Quelques anciens de la commune La petite vallée qui ont bien voulu revenir à Maricourt pour une entrevue avec Le Val-Ouest. Sur la photo : Renée Demers, Michel Renaud, Jeannine Beauséjour, Jean-Pierre Marcoux et Diane Huguette Beauséjour. (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

Leur histoire fait partie des légendes locales. On sait peu d’information à leur propos et seuls quelques aînés de la région se souviennent encore de leur passage. Il y a 50 ans, des personnes ont fondé, sur le 3e rang de Maricourt, une commune appelée « La petite vallée de Maricourt ». Qui étaient-ils? Comment vivaient-ils? Quel héritage ont-ils laissé? Le Val-Ouest les a retrouvé et a pu les interviewer.

Il faut dire d’emblée qu’aucune de ces personnes n’habite encore la région. Certains vivent dans la région de Sherbrooke, Bromont ou Sutton. D’autres sont même partis aux États-Unis. Diane Huguette Beauséjour, Jeannine Beauséjour, Jean-Pierre Marcoux, Michel Renaud et Renée Demers ont ainsi généreusement accepté de revenir sur les lieux de leur jeunesse et de partager leurs souvenirs.

Heureuse coïncidence. Au moment des entrevues, à la fin de l’été 2023, cela fait presque 50 ans jour pour jour que les sœurs Diane Huguette et Jeannine Beauséjour, accompagnées de leurs conjoints, se sont installés à Maricourt.

France, Algérie… et Maricourt

Fin des années 1960. Diane Huguette Beauséjour séjourne à Paris avec son conjoint pour des études universitaires. Ils sont des témoins de première ligne des événements de Mai 68 qui secouent la France. « J’ai été tabassée », confie-t-elle. De son côté, sa sœur Jeannine est en Algérie avec son conjoint pour un séjour de coopération internationale.

À leur retour au Québec, elles souhaitent toutes deux reconnecter avec la campagne et la vie terrienne. Elles louent, avec leurs conjoints, une terre à Saint-Joachim-de-Shefford. L’expérience les emballe tellement qu’elles trouvent et achètent une terre à Maricourt, en 1973.

« J’ai rencontré une femme qui était tellement belle »

Très vite, d’autres personne se joignent aux deux couples. C’est le cas de Jean-Pierre Marcoux. Après ses études en sociologie, il s’implique d’abord au sein d’une commune qui voit le jour à Racine. Comment s’est-il retrouvé à Maricourt? « J’ai rencontré une femme qui était tellement belle que je n’ai pas été capable de résister », confie-t-il, en regardant avec tendresse Jeannine Beauséjour, avec laquelle il s’est uni pendant quelques années.

« Ça correspondait à mes intérêts pour la contreculture et la culture »

Michel Renaud, de son côté, a roulé sa bosse avant de se retrouver dans les Cantons de l’Est. « J’ai voyagé en Californie où j’ai rencontré pour la première fois des hippies. Dans le quartier Haight-Ashbury à San Francisco [là où le mouvement de contreculture a débuté dans les années 60]. Ça m’a enchanté et transformé. Quand je suis revenu au Québec, je recherchais ce monde-là. » En octobre 1974, alors qu’il participe à une grosse manifestation à Montréal comptant 40 000 personnes, il repère deux hippies dans la foule. « Je suis allé les voir. Ils m’ont dit qu’il y aurait une grosse fête à la commune Cadet-Roussel, à Morin Heights. C’est là que tout a commencé pour moi », raconte Michel Renaud.

Il décide ensuite de partir « sur le pouce », en plein hiver, pour visiter des communes un peu partout au Québec. Il est accompagné de son amie du cégep, Renée Demers. « Nous arrivions dans les communes et ils nous ouvraient les bras », se rappelle-t-il. Renée retourne chez elle et Michel continue seul son odyssée. Sous le nom de plume de « Michel Le Baladin », il publie un journal de voyage où il décrit le quotidien de chaque commune qu’il visite.

