© Michel Renaud, Ko paysages
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« On estime que 30 milliards d’espèces ont existé depuis l’apparition des organismes multicellulaires, au moment de l’explosion de la vie à l’ère du cambrien, il y 550 millions d’années… On estime à environ 30 millions le nombre d’espèces présentes sur Terre aujourd’hui, ce qui signifie que 99,9 % de toutes les espèces apparues un jour ont disparu. » - David Suzuki  L’équilibre sacré 

Dans la nature, les plantes poussent sans aucune intervention humaine. Tout fonctionne et la vie s’amplifie depuis des centaines de millions d’années. Il est possible de recréer ou de maintenir un tel processus dans un jardin… en étant attentifs aux secrets que la nature nous livre.

Bien des gens conçoivent les mécanismes de la nature comme une série de lois immuables. Dans son livre Rebirth of Nature, le biologiste Rubert Sheldrake remplace ce concept de « lois de la nature » par celui « d’habitudes de la nature ». Pour lui, ces habitudes sont en fait l’héritage des stratégies fructueuses que la Terre a développé au cours d’une lente et patiente série d’essais et d’erreurs qui a débuté il y a 4,6 milliards d’années. La photosynthèse, la litière organique au pied des plantes, les réseaux d’entraide complexes seraient donc des mécanismes que la Terre aurait améliorés au cours de son évolution, laissant de côté un nombre incalculable de processus moins fructueux. La nature a fait de même avec tous les autres organismes.

Pour beaucoup de personnes, le rapport entre les organismes vivants est une compétition où les plus forts gagnent. Toutefois, les biologistes, spécialistes de l’évolution, écrivent depuis vingt ans une nouvelle histoire qui se différencie de la vision darwinienne des rapports dans la nature, ou plutôt qui la complète. La symbiose et la coopération entre les organismes vivants sont aussi, sinon plus, déterminantes dans le développement et la pérennité d’une espèce que ne le sont les facteurs de compétition. Cette nouvelle biologie de l’évolution a une incidence directe sur les façons de concevoir, d’aménager et d’entretenir les aménagements paysagers.

Les plantes qui réussissent le mieux ne sont pas nécessairement les plus fortes, mais plutôt celles qui développent le meilleur réseau d’entraide. Ainsi, le rôle du jardinier n’est pas tant de défendre les plantes contre les ravageurs et les maladies, mais surtout de les placer dans un environnement propice et de veiller à ce que les organismes associés aux plantes (mycorhizes, vers de terre, insectes bénéfiques, etc.) se développent normalement.

Le jardin ornemental s’avère un lieu privilégié pour observer et s’insérer dans ces habitudes fructueuses de la nature. C’est un lieu d’expérimentation fabuleux qui permet de confronter les idées préconçues avec la réalité. En aménageant les jardins avec des plantes indigènes qui ont traversé avec succès le crible de l’évolution, ou leurs proches parentes cultivées, les jardiniers se connectent à une formidable évolution. Ils en deviennent partie intégrante. C’est habités par cette vision qu’ils peuvent créer un écosystème paysager fonctionnel.

 © Michel Renaud, Ko paysages
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Développer un langage écologique

Il existe une grande confusion dans la terminologie entourant l’« écologie » et l’« environnement ». Les mots sont plus que de simples outils de communication, ils expriment des façons de voir la nature. Voici la définition de certains mots-clés :

  • Écosystème : « Dans un lieu donné, l’ensemble du milieu naturel (biotope) et des êtres vivants qui y vivent (biocénose), avec toutes les interactions entre ce milieu et les organismes. » - Office de la langue française, 1993.
  • Communauté : « Tous les organismes vivants partageant un environnement commun et entretenant des liens interactifs. » (Stern) C’est le terme, retenu pour remplacer biocénose.
  • Environnement: « Ce qui entoure, constitue le voisinage de » - Le Petit Larousse.
    C’est aussi l’« ensemble des conditions naturelles (physiques, chimiques, biologiques) et culturelles (sociologiques) susceptibles d’agir sur les organismes vivants. » - Le Petit Robert.
  • Niche écologique: « Rôle que joue un organisme dans l’écosystème et les conditions environnementales essentielles à cet organisme pour maintenir une population viable. » - Ecology, Begon, Harper et Towsen. La niche écologique est donc un terme qui s’applique à un organisme vivant. La connaissance de la niche écologique d’une plante que l’on veut introduire dans un jardin est souvent essentielle pour assurer sa viabilité.
  • Écologie: Cette science est « l’étude des milieux où vivent et se reproduisent les êtres vivants ainsi que des rapports de ces êtres avec leur milieu. » - Le Petit Robert, 1989.

