L'Académie américaine de pédiatrie a maintes fois réclamé des normes d'exposition plus protectrices des enfants aux RF.

La Cour supérieure du Québec autorise l’introduction d’une demande d’action collective contre Apple et Samsung alléguant que ces fabricants auraient caché des informations importantes sur la sécurité de leurs téléphones cellulaires qui émettent un rayonnement de radiofréquence (RF) classé comme « peut-être cancérogène ».

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Dans un jugement rendu à Montréal le 22 septembre 2022, le juge Christian Immer a attribué à cinq plaignants le statut de représentants de toute personne résidante ou domiciliée au Québec qui a acheté ou loué un téléphone Apple ou Samsung après le 11 septembre 2016. Leur demande avait été déposée en septembre 2019 par l’avocat Charles O’Brien suite à des révélations faites le mois précédent par le Chicago Tribune. Selon des tests faits pour ce quotidien par un laboratoire indépendant certifié par le gouvernement américain, la plupart des cellulaires en conditions réelles d’utilisation (contre le corps) exposent les consommateurs à des niveaux de RF dépassant les limites permises aux États-Unis. Une conclusion que dément la Federal Communications Commission (FCC), l’organisme fédéral américain qui règlemente ce domaine après avoir refait ses tests. Ceux-ci sont toutefois faits à une distance de séparation d'un mannequin en plastique rempli d'un liquide simulant celui d'un crâne adulte. L'Académie américaine de pédiatrie a maintes fois réclamé des normes d'exposition plus protectrices des enfants aux RF. Les enfants sont plus sensibles au rayonnement de radiofréquence qui pénètre plus profondément dans leur crâne que celui d'un adulte.

Bien qu'il avoue qu'il fera « presque certainement » l’objet d’un appel des défendeurs, M. OBrien estime que ce jugement est une grande victoire. « S’il survit à l’appel, il nous donnera la possibilité de défendre des revendications sur le fond, avec des preuves et une expertise ainsi qu’une argumentation juridique. En outre, cela signifierait que les clients d’Apple et de Samsung pourraient s’inscrire en tant que membres du groupe. »

Le juge a déterminé les questions principales suivantes qui devront être traitées collectivement :

  • Les niveaux de débit d’absorption spécifique (DAS ou SAR en anglais) par les tissus humains du rayonnement RF des téléphones Apple et Samsung dépassent-ils la limite canadienne et, le cas échéant, à quelle distance de séparation entre le combiné et le corps?
  • Est-ce que cela pose un risque ou un danger à l’utilisateur?
  • L’exposition aux RF, sans égard à la distance de séparation, a-t-elle des effets sur la santé?
  • Les défendeurs auraient-ils dû fournir des instructions aux usagers pour se protéger contre un tel risque ou danger, entrainant leur responsabilité en vertu de la loi québécoise sur la protection du consommateur (LPC)?
  • Est-ce un fait important passé sous silence, en violation de la LPC?
  • La maison mère et la division canadienne d’Apple et celles de Samsung doivent-elles verser des dommages punitifs?

Selon le ministère fédéral de l'Innovation, des Sciences et du Développement Économique (ISDE), anciennement Industrie Canada, tous les cellulaires qu’il teste respectent les limites d’exposition permises par le Code de sécurité 6 de Santé Canada, similaires à celle de la FCC. Toutefois, ces tests sont parmi les plus laxistes au monde, dénonce Sharon Noble, l’administratrice canadienne de l’association française Alerte Phonegate qui a mis la main sur les résultats des tests d'ISDE en mars dernier, deux ans après avoir fait une demande d’accès d’information.

« Ainsi 9 téléphones portables sur 10 mis sur le marché canadien présentent des niveaux de DAS bien supérieurs aux limites réglementaires en usage réel (au contact ou au quasi-contact du corps), explique-t-elle. Le protocole de l'ISDE permet, encore aujourd’hui, de tester les téléphones jusqu'à 15 mm du corps. Ce jugement est donc une avancée importante qui doit très rapidement être prise en compte par le gouvernement canadien afin de mettre en place une réglementation réellement protectrice de la santé des utilisateurs de téléphones portables et d’objets connectés. »

En 2015, après avoir révisé la littérature scientifique sur le sujet, Santé Canada a conclu que seuls les effets thermiques des RF émis par les cellulaires étaient préoccupants et que les preuves sont insuffisantes pour lier des effets non thermiques (maux de tête, cancer et autres symptômes ou maladies documentés dans des centaines d’études) à l’exposition aux RF. En 2011, le Centre international de recherches sur le Cancer (CIRC), affilié à l’Organisation mondiale de la santé, a classer le rayonnement RF de « peut-être cancérogène pour l’humain ». Cette classification est présentement en révision depuis que deux études majeures, faites en 2018 sur des rats, ont conclu que le rayonnement des cellulaires avaient causé le même type de tumeur auquel les utilisateurs réguliers de cellulaires sont plus à risque à long terme.