Son périple l’amène à Maricourt, où il se sent à l’aise. « Ça correspondait à mes intérêts pour la contreculture et la culture. C’est-à-dire le retour à la terre. » Il décide de s’y installer en 1976. Il est le plus jeune du groupe, du haut de ses 19 ans.

« J’avais le goût d’aller vivre dans une commune »

En 1978, Renée Demers, qui a alors 21 ans, décide elle aussi de se joindre au groupe avec son jeune enfant. « J’avais le goût d’aller vivre dans une commune. J’ai pensé à Michel. Lorsque je l’ai retrouvé, il m’a dit : “viens-t’en!”.»

Pour loger la douzaine de personnes qui vivent dans la commune, le groupe construit deux autres habitations, en plus de la résidence principale. Sur cette photo, prise à la fin des années 70 ou au début des années 80, on voit la maison construite par Jean-Pierre Marcoux et sa conjointe de l’époque, Jeannine Beauséjour. (photo : gracieuseté)

Vivre dans une maison, une ancienne laiterie, un wigwam…

Rapidement, les communards sont à l’étroit dans la maison principale. Certains décident de s’installer ailleurs sur le terrain. « Il y a des personnes qui ont passé l’hiver dans une ancienne laiterie, avec leurs enfants. Le bâtiment faisait environ 10' x 10' », se rappelle Michel Renaud. De son côté, il vit dans un wigwam pendant un ou deux hivers.

Bon an, mal an, le groupe compte environ une douzaine de personnes en hiver et grimpe à une vingtaine en été. On ajoute éventuellement deux autres habitations pour loger tout le monde. 

Après l’entrevue avec Le Val-Ouest, les anciens communards ont eu l’opportunité de revenir sur les lieux où ils vivaient, avec l’autorisation de l’actuel propriétaire. On voit ici Jeannine Beauséjour et Jean-Pierre Marcoux devant leur ancienne maison, présentée sur la photo précédente. (Photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)
La vie en commune : peu étudiée par les universitaires

Ces expérimentations de vie communautaire, principalement dans les années 1960 à 1980, s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus large. Qui touche la plupart des pays occidentaux. Dorothée Perron est étudiante à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke. Elle prépare actuellement un mémoire de maîtrise sur la contre-culture québécoise. Au cours des derniers mois, elle a fait des entrevues avec près d’une vingtaine d’anciens « hippies ». « Je m’intéresse à comment s’organisait les dynamiques entre les hommes et les femmes au sein de ce mouvement. Quelle était leur conception de l’égalité des sexes et comment ça s’organisait dans la vie courante », explique-t-elle.

Dorothée Perron, étudiante à la maîtrise en histoire à l’Université de Sherbrooke, prépare un mémoire de maîtrise sur la contreculture québécoise. (photo : gracieuseté)
Bien que le sujet frappe encore aujourd’hui l’imaginaire collectif, il n’a presque pas été étudié au Québec. Une des exceptions : l’ouvrage de Jean-Philippe Warren et André Fortin, Pratiques et discours de la contreculture au Québec,paru en 2016. « Ça vient sûrement du fait que la contre-culture était un mouvement très peu organisé. C’est difficile d’évaluer non seulement le nombre de communes, mais de trouver les gens qui en faisaient partie. Il y a là une difficulté de la recherche », explique Dorothée Perron.

Un mouvement en provenance des États-Unis

Au Québec, tout aurait commencé avec l’Expo 67. Des Américains, qui fuient la guerre du Vietnam (les « draft dodgers »), viennent s’installer à Montréal. Ils sont porteurs des fameuses valeurs du « Peace and Love ». Dans la décennie 1970, ces idées et valeurs empreignent des jeunes partout au Québec, à des degrés divers. Les cultures orientale et amérindienne influencent aussi les dimensions spirituelles de ce mouvement. « Quelque chose germait à ce moment-là, en Occident. Un renouveau; d’ailleurs encore présent aujourd’hui», croit Diane Huguette Beauséjour.

