Ça s’est passé au Palais de justice de Montréal il y a 33 ans, le 13 décembre 1991. J’y couvrais pour l’hebdo Habitabec le dénouement de l’action collective intentée en cour supérieure par six demandeurs1 dans la célèbre cause impliquant la mousse isolante d’urée formaldéhyde (MIUF).
Après plus de huit ans d’audiences et de délibérations, au terme de son jugement fleuve de 1 099 pages, le juge René Hurtubise concluait que les plaignants ne lui avaient pas fourni de preuve prépondérante de préjudice : « rien ne permet d'identifier la MIUF (…) comme cause (des) problèmes de santé » des demandeurs, pas plus que les problèmes de pourriture ou de corrosion apparus dans certaines maisons miufées. Il a même conclu que « les problèmes de santé pouvaient être dus à de nombreux facteurs tant physiques, que psychologiques », écrivait Martha Gagnon dans La Presse du 21 décembre 1991. Ce fut une catastrophe tant pour les plaignants que pour leurs experts dans ce procès qui s’était déroulé du 6 septembre 1983 au 20 février 1990.
Le Programme d’isolation thermique des résidences canadiennes se voulait une réponse à l’embargo pétrolier faisant exploser les coûts du mazout. Le gouvernement fédéral offrait une subvention de 500 $ qui a permis notamment, de 1977 à 1980, de gicler de la MIUF dans près de 100 000 résidences canadiennes, dont environ 30 000 au Québec, souvent en remplissant la cavité derrière un revêtement extérieur de maçonnerie, une pose déconseillée car à haut risque. Fabriquée sur chantier à partir d'un mélange de résine urée-formol, d'eau, d'un catalyseur acide et d'un agent moussant, elle était injectée au pistolet avec de l'air comprimé. Avant de durcir, elle avait la consistance de la crème à rasage, bref une faible densité de 0,5 livre au pi3. Comparativement, l’isolant de polyuréthane moderne a une densité de 2 lb/pi3 et est plus dispendieux car il contient deux composants pétrochimiques qui sont mélangés par le pistolet de l’applicateur.
Un isolant hydrosoluble bas de gamme
Mise au point en Europe dans les années 1950 pour isoler les cavités difficiles d’accès des murs des habitations, la MIUF était abordable, mais très fragile : soluble dans l'eau, elle devenait instable en présence de l’humidité, se décomposant par hydrolyse et émettant dans les maisons du formaldéhyde. En concentrations élevées, ce gaz âcre et incolore irrite les yeux, le nez et la gorge, et peut causer une toux persistante et des troubles respiratoires, des irritations cutanées, des nausées, des maux de tête et des étourdissements, selon la fiche technique Mousse isolante d’urée-formaldéhyde (MIUF) publiée en 1995 par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). En 2004, le formaldéhyde sera reconnu comme cancérogène avéré sur la base d'études sur les travailleurs fortement exposés. Il existait diverses formulations de MIUF, comme l’Insulspray de Borden et la Rapco Foam de Lorcon, qui produisaient des réactions physiques et chimiques différentes.
Le MIUF fut interdite en décembre 1980 par le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social. Ensuite, le gouvernement fédéral a même offert aux propriétaires jusqu’à 5 000 $ pour des travaux d’enlèvement de la MIUF – qui pouvaient coûter jusqu’à 100 000 $ – dans les maisons miufées affichant une concentration de formaldéhyde d’au moins 0,1 parties par million de formaldéhyde. Des décisions qui auraient déclenché une psychose collective, selon le juge Hurtubise.
Santé Canada a ensuite établi à 0,1 partie par million (ppm) la teneur sécuritaire pour le formaldéhyde dans la maison. À cette teneur, la sensibilité peut certes varier selon l’âge et l’état de santé des occupants. Cette norme d’exposition fut plus tard abandonnée, puis remplacée par des limites d’exposition recommandées à court et moyen terme de : 100 parties par milliard (ppb), équivalant à 0,1 ppm, pour une exposition d’une heure afin de prévenir l’irritation, et de 40 ppb (0,04 ppm) sur une moyenne d'au moins 8 heures afin d'éviter les problèmes respiratoires chez les enfants asthmatiques.
