En décembre 2020, un rapport de l’Académie américaine des sciences concluait que des radiofréquences pulsées et dirigées étaient la cause « la plus plausible » des troubles neurologiques subis par de nombreux diplomates (et espions) qui travaillaient à Cuba et en Chine. Sans la nommer, ce rapport donnait raison à la Dre Beatrice Golomb qui fut la première à en parler dans son article Diplomats’ Mystery Illness and Pulsed Radiofrequency/Microwave Radiation, paru en novembre 2018 dans la revue scientifique Neural Computation. En janvier de la même année, elle avait partagé les résultats de ses recherches avec le médecin en chef du Département d’État américain Charles Rosenfarb. Celui-ci partagea à son tour ces résultats avec son équipe, qui ne la crédita pas pour ce changement de paradigme qui concerne toute autre personne devenue hypersensible aux ondes.
Cette professeure de médecine à l’Université de la Californie à San Diego y dirige un groupe de recherche sur les maladies liées au stress oxydatif et aux déficiences de l’énergie des cellules. Elle traite et étudie depuis plus de 15 ans les vétérans souffrant du syndrome de la guerre du Golfe. Selon elle, plusieurs militaires sont devenus hypersensibles aux produits chimiques et aux champs électromagnétiques (CEM). Dans une étude publiée en 2023, elle et ses collaborateurs concluaient que la gravité de cette maladie dépend de la détérioration des mitochondries, les centrales énergétiques de nos cellules qui sont attaquées notamment par les pesticides et les CEM. La Dre Golomb sait trop bien que les gouvernements et les industries polluantes détournent l’attention des causes environnementales des problèmes de santé touchant les militaires comme les civils.
« Dans nos enquêtes, l'une des plus grandes sources d'angoisse des anciens combattants, c'est qu'on leur a dit que leurs problèmes sont tous d’origine psychologique. Or, nous avons maintenant des quantités colossales de preuves montrant des marqueurs biologiques objectifs, mais ceux-ci ne sont pas systématiquement évalués », m’a-t-elle expliqué dans cette entrevue qu'elle m'a accordée le 21 février.
Les migraines, vertiges, problèmes cognitifs, auditifs (l'effert Frey), cardiaques et de sommeil et autres symptômes touchant de nombreux diplomates américains et même canadiens ont été baptisés « syndrome de La Havane », car ceux-ci travaillaient notamment à Cuba. L’été dernier, après cinq ans d’enquête, une équipe de l’émission de télé américaine 60 Minutes rapportait que la Russie semble les avoir ciblés avec une arme miniaturisée à micro-ondes dans ce qui fut qualifié d’acte de guerre.
Selon la Dre Golomb, ce sont des symptômes classiques de ce que, dans les années 1950, les scientifiques soviétiques ont nommé « maladie des micro-ondes ». Connue depuis l’invention du radar, on l’appelle aujourd’hui électrohypersensibilité (EHS) et elle n’a rien à voir avec une peur des ondes (l’effet nocebo), la majorité des victimes n’ayant pas connaissance de leurs dangers.
Les diplomates, militaires et espions (embauchés après avoir réussi des tests confirmant leur bonne santé) ont reçu des doses massives de micro-ondes, suffisantes pour échauffer leurs tissus. Ceci contrairement aux millions de personnes EHS qui ont été handicapées par de faibles expositions répétées aux radiofréquences, en particulier dans la gamme des micro-ondes employées notamment par le Wi-Fi. En fait, les effets biologiques des CEM « ne dépendent pas de la puissance de l’énergie acheminée dans un système ou un autre, mais de l’information qui y est transportée », bref du message de plus basse fréquence transmis par une micro-onde porteuse, expliquent notamment des experts ukrainiens (lire Power level is irrelevant).
Dans les années 1950, les Soviétiques ont ouvert des cliniques pour traiter les milliers de travailleurs souffrant de la maladie des micro-ondes. Puis, de 1953 à 1975, ils ont irradié l’ambassade américaine à Moscou, causant de nombreux symptômes et maladies chez son personnel ainsi que leurs familles qui y vivaient.
Rayonnement solaire et radio : des dommages cumulatifs
Tout comme les coups de soleil répétés, l’exposition chronique aux micro-ondes des technologies sans fil ne cause pas de dommages immédiatement perceptibles mais peut causer des maladies à long terme, comme le cancer. Et dans les deux cas l’apparition de symptômes n’a rien de psychosomatique : elle dépend entre autres de la tolérance individuelle qui est à la fois génétique et environnementale, les faibles expositions répétées à des ondes pouvant soit stimuler ou épuiser la réserve d’antioxydants du corps. C’est pourquoi certaines personnes sont plus aptes que d’autres à réparer le vieillissement prématuré engendré par les rayonnements solaires ou des CEM.
C’est ce qu’explique à la 38e minute de notre entrevue la Dre Golomb qui, en plus d’être médecin, détient un doctorat en biologie obtenu après avoir décroché un baccalauréat en physique avec mention, à l’âge de 19 ans. Elle est très connue dans les médias pour ses travaux sur les statines, les placebos et… le chocolat.
