Collaborateur au magazine français 4 saisons, Stuart Anderson vit, avec son épouse Gabrielle, depuis une quinzaine d’années à Saint‐Maden, dans les Côtes d’Armor. Au fil des ans, le jardin et un petit élevage leur ont permis de réaliser leur rêve initial, celui de l’autosuffisance. Mais aujourd’hui, ils souhaitent réduire la surface de leur terrain et tendre vers encore plus de décroissance. Le permaculteur nous explique pourquoi.
Texte paru dans le hors-série n°24 du magazine français 4 saisons (autrefois Les 4 saisons du jardinage) publié par les Éditions Terre Vivante. Paru en janvier 2021, ce numéro de 100 pages avait pour thème Autonomie, partages d’expérience.
TEXTE ET PHOTOS STUART ANDERSON
Il y a quinze ans, mon épouse Gabrielle et moi avons eu la chance de trouver notre habitation idéale dans la campagne française. Une maison, avec un petit cottage et une grange sur 7 000 m2 de terrain. Nous avons par la suite acquis 3 500 m2 supplémentaires de l’autre côté de la route et 4,5 ha de bois à proximité. Tous deux citadins, nous sommes passés de la ville à la campagne pour poursuivre notre rêve d’autosuffisance, cultiver des fruits et légumes et élever des animaux. Mais maintenant, nous aspirons à quelque chose de différent. Péché de gourmandise? Pas du tout, car ce n’est pas plus que nous voulons, mais moins. Et nous sommes convaincus que nous serons plus productifs sur moins de terre.
Peu de temps après avoir déménagé en France, je me souviens avoir parcouru les 10 ha d’un terrain appartenant à un ex‐compatriote et avoir pensé que ce serait agréable d’être « le roi chez soi ». Par ailleurs, mon cours de conception de permaculture m’avait convaincu que, pour me réclamer de la permaculture, je devais en appliquer tous les principes, ce qui nécessitait donc un grand site – ce qui est évidemment faux, bien sûr. Heureusement, ma recherche de 10 ha a été infructueuse et j’ai réduit mes ambitions de moitié une première fois, puis une seconde, avant d’arriver à la taille de notre propriété actuelle. Mais serait‐ce encore trop ?
VERS L’AUTONOMIE
Posons‐nous d’abord la question de savoir ce que le mot autonomie signifie. On entre dans ce monde en ayant besoin de lait, d’une couverture chaude et d’un câlin; quand on le quitte, il ne nous faut qu’une boîte en sapin. Entre les deux, il semble qu’on consomme énormément de choses : certaines dont on a sans doute besoin, mais aussi beaucoup dont on a simplement envie. Au cours de notre vie de consommation, Gabrielle et moi avons eu un impact sur la planète, ce que l’on appelle notre empreinte écologique. Il me semble que viser l’autonomie implique une responsabilité dans nos choix. Ainsi, si nous pouvons réduire notre consommation, nous avons moins besoin de nous approvisionner.
La permaculture a guidé notre projet mais notre compréhension du concept a évolué au cours de nos quinze années d’expérience et nous a conduits inexorablement à croire que nous ne pouvons produire plus qu’avec moins. Au début, la permaculture m’avait laissé croire qu’une conception intelligente pouvait remplacer le travail physique et j’ai supposé, à tort, qu’une approche “no dig” (pas de travail de terre) impliquait “no work” (moins ou pas de travail).
En 2017, j’ai eu l’occasion de visiter la ferme du Bec Hellouin et de parler avec Charles et Perrine Hervé‐Gruyer. Charles m’a dit : « la principale leçon que nous avons apprise au cours de toutes ces années de travail acharné est que le jardin doit être petit mais très bien entretenu, avec des soins très intensifs, sinon cela ne fonctionne pas ». Cela s’accordait bien avec nos propres expériences et nous a fait réévaluer ce que nous faisions.
