Hydro-Québec vient d’annoncer que son programme LogisVert, en prélancement, offrira notamment une subvention de 750 $ par 1 000 BTU/heure (soit 9 000 $ par tonne de puissance) à l’achat d’un système géothermique, une technologie verte développée à partir de 1905 et popularisée en Scandinavie dans les années 1970.
« Nous estimons que notre aide financière peut représenter entre 50 % et 60 % du montant total d’un projet », nous a affirmé par courriel Cendrix Bouchard, porte-parole d’Hydro-Québec.
Par conséquent, une personne qui installera une thermopompe air-air centrale au lieu d'un système géothermique « perdra de l'argent », estime Yvan René qui dirige Les Installations Géothermix. « On vous donne de l’argent pour faire de l’argent. On va être débordé par la demande, les subventions sont tellement généreuses qu’on va avoir de la difficulté à suivre, c'est clair », nous a-t-il dit dans l'entrevue vidéo qu'il nous a récemment accordée sur un de ses chantiers.
M. René a fondé en 2005 son entreprise spécialisée en forage de puits géothermiques. Ceux-ci permettent de capter l’énergie solaire stockée dans le sol, dont la température oscille autour de 10 degrés Celsius à longueur d’année sous la ligne de gel. Cette chaleur est captée avec de l’eau et du glycol pompés dans une tuyauterie en boucle fermée qui est raccordée à une thermopompe installée à l’intérieur d’une maison afin de la chauffer et de la climatiser. En option, la géothermie peut aussi préchauffer l’eau domestique. Un tel système réduit typiquement les coûts de chauffage d'une maison de 50 à 60 %, selon l'ingénieur Daniel Perrault de l'entreprise Énergie3R, comparativement à une économie de 30 % pour une thermopompe air-air (aérothermique).
Une technologie de forage plus abordable
Bon an mal an, Yvan René réalise au moins une cinquantaine de chantiers avec ce qu'il dit être la seule foreuse de dynamitage au monde modifiée pour forer en diagonale des puits géothermiques de petit diamètre (2 ¾ po). « On limite l’impact sur le terrain en forant plusieurs puits au même endroit, plutôt que d’être distancés de 15-20 pieds. On installe des tuyaux de petit diamètre, ¾ de po, et on fait des puits de 150 pieds de profond. Il y a très peu de rebuts, on fore à sec, ça sort en poussière de roc et le matériel qu'on doit injecter pour assurer un bon contact entre les tuyaux et les parois, on n’en met vraiment pas beaucoup [l’extrémité en U de la boucle fait 2 3/8 po]. » Il utilise un mélange d’olivine, un sable synthétique, et de bentonite, une argile absorbante au phyllosilicate d'aluminium. « Ça empêche la contamination des eaux souterraines et l’érosion des tuyaux. Le fabricant garantit les tuyaux pour 50 ans, mais pour une fissuration, un cisaillement du plastique, je pense qu'on peut penser à une bonne centaine d'années avant d'avoir à devoir les remplacer, leurs parois sont tellement épaisses (3/4 de po). »
Normalement, les puisatiers forent des puits de 6 pouces sur 500 pieds. « Ça marche très bien, c'est juste qu’il faut reconnaître que la géothermie est une énergie solaire et non une énergie du noyau de la terre. Ainsi, plus on s'éloigne dans le sol, moins on se rapproche de la régénérescence automatique du soleil. On a donc décidé d'employer une technique qui va optimiser la régénérescence du sol. Comme le soleil réchauffe la croûte terrestre, on a plus de facilité à puiser dans les premiers 150 pieds que d’aller à 500 pieds. C’est plus coûteux parce que c’est plus complexe, on doit passer plusieurs couches superficielles [dans chaque puits avant d’atteindre le roc conducteur de chaleur], mais avec le bon équipement on arrive à faire trois, quatre puits par jour selon les conditions de sol. On trouve que le gain thermique en vaut la peine. C’est une technologie de forage qui est moins coûteuse. C’est tout ce qu'on a besoin sur le terrain. Il n’y a pas de camions, de services, les tubages que l'on insère jusqu'au roc, c'est vissé, c'est retiré, ça ne reste pas dans le sol, donc ça fait que ça diminue de beaucoup les coûts. On est au minimum de 25 à 30 % moins cher que le forage traditionnel dont les coûts ont explosé. On a vu des gens se faire coter le double du prix que nous on charge, d’environ 25 $ le pied de forage. »
Coûts et rentabilité
La géothermie est généralement associée à des grands bâtiments et à des clients fortunés, car elle est moins rentable dans une maison économe de chauffage. Or, la moitié des clients d'Yvan René ont des maisons de 3 000 pieds carrés habitables. Celles-ci requièrent trois ou quatre puits qu’il fore en une seule journée pour obtenir trois ou quatre tonnes de puissance de chauffe (12 000 Btu/h = 1 tonne). Selon son partenaire Mathieu Thibault, qui dirige l'entreprise d'installation géothermique 22Degrés, un système de trois tonnes coûte 41 000 $ taxes incluses (voir ci-dessous le tableau qu'il nous a fourni). Ce prix comprend 18 055 $ pour trois puits de 2,75 po forés en angle, incluant déplacement de la foreuse et l’excavation d’une tranchée pour le raccordement de la boucle souterraine à la thermopompe installée dans la maison. Il exclut toutefois les conduits de ventilation ou le système radiant hydronique requis si l’on utilise une fournaise, une thermopompe ou une chaudière.