Pourquoi parler de MIUF une semaine avant Noël? Pour se rappeler qu'on ne devrait pas se fier aux fabricants de matériaux, ni aux entrepreneurs, ni aux administrations publiques, ni aux tribunaux pour protéger la santé de nos familles et la durabilité de nos habitations. À la fin de ce dossier, vous lirez l'analyse lucide du scandale de la MIUF d'un mes anciens professeurs de science politique.
Bref, mieux vaut se fier aux recommandations des experts indépendants, comme ceux du média vermontois Building Green, du Green Science Policy Institute et d’Habitable Future. Ceux-ci nous mettent en garde, entre autres, contre la toxicité des isolants plastiques qui contiennent et émettent des retardateurs de flamme, car comme ils sont à base de pétrole, ils sont combustibles. À ce sujet, lire notre article sur les forces et limites des isolants plastiques.
Doit-on se préoccuper de la MIUF aujourd’hui?
La SCHL explique ainsi pourquoi cet isolant a été interdit : « Lors de l’isolation proprement dite, un léger surplus de formaldéhyde était souvent ajouté pour garantir le durcissement complet avec l’urée et donner la mousse isolante d’urée-formaldéhyde. Le surplus était libéré au cours du durcissement, presque entièrement en l’espace d’un jour ou deux suivant la mise en place. La MIUF bien installée n’a suscité aucun problème. Malheureusement, la MIUF a parfois été mal installée ou utilisée dans des endroits où elle n’aurait pas dû l’être. Les autorités canadiennes ont reçu suffisamment de plaintes, de la part surtout de gens habitant des petites maisons bien étanches, qu’elles ont commencé à se soucier de ses effets possibles sur la santé. C’est ainsi que l’utilisation de la MIUF a été interdite en 1980. »
La SCHL ajoute : « Les essais démontrent que la MIUF n’est pas une source de surexposition au formaldéhyde après son durcissement initial et la libération du surplus gazeux. Puisqu’elle a été installée pour la dernière fois en 1980, elle ne dégagerait certainement pas aujourd’hui un surplus de formaldéhyde à l’intérieur. Les maisons isolées à la MIUF n’enregistrent pas de niveau de formaldéhyde plus élevé que les maisons qui en sont dépourvues. Par contre, la MIUF qui entrerait en contact avec l’eau ou de l’humidité risquerait de se dégrader. La MIUF humide ou en voie de détérioration doit être enlevée par un spécialiste et la source du problème d’humidité éliminée. Dans les maisons neuves ou les autres bien étanches, d’importantes quantités de formaldéhyde peuvent être libérées par les nouvelles moquettes ou les matériaux faits de bois composite. »
En effet, en plus de se retrouver à l’état naturel dans le corps humain et dans la nature, le formaldéhyde est émis par une foule de produits et matériaux résidentiels. Des résines d’urée et phénol formol sont utilisées notamment dans la fabrication de contreplaqués, de panneaux de particules et autres bois d’aggloméré ainsi que d’autres produits comme les moquettes et les tissus. La combustion du tabac, du bois, de l’essence et d’autres produits pétroliers émet également du formaldéhyde.
Depuis 1993, la SCHL n’exige plus de déclaration de la présence de MIUF pour les besoins de l’assurance-prêt hypothécaire offerte aux termes de la Loi nationale sur l’habitation. « Par contre, il se peut qu’une déclaration soit toujours demandée lors de l’inscription d’une propriété immobilière ou dans le cadre d’un accord d’achat et de vente. Même si la présence de MIUF ne constitue pas un motif d’inquiétude, on pourra, selon la région du Canada que vous habitez, vous demander de produire une déclaration concernant l’isolation thermique de votre maison à la MIUF. »
Inspections inconcluantes et évolution de la science du bâtiment