Une nouvelle vision du jardinage écologique

Il ne faut pas croire que faire du jardinage écologique consiste seulement à renoncer aux engrais chimiques, à pratiquer le compostage, à acheter des engrais naturels organiques et à ne plus utiliser de pesticides chimiques. On peut se conformer à toutes ces règles et ne pas pour autant pratiquer le jardinage écologique.

En fait, c’est par l’étude de la nature que l’on parvient à acquérir un minimum de compréhension des mécanismes naturels et à fournir un environnement viable aux plantes et autres organismes vivants que l’on désire conserver au jardin. Rien ne sert de protéger une plante avec un pesticide, si naturel soit-il, si cette plante n’est pas dans le bon biotope. Ainsi, l’écologie n’est pas une série de recettes ou de produits naturels à utiliser, mais bien la compréhension qu’un jardin est un écosystème. Les plantes poussent habituellement sans problème là où elles rencontrent des conditions environnementales propices à leur épanouissement.

Comment s’entoure-t-on d’un écosystème fonctionnel?

Il y a de trois grandes façons de vivre ou d’entourer sa résidence d’un écosystème fonctionnel.

  1. S’insérer dans un écosystème fonctionnel

Certains propriétaires ont la chance de construire leur résidence dans un écosystème fonctionnel existant. Dans une forêt mature, par exemple. Cet écosystème bénéficie déjà des « habitudes fructueuses » de la nature. Il ne demande aucun entretien. De plus, si on l’observe attentivement, c’est une source inépuisable d’émerveillement. Conserver les fonctionnalités d’un écosystème naturel est simple. Il suffit d’intervenir au minimum, et si on intervient, de le faire avec un maximum de conscience écologique.

En milieu forestier, la nouvelle maison est déposée au sein de cet environnement, plutôt qu’implantée avec fracas. Dans ce dessein, une bonne planification s’impose. De nombreuses visites sur le site, parfois avec un professionnel de l’implantation écologique de maisons, permettront de localiser la résidence au meilleur endroit tout en conservant le maximum de fonctionnalités à l’écosystème. Il importe de définir avant la construction les mesures de protection des arbres et la façon de disposer la terre d’excavation et les déchets de construction.

La première année, il est sage de s’en tenir à dégager des chemins pour accéder au site et à observer le monde fascinant de l’écosystème. Ce tas de bois mort qu’on aurait brûlé rapidement abrite peut-être un couple d’oiseaux attachant! Ce grand arbre mort est peut-être la maison de chouettes!

Il est possible de favoriser des végétaux qu’on aime particulièrement et de désavantager d’autres qui plaisent moins. Prenez le temps de vous interroger sur le rôle possible de ce qu’on détruit. Par exemple, les ronces, en lisière de la forêt, font de l’ombre au pied des arbres et régénèrent le sol perturbé avec leurs racines puissantes.

En résumé, il faut prendre le temps d’observer l’effet des premières interventions sur une période de quelques années avant d’intensifier ses actions. Les humains ont encore beaucoup à apprendre dans la façon de s’intégrer harmonieusement dans un écosystème fonctionnel existant, il est préférable au début d’y pénétrer avec des gants blancs.

  1. Laisser la nature recréer elle-même un écosystème fonctionnel

Vous emménagez dans un nouveau lotissement domiciliaire classique. Les plantes originelles ont alors été détruites et le sol bouleversé. Qu’arrive-t-il si on ne fait rien et qu’on laisse la nature faire?

La nature enverra une série de plantes pionnières. Ces plantes rebâtiront un sol fertile en générant de la matière organique, en ouvrant le sol compacté avec leurs fortes racines et en remontant à la surface des minéraux bloqués dans le sol. Ce faisant, les plantes favorisent le développement et la création d’un réseau d’entraide. Elles amorcent ainsi les conditions propices pour l’émergence de nouvelles plantes qui se succéderont, améliorant ainsi la fertilité et permettant la mise en place de conditions favorables qui pourraient aller jusqu’à l’établissement d’une forêt mature. Le déroulement de cette transition constitue un monde fascinant.

Il est possible de conserver un pré fleuri naturel en le fauchant une fois par trois ou quatre ans pour empêcher la végétation ligneuse de s’implanter. Si le pré produit trop de graminées et pas assez de plantes à floraison colorée, on le fauche chaque automne et on ramasse la matière organique pour appauvrir le sol et favoriser ainsi les plantes à fleurs de milieu plus pauvre.

En résumé, on peut donc, en laissant faire la nature, observez celle-ci recréer un écosystème. Les interventions seront minimales : favorisez telle ou telle plante par une tonte, un fauchage ou un désherbage appropriés ou créez des sentiers pour accéder à ces jardins naturels gratuits.