UNE DÉCROISSANCE
L’entretien du terrain (sans l’aide de matériel agricole), les soins aux animaux, la gestion des gîtes (le petit cottage et la grange entièrement rénovée), ainsi que d’autres activités diverses... À tout cela s’ajoute la construction d’une nouvelle maison. Nous sommes donc très occupés et, de fait, Gabrielle se retrouve souvent toute seule dans le potager. Une fois que cette seconde maison sera construite, nous avons l’intention de vendre notre maison actuelle, les deux gîtes et tout le terrain autour de ces propriétés, réduisant ainsi notre terrain à un tiers (en dehors du bois). Cette décroissance réorganisera notre façon de travailler et changera ce que nous mangeons. Après dix ans à engraisser deux porcelets chaque été, nous nous sommes arrêtés en 2017 pour gagner du temps afin de poursuivre la construction de la maison. Après le déménagement, nous n’aurons plus suffisamment de pâturages pour faire tourner notre petit troupeau de moutons, nous en finirons donc avec eux aussi.
Dans le champ derrière la nouvelle maison, nous avons démarré un « jardin forêt » mais, pour l’instant, il n’y a que les arbres. Retirer les moutons nous permettra d’enlever la protection des arbres et d’y planter les strates inférieures d’arbustes et de plantes. Nous le peuplerons de poulets et de canards. Nous avons remarqué que nos canards coureurs indiens sont d’excellents chasseurs de limaces et d’escargots, et des pondeuses prolifiques. Minces et élancés, ces athlètes originaires des Indes orientales semblent ne pas avoir beaucoup de viande mais, en nous plongeant dans les livres d’histoire, nous avons appris qu’ils étaient réputés pour leur « chair abondante, relativement à la taille de leur corps, de belle qualité et de bonne saveur ». Notre alimentation s’adaptera donc à ces changements, en remplaçant la viande rouge par de la volaille et – comme nous ne mangerons que les poulets et canards en excès qui résulteront de la reproduction – en consommant globalement moins de viande.
L’AUTOCONSTRUCTION
Construire notre propre maison a toujours fait partie du plan, mais quel long processus ! Il y a quelque chose de très primitif dans le fait de pouvoir se procurer de la nourriture, s’abriter et se vêtir – une fois la maison construite, ma prochaine ambition est d’apprendre à utiliser une machine à coudre ! Nous avons conçu la maison nous‐mêmes, avec l’aide d’un architecte, mais c’est essentiellement moi qui la construis. Je trouve cette tâche très éprouvante physiquement, mentalement et émotionnellement. À près de 60 ans, je dois apprendre tous les aspects de la construction pour ne construire qu’une seule maison : mon sommeil est souvent perturbé, ma tête débordant de projets, de questions et d’inquiétudes. Pourquoi me torturer comme ça, me direz‐vous ? Parce que je pense que c’est le summum de l’autonomie : nous serons responsables du fonctionnement de la maison par rapport à nos besoins et, comme j’en aurai construit tous les aspects, je serai en mesure de l’entretenir et de la réparer si nécessaire. La structure sera presque passive, restant fraîche en été et chaude en hiver. Nous chaufferons l’eau avec un mélange d’énergie solaire et de notre propre bois. Les toilettes sèches sont conçues dès le départ. Nous avons planifié l’interaction du jardin et de la maison : un jardin d’hiver, adjacent à la cuisine pour un soin attentif des semis, et un balcon couvert, attenant au séjour, serviront de frontières entre la maison et le jardin.
Une fois achevée, la nouvelle maison sera‐t‐elle enfin la propriété de nos rêves ou bien chercherons‐nous ailleurs dans quinze ans ? Accompagner nos parents dans leurs vieux jours nous fait réfléchir à la façon dont nous pourrions concevoir notre avenir, notre habitation et notre jardin de manière à conserver notre autonomie en vieillissant : c’est un projet en cours. Plus de gîtes ni de gros projets de construction et moins de terrain : que vais‐je faire de tout mon temps supplémentaire ? Vous me retrouverez avec Gabrielle au jardin, le soleil me réchauffant le dos, de la terre sous les ongles et un grand sourire aux lèvres, en train de faire pousser plus de légumes que jamais !
À LIRE
Splendeurs et misères d’un permaculteur, Stuart Anderson, éd. Terre vivante.
