Forêts, Faune et Parcs Québec

Par François Laliberté, ing.f., Ph.D., président de l'Ordre des ingénieurs forestiers du Québec

En tant qu’ingénieur forestier et abonné de longue date à La Maison du 21e siècle, j’ai cru important de réagir à l’article proposé par monsieur Parent-Leblanc.

Vous connaissez le dicton : « Répétez une fausseté (ou une demi-vérité) 10 fois et elle deviendra une vérité ». C’est pourquoi je tiens à rectifier plusieurs informations avancées par l’auteur de cet article.

Considérant que monsieur Parent-Leblanc est détenteur d’une maîtrise, je me serais attendu à des propos rigoureux qui n’induisent pas le public en erreur ou qui n’omettent pas des faits importants pour privilégier des énoncés sensationnalistes souvent peu appuyés. Mais avant d’exposer les éléments de ce dossier qui contribuent à la désinformation du public à propos de l’aménagement forestier au Québec, je me dois de signaler que le texte de monsieur Parent-Leblanc aborde de nombreux aspects fort pertinents. C’est le cas des recommandations pour une utilisation raisonnée du matériau bois dans la construction et d’un approvisionnement local et/ou de source certifiée. Le potentiel de ce matériau dans la substitution de plusieurs produits non renouvelables ayant une empreinte carbone élevée (énergies fossiles, béton, acier, etc.) est énorme. Ce sujet pourrait faire l’objet d’un dossier en soi.

Maintenant, qu’en est-il de l’aménagement de nos forêts québécoises? Plusieurs passages du texte de monsieur Parent-Leblanc m’ont fait sursauter et j’estime que les lecteurs de cette revue ont droit à une information détaillée et rigoureuse à propos de ceux-ci. Voici les principaux éléments erronés, non-vérifiés ou tendancieux qui méritent d’être soulignés :