En 1981, l’inspecteur privé Ken Ruest a effectué, pour le Centre canadien d'information et de coordination sur la MIUF, des tests dans plusieurs maisons au Québec, au Nouveau-Brunswick et dans l'est Ontarien, dans le cadre de la première étude de 100 maisons miufées au Canada. « Je me souviens de certains cas où les résultats des tests de formaldéhyde étaient plus élevés après avoir enlevé la MIUF - mais les gens disaient ne plus avoir de symptômes, explique celui qui serait plus tard embauché par la SCHL comme chercheur. C'est facile de blâmer la MIUF pour tous ces problèmes de santé que les gens attribuaient à la présence de cet isolant quand les journaux et émissions de télévision en font un drame. Une personne m'avait contacté pour faire des tests chez elle et croyait avoir de la MIUF dans ses murs parce qu'elle avait les mêmes symptômes que ceux attribués à la MIUF. Après vérification du type d'isolant injecté dans les murs, c'était de la cellulose! Dans un autre cas, la pièce où les concentrations de formaldéhyde étaient les plus élevées était la chambre à coucher où il y avait un nouvel ensemble et commode en panneaux de fibres agglomérées. »
Sans nier que certaines personnes aient pu subir des problèmes de santé dans certaines maisons miufées, Ken Ruest se demande : « était-ce à cause de la MIUF et des concentrations de formaldéhyde provenant de toutes les sources possibles dans la maison? Il y a beaucoup de doutes et c'est ce que le juge dans cette cause cite comme une des raisons de sa décision. Il ne faut pas oublier que grâce aux mesures de conservation d'énergies appliquées à cette époque, les maisons sont devenues plus étanches à l'air, réduisant ainsi l'échange d'air naturel. Ce n'est que plus tard que l'installation de ventilateurs d'extraction et d’échangeurs d'air, pour compenser pour cette étanchéité améliorée, est devenue une pratique commune ou du moins plus fréquente. Le manque de ventilation naturelle et mécanique permettait donc une accumulation accrue des polluants à l'intérieur (aérosols, produits de nettoyage parfumés, meubles armoires en panneaux d'aggloméré etc., et beaucoup de gens fumaient encore à l'intérieur à cette époque). Cette étanchéité accrue a aussi entrainé une augmentation des taux d'humidité qui causa des problèmes de moisissures tout en augmentant les émissions de formaldéhyde des panneaux d’aggloméré. L'exposition à ces polluants irritants et aux moisissures peut avoir causé des symptômes semblables à ceux attribués à l'exposition au formaldéhyde. »
Ken Ruest conclut avec une recommandation importante. « De nos jours, l'industrie de la construction résidentielle a tendance à promouvoir le placement du « pare-air » vers l'extérieur de l'enveloppe du bâtiment plutôt que près des murs intérieurs, comme avant avec le pare air/vapeur [en polyéthylène scellé au ruban] installé derrière le gypse. Avec cette nouvelle approche, les émanations possibles des matériaux que contiennent les murs sont plus susceptibles de se retrouver à l'intérieur de l'espace habitable que si ces matériaux étaient du côté extérieur du pare air (sauf s'il s'agit de diffusion de gaz à travers les matériaux poreux). Je préfère toujours une bonne étanchéité à l'air du côté intérieur pour réduire l'infiltration dans l'aire habitable de poussières et autres polluants présents dans les cavités murales. »
La SCHL résumait ainsi les leçons tirées de la saga de la MIUF, dans son rapport Trois décennies d’innovation en technologie du bâtiment résidentiel 1966-1996 : « En rétrospective, la MIUF fut le bouc-émissaire d'un problème beaucoup plus général : l’évolution des méthodes de construction et de la recherche avaient omis de prendre en compte les interactions complexes de l'enveloppe des bâtiments, des systèmes mécaniques, des occupants et de l'environnement intérieur.