  1. Créer un écosystème paysager fonctionnel

Laisser la nature faire n’est pas toujours souhaitable, ni même possible. Parfois il faut accélérer le processus, ne serait-ce que pour s’intégrer harmonieusement dans un voisinage. Bien des jardiniers souhaitent recréer un écosystème qui soit à la fois beau et fonctionnel. En transposant dans leur jardin les mécanismes éprouvés par la nature, il leur sera facile d’aménager un magnifique jardin paysager écologique, avec un minimum d’entretien.

Abordez la nature avec humilité et respect. La Terre est un organisme de 4,6 milliards d’années qui peut nous apprendre beaucoup.

Voici quelques trucs pour profiter au maximum des habitudes gagnantes de la Terre.

Éviter de planter des plantes fragiles

Plusieurs plantes, notamment plusieurs rosiers, pommiers, pommetiers, chèvrefeuilles à haie, viornes boule-de-neige et quelques fleurs vivaces sont très sensibles aux maladies et aux ravageurs. Évitez-les autant que possible. Sélectionnez toujours des variétés réputées très résistantes aux maladies.

Implanter les plantes dans un biotope approprié

Les végétaux ne prospèrent pas n’importe où. Implantez-les et maintenez-les dans un environnement où ils trouvent les conditions propices à leur épanouissement. Fournissez-leur le type de sol, de fertilité, de soleil, d’humidité, de pH dont ils ont besoin.

Favoriser des plantes à large spectre

Privilégiez des végétaux à large spectre environnemental, ces plantes qui peuvent survivre lorsque les conditions du biotope changent. À titre d’exemple, on peut citer les sureaux du Canada, les fusains ailés ou les lis d’un jour (hémérocalles). Avec les changements climatiques, c’est un gage de pérennité.

Cultiver les réseaux d’entraide

Dans la nature tout est coévolution, aucun organisme n’évolue seul. Cultiver une plante, c’est aussi cultiver son réseau d’entraide. Ainsi, lors de la préparation des sols, on s’applique à employer, si nécessaire, des fertilisants et des amendements qui favorisent non seulement la croissance des plantes, mais également le développement des organismes bénéfiques qui vivent en interactions positives avec les plantes. Et on évite autant que se peut les pesticides chimiques ou naturels qui tous deux perturbent le réseau d’entraide.

 © Michel Renaud, Ko paysages
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Planter dans un sol « propre »

Il est recommandé de planter les végétaux dans un sol non contaminé par des herbes sauvages envahissantes. Prenez donc le temps de bien préparer le sol avec un bon désherbage et un bêchage. Idéalement, prenez le temps de faire un faux semis. Le faux semis consiste à bien préparer le sol, à l’arroser, puis à le laisser reposer pendant deux semaines le temps que les graines qui peuplent le sol germent et que les rhysomes et racines des vivaces tigent. Un petit coup de rateau et toutes ces futures mauvaises herbes sont éliminées en un tour de main.

Planter densément

Plantez aussi les végétaux de façon à ce que, à maturité, leur feuillage couvre totalement le sol et empêche les rayons de soleil de l’assécher et de faire germer des graines indésirables. Cette pratique évite bien des désherbages et des arrosages.

Augmenter la biodiversité du jardin

La biodiversité est la clef d’un écosystème fonctionnel et permanent. Planter beaucoup de végétaux variés attirera une plus grande diversité d’insectes, de microorganismes, d’oiseaux, de papillons, etc. Varier les conditions environnementales des biotopes augmentera la variété de plantes. Par exemple, sur une parcelle le sol sera pauvre, alors que sur une autre il sera riche, et une troisième platebande aura un sol moyen. Variez aussi , si c’est possible, le type d’humidité ou de pH du sol. Connectez, par exemple, un drain à une gouttière pour amener l’eau vers une platebande type. Un organisme indésirable a beaucoup plus de difficulté à pénétrer dans un écosystème diversifié.

 © Michel Renaud, Ko paysages
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Éviter le style « pizza »

Il y a une façon d’augmenter la biodiversité au jardin sans augmenter l’entretien. Observez la nature à la suite d’un bouleversement, comme une tornade en forêt ou un abattage qui crée une éclaircie, toutes sortes de graines apportées par des écureuils et des oiseaux ou qui sont déjà dans le sol germent. De nombreuses variétés de végétaux plus ou moins adaptés au site tentent de s’implanter. Exactement comme dans un jardin où le jardinier débutant expérimente par une série d’essais et d’erreurs. Cependant, très rapidement, une plante qui s’adapte bien se multiplie et forme une colonie. Ainsi, dans une nature plus mature, ce ne sont pas des plantes individuelles qui se côtoient, mais bien des colonies de plantes bien adaptées à leur milieu.