  • L’erreur boréale - des images de déforestation massive: l’utilisation du terme « déforestation » est inappropriée. La déforestation implique un changement de vocation du site, par exemple pour l’agriculture ou l’urbanisation. Les territoires forestiers sous aménagement ne subissent pas de déforestation puisqu’on maintient leur vocation en assurant le retour d’une forêt composée d’essences indigènes et adaptées au milieu. Rappelons qu’environ 80 % des secteurs récoltés se régénèrent naturellement, le reste étant reboisé. Certes, les images de coupes totales n’ont pas fière allure. Mais est-ce pire que de voir un stationnement de centre commercial ou une montagne avec ses pentes de ski? Je n’ai jamais vu d’organisations demander la fermeture d’un centre de ski ou la remise en état naturel d’un espace commercial.
  • Les normes FSC, SFI et CSA: en fait, la norme CSA a complètement disparu. Ensuite, ce sont 92 % des forêts publiques du Québec qui sont certifiées selon FSC ou SFI (parfois même les deux) par rapport à 75 % pour l’ensemble du Canada. Ce taux de certification québécois est l’un sinon le plus élevé au monde. Ceci est principalement dû à la réglementation québécoise en matière d’aménagement forestier laquelle figure parmi les plus strictes au monde et fait en sorte qu’il est plus facile d’atteindre les objectifs de certification. Ainsi, même sans certification, la foresterie québécoise se pratique selon des standards très élevés sous la supervision d’ingénieurs forestiers soumis à un code de déontologie et membres d’un ordre professionnel, au même titre que les médecins, les avocats ou les comptables, ce qui n’est pas le cas des biologistes. Rappelons également que la certification est un engagement volontaire pour les compagnies qui en assument entièrement les coûts.
  • Les certifications n’interdisent pas totalement l’utilisation de phytocides pour le contrôle de la végétation compétitrice : bien qu’encore permise dans certaines provinces canadiennes, le public doit savoir que l’utilisation de tels produits est interdite au Québec depuis 20 ans. Il s’agit d’un exemple où la politique gouvernementale du Québec est plus exigeante que la norme FSC ou SFI.
  • L’industrie forestière a le parfait contrôle sur la grande majorité des décisions: bien qu’il s’agisse d’un message souvent véhiculé par certains, cela est nettement exagéré. Les plans d’aménagement forestier sont élaborés en tenant compte de multiples facteurs et contraintes qui laissent peu de place à des décisions arbitraires. Certes, l’industrie exerce un lobby, tout comme plusieurs autres intervenants sur le territoire. Et un exemple qui peut être donné pour illustrer ceci concerne la chasse. Dans la très grande majorité des cas, les interventions forestières doivent cesser durant les périodes de chasse au gros gibier dans les territoires fauniques structurés (ZEC, pourvoiries, etc.), bien que cela entraîne des coûts importants pour l’industrie et des défis logistiques et de main d’œuvre. Rappelons également que la Commission Coulombe avait recommandé une baisse des possibilités forestières de 20 %. Il s’agissait d’une de ses recommandations phares. Cette baisse a été appliquée bien que l’industrie s’en soit plainte ouvertement.
  • Une explosion des chemins forestiers et son impact sur l’habitat du caribou notamment: selon monsieur Parent-Leblanc, ceci serait le résultat de la diminution des superficies de coupe telle que mise en œuvre après la Commission Coulombe. Il s’agit là d’une situation que l’industrie déplore tout autant que d’autres intervenants, puisque ceci engendre des coûts importants qui minent la rentabilité de leurs opérations. Dans ce cas, l’industrie poursuit le même objectif que bien d’autres acteurs : minimiser l’empreinte du réseau routier sur le territoire.
  • Les contribuables paient une bonne partie des coûts des chemins forestiers construits par l’industrie: selon une enquête indépendante commandée par le Bureau de mise en marché des bois (BMMB) - ENQUÊTE SUR LES COUTS D’OPÉRATION FORESTIÈRE DANS LES FORÊTS DU DOMAINE DE L’ÉTAT AINSI QUE SUR LES COUTS ET REVENUS DE L’INDUSTRIE DU SCIAGE DU QUÉBEC 2019[1] - à la page 15, on trouve que l’industrie forestière a pu récupérer environ 16 % des coûts de voirie forestière à l’aide du PRCM (programme de remboursement pour les chemins multiressources). Malheureusement, monsieur Parent-Leblanc omet de préciser que ces chemins sont utilisés quasi gratuitement par de nombreux utilisateurs comme les villégiateurs, les chasseurs et pêcheurs, les pourvoyeurs, les membres des communautés autochtones et autres. Ces utilisateurs font un entretien minimal de ces chemins, souvent avec l’aide financière du gouvernement. Sans l’investissement initial des compagnies forestières, ces autres utilisateurs du territoire n’auraient tout simplement pas accès à celui-ci pour pratiquer leurs activités, lesquelles contribuent de manière significative à l’essor économique des régions et permettent à la population du Québec de jouir d’un vaste milieu naturel.
