Véritable précurseure des maisons saines et écologiques depuis quatre décennies, l’architecte et designer Maryse Leduc a signé à ce jour plus de 1 200 projets partout au Québec. À l'occasion du 30e anniversaire de La Maison du 21e siècle, elle a bien voulu répondre à nos questions.
Lise Perreault : En 2005, vous disiez vouloir rendre votre vaste expérience accessible au plus grand nombre. Vous parliez alors de luxe abordable et de qualité, mais est-ce encore possible en 2024 dans le contexte actuel d’inflation?
Maryse Leduc : C’est un peu comme faire l’épicerie. On a un budget et le choix de prendre des aliments sains, biologiques et santé, de prendre moins de choses. De même, au lieu de bâtir une immense maison, on en fait une plus petite de meilleure qualité. C’est une question de perspective, de choix et de valeur. Préfère-t-on une maison plus petite avec du charme et de l’âme ou une grande maison mal calibrée qui coûtera cher pour des pièces inutilisées et des matériaux de mauvaise qualité?
LP : Avec vos 35 ans d’expérience, vous avez abordé toutes les techniques imaginables : blocs de laine de roche, en ballots de paille, en carré de madrier, coffrage isolant (béton). Depuis une décennie, en quoi votre pratique a-t-elle changé?
ML : Aujourd’hui, on est vraiment dans l’écoénergétique, donc, des maisons très bien isolées avec de la cellulose qui épouse tous les interstices pour une meilleure qualité d’isolation, avec un isolant extérieur qui coupe tous les ponts thermiques.
LP : Pour ce qui est des dernières tendances, le verre triple est de plus en plus utilisé car beaucoup plus abordable. Dans votre pratique, quelle importance accordez-vous au design solaire passif?
ML : C’est impensable de concevoir une maison sans se soucier de son orientation. Pour ceux qui ont une conscience écologique et une simplicité volontaire ferme, c’est un choix d’investir dans la qualité de vie. Une maison qui est bien orientée profite du soleil, elle est lumineuse et si elle est bien isolée, on y est confortable.
LP : Ces dernières années, plusieurs de vos conceptions ont été certifées LEED. Est-ce une norme en devenir?
ML : La certification LEED pour les habitations devrait être exigée par le Code de construction du Québec. Avec le réchauffement climatique, les pénuries des ressources naturelles et les défis de santé publique, c’est la façon intelligente de faire notre part. Quand on vend notre maison certifiée LEED, on a nos factures de chauffage, ce n’est pas qu’une vue de l’esprit; on a des preuves. Quelqu’un qui achète une maison certifiée LEED rencontre toutes les exigences professionnelles de matériaux sains et des autres critères d’une maison LEED. Déclarer que sa maison est écologique ne suffit pas; ça prend les résultats.
LP : Dans votre pratique, vous avez toujours tenté de marier la sagesse ancienne aux nouvelles technologies. En quoi cela s'applique-t-il à la qualité de l'air intérieur par exemple?
ML : Quand on bâtit une maison neuve, il faut s’informer au niveau scientifique, par exemple saisir les bienfaits sur la santé de la lumière naturelle et de la qualité de l’air. La qualité de l’air, c’est crucial! Au Québec, nous hibernons, on passe tellement de temps dans une maison, les fenêtres fermées! Les échangeurs d’air, c’est comme de l’air en conserve, donc, quand on peut ouvrir les fenêtres, on bénéficie des ions négatifs, des huiles essentielles des conifères, s’il y a des arbres autour. L’air frais est riche. D’où l’importance, dans notre climat, d’avoir un bon système de ventilation mais aussi des fenêtres ouvrantes. »
LP : Les gens de la classe moyenne peuvent-ils encore se construire sain et écologique en faisant appel à vos services?
ML : Ça ne coûte pas plus cher, les coûts d’opération d’une maison qui n’est pas écoénergétique, saine et durable sont très élevés, on finit par payer notre petite maison beaucoup plus cher à long terme. Si on calcule sur 10 ans, l’économie d’énergie d’une maison écoénergétique couvre généralement la différence des matériaux plus isolants. C’est donc encore abordable, on rentre dans notre argent. Ça joue sur plusieurs plans : qualité de vie, bien-être, économie d’énergie évidemment, et ça joue non seulement sur le chauffage, mais également sur la climatisation. Avec les changements climatiques, les températures tendent vers les extrêmes; une enveloppe efficace, ça permet de consommer moins. Une meilleure isolation coûte un peu plus cher sur le coup, mais on le récupère. Je ne crois pas qu’une maison écologique coûte nécessairement plus cher, il s’agit de faire des choix globaux : une bonne enveloppe, des matériaux sains, sans formaldéhyde (gaz cancérigène). Il faut se questionner, regarder les étiquettes. Plus les gens se conscientiseront et s’informeront, ils réaliseront que beaucoup de matériaux synthétiques à base de pétrole produisent des émanations toxiques. Plus les gens connaîtront les impacts de leur maison sur leur santé, plus la demande augmentera. Et comme les manufacturiers suivent la demande, alors les prix baisseront!