L’aménagement de « style pizza » avec beaucoup de variétés de plantes dans une même platebande, que l’on observe souvent chez le jardinier débutant, correspond au stade primaire de l’organisation de la nature. C’est un système instable qui évolue rapidement vers le développement de colonies stables. Suivez la leçon de la nature, implantez de nombreuses colonies de plantes réparties sur tout votre terrain, plutôt que de multiples variétés de plantes dans une même platebande.

Multiplier les plantes qui vont bien

Notez les plantes qui évoluent bien dans votre jardin, puis multipliez-les. On peut ainsi former des colonies de plantes vigoureuses bien adaptées à leurs biotopes, comme dans la nature sauvage.

Les indicateurs de déséquilibre

Il faut considérer avec respect les ravageurs et les maladies au jardin. Ce sont des « agents équilibrants » qui indiquent, la plupart du temps, qu’on a introduit une plante génétiquement faible ou encore qu’on a mis une plante dans le mauvais biotope. Éliminez donc les plantes non résistantes ou changez leur biotope pour qu’il soit conforme à leurs exigences. Les ravageurs et les maladies sont la plupart du temps des symptômes, plutôt que des causes, du dépérissement des végétaux. Ils aident à faire le ménage des plantes mal adaptées et à bien orienter le jardinier écologique, et à développer ainsi un écosystème fonctionnel.

Non à l’acharnement thérapeutique

Si une plante est malade ou attaquée par des ravageurs ou des maladies, retournez consulter vos livres. Vérifiez si la plante est sujette aux infestations et donc non résistante. Si c’est le cas, il faut choisir de la conserver ou de l’éliminer.

Si le biotope dans lequel elle est implantée ne correspond pas à sa niche écologique, on la change de place ou on modifie le biotope. À la suite de cette intervention, si la plante ne recouvre pas la santé, on la supprime ou on la laisse aller, en espérant que la situation s’améliore.

Presque tous les pesticides, même les pesticides naturels et biodégradables, ont un impact négatif sur les organismes non visés. On veille à conserver la fonctionnalité de l’ensemble, plutôt qu’à faire de l’acharnement thérapeutique.

Ne tentez pas de conserver un aménagement statique une fois qu’il est réalisé. Un écosystème normal est en perpétuel changement parce que les populations évoluent, que les conditions environnementales changent constamment et que de nouveaux organismes sont parfois introduits.

Attention aux plantes envahissantes

Ces plantes sont une cause importante de la diminution de la biodiversité sur Terre. Par exemple, les pétasites, l’herbe à goutteux ou la menthe peuvent envahir entièrement les platebandes et détruire les communautés existantes. On limite ce type de plantes envahissantes dans des endroits spécifiques où elles jouent le rôle écologique pour lequel elles existent, ou on les circonscrit pour les empêcher de détrôner les espèces que l’on préfère cultiver.

Laisser la litière organique

Observer la nature, le sol sous les plantes est toujours recouvert d’une litière organique. Immédiatement après les plantations, installez donc un paillis organique pour imiter la nature. Par la suite, laissez le tapis végétal produit chaque année par les plantes au pied de celles-ci, à l’exception des plantes qui souffrent de maladies du feuillage. La litière organique produite par les plantes retient l’humidité, limite la germination des plantes indésirables, stimule les organismes du sol, constitue un fertilisant de qualité supérieure et facilite l’alimentation et parfois, la guérison des plantes. Retirez la litière organique produite par les végétaux au jardin constitue une des plus graves erreurs de l’horticulture ornementale conventionnelle. En plus de briser le cycle naturel de la nature, on crée un problème de production de gaz à effet de serre, lorsque l’on met ces résidus organiques au rebut.

Apprendre à tailler

Les feuilles sont littéralement des panneaux solaires disposés de la façon la plus efficace possible pour capter la lumière. Une plante mal taillée sera fortement affaiblie. Apprenez donc à tailler.

La nature : une inspiration

L’écologie ramène à ce que la nature fait si bien depuis des centaines de millions d’années : faire pousser des plantes et des fleurs avec un minimum d’entretien. En reproduisant dans un jardin les mécanismes gagnants de la nature, les jardiniers peuvent profiter d’un magnifique jardin écologique à entretien minimal et de plus très économique. La façon de reconnaître qu’on est dans un écosystème fonctionnel, c’est qu’on a remisé pesticides, boyau d’arrosage et sacs d’engrais... et que l’on s’émerveille devant un magnifique jardin.

Pour aller plus loin…

Michel Renaud est l’auteur de Fleurs et jardins écologiques – L’art d’aménager des écosystèmes chez Bertrand Dumont éditeur inc. 2005, 356 p.