« C’est tout à fait rentable [même sans subvention], dit Yvan René, parce qu’il faut considérer que le prix de la géothermie, c'est le surcoût par rapport à la thermopompe haute efficacité. Il faut aussi tenir compte de la pérennité des équipements. Sur la durée de vie de la géothermie, vous allez peut-être changer deux ou trois fois la thermopompe air-air. La thermopompe géothermique travaille dans des conditions parfaites : il n’y a pas de cycle de dégivrage, elle est insensible à la température extérieure, elle va toujours fournir son plein rendement. Les économies sont continuelles et il ne faut pas oublier qu'elles sont libres d'impôt. » Sans oublier que les tarifs d’électricité sont appelés à augmenter sensiblement pour financer les milliards de dollars qu’Hydro-Québec s’apprête à investir dans l’efficacité énergétique ainsi que dans l’optimisation et l’agrandissement de son réseau. Hydro prévoit qu'en 2050, elle devra répondre à une demande d'électricité 50 % plus élevée, notamment pour satisfaire aux objectifs de décarbonation de l'économie fixée par le gouvernement (véhicules électriques, conversion des systèmes de chauffage aux énergies fossiles, etc.).
Pour sa part, l’expert en enveloppe du bâtiment Claude Frégeau recommande de faire dimensionner le système géothermique par un expert indépendant. Celui-ci utilisera un logiciel qui calculera les pertes de chaleur du bâtiment et estimera les gains solaires en hiver, afin de déterminer les réels besoins de chauffage. « Quand on calcule les besoins, en plus de la latitude, la valeur de l’enveloppe du bâtiment, l’orientation, la fenestration, l’ombrage de l'environnement construit ou forestier, etc, sont autant de facteurs importants à considérer. »
La subvention à la géothermie sera la même peu importe les revenus d'un ménage. « L'objectif c’est vraiment d'économiser des kilowatts, dit Yvan René. Je pense qu’Hydro-Québec, le gouvernement a vraiment besoin d'utiliser l'énergie au bon endroit. Utiliser l'électricité [plinthes ou fournaise sans thermopompe] pour chauffer, c'est une aberration. Les Européens, quand ils viennent ici, ils n’en reviennent pas. Nous, on un avantage, au Québec : c'est probablement l'endroit idéal au monde pour faire de l'efficacité énergétique parce qu'on peut utiliser l'énergie géothermique pour libérer des quantités énormes d'énergie, donc le gain est très important pour chaque installation… On va y gagner c’est sûr parce c’est peut-être des barrages qu’on n’aura pas à mettre en place. Dans une maison ordinaire de 3 000 pieds carrés ou 3 tonnes de puissance, on va économiser l'équivalent de 10 000 kWh [1 000 $] de chauffage par année qui sera libéré pour d'autres applications. »
Selon Yvan René, la géothermie pourra même être utilisée pour réduire la demande de pointe par grands froids. « Les systèmes vont pouvoir être dimensionnés selon la capacité réelle, la charge de chauffage réelle d'un bâtiment. Avant, on avait le choix de dimensionner entre 70 et 100% du calcul de charge, mais avec les subventions tellement généreuses, il n’y a pas de raison de ne pas dimensionner maintenant à 100 % de la charge. Donc techniquement parlant, on n’a plus besoin d’un élément électrique d’appoint pour les périodes où il fait très froid. » Sans subvention, dans un petit bâtiment, on considère que le gain d’efficacité obtenu en répondant à 100 % de la demande au lieu de 70 % ne vaut pas le surcoût, explique-t-il. « Ajouter une tonne pour sauver de l'énergie quelques heures par année, ça ne se justifiait pas économiquement. Mais nous, on recommandait de le faire parce que dimensionner un système à 100 %, ça donne aussi beaucoup de marge de manœuvre. La thermopompe cycle moins [on/off] et fonctionne donc plus optimalement. Avec les moteurs à vitesse variable, les systèmes vont toujours fonctionner en modulant la puissance selon la demande. »