Ça y est, c’est fait : le coût de l’électricité solaire commence à atteindre la parité avec celle d’Hydro-Québec, affirme le physicien Yves Poissant, spécialiste en énergie solaire photovoltaïque (PV) au laboratoire CanmetÉNERGIE de Ressources naturelles Canada (RNCan), à Varennes. Selon lui, sur son cycle de vie de 30 ans, un système PV d’au moins 6 000 watts (6 kilowatts ou kW), bien installé sur un toit non ombragé et relié au réseau d’Hydro-Québec sur lequel les surplus sont stockés et crédités, revient à environ 9,12 cents le kilowattheure (kWh). C’est le tarif facturé par Hydro-Québec sur une consommation domestique quotidienne dépassant les 36 premiers kWh.
« Nous sommes déjà au seuil de la parité pour les systèmes de 6 kW et plus, et pour les systèmes moyens au Québec, de 2 à 4 kilowatts de puissance, ce sera sans doute atteint avant 2024, date à laquelle Hydro-Québec prévoyait cette parité », affirme Yves Poissant. « Le coût des panneaux solaires a diminué d’un facteur 5x depuis 10 ans et a rendu la technologie abordable pour les adopteurs précoces. La majeure partie de la diminution des coûts de la technologie est déjà faite, mais à mesure que les installateurs prendront plus d’expérience, il y aura encore un potentiel pour réduire les coûts liés à la main d’oeuvre. »
Les conclusions d’Yves Poissant sont basées sur un récent sondage réalisé par l’association Énergie Solaire Québec (ESQ) auprès d’installateurs chevronnés. Ce sondage a démontré qu’un système de 6 kW, installé sans batteries, revient typiquement à environ 16 000 $ avant taxes, soit autour de 2,66 $ le watt comparativement à environ 3,50 $/W en 2016.
Cet expert a calculé que le système serait financé sur une marge hypothécaire à un taux de 3,5 % sur 10 ans et qu’Hydro-Québec augmenterait son tarif domestique de 1 % par année. Il suppose un vieillissement réduisant la puissance du système de 0,5 % par année et que l’on dépensera 1 800 $ au bout de 15 ans pour remplacer son onduleur qui convertit le courant continu produit par les systèmes en courant alternatif utilisé dans une maison.
Selon Yves Poissant, un système PV bien installé dans la région de Montréal produit environ 1 200 kWh par année par kW de puissance installée, donc 7 200 kWh (657 $) pour un système de 6 kW qui prendra une vingtaine d’années pour se rentabiliser s’il est payé en totalité à l’achat plutôt que financé. Il précise qu’il y a trois conditions à respecter pour atteindre cette fameuse parité avec l’hydroélectricité : « Le plus important, c’est que le soleil soit au rendez-vous (maison orientée franc sud avec des panneaux inclinés entre 30 et 60 degrés et non ombragés par des végétaux ou des structures), que le prix du système soit compétitif et que le financement soit à un taux raisonnable. »
Nuances
L’étude d’ESQ et l’analyse d’Yves Poissant contredisent un récent rapport qui a fait les manchettes cet hiver : La rentabilité de l’énergie solaire au Canada, publié par l’Office national de l’énergie. Celui-ci comparait seulement des systèmes de 5 kW et considérait que le kWh québécois coûtait 6,8 ¢/kWh. En fait, quand des autoproducteurs injectent leurs surplus sur le réseau public, Hydro-Québec les crédite au tarif de la deuxième tranche de consommation, car « les crédits sont appliqués au solde de leur facture ». À l’adresse Web hydroquebec.com/solaire, la société d’État ne cite que le tarif moyen de 7,52 ¢ du kWh. Dans un article de La Presse canadienne sur son projet pilote de 10 kW PV, le président de sa division production, David Murray, ajoutait le 3 février 2019 : « Aux États-Unis, le coût de production est de 15 ou 16 cents par kilowattheure. Cela va diminuer et on doit tester cette technologie. » Et ce, bien qu'Yves Poissant ait annoncé, lors de la Conférence Mines et Énergie 2018 tenue à Québec le 22 novembre, que les coûts sont désormais sous la parité sur la durée de vie d'un système de 7 kW et plus (voici sa présentation complète comprenant le tableau ci-haut). « Je m'attendais à susciter une controverse, à recevoir des questions d'Hydro-Québec, mais il n'y en a pas eu », nous a-t-il confié en entrevue. Il ajoute que même si la Régie de l'énergie autorisait un jour Hydro-Québec à réduire la valeur des kWh crédités aux autoproducteurs, comme la société d'État le souhaite depuis quelques années, cela n'affecterait pas la rentabilité d'un système conçu pour ne pas dépasser la consommation électrique d'une famille. « S’il n’y avait pas de surplus à la fin de l’année, ça n'aurait rien à voir avec la remise d'autoproduction parce [l'énergie solaire] représenterait des kWh non facturés par Hydro si consommés par l'autoproducteur. Bref, l’électricité solaire produite par un système PV de dimension moyenne est majoritairement consommée par l’unité d’habitation et diminue la consommation dans la 2e tranche tarifaire plutôt que d’être exportée sur le réseau. »
