Frédéric Narbonne

Renouvelables qu’ils disaient! C’est sans doute ce que se dira mon fils en 2030. De nos jours, dès que les médias veulent nous montrer à quel point nous sommes une société de plus en plus écologique, il est impossible d’échapper au grand couplet des énergies renouvelables, à des photos d’éoliennes ou à la toute dernière ferme de panneaux solaires en forme de Panda géant en Chine.

Dans le même ordre d’idée, tout chef de grand fond d’investissement qui se respecte se doit d’investir dans le renouvelable et le Green tech, cette utopie technophile écrite en majuscule grasse de l’en-tête des Dix Commandements de tout militant pro climat engagé. Changer la façon dont nous produisons l’énergie est devenue la nouvelle grande aventure de l’humanité. L’inquiétante perspective des changements climatiques nous oblige à vouloir agir afin de limiter de toutes les façons possibles nos émissions de gaz à effets de serre (GES) et d’échapper du coup à un dérèglement catastrophique de notre climat.

Décarboner l'économie

L’exploitation des combustibles fossiles est la principale source d’émissions de GES dans le monde. La première marche du podium dans la hiérarchie des émissions qui perturbent le climat est occupée par le bon vieux King Coal. C’est le charbon que l’on brûle dans les centrales électriques thermiques qui fournit 40 % des électrons du réseau électrique mondial. Ce qui fait du charbon la principale source d’énergie primaire pour la production d’électricité dans le monde. Ces centrales électriques « made in Charbon » sont responsables à elles seules du cinquième des émissions de GES mondiales. Si on inclut l’apport du gaz naturel et du pétrole, c’est presque 80 % de notre électricité qui est d’origine fossile.

Les climatologues nous disent que nous devons éliminer notre consommation d’énergie carbonée si nous voulons parvenir à limiter les dégâts. C’est simple nous dirons les uns, nous n’avons qu’à « décarboner » l’électricité, car de toute façon, c’est un passage obligé. Mais c’est oublier que le Diable se cache toujours dans les détails. Pour arriver à décarboner l’économie, il ne suffit pas de passer du jour au lendemain de 80 % de fossiles à 100 % d’énergies renouvelables, surtout si elles doivent être uniquement composées d’éolien et de solaire. La bonne question que le militant doit se poser, du moins si nous sommes vraiment sincères dans notre envie d’aller le plus vite possible vers un monde décarboné, c’est bien celle de l’efficacité comparée des investissements pour faire baisser les émissions et l’impact sur l’environnement en fonction du contexte de départ et du rythme visé.

Les Green Techs et la croûte terrestre

On nous dit que cette transition énergétique se fera grâce aux technologies vertes. C’est par la captation des énergies renouvelables, dites gratuites et non polluantes, en électrifiant le transport individuel, grâce au développement des technologies de l’information et à la dématérialisation de l’économie que nous y arriverons. Les grands ténors écologistes nous annoncent la troisième révolution industrielle qui sera assurée par la croissance verte qui, elle, sera générée par le besoin en énergies propres et leurs cousines, les Green Techs. Je pose une question simple : jusqu’à quel point ces technologies vertes sont-elles réellement propres?

Affirmer que les énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire photovoltaïque, indispensables selon certains experts à un monde plus propre, puissent être un processus polluant, est à première vue un contresens. Puisque le vent et le soleil sont partout, comment la production d’électricité à partir de ces sources d’énergie primaire pourrait-elle polluer? Mais c’est oublier une loi de la physique : nous ne produisons pas d’énergie éolienne, nous la captons à l’aide de gigantesques moulins munis d’alternateurs. Et ces gigantesques éoliennes sont, elles, produites à partir de matériaux non renouvelables et dont l’extraction minière est très nocive pour l’environnement et la santé.