De nombreux changements aux méthodes de production des maisons, introduites durant l'après-guerre afin de réaliser des économies de main-d'œuvre, avaient rendu les enveloppes de plus en plus étanches et réduit les infiltrations d'air. Le recours de plus en plus fréquent au chauffage électrique signifie que moins d'air est évacue par les chemin.es. Les divers programmes d'amélioration du rendement énergétique mis en œuvre après la crise de l'énergie des années 70 exigent une isolation accrue, l'installation de coupe-bise, des fournaises plus efficaces et des conversions du chauffage l'huile au chauffage électrique, ce qui contribue à réduire encore davantage le taux de renouvellement de l'air naturel. On comprend très peu à ce moment les besoins de ventilation mécanique ou les interactions des différents systèmes dans les maisons. Les Canadiens n'en continuent pas moins d'ajouter de plus en plus de matériaux synthétiques et de produits chimiques dans leurs maisons, des éléments qui génèrent beaucoup plus d'humidité. »
L’avis de deux experts
Pour approfondir le sujet, La Maison du 21e siècle a fait appel à l’architecte Claude Frégeau, qui fut témoin expert pour l'Office de la Protection du Consommateur (OPC) ainsi que pour les six propriétaires de résidences qui étaient plaignants dans la cause de la MIUF. Selon lui, la première faiblesse de cet isolant est le fait qu'il soit hydrosoluble et perméable à la vapeur (c'est une mousse à cellules ouvertes). « Le problème principal de la MIUF n'est pas le taux de formaldéhyde émis, mais bien le phénomène de réaction perpétuelle par hydrolyse : elle se décompose et se recompose selon le taux d'humidité, créant ainsi des nanoparticules susceptibles d'être entraînées dans l'air et de passer à travers des substrats, pas très bon pour les poumons. Il en va de même pour les autres mousses isolantes qui étaient, à l'époque, toutes à cellules ouvertes, donc perméables à la diffusion de vapeur d'eau sous pression, et même, à un certain degré, à l'air, quoique beaucoup moins que la laine isolante. De nos jours, c'est différent avec les mousses isolantes à cellules fermées qui n’hydrolisent pas mais qui, selon leur épaisseur, peuvent laisser passer ou non la vapeur d'eau lorsque soumises à un différentiel de pression de vapeur, dans un sens ou dans l'autre, par exemple quand on climatise en été. »
Frégeau croit savoir pourquoi les mesures de formaldéhyde faites dans les maisons miufées n'ont pas permis d'établir un lien causal avec les problèmes de santé de certains occupants : « les experts mesuraient uniquement le taux de formaldéhyde comme gaz traceur alors que les nanoparticules résultants de l'hydrolyse de la MIUF instable auraient dû être prises en comptes. Et même si ça avait été le cas, différentes personnes réagissent différemment à la présence de nanoparticules de matière plastique dans leur organisme. Certaines les tolèrent et n'en font pas de cas alors que d'autres réagissent fortement et développent toutes sortes de problèmes différents à cette intolérance. C'est de qui explique qu'il était à peu près impossible d'établir une corrélation quelconque entre les taux de formaldéhyde mesurés et le fait que des personnes n'avaient pas de réactions alors que d'autres étaient si malades. »
La perméance à la vapeur de la MIUF favorisait la croissance de moisissures dans la structure puisqu’elle laissait passer l’humidité. « La pousse de champignons était aussi expliquée par le fait que le formol stérilisait les matériaux en empêchant ainsi le contrôle par les "bonnes bactéries" qui empêchent la naissance de moisissures et de réels champignons, ajoute l'expert. J'ai vu des photos de gros champignons qui sortaient carrément par les prises de courant ! »
Mais pourquoi la vaste majorité des installations de MIUF étaient-elles sans conséquence néfaste alors que d’autres polluaient et dégradaient les maisons? Notamment parce que certains entrepreneurs trichaient en diluant l'isolant pour hausser leurs profits, explique le courtier en isolation Alain Migneault, qui a longtemps été installateur d’isolant et qui a même été embauché pour retirer la MIUF de certaines maisons. « Certains entrepreneurs ajoutaient de l'eau dans les barils pour produire plus de MIUF, par exemple 1 200 pieds carrés alors que la capacité du baril était de 1 000 pieds carrés. Quand on enlevait la brique pour retirer l’isolant, parfois on voyait un cercle de deux pieds de diamètre sans MIUF. Les installateurs avaient clairement falsifié la chimie du produit. »
Claude Frégeau mentionne une autre source de pollution : « Dans le même ordre d'idées, comme certains clients se plaignaient de la mauvaise senteur d'urine libérée par l'urée présente dans la MIUF, certains entrepreneurs ajoutaient au mélange des boules-à-mites faites de paradichlorobenzène. Le composé chimique était tellement complexe qu'on pouvait obtenir de nombreuses variantes de produits chimiques volatils. »
Selon Alain Migneault, les maisons miufées problématiques étaient surtout celles dotées d’un revêtement de briques de chaux, un matériau poreux qui retenait l'eau, contrairement à la brique d’argile. Dans un revêtement extérieur pare-pluie, on pose par exemple la brique en laissant un espace d’air derrière celle-ci et des ouvertures (les chantepleures) entre les briques inférieures. Ces ouvertures permettent l'évacuation de l’eau qui s’infiltre derrière la brique et l'assèchement de la cavité. Or, l’injection de MIUF derrière la brique éliminait l'espace d’air qui, en étant à pression positive comme l’extérieur du mur exposé au vent, a pour fonction d'éviter que l’eau ne s’infiltre dans la charpente. L’eau qui saturait la brique s'attaquait à la MIUF, puis à la charpente de bois, et le formaldéhyde émis par l'isolant hdyrolisé était aspiré dans les maisons peu étanches et en pression négative quand plus d'air s'en échappait qu'il s'en infiltrait. L’humidité et le formaldéhyde étaient donc poussés dans les murs froids par les pressions créés par le vent et même le soleil (l’air chaud migre toujours vers les surfaces et l’air plus froid). « Les gens qui ressentaient le plus de symptômes d’exposition à la MIUF étaient surtout les personnes âgées, des enfants et d’autres personnes plus vulnérables aux polluants, comme les malades », relate M. Migneault.