Paru en 2016, le livre “Pratiques et discours de la contreculture au Québec” est l’un des rares à s’intéresser aux communes. (image : Septentrion)

Un contexte favorable à la contre-culture

Le contexte socioéconomique est favorable à l’émergence de ces mouvements de contre-culture. En histoire, on appelle les 30 années de forte croissance économique, qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, les «Trente Glorieuses». À cela s’ajoute le fameux « baby-boom », où de très nombreuses naissances d’enfants avaient suivi la fin de la guerre. « On estime qu’en 1971, 57 % des Québécois sont âgés de moins de 30 ans », rappelle Dorothée Perron.

« Dans cette période de grande prospérité économique, des jeunes peuvent se permettre de quitter le système capitaliste pendant un certain temps et créer une nouvelle façon de vivre », contextualise la chercheuse.

Avec la création des cégeps, les jeunes ne quittent plus nécessairement le noyau familial pour se marier et avoir des enfants, comme c’était le cas des générations précédentes. « On appelle ce phénomène l’ « allongement de la jeunesse ». Ça permet aux jeunes, en quête de liberté, de se rassembler en communauté avec des gens qui ont les mêmes valeurs. »

Bien que ce soit approximatif, les auteurs Warren et Fortin évaluent qu’en 1971, il y avait environ 200 communes au Québec. Un chiffre qui a bondi à 900 communes deux ans plus tard, en 1973. Moment de la création de la commune de Maricourt.

La revue “Mainmise” est au coeur de la diffusion de l’information sur la contreculture au Québec dans les années 1970. (source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

Des liens avec la population locale

Même si les jeunes forment la majorité de la population, seul un petit nombre adhère toutefois aux valeurs hippies. « Il y avait beaucoup de préjugés. C’était une période où les habitants des petites municipalités se connaissaient beaucoup. Certaines personnes, qui étaient dans les communes, se faisaient mettre à l’écart », expose Dorothée Perron.

« À cette époque, il y avait une grande scission entre le monde de la campagne et le monde de la ville. Plus grande que de nos jours. Le monde des communes était beaucoup composé de gens de la ville. Les habitants de la campagne, plus conservateurs, étaient davantage choqués de la façon dont nous vivions », observe Renée Demers.

À Maricourt, bien que la commune vive à l’écart du village, certains de ses membres tissent des liens avec la communauté locale. Par exemple, les communards s’associent à Margrit Multhaupt, de la ferme Brandy Creek, dans le Canton de Valcourt (aujourd’hui disparue), pour importer du Texas les premières chèvres angoras au Québec. « Imagine, à la fin des années 1970, amener des chèvres du Texas jusqu’au Québec, en passant par la frontière. C’était tout un trip! », s’exclame Michel Renaud.

« Une fois qu’on a eu les chèvres, il a fallu apprendre le tissage. Nous avons demandé l’aide de dames de Maricourt », se rappelle Jeannine Beauséjour.

La commune de Maricourt s’est associée à Margrit Multhaupt, de l’ancienne ferme Brandy Creek, dans le Canton de Valcourt, pour importer les premières chèvres angora au Québec. (photo : Artigina)

Installations au cœur du village

L’ancien maire de Maricourt, Réjean Paquette (2005 à 2013), était secrétaire-trésorier de la municipalité au début des années 1980. Il se souvient très bien avoir enregistré légalement un des bébés qui était né dans la commune.

Réjean Paquette se rappelle aussi que des gens de la commune avaient loué des locaux dans l’ancienne école, propriété de la municipalité. « Dans le sous-sol, un couple avait créé un atelier de fabrication de chaussures. Une autre personne avait loué une ancienne classe pour préparer des « herbages » (plantes médicinales). » « Ces gens-là étaient instruits. La plupart avaient des diplômes de cégep ou d’université », dénote-t-il.