Voici cet extrait d’entrevue :
« Il y a eu des études dites de provocation qui disent que si l'EHS est réelle et que les gens affirment qu'ils peuvent avoir des symptômes après une exposition, nous devrions pouvoir les exposer en double aveugle, ils devraient être capables de dire quand ils sont exposés et quand ils ne le sont pas. Cela suppose que le corps fonctionne comme un compteur, ce qui n'est évidemment pas le cas. Et si on demande quelles sont leurs autres expositions, comme la prise d’un médicament, les gens ne développent pas toujours d’effets indésirables exactement au même moment. Et nous n'exigeons pas qu'ils puissent savoir quand ils prennent le médicament et quand ils ne le prennent pas.
Dans le cas des rayonnements de radiofréquence, le délai d'apparition des symptômes varie d'un individu à l'autre, en fonction du type ou de l'intensité de l'exposition et, dans une large mesure, d'un individu à l'autre.
Ainsi, certaines personnes ont une évolution qui, selon moi, suggère (…) une mort cellulaire entraînant une inflammation et un gonflement du cerveau, avec un pic pouvant survenir un jour et demi à deux jours après l'exposition, mais avec des symptômes extrêmement graves, tandis que de nombreuses personnes, pour certains types d'exposition au moins, parviendront à détecter le phénomène dans un délai relativement court après son déclenchement. Ces études de provocation prennent des personnes prétendument électrosensibles et les placent dans un contexte où elles sont exposées puis non exposées et s'attendent à ce que, d'une manière ou d'une autre, elles soient immédiatement capables de reconnaître le contexte. C'est pourquoi je fais l'analogie avec le coup de soleil, un autre problème induit par les rayonnements qui est médié par le stress oxydatif, culmine dans l'inflammation qui conduit finalement au rougissement de la peau, et qui fournit de nombreuses analogies qui, selon moi, sont pertinentes pour l’EHS.
Préconditionnement oxydatif
Il existe de grandes différences dans la vulnérabilité aux coups de soleil et celles-ci sont en partie basées sur les défenses contre le stress oxydatif, comme dans le cas de l’EHS. En fait, la mélanine qui conduit au bronzage est un antioxydant. Votre capacité à produire cet antioxydant qui protège contre les brûlures induites par les rayons ultraviolets varie considérablement d'un individu à l'autre et selon que vous avez ou non déjà mis en place votre réaction de bronzage. Il existe donc un phénomène appelé « préconditionnement oxydatif » : si vous êtes préexposé à de faibles niveaux d'un facteur de stress oxydatif tels que les rayons ultraviolets, votre corps peut augmenter ses défenses. Si, par exemple, vous souffrez d'une déficience mitochondriale qui entraîne une production continue de stress oxydatif par l'organisme, vous n'aurez peut-être pas la possibilité d'augmenter davantage vos défenses antioxydantes. Il se peut que vous en soyez déjà au point où toute augmentation du stress oxydatif va vous faire basculer dans les symptômes cliniques.
Certaines études portant sur le cancer du cerveau indiquent que des intensités plus faibles d’ondes sont liées à un risque plus faible de cancer du cerveau. Beaucoup de chercheurs à qui j'ai parlé n'y croient pas, mais je pense qu'il est tout à fait possible que, sur une base collective, les rayonnements non ionisants de faible intensité conduisent à ce préconditionnement oxydatif avec une régulation à la hausse des défenses antioxydantes et que, sur une base collective, en moyenne, cela puisse conduire à une protection. Mais cela n'empêche pas le fait qu'il y a des individus qui ne bénéficient pas de cet effet et qui sont déjà au maximum de leur capacité de régulation et que toute oxydation additionnelle ne fait qu'épuiser et aggraver leurs défenses antioxydantes. Je pense donc que ces deux choses sont vraies. En fait, si vous regardez les études sur le stress oxydatif, comme Yakymenko l'a fait dans son analyse où il a identifié 100 études qui ont examiné le rayonnement de radiofréquence de faible intensité et s'il produisait un stress oxydatif, il a rapporté que 93 des études ont trouvé que c'était le cas. Mais si l'on regarde ce qui se passe pour les antioxydants, on s'aperçoit que les résultats sont très variables d'une étude à l'autre. Dans certaines études, ils augmentent et dans d'autres, ils diminuent. C'est exactement ce à quoi nous devrions nous attendre : cela correspond à ce phénomène de préconditionnement oxydatif où, chez de nombreux individus, en fonction de leur état de santé préexistant et de leur génétique, un faible niveau de stress oxydatif augmentera leur niveau d’antioxydants, tandis que chez d'autres individus, ils seront épuisés. Cela semble donc incohérent, mais c'est en fait tout à fait cohérent avec une vaste littérature qui ne se limite pas aux rayonnements de radiofréquence, mais couvre de nombreuses substances différentes.