Les médecins experts
Quelque 3 000 personnes, soit 10 % des propriétaires de maisons miufées dans la Belle province, ont joint la Fédération québécoise des comités de victimes de la MIUF. Or, le juge Hurtubise se fia notamment au toxicologue émérite Yves Alarie qui avait déclaré : « À mon avis, il y a peut-être moins de un pour cent (1 %) des installations où il y a émanation de formaldéhyde qui puisse être cause d'irritation ou de mauvaise odeur à l'intérieur. » Selon le juge, deux médecins experts québécois, les docteurs Albert Nantel et Jacques Paradis, « n'ont trouvé aucune courbe dose-réponse entre les taux de formaldéhyde mesurés dans les maisons assujetties à leurs compilations ou études et la sévérité des malaises allégués ». Le juge a reproché au Dr Nantel, alors directeur du Centre de toxicologie du Québec et principal expert des victimes, de ne pas avoir fourni les rapports médicaux des plaignants, ce qu'ont fait les défendeurs.
Pourtant, la MIUF provoquait bel et bien « chez certaines personnes une grave dépression de tout le système immunitaire », selon le témoignage du Dr Nantel livré à la Commission Lamoureux chargée de réévaluer le bien-fondé de l’interdiction de la MIUF. « Cela laisse sans défense devant les infections, comme les vieillards en phase terminale ou les victimes de cancer que l’on traite à la chimiothérapie », avait-il déclaré dans son témoignage, rapporté en décembre 1981 dans le quotidien Le Devoir. Il ajoutait « que plusieurs membres d'une même famille [avaient eu] plusieurs infections par champignons dans la même année juste après avoir fait isoler leur maison à la MIUF ».
Au début des années 1980, le Dr Jacques Lacroix, pédiâtre à l’hôpital Sainte-Justine, avait examiné plus de 70 enfants vivant dans des maisons miufées. Ils étaient encore atteints de nausées, de vomissements et de problèmes respiratoires. « Des enfants premiers de classe qui devenaient incapables d’étudier, des parents qui ne pouvaient même plus se concentrer pour lire un journal, j'en ai vu. Est-ce qu'il faut mourir de la MIUF pour se faire entendre? », a déclaré ce médecin à La Presse, le 15 décembre 1991.