Par ailleurs, Hydro-Québec affirme sur son site que les panneaux doivent être posés au même angle que la latitude (45 degrés). En fait, « 45 degrés ce n’est pas optimal si on injecte ses surplus sur le réseau, précise Maxime Morency, copropriétaire de l’entreprise Québec Solar qui mesure depuis plus d’un an la production de plusieurs de ses systèmes. Même à un angle de 10 degrés, on produit au moins 1 000 kWh/an, parce que durant l’été il y a plus d’ensoleillement [et le soleil à son zénith frappe directement les cellules PV] et il n’y a jamais de neige. En hiver, il y a si peu de soleil que ça ne vaut pas la peine de payer quelqu’un pour déneiger les panneaux. Pour un système de 10 kW, on ne gagne que 500 kWh ou 50 $ d’électricité. » « Il faut dire la vérité sur les heures d'ensoleillement », ajoute son collègue Jean-François Riendeau, directeur de Solution Hydro Solaire, qui déplore que des vendeurs itinérants aient nuit à leur industrie en trompant le public. « Au Québec, il n'y a que 3,9 heures par jour de plein ensoleillement en moyenne annuelle. Nous donnons l'heure juste selon la région en utilisant le logiciel Solargis. »
ESQ entend tout détailler prochainement. « Nous allons mettre en ligne un calculateur solaire officiel pour le Québec avec la collaboration de Nergica [centre de transfert technologique en énergies renouvelables affilié au Cégep de la Gaspésie et des Îles] et l’AQPER » (Association québécoise de la production d’énergie renouvelable, confie Patrick Goulet, président d’ESQ. Il souhaite également que le gouvernement participe à un programme de certification des installateurs de systèmes PV, en réponse aux récents cas de fraude dénoncés en 2018 par le Journal de Montréal/Réseau TVA et par l'Office de protection du consommateur. Plusieurs consommateurs ont acquis des systèmes en se faisant promettre des performances impossibles par des vendeurs itinérants. Des systèmes souvent mal installés et financés à des taux d'intérêts élevés qui annulaient leur rentabilité à long terme.
Selon le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie à HEC Montréal, le fait que l'électricité photovoltaïque arrive à parité avec celle d'Hydro-Québec (HQ) est « évidemment une bonne nouvelle : tout progrès technologique est porteur de nouvelles possibilités qui peuvent rendre plus de développements positifs accessibles. Pour le Québec, cependant, ça n’a pas beaucoup d’incidence énergétique à court terme, et ça souligne surtout la nécessité de changer de structure tarifaire à moyen terme – le plus tôt étant le mieux. Le solaire au Québec dans le contexte actuel n’a pas vraiment de chance d’aider HQ pour gérer la pointe : celle-ci est en soirée l’hiver, quand il n’y a plus de soleil, qui se couche vers 17h. Le réseau (ou d’énormes batteries) sont nécessaires pour le chauffage, même si le PV était gratuit.
Personne ne semble remettre en cause la nécessité d’avoir un réseau de distribution – sauf pour les quelques personnes aimant vivre à l’écart dans les bois. Dans le cas où on apprécie le réseau de distribution, il va falloir développer une structure tarifaire où l’on paie de manière plus explicite pour son existence. Ce qu’il faut faire c’est favoriser un secteur qui est durable et équitable. Cela passe passera par une réforme tarifaire, dont trop peu parlent. Le coût du réseau étant largement indépendant de l’énergie qui y transite, et très lié à la pointe de consommation, il va falloir établir un tarif qui n’est plus un prix par kWh, mais à un frais fixe proportionnel, idéalement, à la contribution individuelle à la pointe collective. Pour simplifier, on pourrait faire un frais fixe proportionnel à la puissance maximale demandée en hiver. C’est ce que l’Italie fait pour son réseau de distribution, depuis quelques années, et les italiens survivent très bien à cela. »
Pour Yves Poissant, l’aube de la parité annonce néanmoins un avenir radieux pour la production d’électricité solaire. « Ceci a pour effet d’élargir le marché de l’autoproduction et mènera graduellement l’énergie solaire PV vers une diffusion de masse au Québec. Du point de vue d’un autoproducteur, le solaire PV est en voie de devenir un moyen rentable d’atténuer l’impact des augmentations des tarifs variables sur sa facture d’électricité. Pour ma part, je considère principalement l’utilité du solaire PV au Québec dans le cadre de la diminution de la consommation de diésel pour la production d’électricité dans les communautés éloignées. Le solaire peut aussi compenser la demande d’électricité accrue lors des canicules d’été et dans le futur, il pourra compenser en partie la demande d’électricité liée à la recharge de voitures électriques pendant la journée. »
Selon RNCan1, sur une maison performante prête pour la consommation nette zéro (cote Énerguide 866 établie par exemple par le programme Rénoclimat), un système PV de 5 kW se rentabilisera plus vite que bien des mesures d’efficacité énergétique, dont la géothermie.
+ esq.qc.ca
https://www.rncan.gc.ca/energie/renouvelable-electricite/solaire-photovoltaique/7304
Hydro-Québec se prépare au raz-de-marée de l’énergie solaire (Le Monde de l'électricité)
https://www.tvanouvelles.ca/2018/04/27/tromperies-dans-lenergie-solaire-1
- L’électricité solaire plus rentable que les murs R-40!, paru dans La Maison du 21e siècle, au printemps 2016.