Les rayons ultraviolets occupent à la fois la partie non ionisante et la partie ionisante du spectre électromagnétique. Ils provoquent des lésions par le biais d'un phénomène de stress oxydatif – il est très bien documenté que les coups de soleil et le photovieillissement dus aux ultraviolets sont médiés par le stress oxydatif. Les personnes dont les défenses antioxydantes sont affaiblies sont plus vulnérables, le délai d'apparition du coup de soleil après l'exposition va se raccourcir, si tant est qu'elles l'attrapent. Certaines personnes doivent être exposées beaucoup plus longtemps avant de développer le problème, d'autres ne le développeront jamais quel que soit leur niveau probable d'exposition, tandis que d'autres personnes ont des défenses antioxydantes très faibles au niveau de la peau et peuvent développer un coup de soleil avec une exposition relativement faible. Le délai d'apparition des symptômes et le délai de guérison varient. Il n'est pas vrai que les symptômes disparaissent dès que l'on supprime les rayons ultraviolets, de sorte que la conception de ces études de provocation aux ondes radio est erronée.
L'autre problème de ces études est que l'on ne sait pas vraiment à quoi les personnes ont été exposées avant et pendant leur trajet jusqu'à l'installation, en plus de ce qui est allumé et éteint dans leur voisinage au moment de l'étude. Si l'on veut concevoir une telle étude, la bonne façon de procéder serait de ne pas exposer les sujets à la plupart des paramètres d'exposition, et la raison en est qu'il existe un autre phénomène que nous connaissons en matière de chimiothérapie, à savoir que les gens ont une réponse conditionnée à l'attente. Il ne s'agit pas d'un phénomène psychogène ou de suggestibilité. Lorsqu'une personne entre dans une pièce où elle a déjà subi une chimiothérapie, elle peut se mettre à vomir parce que son corps essaie à la fois de l'avertir de l'exposition potentielle et d'avoir une réaction d'aversion afin qu'elle ne s'expose pas de nouveau à la chimiothérapie. Cela se produit parce que l'exposition est en fait nocive pour cette personne et qu'il faut de multiples épisodes de non-exposition pour que le phénomène s'éteigne. Cela signifie que si vous voulez concevoir une telle étude pour qu'elle soit efficace, vous devez faire en sorte que la plupart des périodes d'exposition ne comportent aucune exposition, puis habituer la personne à l'idée qu'elle ne réagit pas, et ensuite avoir rarement une exposition réelle, ce qui vous permettra de voir ce phénomène, et de vous assurer que vous le laissez durer suffisamment longtemps et qu'il est suffisamment significatif.
Provocations dangereuses
C'est là l'autre problème : pour les personnes concernées, il ne s'agit pas de symptômes, mais d'un signe de dommage physiologique. Il ne s'agit donc pas nécessairement d'expériences entièrement bénignes. Il n'est pas certain que la lésion qui se produira lors d'une exposition, si l'on fixe le niveau d'exposition à un niveau tel que l'on est sûr que l'individu présente des symptômes, se rétablira complètement sur le plan physiologique. L'autre problème potentiel est que les gens pensent : « Oh, ce ne sont que des symptômes ». Or, les symptômes sont des symptômes parce qu'il y a un problème physiologique qui peut entraîner des dommages et ces dommages ne sont pas toujours susceptibles d'être complètement réparés. Comme vous le savez, de nombreuses études montrent aujourd'hui que les rayonnements de radiofréquence provoquent des lésions de l'ADN; de nombreuses autres études montrent qu'ils provoquent une altération des spermatozoïdes, notamment de leur nombre, de leur mobilité et de leur qualité. Si l'on parle à des personnes qui ont eu de graves problèmes, pour certaines d'entre elles, des expositions répétées conduisent successivement, par exemple, à une altération des fonctions cérébrales.
Nous savons également que le stress oxydatif accroît la vulnérabilité à l'auto-immunité, ce qui a été démontré spécifiquement avec les rayonnements de radiofréquence dans des études animales, y compris pour les conditions auto-immunes dans le cerveau. Cela correspond également à ce que nous observons à la fois chez les vétérans de la guerre du Golfe, qui présentent une augmentation de toute une série d'auto-anticorps, ainsi qu'à ce que nous observons chez les personnes qui ont été exposées aux radiofréquences. Dans l'étude de Belpomme, 20 % des personnes électrohypersensibles avaient des anticorps contre la O-myéline [suggérant une réponse auto-immune dans la matière blanche du système nerveux], le seul auto-anticorps qui a été examiné dans ce contexte. L'exposition n'est donc pas nécessairement bénigne chez les personnes qui y sont vulnérables. Le stress oxydatif modifie les « épitopes » d'une manière qui les rend plus vulnérables aux attaques auto-immunes. Il favorise également la mort cellulaire, l'apoptose, et la mort cellulaire expose le contenu des cellules d'une manière qui les rend plus vulnérables aux attaques auto-immunes, de sorte que les conséquences physiologiques de l'exposition sont réelles et varient considérablement d'un individu à l'autre.
Écouter la présentation (#23) sur le syndrome de La Havane livrée par la Dre Golomb dans le cadre de l’EMF Medical Conference 2021, formation axée sur la prévention, le diagnostic et le traitement des maladies associées aux CEM : https://vimeo.com/showcase/10624511.