Le Dr Nantel ne fut embauché par les victimes de la MIUF qu'après le dépôt de leur action collective, donc plusieurs années après l’application de l’isolant qui, à moins d’être instable, n’émettait plus ou peu de formaldéhyde. Pourtant, le jour du jugement Hurtubise, ce toxicologue m’a expliqué en entrevue qu’en visitant les maisons de certains plaignants, il avait « ressenti des effets irritants dans les yeux, le nez et la gorge ». En 2011, il m’écrivait par courriel : « En ce qui concerne le procès de la MIUF, ce que je regrettais c'était le fait que l'on ait cru jusqu'à la fin qu'il s'agissait d'une cause type. Au moment du jugement, j'ai appris qu'il s'agissait d'une cause civile ordinaire. Dans un tel cas, les demandeurs doivent faire la preuve qu'ils ont subi un dommage grave, mais aussi faire la preuve de la relation de cause à effet entre l'exposition à la MIUF et ce dommage grave à leur santé. Nous savions dès le départ qu'une telle preuve était impossible à établir. »
Avis de la SCHL et de Consommation et Corporations Canada
Le juge a préféré s’en remettre aux arguments des experts recrutés par les avocats de la défense, dont ceux de la SCHL, l'organisme mandaté pour administrer le programme national d’isolation qui fut lancé le 1er septembre 1977. À la page 85 de son Mémoire d'argumentation, la SCHL affirmait : « il est faux de prétendre que la SCHL, ses préposés et mandataires, savaient ou auraient dû savoir que la MIUF était un produit dangereux, instable et inefficace, que ce soit en juin 1977, en juin 1979, ou en décembre 1980, alors que tous les experts de la défense sont unanimes sur le fait que plus de cinq ans après l'interdiction, il n'est pas encore démontré que la MIUF cause de façon générale des problèmes de santé et que ces experts sont appuyés en cela par la majorité des experts de la demande. Ce fait est d'autant plus notoire qu'il est de connaissance publique que les gouvernements ont dépensé des sommes considérables en recherches scientifiques depuis janvier 1981 sans produire de résultats incriminants contre la MIUF ou, du moins, sans qu'une très vive controverse subsiste encore aujourd'hui sur cette question. »
On lit une autre interprétation dans la deuxième édition du Manuel de formation sur les mesures correctives pour les habitations isolées avec la mousse isolante d'urée-formaldéhyde, guide de 350 pages publié en 1984 par le ministère Consommation et Corporations Canada : « À peu près 8 000 habitations au Canada ont des niveaux de formaldéhyde qui excèdent la norme de 0,1 partie par million (ppm), jugée acceptable dans une demeure par Santé et Bien-Être social Canada. Dans bon nombre de maisons où la concentration de formaldéhyde était bien au-dessous du niveau acceptable de 0,1 ppm, des gens ont souffert de malaises attribués au gaz de la MIUF. De plus, la valeur de revente réduite des maisons isolées à la MIUF demeure un problème. Face à cette situation, le gouvernement du Canada a mis sur pied le Programme d'aide aux propriétaires d'habitations isolées à la MIUF, permettant au gouvernement de défrayer en tout ou en partie les coûts des mesures correctives apportées par des entrepreneurs enregistrés et/ou des propriétaires qualifiés. »
Un peu plus loin dans le manuel, on lit que : « La MIUF était faite pour être injectée seulement dans les cavités vides et sèches des constructions à charpente en bois. (...) L'injection de la MIUF n'était pas acceptée dans les cavités de maçonnerie, les toits plats, les entretoits, les plafonds cathédrale, autour des foyers, dans les surplombs, les marquises, les étages intermédiaires, dans les cloisons intérieures, dans les endroits au-dessous du niveau du sol ou dans tout autre endroit exposé à de hautes températures, à l'humidité ou aux deux. (…) La MIUF est instable. Ses particularités changent avec le temps et sa durée dépend de la dureté des conditions auxquelles elle est exposée et de sa qualité de fabrication. La nouvelle mousse était composée de plusieurs petites cellules ouvertes. Le stress s'accumulant dans la mousse pendant son durcissement causait des ruptures dans les parois des cellules, libérait le gaz de la MIUF et causait des rétrécissements et craquements. L'humidité et une légère hausse de température augmentent considérablement le taux de désagrégation [et sa] production du gaz. »
Le manuel reconnaissait que la MIUF avait rendu des personnes hypersensibles aux produits chimiques : « Les personnes devenues sensibles au formaldéhyde devraient prendre des précautions pour éviter le contact de la peau avec des produits pouvant contenir du formaldéhyde tels que:
- détergents liquides,
- solvants nettoyeurs,
- désodorisants,
- assouplisseurs concentrés pour textiles,
- parfums,
- crèmes pour la peau,
- autres cosmétiques.
L'inhalation de formaldéhyde provenant d'autres sources telles la fumée de tabac, la planche particule, le contreplaqué et les tissus traités peut aussi provoquer des symptômes. (...)
