
- Crayon
Étapes :
- Commencer par assembler la charpente de votre toilette en 2’’ x 4’’ ou 2’’ x 3’’, de la dimension voulue pour l’espace dont vous disposez. Si vous voulez faire un bloc portatif, 21,5 x 21,5 po (54,6 x 54,6 cm) est une bonne mesure à utiliser. La hauteur totale de la toilette doit être la même que le seau, soit 14 41⁄64 po (37,2 cm).
- Mettez votre seau à l’envers sur la surface supérieure de la toilette et tracez son contour avec le crayon, à la position désirée.
- Percez des trous aux quatre extrémités du cercle avec votre perceuse munie de la mèche à bois.
- À partir de ces trous, utilisez la scie sauteuse pour couper le trou en suivant la ligne tracée précédemment.
- Sablez la zone de coupe, personne ne veut d’écharde dans le derrière!
- Placez la surface sur la charpente et placez le seau à l’intérieur. Tous ces éléments devraient se retrouver à la même hauteur.
- Vissez le panneau au mur ou à l’extrémité du bloc dans le cas d’une toilette portative avec des pentures pour pouvoir ouvrir le caisson quand vient le temps de vider la toilette.
- Vissez le siège de toilette au-dessus du trou.
Et voilà, le tour joué! Ce n’est pas plus compliqué que ça!
Pour l’utilisation de la toilette, c’est là aussi fort simple : on fait ses besoins dans le récipient, on s’essuie et y dépose aussi le papier de toilette, puis on ajoute une couche de matière organique (bran de scie, papier journal déchiqueté, mousse de tourbe ou de coco, etc.) par-dessus. Cette couche de cellulose est la clé du processus, car elle vient absorber les liquides, neutraliser les odeurs (même sans ventilation!) et favoriser le compostage. On recommence en étages, jusqu’à temps qu’elle soit pleine et on va vider dans le composteur de jardin. Pour le bac à compost, c’est le même concept, on vient mettre une couche de matière organique sèche par-dessus la matière humide chaque fois (concept de lasagne). La matière prend approximativement un an à se composter, c’est donc une bonne idée d’avoir deux bacs de compostage et d’alterner chaque année.
À noter qu’il existe des modèles de toilette à compost que vous pouvez acheter aussi. Voici les deux modèles certifiés NSF/ANSI-41 : Clivus-Multrum et Sun-Mar. Il existe d’autres produits réputés, tels BioLet, Nature's Head et Separett, mais ils ne sont en principe pas autorisés au Québec car non certifiés. Personnellement, je ne recommande pas l’utilisation de ces systèmes, ils sont carrément inutiles! J'en ai acheté un, deux de mes amis en ont acheté un (trois modèles différents) et l'expérience fut la même dans les trois cas :
- Ils coûtent hyper cher (le coût de la norme est refilé au consommateur);
- Ils ne compostent pas bien la matière, si bien qu’il faut finir le compostage dehors comme dans le cas de la toilette avec seau;
- Ils sentent mauvais, peu importe l'utilisation (problème de conception).
Bref, je suis conscient que le sujet est controversé : chaque fois que j’en parle, ça vient déranger les croyances et les habitudes de certains, ce pourquoi je m’identifie comme un weirdo à travers cet article. Mais à tous ceux qui voudront bien l’entendre : trouvez-vous ça normal de souiller la ressource la plus précieuse qui soit? Celle-là même qui compose 60 % de notre corps? Et s’il existait une meilleure solution, une qui limiterait la pollution de l’eau, qui nous ferait économiser beaucoup d’argent pour son traitement et qui en prime, donnerait un amendement pour les arbres fruitiers? Bienvenue dans le merveilleux monde de la toilette à compost… Gageons que votre prochaine visite aux toilettes sera remplie de réflexions!
Pour en savoir davantage
Je vous invite à consulter mon livre « La grande révolution de la micromaison » et « Le petit livre du fumain » et ces deux articles :
Portneuf mise sur les toilettes sèches (maisonsaine.ca)
Tout sur la toilette sèche et la toilette à compost (ecohabitation.com)
What can I do with composting toilet waste?