LP : Et rénover écologique vaut-il le coût pour une petite maison très modeste et d’au moins 50 ans, comme il y en a beaucoup au Québec?
ML : Oui, ça vaut la peine. Le premier ennemi, c’est la moisissure, donc, si on a un doute, on fait un test de qualité de l’air pour déterminer s’il y a des moisissures, pour assainir. Ensuite, comme les vieilles maisons sont souvent mal isolées, outre le test d'infiltrométrie, on peut recourir à la thermographie pour voir les faiblesses de l’enveloppe, c’est-à-dire qu’un expert, à l’aide d’une caméra thermique, repère tous les points faibles, les pertes de chaleur. En premier lieu, il faut isoler le toit correctement, car la chaleur monte, donc elle s’échappe par le toit. Quand vient l’étape de repeindre, de revernir, on choisit des matériaux sans COV [composés organiques volatils], des matériaux qui n’affaibliront pas notre système immunitaire.
LP : À la Foire Écosphère de Magog 2022, vous avez dit « Je fais une maison pour 250 ans ». Qu’en est-il de cette vision à long terme, de cette pérennité du bâtiment avec l’augmentation des coûts?
ML : Ça ne coûte pas plus cher, seulement, une maison doit être bien pensée : on réduit les pieds carrés, on fait des choix durables. On n’achète pas sur un coup de foudre les matériaux de cuisine, les matériaux de finition dont on se lassera. Les plans 3D servent à visualiser afin de s’assurer que dans 10 ans, 20 ans, on aimera encore ça. Voyez les maisons patrimoniales, elles sont encore belles… J’ai vu une maison de mon ancêtre à Québec, la maison a 250 ans et elle est toute belle, il faut avoir cette vision-là qui change notre approche. On ne travaille pas avec les standards, la tendance du jour. Les systèmes importants, les cuisines, les salles de bain et les appareils de mauvaise qualité, il faudra payer pour les remplacer : c’est un mauvais investissement. La satisfaction qu’on éprouve à investir dans les matériaux durables, c’est que ce sera encore beau dans 10, 20, 250 ans!
LP : Quant aux stratégies adoptées pour réduire les coûts, vous insistez souvent sur l'importance de s’informer auprès de gens indépendants, contrairement aux vendeurs et entrepreneurs qui risquent d’être en en conflit d’intérêts.
ML : Il faut se faire aider, se faire guider pour prendre les bonnes décisions. Construire, rénover une maison, ce n’est pas une dépense, c’est un investissement. Il faut évaluer la valeur de la maison, sa valeur de revente, et quand elle est bien orientée, sans coin mort, avec assez de rangement, des pièces de belle proportion, qu’on s’y sent bien, on sent que c’est intemporel, que ce sera toujours beau, alors c’est parfait.
LP : Bâtissez-vous des maisons multilogements, par exemple, en rangée, ou des logements communautaires, des maisons bigénérations?
ML : J’ai fait des bigénérations, des minimaisons, des logements…, c’est selon les besoins de la personne et ce que les villes permettent. J’ai étudié les habitats écologiques contemporains en Europe, j’ai visité beaucoup de maisons en cohousing [ou cohabitat], pas des minimaisons, mais des petites maisons regroupées offrant des services communs : des jardins, un gym, une grande salle qu’on peut louer pour faire des activités ou recevoir. Beaucoup de gens recherchent ça maintenant, notamment des personnes plus âgées qui veulent de la sociabilité, de l’entraide et du partage d’espace. L’idée d’entraide, de maison bigénération, c’est vraiment très intéressant, et ça fonctionne bien quand c’est bien pensé : espace commun et espace intime.
Qu’il s’agisse de bâtir ou de rénover, l’architecte conseille de consulter des livres, des articles, de lire La Maison du 21e siècle, de bien s’informer, de bien comprendre l’impact des matériaux sur notre santé, de prendre le temps de réfléchir, de faire des choix conscients et non pas des choix impulsifs de matériaux et systèmes. « Encourager l’économie locale aussi, les entreprises québécoises, il y en a de plus en plus dans notre domaine, précise-t-elle. C’est fascinant de voir ça! Puis s’interroger : dans 20 ans, aurai-je encore cet enchantement d’être dans un lieu lumineux, sain au niveau de la qualité de vie? Dans 250 ans, ma maison sera-t-elle encore belle? »
Maryse Leduc conclut en affirmant que les maisons classiques, qui répondent bêtements aux exigences minimales du Code, sont dépassées. « Pour moi, aujourd’hui, c’est impossible de construire une maison qui n’est pas écologique. Ça n’a pas de sens. Parce qu’une maison écologique, saine et écoénergétique, pour moi, c’est la norme aujourd’hui. C’est ce qui fera que la maison prendra de la valeur, parce qu’elle aura tous les attributs que l’on recherche au lieu d’avoir tout ce qu’on ne veut pas. »