En 1983, dans le cadre d’un programme fédéral, Jean-Pierre Marcoux, avec un allié, conçoit, planifie et aménage une piste de ski de fond et d’hébertisme de 33 stations dans le boisé, sur le terrain des Loisir. La municipalité de Maricourt appuie ce projet. «Les enfants de la garderie-école La caisse de pommes, fondée par des parents de la commune et des alentours, ont bien apprécié cet aménagement. Ces pistes sont rapidement devenues un point de repère et d’accès pour leurs nombreuses excursions dans ce boisé, où coulait un ruisseau. Nous comblions ce fameux “déficit nature” des enfants dont on parle tant actuellement», de dire Jean-Pierre Marcoux. Ces installations resteront visibles dans la forêt jusqu’au milieu des années 2000. Lors de l’entrevue, Jean-Pierre Marcoux mentionne qu’il a participé à cette construction.

Réjean Paquette, maire de Maricourt de 2005 à 2013, se souvient de la commune de Maricourt. Au début des années 1980, alors qu’il est secrétaire-trésorier de la municipalité, il enregistre la naissance d’un des enfants du groupe. (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

Nudité et amour libre

Dans l’imaginaire collectif, le mouvement hippie est entre autres associé à la nudité et à l’amour libre. Qu’en était-il vraiment? « Nous étions nus tout l’été. C’était une égalité et une permissivité à 100 %, autant pour les hommes, les femmes que les enfants. Des gens du coin venaient en bordure pour jeter un œil », rapporte Jean-Pierre Marcoux.

Une anecdote cocasse survient d’ailleurs un jour où des huissiers se présentent pour saisir les biens de Jeannine Beauséjour. « J’étais nue, en train de jardiner. Je leur ai dit : « Vous voyez, il n’y a pas grand-chose à saisir. Je n’ai presque rien! », rapporte-t-elle en riant.

Contrairement à ce que véhicule l’imaginaire collectif, la nudité n’était pas systématiquement pratiquée dans toutes les communes québécoises. « Ça émanait d’une volonté d’authenticité. C’était quelque chose qui relevait du bon vouloir de chacun. Personne n’était obligé. Autant les hommes que les femmes. J’ai entendu, dans certaines de mes entrevues, que la nudité était plus difficile pour les hommes. Je ne sais pas pourquoi », révèle Dorothée Perron.

Bien qu’il y ait eu quelques échanges de couples au début, le groupe de Maricourt privilégie le modèle traditionnel d’engagement. « Nous n’avons pas expérimenté ça autant que d’autres communes », résume Diane Huguette. «Nous étions assez standards. Jeannine était avec Jean-Pierre. Diane Huguette était avec André… Ce n’était pas l’amour libre, à mon grand désarroi. Je peux le dire maintenant! », fait savoir Michel Renaud, sourire en coin.

« Même si la liberté sexuelle était revendiquée par la plupart des femmes que j’ai interviewées, la majorité préférait quand même se trouver un partenaire. L’amour libre causait certaines frictions interpersonnelles. Par exemple, certaines femmes m’ont raconté être moins en accord avec ce mode de vie-là. Dans certaines communes, c’était surtout les hommes qui voulaient cette pratique », confirme la chercheuse universitaire.

La représentation de la nudité accompagnait tout naturellement les articles et chroniques de la revue alternative Mainmise. (source : Bibliothèque et Archives nationales du Québec)

Relations égalitaires hommes-femmes

À Maricourt, les relations entre les hommes et les femmes sont égalitaires dans les tâches domestiques. «Les femmes ont éduqué les hommes à la cuisine quotidienne avec un système d’équipe “chacun sa semaine”, en rotation. De même, nous faisions le “train” des animaux (veaux, vaches, chèvres laitières et angoras, cochons et couvée) à tour de rôle», rapporte Jean-Pierre Marcoux.

Ce n’est pas le cas partout. « Il y avait une volonté, dans plusieurs communes, d’un travail égal. En pratique, certains travaux manuels, plus difficiles, étaient exécuté par les hommes. Alors qu’au final, les femmes vont davantage faire des travaux plus domestiques », signale Dorothée Perron.