Au 21e siècle, nous ne sommes pas conscients du degré de dépendance de notre mode de vie par rapport aux différents métaux contenus dans la croûte terrestre. Nos économies industrielles ont pratiqué une véritable razzia sur tous les gisements de minéraux de la croute terrestre et nous avons épuisé toutes les réserves jusqu’à une profondeur de 100 mètres. Comme pour l’exploitation des combustibles fossiles, qui dépendait en premier lieu de notre capacité à l’extraire, notre espoir dans les renouvelables dépend entièrement de notre capacité à extraire et purifier des métaux de l’écorce terrestre. Extraire des minerais du sol est une activité intrinsèquement sale, et elle a jusqu’ici été conduite d’une façon si peu responsable et éthique qu’il nous est permis de nous poser des questions. Un rapport publié en 2016 par Pure Earth (autrefois le Blacksmith Institute nous disait que l’industrie minière est la deuxième plus polluante du monde (après le recyclage des batteries au plomb), gagnant une place depuis un rapport précédent publié en 2013. Quels matériaux sont nécessaires afin que ces nouvelles façons de produire de l’électricité puissent alimenter notre économie? Quels sont les impacts environnementaux des Green Techs? Lorsque nous nous penchons sur la question, la réalité n’est peut-être pas si propre, verte et respectueuse de l’environnement.

Les terres rares

Depuis la fin des années 1970, notre économie industrielle consomme 80 métaux et non métaux du tableau périodique des éléments de Mendeleïev. En premier lieu l’extraction de métaux tels que le cuivre, le fer, l’aluminium, le nickel, le zinc, le silicium, l’or et l’argent, mais aussi une catégorie bien spéciale d’éléments du tableau périodique, les terres rares. Ces métaux rares forment un sous-ensemble cohérent d’une trentaine de matières premières et 17 éléments dont le point commun est d’être associé dans la nature aux métaux les plus abondants. Ce sont eux qui procurent toutes ces propriétés exceptionnelles qui permettent à notre civilisation technologique d’exister. Pour basculer vers les renouvelables, il faut, sans même compter les besoins des réseaux de distribution, de plus en plus de métaux, et pour extraire ces métaux, il faut de plus en plus d’énergie. Il faut en moyenne dix fois plus de métaux par kilowattheure (kWh) renouvelable que par kWh fossile.

Cette relation entre l’énergie et les métaux est l’une des difficultés majeures auxquelles sont confrontées nos économies vertes. Ces technologies sont celles qui exigent le plus de métaux par kWh produit. Pour pouvoir extraire ces matériaux aux multiples propriétés, il faut aussi extraire énormément de matière du sol. Par exemple, il faut purifier huit tonnes et demie de roche pour produire un seul kilo de vanadium, seize tonnes pour un kilo de cérium, cinquante tonnes pour l’équivalent en gallium, et le chiffre ahurissant de mille deux cents tonnes pour un malheureux kilo d’un métal encore plus rare, le lutécium. Dans le cas des terres rares et des technologies qu’elles alimentent, nous avons des substances extrêmement polluantes, souvent associées à d’autres substances radioactives et qui verront leurs flux d’extraction exploser. On prévoit une croissance de plus de 1 000 % de la demande pour ces métaux d’ici 2030. De 2018 à 2035, nous aurons extrait plus de métaux de nos mines que tout ce que nous avons extrait depuis que l’homme est sur Terre! Notre rêve d’un monde meilleur est en train de nous conduire vers une exploitation intensifiée de l’écorce terrestre. Les impacts environnementaux seront encore plus importants que ceux générés par l’ère pétrolière.

Une accoutumance qui mine les écosystèmes

Ce projet vertueux de la transition énergétique et numérique s’en trouve nécessairement remis en cause. Les nombreux impacts environnementaux connus de l’extraction des métaux rares nous astreignent, du coup, à poser un regard beaucoup plus sceptique sur le processus de fabrication des technologies vertes. Nous ne sommes pas en train de régler le défi de l’impact de l’activité humaine sur les écosystèmes. Nous remplaçons notre dépendance envers le pétrole par une autre accoutumance, celle aux métaux rares. La ferveur avec laquelle nous domptons les périls environnementaux présents pourrait bien nous conduire au-devant de graves crises écologiques pour nos enfants. C’est bien le coût écologique de l’ensemble du cycle de vie des Green Techs qu’il nous faut mesurer.

Un futur fondé sur l’utopie technophile verte suppose la consommation d’une quantité phénoménale de matières. Il faut aussi réaliser que peu importe la solution technique, il est rare que celle-ci n’aggrave pas la situation. Faute de questionnements, celui-ci pourrait ruiner nos objectifs de développement d’un monde réellement plus sain et respectueux du Système Terre.