  • Aucun suivi [des travaux sylvicoles] n’est effectué: bien que la vérificatrice générale et d’autres intervenants aient noté un déficit à cet égard, il est faux de dire qu’aucun suivi n’est effectué. À preuve, des sommes importantes sont consacrées annuellement aux travaux d’entretien et de dégagement des plantations et de la régénération naturelle. Pour planifier ces travaux et déterminer leur nécessité, des suivis doivent être effectués par les équipes du Ministère. Néanmoins, des améliorations au système de suivi devraient être mises en place, comme l’ont demandé plusieurs intervenants, dont l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec.
  • Personne au Québec ne sait combien on bûche de bois: ceci ne pourrait être plus faux. D’abord, le Québec dispose d’un des systèmes d’inventaire forestier les plus performants et rigoureux au monde. Ceci permet aux ingénieurs forestiers du MFFP de connaître avec un degré de précision relativement élevé le volume sur pied et celui qui devrait être récolté en vertu des plans de coupe autorisés. Par la suite, ces volumes sont comparés à ceux déclarés par l’industrie. Pour la région de la Capitale-Nationale, une analyse sur deux années de récolte récente a démontré un écart d’environ 3 % entre le volume déclaré et le volume prédit par les inventaires, ce qui est largement à l’intérieur du degré de précision des deux méthodes d’estimation des volumes et très loin du 20 à 25 % avancé dans l’émission Enquête. Ainsi, l’expérience des faits ne tend pas à valider l’affirmation qu’il y aurait une perte de revenu à grande échelle pour le gouvernement et qu’on ne connait pas le volume récolté. Rappelons également qu’un échantillonnage aléatoire et de manière indépendante du mesurage des compagnies est effectué par le gouvernement. Ensuite, les machines utilisées de nos jours pour la récolte sont équipées de systèmes informatiques de mesurage. Ces machines sont opérées par des entrepreneurs qui n’ont pas avantage à sous-estimer les volumes récoltés puisque leur paie en dépend. Si un écart de l’ordre de 20 à 25 % existait réellement et à grande échelle, ces entrepreneurs dénonceraient rapidement cela. Enfin, et plus important encore que de connaître avec précision le volume récolté pour s’assurer d’un aménagement forestier durable, est le fait de connaître les superficies récoltées. Sachant que moins de 1 % du territoire forestier apte à l’aménagement est récolté annuellement (ce qui exclut les aires protégées de toutes sortes) et qu’il faut entre 50 et 90 ans pour retrouver une forêt mature selon le type de forêt, le site et la sylviculture pratiquée, on constate que la révolution (le temps de retour après coupe – 50 à 90 ans) est moindre que la rotation des superficies récoltées (100 ans et plus puisque moins de 1 % du territoire est récolté).
  • 1970, l’abatteuse arrive… des ornières creusées… la nappe phréatique s’écoule… les sols s’assèchent: en fait, lorsqu’il y a récolte d’un peuplement sur un site humide, on observe plutôt une remontée de la nappe phréatique à cause de l’absence d’arbres qui pompaient l’eau du sol pour la renvoyer dans l’atmosphère par évapotranspiration. Et 1970, c’était il y a 50 ans! Aujourd’hui, la machinerie a été perfectionnée pour réduire au minimum l’orniérage, les déchets de coupe sont utilisés comme tapis pour limiter la compaction des sols, les sentiers ont été espacés et il est interdit de laisser les eaux de ruissellement s’écouler vers les lacs et cours d’eau. Ceci est très rigoureusement encadré par le Règlement sur l’aménagement durable des forêts (RADF). Notons également que le professeur d’hydrologie forestière Sylvain Jutras, ing.f., Ph.D., a réalisé une métanalyse de l’impact de l’aménagement forestier sur les nappes phréatiques pour conclure que les effets étaient faibles et limités dans le temps, n’ayant ainsi pas d’impact significatif sur les fonctions hydriques des milieux humides, donc là où la gestion de la nappe phréatique est un enjeu.

En terminant, par cette réaction, je ne souhaite nullement laisser entendre que notre système forestier québécois est parfait. D’ailleurs, l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec, dans un récent communiqué (https://www.oifq.com/images/pdf/2022/OIFQ_Enqu%C3%AAte_18mars2022_vf.pdf), faisait part à la population de ses inquiétudes et de sa volonté de voir le gouvernement procéder à une révision de la mise en œuvre du régime forestier adopté il y a déjà plus de 10 ans. Cependant, la problématique du secteur forestier est bien assez complexe et les enjeux réels suffisamment nombreux pour que nous évitions de véhiculer des informations fausses ou biaisées. De telles informations, au lieu de permettre un débat sain et honnête, provoque au contraire de la méfiance et de la confrontation, et contribue à un déficit de collaboration entre les parties prenantes.

[1] https://bmmb.gouv.qc.ca/media/63631/19-1414_rf_enqu_te_des_couts_20210601_el.pdf