Une commune d’une rare longévité

Selon les chercheurs Warren et Fortin, 90 % des communes disparaissaient après un an. C’est le cas d’une petite commune d’inspiration soufie, appelée «Les Naomis», elle aussi située sur le 3e rang de Maricourt. Celle-ci n’a pas persisté très longtemps.

La petite vallée de Maricourt se distingue ainsi par sa longévité. Elle a fleuri pendant environ 11 ans. Qu’est-ce qui explique ce succès? « Nous avons opté pour la création d’un organisme sans but lucratif. Nous étions très bien structurés : nous tenions des réunions, avions un budget et prévoyions les travaux à faire sur la terre pour l’année à venir », se rappelle Jean-Pierre Marcoux. Pendant deux ou trois ans, ils vont jusqu’à partager leurs salaires, issus de leurs revenus agricoles, ou encore leur assurance-chômage ou leur aide sociale, selon la situation de chacun.

Un fait confirmé par Dorothée Perron. « Il y avait certaines personnes qui travaillaient à l’extérieur, tout en habitant dans des communes. Mais la plupart demandaient de l’aide sociale. En groupe, ils pouvaient s’acheter une terre avec une maison. La mise en commun des biens permettait une liberté pour sortir du noyau familial. C’est une des raisons pour lesquelles les hippies voulaient se mettre en groupe. »

Lors de notre visite sur les lieux de l’ancienne commune, à la fin de l’été 2023, la grange arborait encore fièrement un soleil de bois créé par les communards. (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

Démarrage de petites entreprises et d’une école

Au fil des ans, des germes de petites entreprises voient le jour sur la commune et dans le village de Maricourt. Par exemple, Diane Huguette Beauséjour démarre une entreprise de fabrication de futons, qu’elle poursuivra après avoir quitté la commune.

Les parents s’organisent pour prendre soin de la dizaine d’enfants que compte la commune. « Nous avons commencé par créer une garderie, puis une école. D’autres parents du coin se sont joints à nous. Ce n’était pas comme l’école à la maison. C’était vraiment une petite école, destinée à une petite communauté », explique Renée Demers. Pour ce faire, ils occupent les locaux de l’ancienne école désaffectée, au cœur du village.

Pour Jeannine Beauséjour, cette expérience a été marquante. Après son départ de la commune, elle choisit de retourner aux études pour devenir enseignante. Elle sera ensuite professeure dans des écoles alternatives Waldorf.

Renée Demers partage un souvenir marquant des jeux des enfants. «Puisqu’ils ne regardaient pas la télé, leurs héros, c’était les gens d’ici : Daniel Fontaine et Michel Renaud. Les enfants étaient fascinés de voir Daniel Fontaine avec ses machines en train de faire de l’excavation. Quant à Michel, ils l’observaient s’occuper des chevaux et travailler. Dans leurs jeux, ils faisaient semblant d’être Daniel Fontaine et Michel Renaud. C’était tellement beau. Tous les enfants ont besoin de héros. »

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, les habitants de la commune ont utilisé des locaux dans ce qui est aujourd’hui le centre communautaire et l’hôtel de ville de Maricourt. Ils y ont démarré de petites entreprises et une école. (photo : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

« Je n’ai jamais travaillé aussi fort »

Avec leurs animaux et leurs grands jardins, le groupe vise l’autosuffisance. «Nous n’avions l’air de rien, toujours tout nu. Mais nous travaillions très fort », rapporte Renée Demers. « En fait, même lorsque j’ai démarré mon entreprise avec des employés, après avoir quitté la commune, je n’ai jamais travaillé aussi fort qu’à cette période de ma vie. À Maricourt, nous nous sommes beaucoup investis et avons appris à travailler », d’ajouter de son côté Michel Renaud.