Selon le Code de sécurité 6 de Santé Canada, pour éviter l’effet thermique, le DAS (ou rayonnement absorbé) dans la tête, le cou et le tronc ne doit pas dépasser 1,6 watt par kilogramme, calculé en laboratoire sur 1 gramme de tissu. Or, selon les tests faits en 2019 pour le Chicago Tribune, plusieurs modèles dépassaient la limite de DAS de la FCC américaine. « Comme dans le cas des tests de l’ANFR [Agence nationale française des fréquences], ceux-ci ont été effectués à la distance réglementaire de la FCC, entre 10 et 15 mm de la peau, à l’exception d’Apple qui teste ses iPhone à 5 mm depuis 2014, puis aussi à une distance plus réaliste correspondant à nos usages (poches) soit 2 mm, explique le site Alerte Phonegate, qui a dévoilé en 2016 les dépassements mesurés par l’ANFR. L’iPhone 7 testé pourtant à 5 mm dépasse largement la limite réglementaire américaine (1,6 W/kg pour 1 g de tissu), soit 2,6 W/kg, 2,81 W/kg, et enfin 2,50 W/kg. Apple, contactée par [le Tribune], conteste la validité des tests réalisés et n’a pourtant pas voulu répondre aux questions du journaliste. Quant aux trois téléphones Samsung, les niveaux de DAS s’envolent avec une mesure pour le Galaxy S8 de plus de cinq fois la limite réglementaire (8,22W/kg); mesure prise à la distance de 2 mm de la peau. »

« Nous nous réjouissons de ce jugement favorable ouvrant des perspectives importantes de reconnaissance du scandale du Phonegate au Canada mais aussi dans le reste du monde. Pour le moment ce sont Apple et Samsung qui sont concernées mais nous espérons qu'à terme, ce soient tous les fabricants et les opérateurs de téléphonie mobile qui devront répondre de leurs agissements ayant permis de mettre sciemment en danger la santé de milliards d’utilisateurs. »

- Dr Marc Arazi, médecin français fondateur d’Alerte Phonegate et auteur du livre Le Phonegate - Tous surexposés, tous trompés, tous mis en danger par nos portables.

En août 2021, un tribunal fédéral américain avait ordonné à la FCC de justifier pourquoi elle fait fi des études qui démontrent que l’exposition aux RF est nocive à des doses des milliers de fois en deçà de ses limites thermiques. Comme l’explique Theodora Scarato, directrice de l’organisme Environmental Health Trust qui a remporté cette victoire contre la FCC : « Tous les fabricants de téléphones cellulaires et d'appareils sans fil ont des avertissements qui décrivent la distance minimale à laquelle chaque appareil doit être maintenu à l'écart du corps. Des études montrent que si les téléphones cellulaires et les appareils sans fil sont en contact avec le corps, l'exposition aux RF peut dépasser les limites de sécurité fixées par le gouvernement américain. On a constaté que certains téléphones violaient ces limites, pouvant atteindre un seuil jusqu'à 11 fois supérieur à celles-ci lorsque le téléphone cellulaire est appuyé sur la poitrine ou le corps…

Ces distances nous protègent uniquement contre les expositions qui dépassent les limites de rayonnement fixées par le gouvernement, qui sont obsolètes depuis 1996. Ces distances de séparation ne nous protègent pas des effets biologiques. Nous recommandons de réduire et de limiter les expositions bien au-delà de ces distances de séparation de la FCC.  Un niveau « sûr » de ce rayonnement n'a pas été documenté par une recherche adéquate.

Il existe un grand nombre d'études crédibles, évaluées par des pairs et publiées dans des revues, sur les risques pour la santé posés par le rayonnement sans fil, notamment l'augmentation du cancer du cerveau, les dommages à l'ADN, le stress oxydatif, le dysfonctionnement immunitaire, l'altération du développement cérébral, les dommages à la reproduction, les modifications du sommeil, l'hyperactivité et les dommages à la mémoire.

Une étude réalisée en 2019 conclut que les données scientifiques sont suffisamment solides pour que les médecins et les professionnels de la santé avertissent la population que la présence d'un téléphone portable à proximité du corps est dangereuse et qu'ils soutiennent les mesures visant à réduire les expositions aux radiofréquences. Une étude réalisée en 2021 par l'Université nationale de Pusan, en Corée, a révélé que les rayonnements des téléphones portables peuvent endommager le sperme et les scientifiques concluent que « les utilisateurs masculins de téléphones portables devraient s'efforcer de réduire leur utilisation afin de protéger la qualité de leur sperme. »

Une autre demande d'action collective, introduite par Me O'Brien en 2017 au nom de tout être vivant blessé par la pollution électromagnétique, a été rejetée par la Cour supérieure qui l'a qualifiée de frivole.