Installer des toilettes sèches
En pleine campagne, sans tout‐à‐l’égout, on est obligé de traiter ses eaux usées de manière “autonome”, généralement avec la fosse septique. Or, les toilettes classiques consomment énormément d’eau potable : les chiffres vont de 11 000 à 15 000 litres d’eau par personne et par an. Sur une base de quatre fois par jour et de 10 litres par chasse, on atteint par exemple 14 600 litres. Nous dépendons donc d’abord des fournisseurs de cette eau, puis du chauffeur du camion‐citerne qui, tous les quatre ans, passe pour vidanger la fosse septique... Autonomes, vraiment ? C’est pourquoi l’installation de toilettes sèches est bonne sur les plans écologique et économique, tout en valorisant tout ce dont on essaye de se débarrasser.
Autrefois, on marchait jusqu’au fond du jardin mais, comme on préfère en général avoir ses toilettes à l’intérieur, je vous propose deux options : les toilettes sèches à litière biomaîtrisée et les toilettes sèches à séparation.
Dans la première alternative, le système est assez simple : il s’agit d’un seau en acier inoxydable placé dans un caisson en bois et coiffé par un siège de toilette. On est donc obligé d’aller vider le seau dans le site de compostage dans le jardin, deux à trois fois par semaine. Utilisées avec des quantités appropriées d’ajouts de matière organique (de la sciure ou de la paille hachée) et en gardant l’abattant fermé, les odeurs et les mouches ne semblent pas être un problème – mais ne trébuchez pas lorsque vous transporterez le seau !
On peut acheter des toilettes préfabriquées, ou on peut les fabriquer soi‐même. Pour cela, il faut s’équiper
d’un seau en inox de 15 litres (un bon compromis entre un stockage suffisant mais pas trop lourd à transporter à l’extérieur) avec son couvercle, d’un siège de toilette, d’une bavette en inox (qui se fixe en dessous de la lunette pour s’assurer que tout va dans le seau), de bois, de vis et de colle pour fabriquer un caisson. Il faudra prévoir un conteneur pour avoir à portée de main la matière organique que l’on ajoute : celui‐ci pourra être incorporé dans la structure du caisson.
Les toilettes sèches à séparation
Stuart Anderson en pleine lecture et expérience des toilettes écologiques.
Dans la salle d’eau de la maison et de l’un de nos gîtes, nous avons installé des toilettes fabriquées par NatSol (une entreprise du pays de Galles) : avec ce dispositif, l’urine est naturellement séparée et rejoint nos eaux usées, traitées par un système de phytoépuration. Ces toilettes étant à l’étage, elles bénéficiaient d’un espace en dessous que nous avons pu exploiter pour construire un bac de compostage, muni de deux regards qui s’ouvrent vers l’extérieur du bâtiment. Le regard du haut me permet d’ajouter de la matière organique et celui du dessous sert pour la vidange annuelle. Plutôt que de porter un seau plusieurs fois par semaine, c’est la gravité qui fait le travail. Puis, une fois par an, le contenu est déplacé à l’aide d’une pelle et d’une brouette. Après deux ans de compostage, le contenu de ces toilettes sèches devient un précieux ajout de fertilité et de matière organique au jardin.
Caractéristiques :
J’ai construit le bac de compostage avec des blocs de parpaing de 10 cm d’épaisseur, en montant jusqu’à l’étage, où je l’ai fermé avec une dalle en béton dans laquelle j’ai aménagé un trou pour les toilettes. L’intérieur est scellé avec un enduit imperméable. Vu du dessus, il mesure 110 cm sur 60 cm.
Les regards mesurent 60 cm et disposent de trappes d’inspection en acier galvanisé (photo ci‐contre). C’est assez commode pour la vidange. Le regard situé le plus bas est à 50 cm du sol. Dans celui du haut, il y a une trappe d’inspection incorporant un piège à mouches. Un petit ventilateur de 12 volts aspire le bac étanche à l’air, ce qui fait qu’il n’y a jamais d’odeur.
Un dernier conseil : pour que cette séparation fonctionne, tout le monde, y compris les hommes, doit s’asseoir pour uriner. C’est pourquoi j’ai ajouté un urinoir dans le gîte (photo ci‐dessus), pour les hommes qui insistent pour rester debout !
À LIRE
Un petit coin pour soulager la planète, Christophe Élain, éd. Goutte de Sable.