Différents produits agricoles sont mis en marché grâce à tout ce travail : fromage de chèvre, carré aux dattes-pommes, miel (“L’amie Ailée”), sirop d’érable (“La goutterelle”), etc. Il y a aussi eu, en 1980, un projet de fabrication de matériel éducatif, de mobilier ergonomique et de modules ludiques destinés aux garderies. « J’ai participé à ce projet avec Ingrid Krause, de la commune de Racine, ainsi qu’une autre personne. Ça s’est avéré un “succès boeuf” car ça répondait à un besoin. Pendant deux ans, nous utilisions un local dans l’ancienne école de Maricourt pour leur fabrication. C’est la récession de 1982 qui a mis un frein à notre élan et y a mis fin », se rappelle Jean-Pierre Marcoux.

« Nous étions des précurseurs qui exploraient »

« La vie en commune était une véritable école. Nous apprenions sur le tas toutes sortes de choses qui n’étaient enseignées nulle part. Dans les domaines de la nutrition, l’herboristerie, la maternité aimante, saine et libérée, l’accouchement à la maison, l’éducation alternative, l’agriculture biologique, la construction écologique, la famille, le couple, etc. C’est fou tout ce qu’on a fait!», marque Renée Demers. « Il faut le dire : nous avons été des pionniers », ajoute Diane Huguette Beauséjour.

« Cette expérience, pour moi, c’était une quête de liberté anarchiste. Au sens noble du terme. Une liberté responsable et libre. Nous étions des précurseurs qui exploraient », résume Renée Demers.

Jean-Pierre Marcoux, Jeannine Beauséjour et Michel Renaud en route vers la forêt pour retrouver l’ancienne cabane à sucre de la commune…
… qui a bien mal résistée aux aléas du temps. (photos : Sébastien Michon – Le Val-Ouest)

Quel héritage pour la société?

« Ce mouvement a marqué la vie des personnes qui ont fréquenté les communes. J’ai remarqué que souvent, professionnellement, ces gens-là continuent de s’impliquer dans la communauté. Par exemple, certains ont contribué à l’élaboration de programmes de cégeps plus alternatifs ou ont prôné des valeurs moins hiérarchiques entre les professeurs et les étudiants. Ils ont recyclé les valeurs de la contreculture dans leur profession. Ils voient encore les valeurs qu’ils ont défendues se manifester dans leur vie », observe Dorothée Perron.

Selon elle, cette « période d’ébullition sociale » a laissé comme legs à la société l’écologie, le végétarisme, les entreprises communautaires, les coopératives et des formes de réseaux sociaux. Il est aussi possible qu’ils aient eu une influence sur le féminisme. C’est ce que sa recherche universitaire tente de vérifier. Pour elle, la contribution sociétale de ces personnes provient justement du fait qu’elles se soient créées un univers social en-dehors du système et du noyau familial traditionnel.

De fait, Jean-Pierre Marcoux vit aujourd’hui dans la Coopérative d’habitation des Cantons de l’Est, à Sherbrooke. « Je constate qu’avec le vécu communautaire que j’ai, c’est plus facile de m’adapter à une situation coopérative. Mais je vois à quel point ce n’est pas évident pour tout le monde. L’idée de partage, ce n’est pas spontané », explique-t-il.

Quant à Renée Demers, elle a choisi, avec cinq autres aînés, d’acheter en 2019 une grande maison à Sutton pour vieillir avec eux. Un projet qui s’appelle la Coop ViVE. Chaque résident paie un loyer et contribue au budget commun pour la nourriture. « C’est un terreau fertile pour apprendre à prendre soin les uns des autres. À communiquer de façon aimante et à partager. C’est très beau et très riche, ce que je vis à cet endroit », confie-t-elle.

L’importance du contact avec la nature

Le contact avec la nature a aussi laissé sa marque. « Ça a ouvert en moi quelque chose de plus grand que ma vie », partage Diane Huguette Beauséjour.

