Si tous les foyers québécois réduisaient leur consommation d'électricité de 10 %, Hydro-Québec pourrait-elle reporter la construction de grands barrages hydroélectriques? Ne croyant sans doute pas à cette possibilité, Hydro a déjà investi 100 000 $ dans un projet d'efficacité énergétique à base communautaire qui, contre toute attente, a justement obtenu un tel résultat. À Métabetchouan, petit village de près de 4 000 âmes situé au Lac-Saint-Jean, 612 familles ont économisé en moyenne 2 115 kWh ou 146 $ d'électricité par année grâce au projet-pilote réalisé en 1997 et 1998 par l'organisme Négawatts Production, d'Alma. (Un négawatt est un watt économisé.)
Cette première québécoise avait coûté seulement 350 $ par maison, couvrant 100 $ en produits et trois visites à domicile permettant d'évaluer les besoins et motivations des citoyens et de leur pondre des recommandations sur mesure. Les gens de Négawatts Production ont travaillé de concert avec la communauté pour convaincre les gens d'installer de petits appareils économes, tels des minuteries de piscine, des thermostats électroniques, des pommes de douche à débit réduit et des fluorescents compacts, et d'adopter des comportements moins énergivores, comme le fait d'abaisser la température pendant la nuit et durant leurs absences.
Le taux de participation fut même plus élevé que prévu, soit de 76 % pour les maisons et de 60 % pour les commerces et industries ciblés, l'objectif étant respectivement de 72 % et de 40 %. Surtout, une vérification après coup a révélé un très haut taux de rétention des mesures et comportements économes adoptés.
Moins cher qu'un barrage!
Le plus grand succès de Négawatts fut d'avoir pu « produire » des négawatts résidentiels au coût de 2,5 cents du kilowattheure : l'organisme a dépensé 215 000 $ pour économiser 9,5 millions de kWh. La nouvelle production hydroélectrique coûtait à l'époque jusqu'à 7¢/kWh et le projet La Romaine coûtera environ 10 ¢/kWh livré à Montréal. « Nous voulons être reconnus au même titre qu'un producteur qui met une petite turbine sur une rivière, me disait à l'époque l'ancien président de Négawatts Production, Jean Paradis. N'oublions pas que le kilowattheure économisé est le plus prisé aux États-Unis. »
Ce projet-pilote fut reproduit avec succès à Québec et à Laval. Les Lavallois du quartier Renaud ont même réalisé des économies annuelles récurrentes atteignant 235 $, en 2000. Comparativement, de 1991 à 1999, les divers programmes d'efficacité énergétique d'Hydro-Québec ont permis d'économiser... 12 $ en moyenne par année par foyer.
Pourtant, l'approche novatrice de Négawatts n'a jamais été élargie à l'ensemble du Québec. Négawatts a offert ses services aux municipalités et aux coopératives d'habitation avant de fermer ses portes en 2018. Après avoir rencontré plus de 30 000 citoyens en plus de 20 ans et accumulé des profits, elle a mis fin à ses activités en 2018. « On ne voyait pas beaucoup d’avenir » pour l'efficacité énergétique à l'époque des surplus énergétiques d'Hydro-Québec, affirmait alors son directeur, Jean Paradis, au journal Le Quotidien (lire aussi : Grands projets industriels : les regrets et la rancoeur de Jean Paradis). Or, aujourd'hui, Hydro doit importer de plus en plus d'énergie en période de pointe hivernale et prévoit devoir augmenter sa production d'énergie de 50 % d'ici 2050 afin que le Québec atteigne la carboneutralité.
Rappelons qu'en 1991, une étude (Jaccard et Simms, de l'Université Simon Fraser) avait conclu que l'efficacité énergétique créait 4,5 fois plus d'emplois par million de dollars investis en Colombie-Britannique que la construction de grands barrages hydroélectriques, pour « produire » autant d'énergie. En 1999, le ministre de l'Énergie François Gendron me disait que la cotation énergétique des maisons était un « dossier majeur ». Le Québec tarde toujours à obliger cette cotation (par le programme Rénoclimat) au moment de la vente d'une maison, comme l'a fait la France. Le ministère de l'Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, ajourd'hui responsable de l'efficacité énergétique, m'indique qu'il ne priorise pas la cotation énergétique des habitations de faible hauteur parce que peu d'entre elles carburent aux énergies fossiles contribuant aux changements climatiques. L'année dernière, le Plan directeur en Transition, Innovation et Efficacité énergétiques 2026 a mis ce projet aux calendes grecques pour le secteur résidentiel, malgré qu'il stimulerait énormément la rénovation, l'emploi ainsi que la qualité, le confort, la résilience et la valeur des bâtiments.
L'approche de Négawatts Production a pourtant déjà fait ses preuves, ici comme ailleurs, notamment au Vermont. Champion des énergies vertes, cet État du nord-est américain a réussi à réduire sa consommation d'électricité de 12,3 % entre 1999 et 2012, alors que les ventes domestiques d'Hydro-Québec augmentaient de 14 %! Ceci grâce au groupe communautaire Efficiency Vermont, qui gère tous les programmes d'efficacité énergétique de l'État.
L'expérience ontarienne l'a aussi démontré : ce sont les groupes communautaires qui obtiennent les plus grands succès dans l'aventure imprévisible des économies d'énergie. « Négawatts, ce n'est pas une équipe d'ingénieurs ou de technologues, mais des gens de chez nous formés en relations humaines, m'expliquait Jean Paradis dans notre numéro de septembre-octobre 1999. On nous fait confiance parce que nous sommes des parents, des amis ou des voisins. Nous sommes des tiers qui formulons des recommandations éclairées et indépendantes. »
La psychologie de l'environnement
L'expérience de Négawatts Production a permis de confirmer qu'il n'y a rien comme des visites à domicile pour influencer les gens. Il y a plusieurs années, Hydro-Québec avait posté son questionnaire Éco-Kilo à tous ses clients résidentiels pour détailler leur consommation d'électricité et recommander des mesures d'économie. « Il y a eu beaucoup d'erreurs car les citoyens remplissaient les questionnaires eux-mêmes, selon M. Paradis. C'était dépersonnalisé, Hydro utilisait un logiciel américain et les recommandations manquaient de détail. »
Comme 50 % des économies potentielles dépendent d'un changement de comportement, Jean Paradis affirme que les recommandations écrites doivent être appuyées par une personne en chair et en os, emphatique et astucieuse. « La clé, c'est d'identifier la motivation profonde de chaque individu. Pour certains, c'est d'économiser 150 $ à 175 $ par année. Pour d'autres, c'est de protéger l'environnement. Pour les personnes âgées, c'est souvent de créer de l'emploi et d'économiser des milliers de dollars à l'échelle régionale. Enfin, pour plusieurs, c'est d'augmenter le confort et la valeur de leur maison. Les gens aiment ce programme car, contrairement au recyclage des rebuts, il génère un retour direct dans leur portefeuille. »
Pour en savoir davantage :
Étude d'Écohabitation sur le potentiel de négawatts des maisons
Le Vermont à contre-courant de l'Amérique énergivore (article de Louis-Gilles Francoeur du quotidien Le Devoir)