La santé publique serait menacée parce que des centaines d'études documentant les effets néfastes de faibles expositions au rayonnement des technologies sans fil ont été « ignorées ou écartées de manière inappropriée » par les organismes qui fixent les limites d'exposition humaine au rayonnement de radiofréquence (RRF). C'est ce que dénonce aujourd'hui dans la revue Environmental Health un groupe de 17 experts comprenant deux anciens chercheurs vedettes du gouvernement américain. 

Les limites fixées par la Federal Communications Commission (FCC) américaine, sur lesquelles se fondent les limites du Code de sécurité 6 de Santé Canada, « sont basées sur des hypothèses invalides, ne protègent pas la santé humaine et ignorent l'impact sur la faune et la flore. Elles ne protègent pas adéquatement les travailleurs, les enfants, les personnes souffrant d'hypersensibilité électromagnétique et le public de l'exposition aux rayonnements non ionisants provenant de la transmission de données sans fil », déclarent l'article des membres de la Commission internationale sur les effets biologiques des champs électromagnétiques (ICBE-EMF).

Ces chercheurs réclament une réévaluation indépendante de ces limites qui examinera les études scientifiques évaluées par les pairs menées au cours des 25 dernières années, afin d'établir de nouvelles normes d'exposition plus sécuritaires, comme l'a réclamé notamment l'Académie américaine de pédiatrie, en 2013. « De nombreuses études ont mis en évidence des effets oxydatifs associés à l'exposition aux RRF de faible intensité, ainsi que des effets néfastes importants, notamment la cardiomyopathie, la cancérogénicité, les lésions de l'ADN, les troubles neurologiques, l'augmentation de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique et les lésions du sperme », explique le Dr Ronald Melnick, président de la Commission et ancien toxicologue principal du programme national américain de toxicologie à l'Institut national des sciences de la santé environnementale. « Ces effets doivent être pris en compte dans des directives d'exposition révisées et protectrices de la santé. En outre, l'hypothèse selon laquelle les ondes millimétriques 5G sont sans danger en raison de leur pénétration limitée dans le corps n'écarte pas la nécessité de mener des études sur les effets sur la santé. » Parmi les 17 commissaire de l'ICBE-EMF, on retrouve Carl Blackman, ancien chercheur de l'Agence de protection de l'environnement américaine, Dr Anthony Miller, ancien directeur de l'épidémiologie à l'Institut national du cancer canadien, et le physicien Paul Héroux, professeur de toxicologie des ondes à la faculté de médecine de l'Université McGill.

Les limites d'exposition au RRF sont fondées sur des données scientifiques des années 1980, soit bien avant l'omniprésence des téléphones portables. Elles ont été proposées par la controversée Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants (ICNIRP) et ne visent qu'à prévernir l'échauffement des tissus humains après une exposition de six minutes. Elles font fi des effets non thermiques documentés depuis plus de 70 ans à des doses des milliers de fois inférieures au seuil thermique qui serait le seul dont la nocivité est avérée, prétendent l'ICNIRP et l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Selon un rapport déposé en juin 2000 par deux députés écologistes européens 2, de nombreux scientifiques et journalistes ont démontré que l'ICNIRP est en conflit d'intérêts avec l'industrie des télécommunications qui aurait détourné le débat scientifique en sa faveur. Le projet de recherche de l'OMS sur la nocivité des ondes a été fondé et longtemps dirigé par le fondateur de l'ICNIRP Michael Repacholi, un ancien chercheur de Santé Canada et consultant auprès des industries qui a laissé à l'OMS « un héritage de copinage », selon Microwave News 3.

L'oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell, auteur de plus de 100 articles sur les effets des rayonnements non ionisants, a ajouté : « De multiples études humaines robustes sur les rayonnements des téléphones portables ont révélé des risques accrus de tumeurs cérébrales, et celles-ci sont étayées par des preuves claires de la cancérogénicité des mêmes types de cellules constatées dans les études animales. » C'est notamment sur la base des études du Dr Hardell que le Centre international de recherches sur le cancer a classé le RRF comme « peut-être cancérogène pour l'humain », en 2011.

Les commissaires de l'ICBE-EMF demandent que le public soit informé des risques sanitaires des rayonnements sans fil et encouragé à minimiser les expositions, en particulier des enfants, des femmes enceintes et autres personnes hypersensibles aux rayonnements électromagnétiques.

Le porte-parole de l'ICBE-EMF Joel Moskowitz, directeur du Centre pour la santé familiale et communautaire de l'École de santé publique de l'Université de la Californie, à Berkeley, a bien voulu répondre à nos questions par courriel. 

AF Qu'y a-t-il de nouveau dans votre article par rapport aux appels de scientifiques précédents en la matière?
JM À notre avis, cet article révisé par des pairs déboulonne complètement les fondements des limites d'exposition aux radiofréquences de l'ICNIRP. De plus, il fournit un examen complet incluant les données scientifiques les plus récentes sur le sujet. L'étude ICBE-EMF a été commandée par les conseillers de l'International EMF Scientist Appeal de 2015 signé à ce jour par plus de 250 scientifiques de 44 pays qui ont signé plus de 2 000 articles révisés par des pairs sur les CEM, la biologie et la santé. Nous n'aurons de cesse d'appliquer les recommandations de leur appel.

AF Êtes-vous optimiste quant à l'impact politique et de santé publique qu'aura votre nouvel appel ? 

JM Certains de nos membres sont optimistes en raison de l'opposition publique massive à la 5G dans leur pays. Nous reconnaissons tous que des forces puissantes se battent pour maintenir le statu quo, voire affaiblir les limites d'exposition actuelles. L'ICBE-EMF s'engage à poursuivre la lutte pour des limites d'exposition sans fil qui protègent notre santé et la faune. Plusieurs affaires juridiques importantes sont en cours aux États-Unis et dans d'autres pays et pourraient changer la donne (par exemple, Environmental Health Trust et al. v FCC et Murray et al. v Motorola et al.). Les tribunaux de nombreux pays exigent que des aménagements adéquats soient fournis aux personnes souffrant d'hypersensibilité électromagnétique.

AF Certains pays ont-ils résisté au relèvement de leurs limites d'exposition pour favoriser le déploiement de la 5G, malgré les risques possibles de lésions cutanées, oculaires et testiculaires ?

JM Il y a eu des réticences en Suisse. Theodora Scarato, de l'Environmental Health Trust, tient une mise à jour des politiques internationales en matière d'exposition au rayonnement du sans fil. 

AF Avez-vous l'impression de prêcher aux convertis et d'être ignorés par les grands médias, les politiciens et les autorités de santé publique ?

JM Outre une partie importante et croissante du public, de nombreux journalistes, politiciens et autorités de santé publique comprennent désormais que les réglementations en matière de sécurité sans fil sont inadaptées à la protection de la santé publique et environnementale. Le problème vient d'une industrie mondiale puissante qui contrôle les médias de masse et de nombreux politiciens. En fait, l'industrie des télécommunications semble plus puissante que ne l'a jamais été l'industrie du tabac. 

1. Scientific evidence invalidates health assumptions underlying the FCC and ICNIRP exposure limit determinations for radiofrequency radiation : implications for 5G, Environmental Health, 18 octobre 2022.

2. The International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection: Conflicts of interest , corporate capture and the push for 5G, par Michèle Rivasi et Klaus Buchner.

3. Will WHO kick its ICNIRP habit?, Microwave News, 29 novembre 2021.