Quant à Jean-Pierre Marcoux et Michel Renaud, la nature a continué de faire partie de leur parcours professionnel. Jean-Pierre Marcoux est allé étudier aux États-Unis au Conway School of Landcape Design en architecture du paysage. Alors que Michel Renaud a démarré Ko Paysages, l’une des premières entreprises d’aménagement paysager écologique au Québec. « Si je n’avais pas vécu l’expérience de Maricourt, j’aurais continué mon cheminement intellectuel et je serais probablement allé faire un doctorat. Je n’aurais pas pensé à être dans la réalité des choses », croit Jean-Pierre Marcoux.

Défis dans les relations interpersonnelles

Pourquoi la plupart des communes ont-elles cessé? « Ce qui a fait que les communes ont lâché, ce sont les défis dans la communication et les relations humaines. Je crois que nous n’étions pas habiles, à ce moment-là, au niveau émotionnel. D’ailleurs, plusieurs d’entre nous, après avoir quitté la commune, avons fait des démarches intérieures », soutient Renée Demers.

Une interprétation corroborée par Michel Renaud. « Nous ne savions pas comment communiquer nos peurs et nos insécurités. Nous étions forts pour brûler de la sauge, faire des danses soufies, chanter des kirtans et réciter des mantras. Mais nous n’étions pas forts pour dire : « je ne me sens pas bien ». »

Concilier vie communautaire et individualisme

Selon Dorothée Perron, les gens qui entraient en commune avaient peu d’outils pour savoir comment vivre les uns avec les autres. « Il s’agissait d’expérimentations. Les difficultés interpersonnelles étaient le facteur numéro un de l’échec de la majorité des communes. De plus, contrairement à Maricourt, plusieurs communes avaient un manque d’organisation. Les jeunes se rassemblaient ensemble sans nécessairement savoir comment faire. Il y a eu des manques de coopération dans les travaux. » Elle ajoute : « Les hippies étaient souvent des gens qui étaient en période de flottement dans leur vie. Certains voulaient juste squatter à des endroits alors que d’autres souhaitaient travailler et bâtir une vie en commun. Il y a une espèce de contradiction entre “communauté” et “individualité”, qui a été plus difficile dans certaines communes. On voulait souder ensemble les membres d’un groupe, tout en respectant leurs aspirations et liberté personnelle.»

L’argent, véhicule des peurs et insécurités

L’argent a aussi été un facteur important dans le déclin des communes. «L’aspect financier nous a rattrapé. Nous voulions changer le monde, mais nous n’avons jamais été capables de trouver un projet lucratif commun, où tout le monde allait s’identifier. L’argent, c’est quelque chose qui vient chercher nos valeurs, nos peurs et nos insécurités profondes», pense Michel Renaud.

Le zonage, un enjeu

Selon Jean-Pierre Marcoux, l’arrivée de la Commission de protection du territoire agricole, en 1978, a aussi eu un impact sur les communes. « Cette politique mur à mur d’interdiction de construction de maison en zone décrétée agricole a considérablement freiné la migration de personnes et de familles intéressées à l’expérience de retour à la terre. Ce mode de zonage, à ses débuts, manquait singulièrement de subtilités. À Maricourt, l’école du village était fermée. Et il n’y avait pour commerce qu’un magasin général vivotant, opéré pour rendre service plutôt que faire du profit. Il n’y avait pas péril en matière d’expansion urbaine sur ce territoire. Pour La petite vallée, la construction d’une maison additionnelle aux deux existantes a été interdite. À moins que son affectation ne soit convertie en mode agricole, sans possibilité de l’habiter.»

Une aventure qui ne s’est jamais terminée

Comment s’est terminée cette aventure maricourtoise? « Mais ça ne s’est jamais terminé! », répond du tac au tac Diane Huguette Beauséjour. Elle précise : « Vivre en commune, c’était peut-être une forme prématurée. Mais on ne peut pas ignorer cette expérience-là. Nous avions besoin de la vivre. Nous sommes socialement dans un moment de transition. Il y a une recherche profonde de valeurs. Les questions que nous avions demeurent, encore aujourd’hui. L’individualisme n’est pas satisfaisant. »