Lorsqu'on entreprend l'enlèvement de la MIUF, toutes les personnes devenues sensibles au gaz de la MIUF devraient quitter les locaux, à moins qu'il soit possible de complètement sceller le lieu de travail pour empêcher que le gaz et la poussière ne se propagent dans l'espace habité… Lors de l'enlèvement de la MIUF de l'intérieur, les niveaux de formaldéhyde et des particules de la MIUF peuvent atteindre 20 ppm, surtout lorsqu'on commence à ouvrir les murs. (…) Les occupants et les travailleurs devraient savoir que les concentrations de gaz et de poussière auront un effet beaucoup plus nocif sur les personnes les jours de grande chaleur ou d'humidité élevée. »
Les intérêts des entreprises privilégiés sur ceux du public
Mais par dessus tout, le scandale de la MIUF nous rappelle qu’hier comme aujourd’hui, les gouvernements priorisent généralement les intérêts économiques au détriment de la santé publique. Mon ancien professeur d’administration publique, James Iain Gow, en parlait dans son article L'état, le citoyen et l'industrie : le cas de la MIUF, paru en juin 1996 de la Revue canadienne de science politique : « Les intervenants extérieurs les plus puissants peuvent former, avec les institutions administratives, des “ sous-gouvernements ”, où les activités débordent la simple consultation pour embrasser la mise au point de politiques. Une version bien connue de cette approche est celle de la “ capture ” des organismes réglementaires par la ou les entreprises qui sont formellement sous leur juridiction. »
Ainsi, la norme de production de la MIUF fut adoptée par un comité technique de l’Office des normes du gouvernement canadien (ONGC) « composé de représentants de sept entreprises, de cinq représentants fédéraux, de sept représentants d'organismes provinciaux et d'un représentant chacun de l'Ordre des architectes du Québec et des Laboratoires des assureurs du Canada », expliquait M. Gow en ajouant plus loin : « On notera l'absence de toute représentation des ministères de la Santé et de la Consommation. De l'avis du Comité permanent [de la Chambre des Communes sur la Santé], l'absence [du ministère de la Santé] et des considérations de santé parmi les critères de sélection des nouveaux produits sont des lacunes majeures dans l’adoption des normes. »
Gow rappellait qu’avant sa mise en marché, la MIUF ne plaisait pas aux fonctionnaires plus indépendants d'esprit, mais la loi favorisait l’industrie. La SCHL « paraît entretenir une relation conflictuelle avec les fabricants de la MIUF, comme en témoigne justement le fait d'avoir retiré son acceptation à plusieurs [produits de] MIUF au début des années soixante-dix et d'avoir répété ce geste en 1979, lorsqu'elle jugeait que les fabricants exagéraient la valeur d'isolation de leurs produits dans leur publicité. (...)
Deuxième acteur institutionnel très intéressé, le ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources (EMR), par la voie du Bureau des économies d'énergie, auteur du programme d'isolation. Ce bureau n'a jamais été favorable à la MIUF comme isolant. Par deux fois, en 1975 et en 1976, il a publié des brochures relatant d'abord sa méfiance, ensuite son opposition à ce produit. Ses réserves portaient essentiellement sur l'efficacité de la MIUF, mais il mentionnait aussi les risques pour la santé. Le représentant de l'EMR a voté contre la norme de l'ONGC au moment de son adoption. (…) le ministère [de la Santé] s'est mis en branle en 1979, par la suite d'informations étrangères sur les problèmes de santé causés par la MIUF, et a demandé à l'ONGC d'accepter la norme de 0,1 ppm de formaldéhyde comme limite acceptable. C'est le refus de l'ONGC qui a déclenché le processus menant à l'interdiction. (…) L'esprit de la loi voulait qu'on donne le feu vert à une innovation tant qu'on n'avait pas de preuves solides contre elle. Les considérations de santé n'étaient pas au cœur du débat. »
En somme, ce n'est pas parce qu'un produit est commercialisé que le gouvernement vous assure qu'il sera performant et non polluant.
• Rita Berthiaume vs Val Royal Lasalle et sa division d’isolation, le fabricant Borden Chemical Company, les assureurs Général Accident et La Prévoyance;
• Georges Pinot et Rita Deblois-Pinot vs l’entrepreneur en isolation Métrotec et Borden Chemical;
• Jacques, Dolorès et Jean Simard, vs Val Royal Lasalle, Borden Chemical, les deux assureurs précédents ainsi que Continental Insurance;
• Bernard Altobelli et Jocelyne Breton vs Isolation Raymond Saint-Pierre et Fils, le fabricant Lorcon, le Procureur général du Québec;
• Jean-François Gilbert, Louis Denicourt Bertrand et Madeleine Leblanc vs Construction Marc-André Noël, Lorcon et sa division Rapco Foam;
• La famille Paillé (Jean-Guy, Aline, Carole, Linda et Alain) vs Lorcon, Isolation Yoly, la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) et le Procureur général du Québec.